céda celle de La Harpe', c'est par celle-là devons commencer. que nous Nous avons considéré les Confessions comme le plaidoyer d'un homme qui se croit déshonoré. Au lieu de voir dans cet ouvrage une défense, M. Servan n'y voit qu'une attaque, un libelle, une diffamation. Nous devons nécessairement arriver à des conclusions diamétralement opposées. Quoiqu'elles ne dépendent pas tellement du point de vue où l'on se place, qu'on soit forcé de les admettre, c'est cependant une question qu'il importe de poser avec impartialité. Nous avons rendu compte des raisons d'après lesquelles notre persuasion était établie, c'est au lecteur à les juger. Nous allons mettre sous ses yeux celles de M. Servan, en les accompagnant de quelques observations. Disons d'abord que son système est fondé sur ce principe, qu'il ne faut publier ni les Mémoires particuliers, ni les Correspondances des hommes célèbres : il ne veut pas qu'on trouble le repos des vivants; il a raison quand ceux-ci n'ont point troublé le repos des autres, car c'est dans la république des lettres que la peine du talion est de droit légitime, c'est dans cette république que la vengeance est justice. Eh bien! Rousseau ne voulut que venger sa mémoire. Il assigna lui-même l'époque où l'on pourrait faire paraître ses Confessions. Ce devait être en 1800; calculant qu'alors aucun des Les Réflexions sur les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, par M. Servan, ancien avocat - général au parlement de Grenoble, parurent en 1783, dans le Journal encyclopédique. L'examen de La Harpe fut inséré dans le Mercure de 1792, dont M. Barbier l'a extrait en 1818, pour le comprendre dans son nouveau Supplément au Cours de liftérature, I vol. in-8°. personnages dont il y est question n'existerait plus, d'après toutes les probabilités 1. Je sais bien qu'on peut dire, dans le système de M. Servan, Mais pourquoi causer un sentiment pénible aux héritiers de ceux qui furent coupables, s'il y eut des coupables? Mais, dans cette hypothèse, nous répliquerons : Pourquoi voulezvous que la mémoire de l'auteur d'Émile reste entachée d'odieuses accusations? Ne faut-il pas que justice se fasse? Y a-t-il prescription pour le mensonge? La société n'a-t-elle donc aucun intérêt à savoir que celui qui sut donner tant de charmes à la morale ne fut pas un méprisable hypocrite? A qui se fierait-elle désormais? Quelles leçons lui seraient profitables, si Rousseau n'eût été qu'un vil imposteur? Du système de M. Servan, proscrivant en général les mémoires particuliers et les correspondances des hommes célèbres 2, passons aux arguments dont il défend ce système, mais seulement dans l'application qu'il en fait aux Confessions. « On n'a point encore insisté, dit-il, sur l'abus des «personnalités, si criant dans cet ouvrage, et si dangereux pour la société. Une réclamation contre cet << abus est donc une tâche qui s'offre maintenant à remplir pour le bien public. » Et cette tâche, il se l'impose. I En effet, il n'existait plus à cette époque, que Saint-Lambert, madame d'Houdetot, madame d'Holbach et Grimm, morts tous dans un âge très-avancé. Rousseau parle honorablement des trois premiers: quant au quatrième, il est abandonné de tout le monde, à l'exception de son secrétaire. Voyez l'introduction au 1er vol. de cette édition. 2 Faisons remarquer que M. Servan eût perdu sa cause, à en juger par le goût du public et l'accueil qu'il fait aux mémoires publiés avec une sorte de profusion, depuis l'époque où ce magistrat proscrivait ce genre d'ouvrages. «Par ce mot de personnalités, d'un usage fréquent en littérature, on entend les reproches et les injures personnels que les auteurs emploient dans leurs ouvrages polémiques. » Cette définition, qui n'est pas de nous, ne paraît pas applicable aux Confessions, parce qu'elles contiennent plutôt des révélations que des personnalités. Si les premières sont vraies, liées à la cause, ce ne serait point la faute de l'auteur si elles étaient injurieuses. Elles diffèrent donc des secondes. <«< Mais à qui nuisent ces Confessions, se demande «<le critique? Il répond qu'elles nuisent certainement <«<aux personnes qu'elles censurent, et peut-être même « à celles qu'elles louent; elles nuisent aux personnes « qu'elles font deviner; elles nuisent à celles qu'elles << menacent. »> Il faut savoir si, en nuisant, cet ouvrage justifie celui qui se défend par ces prétendues personnalités. Car un homme calomnié nuit, en prouvant qu'il l'est, à son calomniateur. « J'ai ouï nommer deux femmes distinguées qui, di«<< sait-on, devaient être peintes dans les Confessions << futures à peu près comme madame de Warens. >> Ces deux femmes distinguées étaient madame d'Épinay et madame d'Houdetot. La première s'est peinte dans ses Mémoires, qui prouvent que Jean-Jacques a ménagé l'historienne, et qu'il fut discret. La seconde fut si peu choquée du langage qu'il tenait sur elle, I Encyclopédie et Dictionnaire de Trévoux. Les auteurs du Dictionnaire de l'Académie n'admettent pas le mot dans ce sens, ou du moins n'en parlent pas. 3 Ce sont les six derniers livres, qui n'avaient pas encore paru quand M. Servan écrivait. qu'elle avait toujours sur sa cheminée le volume où son portrait est dessiné de main de maître; et ce volume toujours ouvert à la page où commence ce portrait. Se supposant près du tombeau de Jean-Jacques, M. Servan s'exprime ainsi : « Je croyais voir cette tombe « ombragée par des peupliers, et je me disais : C'est « donc là que repose un peu de poussière qui fut Rous«<seau, et c'est pour ce déplorable reste qu'on ose tour<< menter des hommes honnêtes ! >> Ce n'est point pour ce déplorable reste, c'est pour sa réputation, ce qu'on a de plus cher, le bien auquel on attache le plus de prix; c'est pour venger enfin la mémoire de celui dont l'enveloppe repose dans une tombe ombragée par des peupliers. On dirait que Servan ne voit rien au-delà du tombeau. Dans l'opinion de ceux qui penseraient ainsi, ne peut-on leur dire, à propos d'un homme qui fut célèbre pendant sa vie, et qui laissa d'immortels monuments: N'est-il pas naturel, puisqu'on doit parler de cet homme, de savoir ce qu'il en faut dire? L'avocat - général présente les Confessions comme renfermant des haines, des accusations odieuses, des soupçons outrageants; reste à savoir si ce sont des vérités. Or, il n'est pas une accusation qui ne soit un fait justificatif, pas un soupçon que l'événement n'ait vérifié. Rousseau s'est rendu coupable une fois d'une accusation odieuse, ou d'un soupçon outrageant, envers M. Vernes, en lui imputant le libelle de Voltaire1. 1 Sentiments des citoyens. Voyez dans le xvio vol. de cette édition, la déclaration de Jean-Jacques à l'occasion de ce libelle. Il paraît que M. Servan n'a point connu ce trait, puisqu'il le passe sous silence. Nous parlerons ailleurs de M. Bovier, envers lequel Jean-Jacques eut un tort que M. Servan envenime beaucoup 1; de Thévenin 2, qu'il représente comme un homme simple et timide, ignorant qu'il eût été condamné aux galères comme faussaire et calomniateur; de la lapidation de Motiers 3 qu'il suppose imaginaire, n'ayant point connaissance des actes et procès-verbaux qui la constatent. Passons à madame de Warens. Rousseau dévoile les turpitudes de celle qui l'accueillit, prit soin de sa jeunesse, et le traita comme son enfant. Ce reproche, s'il était fondé, serait sans aucun doute le plus grave qu'on puisse faire à JeanJacques, et le plus embarrassant pour ceux qui défendent sa mémoire, de quelque manière qu'on l'envisage : c'est-à-dire soit que l'on considère madame de Warens comme bienfaitrice de Rousseau, soit qu'on examine en lui-même le blâme qu'elle mérite. Il y a dans nos mœurs du ridicule à lui chercher des excuses; du ridicule à opposer à cette femme, s'avilissant avec une indifférence raisonnée (mais ne blessant jamais les intérêts d'autrui); à lui opposer, dis-je, telle autre femme se rendant coupable d'infidélité, de vol, de crimes, d'assassinats même, et faisant passer l'héri I Voyez, t. xxi, l'avertissement qui précède les Réveries; c'est dans la vire qu'il est question de M. Bovier: et les éclaircissements sur le fait qui lui est imputé ne doivent point être séparés de l'ouvrage où Jean-Jacques rapporte ce fait. 2 Voyez Correspondance, lettres écrites dans le mois de septembre 1768, à M. le comte de Tonnerre, à Dupeyrou, etc. 3 Voyez une note livre XII des Confessions. 4 Croirait-on que, dans les parallèles ou les rapprochements que |