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morceaux de musique. Voulez-vous en composant peindre aux yeux le rapport de vos parties, le progrès de vos accords, et tout l'état de votre harmonie; la pratique de mon système satisfait à tout cela. Et je conclus enfin qu'à ne considérer ma méthode que comme cette langue particulière des prêtres égyptiens qui ne servait qu'à traiter des sciences sublimes, elle serait encore infiniment utile aux initiés dans la musique, avec cette différence, qu'au lieu d'être plus difficile elle serait plus aisée que la langue ordinaire, et ne pourrait, par conséquent, être long-temps un mystère pour le public.

Il ne faut point regarder mon système comme un projet tendant à détruire les anciens caractères. Je veux croire que cette entreprise serait chimérique, même avec la substitution la plus avantageuse; mais je crois aussi que la commodité des miens, et surtout leur extrême facilité, méritent toujours qu'on les cultive, indépendamment de ce que les autres pourront devenir.

Au reste, dans l'état d'imperfection où sont depuis si long-temps les signes de la musique, il n'est point extraordinaire que plusieurs personnes aient tenté de les refondre ou de les corriger. Il n'est pas même bien étonnant que plusieurs se soient rencontrés dans le choix des signes les plus naturels et les plus propres à cette substitution, tels que sont les chiffres. Cependant, comme la plupart des hommes ne jugent guère des choses que sur le premier coup d'œil, il pourra très bien arriver que, par cette unique raison de l'usage des mêmes caractères, on m'accusera de n'avoir fait

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que copier, et de donner ici un système renouvelé. J'avoue qu'il est aisé de sentir que c'est bien moins le geure des signes que la manière de les employer qui constitue la différence en fait de systèmes autrement, il faudrait dire, par exemple, que l'algèbre et la langue française ne sont que la même chose, parce qu'on s'y sert également des lettres de l'alphabet. Mais cette réflexion ne sera pas probablement celle qui l'emportera; et il paraît si heureux, par une seule objection, de m'ôter à la fois le mérite de l'invention, et de mettre sur mon compte les vices des autres sys tèmes, qu'il est des gens capables d'adopter cette critique uniquement à raison de sa commodité.

Quoiqu'un pareil reproche ne me fût pas tout-àfait indifférent, j'y serais bien moins sensible qu'à ceux qui pourraient tomber directement sur mon système. Il importe beaucoup plus de savoir s'il est avan tageux que d'en bien connaître l'auteur; et quand on me refuserait l'honneur de l'invention, je serais moins touché de cette injustice que du plaisir de le voir utile au public. La seule grâce que j'ai droit de lui demander, et que peu de gens m'accorderont, c'est de vouloir bien n'en juger qu'après avoir lu mon ouvrage et ceux qu'on m'accuserait d'avoir copiés.

J'avais d'abord résolu de ne donner ici qu'un plan très-abrégé, et tel à peu près qu'il était contenu dans le mémoire que j'eus l'honneur de lire à l'Académie royale des Sciences, le 22 août 1742. J'ai réfléchi cependant qu'il fallait parler au public autrement qu'on ne parle à une académie, et qu'il y avait bien des objections de toute espèce à prévenir. Pour ré

pondre donc à celles que j'ai pu prévoir, il a fallu faire quelques additions qui ont mis mon ouvrage en l'état où le voilà. J'attendrai l'approbation du public pour en donner un autre, qui contiendra les principes absolus de ma méthode tels qu'ils doivent être enseignés aux écoliers. J'y traiterai d'une nouvelle manière de chiffrer l'accompagnement de l'orgue et du clavecin, entièrement différente de tout ce qui a paru jusqu'ici dans ce genre, et telle qu'avec quatre signes seulement je chiffre toutes sortes de basses continues de manière à rendre la modulation et la basse fondamentale toujours parfaitement connues de l'accompagnateur, sans qu'il lui soit possible de s'y tromper. Suivant cette méthode, on peut, sans voir la basse figurée, accompagner très - juste par les chiffres seuls, qui, au lieu d'avoir rapport à cette basse figurée, l'ont directement à la fondamentale. Mais ce n'est pas ici le lieu d'en dire davantage sur cet article.

SUR

LA MUSIQUE MODERNE.

Immutat animus ad pristina.

LUCA.

Iz paraît étonnant que les signes de la musique étant restés aussi long-temps dans l'état d'imperfection où nous les voyons encore aujourd'hui, la difficulté de l'apprendre n'ait pas averti le public que c'était la faute des caractères et non pas celle de l'art, ou que, s'en étant aperçu, on n'ait pas daigné y remédier. Il est vrai qu'on a donné souvent des projets en ce genre; mais, de tous ces projets, qui, sans avoir les avantages de la musique ordinaire, en avaient les inconvéniens, aucun, que je sache, n'a jusqu'ici touché le but, soit qu'une pratique trop superficielle ait fait échouer ceux qui l'ont voulu considérer théoriquement, soit que le génie étroit et borné des musiciens ordinaires les ait empêchés d'embrasser un plan général et raisonné, et de sentir les vrais défauts de Jeur art, de la perfection actuelle duquel ils sont, pour l'ordinaire, très-entêtés.

La musique a eu le sort des arts qui ne se persectionnent que successivement : les inventeurs

Musique

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de ses caractères n'ont songé qu'à l'état où elle se trouvait de leur temps, sans prévoir celui où elle pouvait parvenir dans la suite. Il est arrivé de là que leur système s'est bientôt trouvé défectueux, et d'autant plus défectueux que l'art s'est plus perfectionné: à mesure qu'on avançait, on établissait des règles pour remédier aux inconvéniens présens, et pour multiplier une expression trop bornée, qui ne pouvait suffire aux nouvelles combinaisons dont on la chargeait tous les jours. En un mot, les inventeurs en ce genre, comme le dit M. Sauveur, n'ayant eu en vue que quelques propriétés des sons, et surtout la pratique du chant qui était en usage de leur temps, ils se sont contentés de faire, par rapport à cela, des systèmes de musique que d'autres ont peu à peu changés, à mesure que le goût de la musique changeait. Or, il n'est pas possible qu'un système, fût-il d'ailleurs le meilleur du monde dans son origine, ne se charge à la fin d'embarras et de difficultés, par les changemens qu'on y fait et les chevilles qu'on y ajoute; et cela ne saurait jamais faire qu'un tout fort embrouillé et fort mal assorti.

C'est le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd'hui dans la musique, en exceptant cependant la simplicité du principe qui ne s'y est jamais rencontrée: comme le fondement en est absolument mauvais, on ne l'a pas proprement gâté, on n'a fait que le rendre pire par les additions qu'on a été contraint d'y faire.

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