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-Ce serait vraiment dommage qu'un grand médecin comme Clovis enterrât ses talents dans un mauvais bourg. Il est évident que ses facultés l'appellent à exercer la médecine à Paris.

Elle commença à trouver qu'on payait bien peu les visites de médecins à la campagne, et un jour elle soutint que la dette que l'on devait acquitter le plus scrupuleusement et le plus vite, c'était celle que l'on avait contractée envers un médecin. Elle avait bien envie d'acheter le cheval pie du docteur, mais elle réfléchit que Clovis n'avait pas encore douze ans, que le cheval était son aîné de quelques années, et qu'il serait sans aucun doute mort de vieillesse avant le jour où AntoineClovis Gosselin serait reçu docteur et recevrait le droit, par son diplôme, impunè medicandi et occidendi per

totam terram.

Son parti était pris, elle alla trouver le maître d'école, et lui dit :

Or çà! maître Hérambert, savez-vous le latin? -Ma bonne dame, répondit le clerc, ce que je puis vous dire avec certitude, c'est que j'en ai appris beaucoup, longtemps, et pour beaucoup d'argent, que jesuis prêt à céder ce que j'en sais fort au-dessous du prix de revient.

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Eh bien ! maître Hérambert, il faut mettre mon fils au latin, et ça pas demain, mais aujourd'hui ; pas ce soir, mais ce matin; en un mot, tout de suite au plus tard.

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Eh! mon Dieu, ma bonne dame Gosselin, pourquoi voulez-vous mettre au latin ce petit Clovis qui est un charmant enfant et qui n'a aucune méchanceté?

Mais, continua la veuve Gosselin, quand je dis qu'il faut le mettre au latin, je parle du vrai latin, de

celui qu'on chante à l'église, tout ce qu'il y a de mieux en latin; si vous n'en tenez pas, il vaut mieux le dire. On en aura ailleurs pour son argent.

- Ne vous fâchez pas, ma bonne dame Gosselin ; je vous assure que je suis enchanté de trouver le placement de mon pauvre latin et d'en vendre un peu ; il y a dix ans que je suis ici, et on ne m'en avait jamais demandé ; mais je vois à votre air que vous craignez que mon latin ne soit éventé; c'est une erreur, ma bonne dame Gosselin ; je l'ai tenu si bien bouché qu'il est parfaitement conservé, et je vous le garantis même de qualité supérieure à celui de M. le curé.

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Il faut que dans quelques mois il soit capable d'entrer au collége.

-Au collége! Ma bonne dame Gosselin, croyez-moi, que votre fils sache lire, écrire et compter; tout homme doit le savoir; un homme qui ne possède pas ces connaissances est un infirme; ceux qui savent lire et écrire parlent au loin et entendent les absents; celui qui ne sait ni lire ni écrire est relativement muet et sourd, puisqu'il n'entend plus et ne peut plus se faire entendre à une distance où les autres parlent et entendent : mais ceux-là seulement qui doivent passer leur vie dans les loisirs que donne la fortune acquise, ou ceux qui sont entraînés malgré eux dans les carrières laborieuses des lettres et des sciences, par des facultés extraordinaires et des tendances invincibles, ceux-là seulement doivent être conduits au delà des connaissances élémentaires.

Je ne comprends pas trop bien ce que vous voulez dire, reprit la veuve Gosselin ; j'entends seulement que vous nous reprochez de n'être pas riches.

Loin de là, ma bonne dame! la pauvreté des enfants est souvent un indice de l'honnêteté des pères. Beaucoup de grandes fortunes ont eu pour origine quelque

énorme coquin qui a amassé, il y a longtemps, de l'argent pour des gens meilleurs que lui, qui doivent venir ensuite. Ainsi, il y a, dans un certain pays où l'on pend les voleurs, un proverbe peu moral qui dit : « Heureux les fils dont les pères ont été pendus! »

Prétendez-vous alors que Clovis n'est pas un enfant très-intelligent?

Très-intelligent, en effet, ma bonne madame Gosselin ; mais je n'ai jamais vu un homme qui fût trop intelligent et trop savant pour être cultivateur. J'en connais, au contraire, beaucoup, et presque tous sont dans ce cas, qui sont loin de l'être assez et moi tout le premier; mais d'une intelligence remarquable à des facultés extraordinaires et spéciales, il y a encore de la distance. Votre fils a-t-il quelque inclination très-prononcée pour un art ou pour une science?

