ce qui doit être respecté; Locke est philosophe, et en même temps il est chrétien. C'est encore là un de ses titres d'honneur; mais, il faut le dire, si dans l'Essai sur l'entendement humain il y a comme un parfum de piété solide et de véritable christianisme, le christianisme y est réduit en quelque sorte à sa plus simple expression. Locke cite souvent les saintes Écritures et leur rend hommage, mais sans entrer jamais dans le fond des dogmes et des mystères, où pourtant réside la métaphysique chrétienne. Locke est un enfant de la réforme et du protestantisme; il incline même plus ou moins au socinianisme. Assurément, il est encore dans les limites du christianisme, mais il est sur la borne même : tel est le chef. Quant à l'école, vous savez ce qu'elle a été. Le chef est indépendant, et chrétien encore; les élèves sont indépendans, mais leur indépendance avec le temps a passé rapidement à l'indifférence, et de l'indifférence à l'inimitié. Je vous dis tout ceci, Messieurs, parce qu'il importe que vous ayez toujours dans la main le fil du mouvement et du progrès de l'école sensualiste. Je passe à la question qui vient immédiatement après celle de l'esprit général de tout ouvrage philosophique, savoir, la question de la méthode. Vous connaissez l'importance de cette question; il doit vous être évident aujourd'hui que telle est la méthode d'un philosophe, tel sera son système, et que l'adoption d'une méthode décide des destinées d'une philosophie. De la pour nous l'obligation étroite d'insister sur la méthode de Locke avec tout le soin dont nous sommes capables. Quelle est donc cette méthode qui, dans son germe, contient le système entier de Locke, ce système qui a produit la grande école sensualiste du dix-huitième siècle? Nous laisserons parler Locke lui-même; il s'exprime ainsi dans sa préface : « S'il était à propos de faire ici l'histoire de « cet Essai, je vous dirais que cinq ou six de « mes amis s'étant assemblés chez moi, et ve<< nant à discourir sur un sujet bien différent << de celui-ci, se trouvèrent bientôt arrêtés par << les difficultés qui s'élevèrent de différens << côtés. Après nous être fatigués quelque temps << sans nous trouver plus en état de résoudre les << doutes qui nous embarrassaient, il me vint << dans l'esprit que nous prenions un mauvais << chemin, et qu'avant de nous engager dans ces « sortes de recherches il était nécessaire d'exa« miner notre propre capacité, et de voir quels « objets sont à notre portée ou au dessus de notre << compréhension. Je proposai cela à la compa DE L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. 93 « gnie, et tous l'approuvèrent aussitôt; sur quoi « l'on convint que ce serait là le sujet de nos << premières recherches. Il me vint alors quel<<< ques pensées indigestés sur cette matière que « je n'avais jamais examinée auparavant. Je les <<jetai sur le papier; et ces pensées formées à <la hâte, que j'écrivis pour les confier à mes « amis à notre prochaine entrevue, fournirent « la première occasion de ce traité qui, ayant « été commencé par hasard et continué à la « sollicitation de ces mêmes personnes, n'a << été écrit que par pièces détachées; car, après << l'avoir long-temps négligé, je le repris selon « que mon humeur ou l'occasion me le permet« taient; et enfin, pendant une retraite que je << fis pour le bien de ma santé, je le mis dans « l'état où vous le voyez présentement. >> Il revient à la même pensée dans l'Introduction qui suit la préface. Chap. II. « Je ne m'engagerai pas à considérer « en physicien la nature de l'ame, à voir ce « qui en constitue l'essence, quels mouvemens << doivent s'exciter dans nos esprits animaux, ou << quels changemens doivent arriver dans notre << corps pour produire, au moyen de nos or<< ganes, certaines sensations et certaines idées « dans notre entendement, et si quelques unes << de ces idées ou toutes ensemble dépendent << dans leur principe de la matière ou non. << Quelque curieuses et instructives que soient « ces spéculations, je les éviterai, comme ne « pouvant me conduire directement au but que « je me propose. Il suffira, pour le dessein que « j'ai présentement en vue, d'examiner les fa<< cultés de connaître qui se rencontrent dans « l'homme, en tant qu'elles s'exercent sur les « objets qui se présentent à elles. » Locke est persuadé que c'est là le seul moyen de rabattre la témérité de la philosophie, et en même temps de l'encourager à d'utiles re cherches. Chap. IV. « Quelle que soit l'activité de notre « esprit, cet examen pourra servir à la modérer « en nous obligeant à plus de circonspection « lorsque nous nous occupons de choses qui « passent notre compréhension, à nous arrêter << lorsque nous avons porté nos recherches jus« qu'au plus haut point où nous soyons capables « de les porter, et à vouloir bien ignorer ce que << nous voyons être au dessus de nos pensées, << après l'avoir bien examiné. Si nous en usions « de la sorte, nous ne serions peut-être pas si « empressés, par un vain désir de connaître, à « exciter incessamment de nouvelles questions, « à nous embarrasser nous-mêmes et à engager « les autres dans des disputes sur des sujets qui DE L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. 95 < sont tout-à-fait disproportionnés à notre en<« tendement, et dont nous ne saurions nous << former des idées claires et distinctes, ou même « (ce qui n'est peut-être arrivé que trop souvent) << dont nous n'avons absolument aucune idée. << Si donc nous pouvons découvrir jusqu'où notre « entendement peut porter sa vue, jusqu'où il << peut se servir de ses facultés pour connaître « les choses avec certitude, et en quels cas il ne << peut juger que par de simples conjectures, << nous apprendrons à nous contenter des con« naissances auxquelles notre esprit est capable << de parvenir, dans l'état où nous nous trouvons « dans ce monde. >>> Chap. VI. « Lorsque nous aurons examiné << soigneusement ce que notre esprit est capable << de faire, et que nous aurons vu en quelque << manière ce que nous en pouvons attendre, << nous ne serons portés ni à demeurer dans une << lâche oisiveté et dans une entière inaction, << comme si nous désespérions de jamais con<< naître quoique ce soit, ni à mettre tout en « question, et à décrier toutes sortes de con<< naissances parce qu'il y a certaines choses que << l'on ne peut pas comprendre. » Et encore, même chapitre. « Il est extrêmement avantageux au pilote de « savoir quelle est la longueur du cordeau de |