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CE petit étrit n'eft qu'une espece d'ex

trait de divers endroits où Platon traite de l'Imitation theatrale. Je n'y ai gueres d'autre part que de les avoir raffemblés &liés dans la forme d'un difcours fuivi, au lieu de celle du Didlogue qu'ils ont dans Poriginal. L'occafion de ce travail fut la Lettre à M. d'Alembert fur les Spectacles; mais n'ayant pu commodément l'y faire entrer, je le mis à part pour être employé ailleurs, ou tout-à-fait fupprimé. Depuis lors, cet écrit étant forti de mes mains, fe trouva compris, je ne fais comment, dans un marché qui ne me regardoit pas. Le Manufcrit m'eft revenu: mais le Libraire l'a réclamé comme acquis par lui de bonne-foi, & je n'en veux pas dédire celui qui le lui a cédé. Voilà comment cette bagatelle passe au jourd'hui à l'Impreffion.

DE

L'IMITATION

THEATRALE

PLUS je fonge à l'établissement de no

tre République imaginaire, plus il me femble que nous lui avons prefcrit des łoix utiles & appropriées à la nature de Phomme. Je trouve fur-tout qu'il im portoit de donner, comme nous avons fait, des bornes à la licence des Poètes, & de leur interdire toutes les parties de leur art qui fe rapportent à l'imita tion. Nous reprendrons même, fi vous voulez, ce fujet, à préfent que les chofes plus importantes font examinées & dans l'efpoir que vous ne me dénoncerez pas à ces dangereux ennemis, je vous avouerai que je regarde tous: les Auteurs dramatiques comme les.

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corrupteurs du peuple, ou de quiconque fe laiffant amufer par leurs images n'eft pas capable de les confidérer fous leur vrai point de vue, ni ne donner à ces fables le correctif dont elles ont befoin. Quelque refpect que j'aye pour Homere, leur modele & leur premier maître, je ne crois pas lui devoir plus qu'à la vérité; & pour commencer par m'affurer d'elle, je vais d'abord rechercher ce que c'eft qu'imitation.

Pour imiter une chofe, il faut en avoir l'idée. Cetteidée eft abftraite, abfolue, unique & indépendante du nombre d'exemplaires de cette chofe qui peuvent exilter dans la Nature. Cette idée eft toujours anterieure à fon exécution car l'Achitecte qui conftruit un Palais, à l'idée d'un Palais avant que de commencer le fien. Il n'en fabrique pas le modele, il le fuit, & ce modele eft d'avance dans fon efprit.

Borné par fon art à ce feul objet, cet artiste ne fait faire que fon Palais ou d'autres Palais femblables: mais il y en a de bien plus univerfels, qui font tout ce que peut exécuter au monde quelque ouvrier que ce foit, tout ce que produit la Nature, tout ce que peuvent faire de vifible au ciel, fur la terre, aux enfers, les Dieux mêmes. Vous com

prenez bien que ces Artiftes fi merveil leux font des Peintres, & même le plus ignorant des hommes en peut faire autant avec un miroir. Vous me direz que le Peintre ne fait pas ces chofes, mais leurs images: autant en fait l'ouvrier qui les fabrique réellement, puifqu'il copie un modele qui exiftoit avant elles.

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Je vois là trois Palais bien distincts. Premiérement le modele ou l'idée originale qui exifte dans l'entendement de l'Architecte, dans la Nature, ou tout au moins dans fon Auteur avec toutes les idées poffibles dont il eft la fource: en fecond lieu, le Palais de l'Architecte, qui eft l'image de ce modele, & enfin le Palais du Peintre, qui eft l'image de celui de l'Architecte. Ainfi Dieu, l'Architecte, & le Peintre font les auteurs de cés trois Palais. Le premier Palais eft l'idée originale, exiftante par elle-même; le second en eft l'image ; le troifieme eft l'image de l'image; ou ce que nous appellons proprement imitation. D'où il fuit que l'imitation ne tient pas, comme on croit, le fecond rang, mais le troifieme dans l'ordre des êtres, & que nulle image n'étant exacte & parfaite, l'imitation est touS

jours d'un degré plus loin de la vérité qu'on ne penfe.

L'Architecte peut faire plufieurs Palais. fur le même modele, le Peintre plufieurs tableaux du même Palais : mais quant au type. ou modele original il eft unique; car fi Pon fuppofoit qu'il y en eût deux femblables, ils ne fe roient plus originaux : ils auroient un modele original, commun à l'un & à F'autre, & c'eft celui-là feul qui feroit le vrai. Tout ce que je dis ici de la peinture eft applicable à l'imitation théa trale mais avant d'en venir-là, exa minons plus en détail les imitations du Peintre.

12.

Non-feulement il n'imite dans fes tableaux que les images des chofes: favoir, les productions fenfibles de la Nature, & les ouvrages des Artistes; il ne cherche pas même à rendre exactement la vérité de l'objet, mais l'appa rence: il le peint tel qu'il paroit être, & non pas tel qu'il eft. Il le peint fous un feul point de vue, & choififfant ce point de vue à fa volonté, il rend, fe lon qu'il convient, le même objet agréa ble ou difforme aux yeux des fpecta teur. Ainfi jamais. il ne dépend d'eux de juger de la chofe imitée en elle-mème; mais ils font forcés d'en juger fur

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