consentement, sans quoi elle eût été obligée de rester fille, ce qui serait désagréable, si les filles sont aujourd'hui ce que nous étions à leur âge. Tu entends, Isoline, notre excellente amie, la veuve Gosselin, te permet d'épouser un laboureur. Ne craignez-vous pas encore, Astérie, que ce ne soit trop élevé pour elle, et que ça ne la sorte de sa sphère, comme vous nous en donnez le précepte, sans pourtant toutefois en donner l'exemple, - Vous vous fâchez, Zoé Séminel, et je n'avais que de bonnes intentions. Je craignais qu'Isoline n'eût laissé entrer, dans sa tête ou dans son cœur, la pensée d'épouser Clovis; j'aime mieux l'avertir aujourd'hui que plus tard que Clovis n'est pas son fait, et je pense que j'agis dans son intérêt. - C'est trop de bonté, mille fois, Astérie Gosselin, mais soyez sans inquiétude, nous savons trop la distance qui nous sépare. Non, Isoline Séminel n'aurait jamais dû porter sa visée jusqu'à M. Clovis Gosselin, dont la famille est si illustre, et dont le château s'élève à côté de notre pauvre maison. A propos de votre château, Astérie Gosselin, je crois remplir le devoir d'une bonne voisine en vous avertissant que vous devriez bien faire faire les réparations du chaume qui le couvre; il est si vieux et si usé qu'il pourrait bien pleuvoir dans la chambre où est né l'illustre rejeton, que l'on nous croit assez ambitieuses pour regarder. Je vous dirai à mon tour, écoutez-moi, Astérie Gosselin, si par hasard ma fille avait eu l'audace de porter si haut ses vues, je lui défends dès aujourd'hui de jamais parler ni écrire à votre fils, ni de s'occuper de lui plus que s'il n'avait jamais passé le seuil de notre maison. Tant pis pour vous si vous vous fâchez, Zoé Sémi nel, je n'ai pas le temps de me quereller; quand vous serez de sang-froid, vous verrez que je n'ai pas eu tort de parler comme j'ai fait, et que je n'ai donné à vous et à votre fille que de sages avis. Je vous dis donc adieu dès aujourd'hui, au lieu de vous le dire demain comme j'en avais l'intention. Isoline, qui n'avait éprouvé des paroles de la veuve Gosselin qu'une impression très-passagère, avait repris son calme et sa sécurité; seulement elle ne voulait pas que sa mère et sa future belle-mère se séparassent brouillées. - Ma mère, dit-elle, et vous, Astérie Gosselin, à quoi pensez-vous de vous quereller ainsi? Il sera ce qu'il plaira à Dieu. Ni vous ni moi nous ne changerons rien à ses volontés. N'oublions pas que nous avons toujours vécu en bon voisinage et en bonne amitié, et au moment d'une si longue séparation, embrassons-nous, et gardons les uns des autres un bon souvenir. Après quelques façons, les deux vieilles voisines s'embrassèrent sans grande effusion. Pour Isoline, elle serra avec tendresse la mère de Clovis sur son cœur. Quand la veuve Gosselin fut partie, la veuve Séminel renouvela à sa fille la défense formelle d'écrire jamais à Clovis ni de recevoir une lettre de lui. - Je vous obéirai, ma mère, dit Isoline, mais croyez-moi, il n'en sera jamais, je le répète, que ce qu'il plaira à Dieu. Je serai la femme de Clovis et je m'appellerai un jour madame Gosselin; en attendant, je ne suis pas bien pressée d'écrire des lettres que je mettrais quinze jours à faire et pour lesquelles je ne trouverais pas de papier assez grand, puisque je ne sais écrire qu'en demi-gros, et encore assez mal. As-tu donc fait un rêve comme Astérie? et est-ce sur la foi de ton rêve que tu es certaine d'épouser Clo vis, comme Astérie Gosselin est fière de lui voir remplacer le docteur Lemonnier et faire ses visites sur un cheval pie? - Non, ma mère, je n'ai pas rêvé; nous étions parfaitement éveillés, Clovis et moi, quand nous nous sommes promis, lui de revenir et moi de l'attendre. Ma pauvre enfant, j'aimerais mieux te voir croire à un rève qu'à la promesse d'un homme. -Je n'espère pas, ma mère, vous faire partager ma conviction; mais elle est si complète, que je ne l'examine même pas. Je vous obéirai, je n'écrirai pas à Clovis, et je ne recevrai pas de lettres de lui. Ça me fera paraître l'attente plus longue et plus dure; mais ça ne m'empêchera pas d'attendre, et ça n'empêchera pas nos destinées de s'accomplir. - Ainsi