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Parlement de Paris. Il faut que le Parlement de Paris ait d'étranges idées de fon empire, & qu'il fe creie le légitime juge du genre humain.

Ce même parlement, toujours fi foigneux pour les François de l'ordre des procédures, les néglige toutes dès qu'il s'agit d'un pauvre Etranger. Sans favoir fi cet Etranger et bien l'Auteur du Livre qui porte fon nom, s'il le reconnoit pour fien, fi c'eft lui qui l'a fair imprimer; fans égard pour fon trifte état, fans pitié pour les maux qu'il fouf fre, on commence par le décréter de prife de corps; on l'eût arraché de fon lit pour le traîner dans les mêmes prifons où pourriffent les fcélérats; on leût brûlé peut-être, même fans l'entendre, car qui fait fi l'on eût pourfuivi plus régulierement des procédures fi violemment commencées & dont on trouveroit à peine un autre exemple, même en pays d'Inquifition? Ainfi c'eft pour moi feul qu'un tribunal fi fage oublie fa fageffe; c'eft contre moi feul, qui croyois y être aimé, que ce peuple, qui vante fa douceur s'arme de la plus étrange barbarie; c'eft ainfi qu'il juftifie la pre férence que je lui ai donnée für tant d'afyles que je pouvois choifir au même prix ! Je ne fais comment cela s'accorde AS

avec le droit des gens; mais je fais bien qu'avec de pareilles procédures la liberté de tout homme, & peut-être fa vie, font à la merci du premier Imprimeur.

Le Citoyen de Geneve ne doit rien à des Magiftrats injuftes & incompétens qui fur un réquifitoire calomnieux ne le citent pas, mais le décrétent. N'étant point fommé de comparoître, il n'y eft point obligé. L'on n'emploie contre lui que la force, & il s'y fouftrait. Il fecoue la poudre de fes fouliers, & fort de cette terre inhofpitaliere où l'on s'empreffe d'opprimer le foible, & où l'on donne des fers à l'étranger avant de l'entendre, avant de favoir fi l'acte dont on l'accufe eft puniffable, avant de favoir s'il l'a commis.

Il abandonne en foupirant fa chere folitude. Il n'a qu'un feul bien, mais précieux, des amis; il les fuit. Dans fa foibleffe, il fupporte un long voyage; il arrive & croit refpirer dans une terre de liberté; il s'approche de fa Patrie, de cette Patrie dont il s'eft tant vanté qu'il a chérie & honorée : l'efpoir d'y être accueilli le confole de fes difgra ces.... Que vais-je dire? mon coeur fe ferre, ma main tremble, la plume en tombe; il faut fe taire, & ne pas imiter le crime de Cham. Que ne puis-je dé

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vorer en fecret la plus amere de mes douleurs !

Et pourquoi tout cela? Je ne dis pas fur quelle raifon, mais fur quel prétexte? On ofe m'accufer d'impiété, fans fonger que le Livre où on la cherche est entre les mains de tout le monde! Que ne donneroit-on point pour pouvoir fupprimer cette piece juftificative, & dire qu'elle contient tout ce qu'on a feint d'y trouver! Mais elle reftera, quoiqu'on faffe; & en y cherchant les crimes reprochés à l'Auteur, la postérité n'y verra dans fes erreurs mêmes que les torts d'un ami de la vertu.

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J'éviterai de parler de mes contemporains; je ne veux nuire à perfonne. Mais l'Athée Spinofa enfeignoit paifiblement fa doctrine; il faifoit fans obftacle imprimer fes Livres, on les débitoit publiquement; il vint en France, &ily fut bien reçu; tous les Etats lui étoient ouverts par-tout il trouvoit protec tion où du moins fureté; les Princes lui rendoient des honneurs, lui of froient des chaires; il vécut & mourut tranquille, & même confidéré. Au jourd'hui, dans le fiecle tant célébré de la philofophie, de la raifon, de l'humanité, pour avoir propofé avec cir-: confpection, même avec refpect & pour

l'amour du genre humain, quelques doutes qui font fondés fur la gloire mê me de l'Etre fuprême, le défenfeur de la caule de Dieu, flétri, profcrit, pourfuivi d'Etat en Etat, d'afyle en afyle, fans. égard pour fon indigence, fans pitié pour fes infirmités, avec un acharnement que n'éprouva jamais aucun malfaiteur, & qui feroit barbare même contre un homme en fanté, fe voit interdire le feu & l'eau dans l'Europe prefque entiere; on le chaffe du milieu des bois; il faut toute la fermeté d'un, Protecteur illuftre & toute la bonté d'un Prince éclairé pour le laiffer en paix au fein des Montagnes. Il eût paffé le refte de fes malheureux jours dans les fers, il eût péri peut-être dans les fupplices, fi durant le premier vertige qui gagnoit les Gouvernemens il fe fut trou vé à la merci de ceux qui l'ont perfécuté.

Echappé aux bourreaux, il tombe dans les mains des Prêtres; ce n'eft pas, là ce que je donne pour étonnant: mais un homme vertueux, qui a Fame aufli noble que la naiffance, un illuftre Archevêque qui devroit réprimer leur lâeheté, l'autorife: il n'a pas honte, lui qui devroit plaindre les opprimés, d'en accabler un dans le fort de fes difgraces illance, lui Prélat catholique, un Man

dement contre un Auteur proteftant; il monte fur fon Tribunal pour exami ner comme Juge la doctrine particuliere, d'un hérétique; & quoiqu'il damne indiftinctement quiconque n'eft pas de fon Eglife, fans permettre à l'accufé d'errer, à fa mode, il lui preferit en quelque forte la route par laquelle il doit aller en Enfer. Auffi-tôt le refte de fon Clergé s'empreffe, s'évertue, s'acharne au tour d'un ennemi qu'il croit terraffé. Petits & grands, tout s'en mêle; le dernier Cuiftre vient trancher du capable; il n'y a pas un fot en petit collet, pas un chétif habitué de Paroiffe, qui bravant à plaifir celui contre qui font réunis leur Sénat & leur Evêque, ne veuillent avoir la gloire de lui porter le dernier coup de pied.

Tout cela, Monfeigneur, forme un concours dont je fuis le feul exemple, & n'eft ce Voici peut pas tout être une des fituations les plus diffi ciles de ma vie, une de celles où la ven geance & l'amour - propre font le plus aifés à fatisfaire, & permettent le moins l'homme jufte d'être modéré. Dix li gues feulement, & je couvre mes perfécuteurs d'un ridicule ineffaçable: Que le public ne peut-il favoir deux anecdotes, fans que je les dife! Que ne con

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