vous avez d'autorité parmi les hommes, moins il m'eft permis de me taire quand vous voulez me déshonorer. Je ne puis m'empêchef en commençant cette Lettre de réfléchir fur les bizarreries de ma deftinée. Elle en a qui n'ont été que pour moi. J'étois né avec quelque talent; le public l'a jugé ainfi. Cependant j'ai paffé ma jeuneffe dans une heureufe obfcurité, dont je ne cherchois point à fortir. Si je l'avois cherché, cela même eût été une bizarrerie que durant tout le feu dit premier age je n'euffe pu réuflir, & que j'euffe trop réuffi dans la fuite quand ce feu commençoit à paffer. J'approchois de ma quarantieme année, & j'avois, au lieu d'une fortune que j'ai toujours méprifée, & d'un nom qu'on m'a fait fi cher, le repos & des amis, les deux feuls bien dont mon coeur foit avide. Une miférable queftion d'Académie m'agitant l'efprit malgré moi, me jetta dans un métier pour lequel je n'étois point fait; un fuccès inattendum'y montra des attraits qui me fédeifirent. Des foules d'adverfaires m'attaquerent fans m'entendre, avec une étourderie qui me donna de l'humeur, & avec un orgueil qui m'en infpira peut-être. payer Je me défendis, & de difpute en dif pate, je me fentis engagé dans la can riere, prefque flus y avoir penfé. Je me trouva deyenu, pour ainsi dire, Auteur à lage où l'on ceffe de l'être, & homme de Lettres par mon mépris même pour cet état. Dès-là, je fus dans le public quelque chofe: mais auffi le repos & les amis difparurent. Quels maux, ne fouffris je point avant de prendre une affecte plus fixe & des attachemens plus heureux? Il falut déa vorer mes peines; il falut qu'un peu de réputation me tint lien de tout. Si c'eft un dédommagément pour ceux qui font toujours loin d'eux-mêmes, ée n'en fut jamais un pour moi. -Si j'ebffe un moment compté fur un bien fi frivole, que j'aurois été promptement délabufé! Quelle inconftance perpétuelle nai-je pas éprouvée dans las jugemens du public fur mon compte! J'étois trop loin de lui; ne me ju geant que fur le caprice ou Fintérêt de ceux qui le menent, à peine deux jours de fuite avoit-il pour moi les mêmes. yeux. Tantot j'étois un homme noir, & tantôt un ange de lumiere. Je me fuis vu dans la même année vanté, feté, recherché, même à la Cour, puis infulté, menacé, détefté, maudit: les foirs on m'attendoit pour m'affaffinet, dans les rues; les matins on m'annon çoit une lettre de cachet. Le bien & le mal couloient à-peu-près de la même fource; le tout me venoit pour des chanfons. J'ai écrit fur divers fujets, mais toujours dans les mêmes principes: toujours la même morale, la même croyance, les mêmes maximes, &, fi Fon veut, les mêmes opinions. Cependant on a porté des jugemens oppofés de mes livres, ou plutôt, de l'Auteur de mes livres, parce qu'on m'a jugé fur les matieres que j'ai traitées, bien plus que fur mes fentimens. Après mon premier difcours, j'étois un homme à pa→ radoxes, qui fe faifoit un jeu de prouver ce qu'il ne penfoit pas aprës ma lettre fur la mufique françoife, j'étois l'ennemi déclaré de la Nation; il s'en faloit peu qu'on ne m'y traitât en con fpirateur; on eût dit que le fort de la Monarchie étoit attaché à la gloire de l'Opéra après mon difcours fur l'inés galité, j'étois athée & mifanthrope b après la lettre à M. d'Alembert, j'étois le défenfeur de la morale chrétienne : après l'Héloïfe, j'étois tendre & doucereux; maintenant je fuis un impies. bientôt peut être ferai-je un dévot. !! Ainfi va flottant le fot public fur mon compte, fachant auffi peu pourquoi il m'abhorre, que pourquoi il m'aimoit auparavant. Pour moi, je fuis toujours demeuré le même ; plus ardent qu'éclairé dans mes recherches, mais fincere en tout, même contre moi; fimple & bon, mais fenfible & foible, faifant fouvent le mal & toujours aimant le bien; lié par l'amitié, jamais par les chofes, & tenant plus à mes fentimens qu'à mes intérêts; n'exigeant rien des hommes & n'en voulant point dépendre, ne cédant pas plus à leurs préju gés qu'à leurs volontés, & gardant la mienne auffi libre que ma raifon: craignant Dieu fans peur de l'enfer, raifonnant fur la Religion fans libertinage, n'aimant ni l'impiété ni le fanatifme, mais haïffant les intolérans encore plus que les efprits - forts; ne voulant cacher mes façons de penfer à perfonne, fans fard, ns artifice en toute chofe, difant mes fautes à mes amis, mes fentimens à tout le monde, au public fes vérités fans flatterie & fans fiel, & me fouciant tout auffi peu de le facher que de lui plaire. Voilà mes crimes, & voilà mes vertus. Enfin, laffé d'une vapeur enivrante qui enfle fans raffafier, excédé du tracas. des oififs furchargés de leur tems & prodigues du mien, foupirant après un repos fi cher à mon coeur & fi néceffaire à mes maux, j'avois pofé la plume avec joie. Content de ne l'avoir prife que pour le bien de mes femblables, je ne leur demandois pour pris de mon zele que de me laiffer mourir en paix dans ma retraite, & de ne m'y point faire de mal. J'avois tort; des huiffiers font venus me l'apprendre, & c'eft à cette époque, où j'efpérois qu'alloient finir les ennuis de ma vie, qu'ont commencé mes plus grands malheurs. Il y a déjà dans tout cela quelques fingularités; ce n'eft rien encore. Je vous demande pardon, Monfeigneur, d'abufer de votre patience mais avant d'entrer dans les difcuffions que je dois avoir aves vous, il faut parler de ma fituation préfente, & des caufes qui m'y ont réduit. Un Genevois fait imprimer un Livre en Hollande, & par arêt du Parlement de Paris ce Livre eft brûlé, fans refpect pour le Souverain dont il porte le privilege. Un Proteftant propofe en pays proteftant des objections contre l'Eglife Romaine, & il eft décrété par le Parlement de Paris. Un Républicain fait dans une République des objections contre l'Etat monarchique, & il eft décrété par le |