Mon fils est comme tous les enfants, il passerait sa vie à monter aux arbres pour dénicher les oiseaux, Ça n'est pas encore là l'entraînement invincible dont je vous parlais tout à l'heure.

Écoutez-moi, M. Hérambert, tout ce que vous me dites là depuis une demi-heure, et rien, c'est la même chose.

J'en ai peur, dame Gosselin.

J'ai mon idée là, dit-elle en se touchant le front, mon fils sera un grand médecin et fera ses visites à cheval comme défunt M. Lemonnier. J'en suis si sûre et je l'ai tellement mis dans ma tête, que si j'avais eu de l'argent et si la bête n'avait pas été trop vieille en même temps que Clovis était trop jeune, j'aurais acheté le cheval pie du docteur, car on ne sait par qui ça va être monté. C'est humiliant pour cette bête, et d'ailleurs ça connaît la clientèle, ça s'arrête tout seul aux portes des malades. Enfin, ce qui ne se peut pas ne se

peut pas, il faut bien ne le pas vouloir. Mais ce qui se peut se fera, et se fera en le voulant, et le voulant tout à fait ; et je le veux. Ainsi donc, oui ou non : voulezvous enseigner le latin à Clovis, et vite et dru, pour qu'il puisse entrer au coliége dans un an? D'ici là, je lui aurai obtenu une bourse.

Et quand commençons-nous, dame Gosselin ?

Tout de suite, comme je vous l'ai dit ; je vais aller chercher Clovis et vous l'amener. Ainsi, préparez vos grimoires, parce que pendant qu'il apprendra assez de latin pour entrer au collége, j'aurai, moi, d'autre besogne à faire.

La veuve Gosselin rentra chez elle, et trouva Clovis absent. Il avait passé par le tunnel pratiqué sous la haie; et, avec l'aide de la petite Isoline, il faisait à l'enfant un jardin dont l'idée la comblait de joie. Il avait labouré à la bêche un carré de terre dans la cour de la veuve Séminel, et là il mettait en terre toutes sortes de plantes qu'il était allé, pour elle, arracher dans les bois. On était à la fin du mois d'octobre, saison qui permettait de transplanter les arbustes sans les exposer. Il avait apporté des fusains, chargés de leurs graines orange dans une enveloppe rose; des chèvrefeuilles celui des bois est de tous le plus parfumé dont les graines ressemblent à des groseilles. Il avait aussi déterré du muguet et des oignons de jacinthe et de narcisse des bois..

Tu verras, disait-il, comme ça sera joli au printemps. Il y a des plantes encore que je connais, mais que je n'ai pas pu trouver; l'anémone des bois blanche et violette et la primevère jaune. Mais j'irai t'en chercher au mois de mars, quand elles commenceront à percer la terre sous les feuilles sèches.

A ce moment la voix de la veuve Gosselin, qui avait

en vain cherché Clovis dans la maison, se fit entendre avec un son formidable :

-

- Où es-tu, Clovis ? criait la voix dans la cour de madame Séminel.

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Je ne peux pas, nous faisons un jardin.
Viens tout de suite.

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C'étaient à peu près les mêmes mots, mais l'accent indiquait un ordre sans réplique. Aussi Clovis laissa là sa bêche et ses plantes et rejoignit sa mère qui le conduisit à l'école, et exigea que M. Hérambert lui donnât à l'instant même, devant elle, sa première leçon de latin.

- Mon garçon, dit-elle quand ce fut fini, ça ne m'a pas l'air très-amusant d'apprendre le latin, mais ne fais pas attention à cela. Apprends-le tout de même. Je ne suis pas assez injuste pour exiger que ça t'amuse. Ne t'y amuse donc pas, mais apprends-le. Il dépend de toi et de ton travail que nous soyons un jour heureux et riches. Tu seras médecin, je l'ai décidé. Peut-être bien resterons-nous à Paris. Pour le moins tu reviendras ici prendre la place du docteur Lemonnier, et comme lui tu feras les visites à cheval.

J'aurai un cheval ?

Un cheval, et même un cheval pie, si c'est possible. Cela te convient-il ?

Clovis, comme la plupart des jeunes garçons, se sentait une grande vocation pour tout état qui s'exerçait à cheval. Aussi il répondit à sa mère que cela lui convenait parfaitement.

- Et maître Hérambert, qui me disait qu'il n'avait peut-être pas une vocation bien marquée ?

Maître Généreux Hérambert... Mais il faut que je dise ici une chose qu'il est indispensable de dire et de

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