de galants va-t-il mettre en déroute! quels bons partis ne fera-t-il pas manquer! pourra-t-il suffire à tant d'héritières qui le recherchent ? Ce n'est pas seulement la terreur des maris, c'est l'épouvantail de tous ceux qui ont envie de l'être, et qui attendent d'un mariage à remplir le vide de leur consignation. On devroit proscrire de tels personnages si heureux, si pécunieux, d'une ville bien policée; ou condamner le sexe, sous peine de folie ou d'indignité, à ne les traiter pas mieux que s'ils n'avoient que du mérite. Paris, pour l'ordinaire le singe de la cour, ne sait pas toujours la contrefaire : il ne l'imite en aucune manière dans ces dehors agréables et caressants que quelques courtisans, et sur-tout les femmes, y ont naturellement pour un homme de mérite, et qui n'a même que du mérite: elles ne s'informent ni de ses contrats ni de ses ancêtres; elles le trouvent à la cour, cela leur suffit; elles le souffrent, elles l'estiment; elles ne demandent pas s'il est venu en chaise ou à pied, s'il a une charge, une terre, ou un équipage: comme elles regorgent de train, de splendeur, et de dignité, elles se délassent volontiers avec la philosophie ou la vertu. Une femme de ville entend-elle le bruissement d'un carrosse qui s'arrête à sa porte, elle pétille de goût et de complaisance pour quiconque est dedans sans le connoître : mais si elle a vu de sa fenêtre un bel attelage, beaucoup de livrées, et que plusieurs rangs de clous parfaitement dorés l'aient éblouie, quelle impatience n'at-elle pas de voir déja dans sa chambre le cavalier ou le magistrat! quelle charmante réception ne lui fera-t-elle point! ôtera-t-elle les yeux de dessus lui? Il ne perd rien auprès d'elle; on lui tient compte des doubles soupentes, et des ressorts qui le font rouler plus mollement; elle l'en estime davantage, elle l'en aime mieux. Cette fatuité de quelques femmes de la ville qui cause en elles une mauvaise imitation de celles de la cour, est quelque chose de pire que la grossièreté des femmes du peuple, et que la rusticité des villageoises: elle a sur toutes deux l'affectation de plus. La subtile invention de faire de magnifiques présents de noces qui ne coûtent rien, et qui doivent être rendus en espèces! L'utile et la louable pratique de perdre en frais de noces le tiers de la dot qu'une femme apporte! de commencer par s'appauvrir de concert par l'a mas et l'entassement de choses superflues, et de prendre déja sur son fonds de quoi payer Gaultier, les meubles, et la toilette! Le bel et le judicieux usage que celui qui, préférant une sorte d'effronterie aux bienséances et à la pudeur, expose une femme d'une seule nuit sur un lit comme sur un théâtre, pour y faire pendant quelques jours un ridicule personnage, et la livre en cet état à la curiosité des gens de l'un et de l'autre sexe, qui, connus ou inconnus, accourent de toute une ville à ce spectacle pendant qu'il dure! Que manque-t-il à une telle coutume, pour être entièrement bizarre et incompréhensible, que d'être lue dans quelque relation de la Mingrélie ? Pénible coutume, asservissement incommode! se chercher incessamment les unes les autres avec l'impatience de ne se point rencontrer; ne se ren I C'étoit un usage à Paris que les nouvelles mariées reçussent, les trois premiers jours, leurs visites sur un jit, of elles étoient magnifiquement parées, en compagnie de quelques demoiselles de leurs amies; et tout le monde les alloit voir, et examinoit leur fermeté et leur contenance sur une infinité de questions et de quolibets qu'on leur disoit dans cette occasion. contrer que pour se dire des riens, que pour s'apprendre réciproquement des choses dont on est également instruite, et dont il importe peu que l'on soit instruite; n'entrer dans une chambre précisément que pour en sortir; ne sortir de chez soi l'après-dînée que pour y rentrer le soir, fort satisfaite d'avoir vu en cinq petites heures trois suisses, une femme que l'on connoît à peine, et une autre que l'on n'aime guère! Qui considèreroit bien le prix du temps, et combien sa perte est irréparable, pleureroit amèrement sur de si grandes misères. On s'élève à la ville dans une indifférence grossière des choses rurales et champêtres; on distingue à peine la plante qui porte le chanvre d'avec celle qui produit le lin, et le blé froment d'avec les seigles, et l'un ou l'autre d'avec le méteil: on se contente de se nourrir et de s'habiller. Ne parlez pas à un grand nombre de bourgeois, ui de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regains, si vous voulez être entendu; ces termes pour eux ne sont pas françois : parlez aux uns d'aunage, de tarif, ou de sou pour livre, et aux autres de voie d'appel, de requête civile, d'appointement, d'évocation. Ils connoissent le monde, et encore par ce qu'il a de moins beau et de moins spécieux; ils ignorent la nature, ses commencements ses progrès, ses dons, et ses largesses: leur ignorance souvent est volontaire, et fondée sur l'estime qu'ils ont pour leur profession et pour leurs talents. Il n'y a si vil praticien, qui, au fond de son étude sombre et enfumée, et l'esprit occupé d'une plus noire chicane, ne se préfère au laboureur, qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de riches moissons; et s'il entend quelquefois parler des premiers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre, et de leur économie, il s'étonne qu'on ait pu vivre en de tels temps, où il n'y avoit encore ni offices, ni commissions, ni présidents, ni procureurs : il ne comprend pas qu'on ait jamais pu se passer du greffe, du parquet, et de la buvette. Les empereurs n'ont jamais triomphé à Rome si mollement, si commodément, ni si sûrement même, contre le vent, la pluie, la poudre, et le soleil, que le bourgeois sait à Paris se faire mener par toute la ville: quelle distance de cet usage à la mule de leurs ancêtres! Ils ne savoient point encore se priver du nécessaire pour avoir le superflu, ni préférer le faste aux choses utiles: on |