donc, s'il se présentait un bon parti... -Oh! ma mère, j'ai promis. Mais lui, ma pauvre enfant, il oubliera ses promesses, et, quand tu auras eu passé toute ta jeunesse à l'attendre, il ne viendra pas, et, comme te le disait tout à l'heure Astérie Gosselin, tu apprendras qu'il a épousé une femme riche. Qui? lui? Clovis? Et Isoline prononça ces mots avec tant de confiancé et de foi, que sa mère ne trouva rien à répondre, sinon de lever les yeux au ciel et de hausser les épaules. La veuve Gosselin partit, avec son bagage. Le commandant du bateau la Seine, qui commençait alors à faire le trajet du Havre à Rouen, avait été le patron de. feu Césaire Gosselin, il offrit le passage à la veuve. A Rouen, son fils l'attendait, elle mit leurs paquets au roulage et lui annonça qu'il fallait aller à Paris à pied. Moi, ma mère, je le comprends; mais vous ? J'en ai fait et j'en ferai bien d'autres, répondit Astérie Gosselin, nous sommes dans notre temps d'épreuves, il ne faut ni reculer ni hésiter. Marchons ! Ils mirent quatre jours à faire la route qui sépare Rouen de Paris. Lettre de Clovis Gosselin, étudiant en médecine, à Généreux Hérambert, maître d'école à Bléville. « Je suis à Paris! Paris dont Pierre le Grand disait : Si j'en avais une pareille, je serais tenté d'y mettre le feu de peur qu'elle n'absorbât le reste de mon empire; cette ville où il entre par tant de portes, et tous les jours et incessamment, des bestiaux, de la farine, du lait, des poëtes, et dont il ne sort que du fumier. << Tenez, mon cher maître, je m'arrête ici dès mes premiers pas. Cette lettre allait ne pas avoir le sens commun. Quand on est très-jeune, on veut avoir l'air austère et misanthrope. J'avais quitté nos campagnes normandes un peu triste. Il me semblait que je me sacrifiais à ma mère. J'avais endossé le rôle de victime, et si je n'y avais fait attention, j'allais le jouer avec vous. Puisque vous avez la bonté de recevoir les lettres d'un écolier qui ne sait rien, qui n'a rien vu, faut-il du moins que ces lettres soient vraies et naïves. J'étais assez content de ma phrase: « Cette ville où il entre tant de choses et dont il ne sort que du fumier; » mais je dois confesser que je l'avais emportée toute faite de chez nous. Il m'a semblé que c'est ce que font la plupart des voyageurs. On a tant de petits soins à prendre en voyage qu'on ne peut observer, et qu'on écrit son voyage avant de partir. «Eh bien! non, ce n'est pas là l'impression que j'ai reçue de Paris, et je suis probablement dans l'excès contraire. C'est de Paris que sortent des idées pour le monde entier. On y frappe les idées comme les louis à la Monnaie, et de là elles circulent avec un cours légal et accepté partout. << Tenez, mon cher maître, au lieu de vous envoyer ces pensées, fort confuses encore, je ferais mieux de vous dire ce que ma mère et moi nous avons fait depuis une semaine que nous sommes ici. « Nous sommes entrés tard à Paris, on commençait à allumer les réverbères. <«< Nous étions fatigués; nous nous sommes arrêtés dans une auberge, à l'entrée de la ville, où nous avons soupé et passé la nuit. « Le lendemain matin, nous avons traversé tout Paris pour chercher un logement. Ma mère était munie de renseignements très-exacts, admirablement rangés dans sa tête. Je n'ai pas besoin de vous dire son intelligence et son opiniâtre application à ce qu'elle fait. Nous avons trouvé deux demi-chambres, comme on dit chez nous, et ce qu'on appelle ici des cabinets, pour cent francs par an. C'est tout en haut d'une maison haute comme une colline. Pour le même prix, notre voisine Séminel a une maison avec grenier et grange et toute une grande cour plantée de pommiers. <«<-Le logement ne te paraît pas beau, dit ma mère, mais ce n'est pas un séjour que nous établissons ici. Nous sommes en voyage. Il s'agit d'être à l'abri du vent et de la pluie, voilà tout. Plus tard nous nous logerons à notre goût quand tu seras médecin... quand nous serons arrivés. « Le logement arrêté, il nous fallut aller chercher nos hardes, puis les ustensiles que ma mère avait mis au roulage; ensuite elle acheta deux lits de sangle, deux petites tables, deux chaises; et elle déclara nos |