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quée et moins naïve, des âges suivants. Je n'ai point à entrer dans cette discussion, ni à chicaner sur cette préférence; ce que je voulais seulement remarquer, c'est que sous cette première forme lentement progressive et naturelle tous les mots qui viennent du latin et par le latin du grec ont été adoucis, préparés, mûris et fondus, façonnés à nos gosiers, par des siècles entiers de prononciation et d'usage : ils sont le contraire de ce qui est calqué et copié artificiellement, directement. Ils n'ont pas été transportés d'un jour à l'autre et faits de toute pièce, tout roides et tout neufs, d'après une langue savante et morte, que l'on ne comprend que par les yeux, et plus du tout par l'oreille. A ce vieux fonds de la langue française il y a peu à réformer pour l'orthographe. Les mots en ayant été prononcés et parlés par le peuple, des siècles durant, avant d'être notés et écrits, toutes ou presque toutes les lettres inutiles ont eu tout le temps de tomber et de disparaître. Quand ils ont été écrits pour la première fois, ils ne l'ont pas été par des savants. L'usage a donc amené et produit par ce vieux fonds domestique la forme qui, ce semble, est définitive. La difficulté est surtout pour les mots savants et d'origine plus récente, importés à partir du xvie siècle, depuis l'époque de la Renaissance, et la plupart tirés du grec avec grand renfort de lettres doubles et de syllabes hérissées. Ces mêmes historiens de la langue, et qui l'admirent surtout aux XIIe et XIIIe siècles, dans sa première fleur de jeunesse et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute l'œuvre de la Renaissance, comme si elle n'était pas légitime à son moment, et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des âges, une des saisons de la langue. M. Auguste Brachet, qui n'est nullement favorable aux néologismes du XVIe siècle, déclare en même temps absurde la tentative qui consisterait aujourd'hui à réduire et à simplifier, en les écrivant, bon nombre des doctes mots introduits alors. « Puisque l'orthographe du mot, dit-il, résulte de son étymologie, la changer, ce serait lui enlever ses titres de noblesse.» Telle cependant n'a pas été et n'est point l'opinion de beaucoup d'hommes instruits et d'esprits philosophiques depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours.

Sans doute l'introduction de la plupart de ces mots s'étant faite par les savants et d'autorité, pour ainsi dire, non insensiblement et par le peuple, ce ne saurait être à la manière du peuple et, comme cela s'est passé pour le premier fonds ancien de mots latins, par une usure lente et continuelle, que la simplification

devra s'opérer. Mais la même autorité qui a importé les mots et vocables scientifiques peut intervenir pour les modifier. Ainsi rien n'oblige d'user perpétuellement de cette orthographe grecque si repoussante dans les mots rhythme, phthisie, catarrhe, etc.; et il y a longtemps que Ronsard et son école, tout érudits qu'ils étaient, avaient désiré affranchir et alléger l'écriture courante de cet << insupportable entassement de lettres ». Ils n'y étaient point parvenus.

L'histoire des tentatives faites depuis le xvIe siècle pour la simplification de l'orthographe nous est présentée fort au complet par M. Didot en son intéressant écrit, et il en ressort que pour réussir à obtenir quelque chose en telle matière et pour triompher de l'habitude ou de la routine, même lorsque celle-ci est gênante et fatigante, il ne faut pas trop demander, ni demander tout à la fois.

Joachim Du Bellay le savait bien, lui qui dans son Illustration et Défense de la Langue, où il proposait en 1549 tant d'innovations littéraires, n'a pas voulu les compliquer de l'emploi de l'orthographe nouvelle de Louis Meigret qu'il approuvait en principe, mais qu'il savait trop dure à accepter des récalcitrants.

Ces projets de réforme radicale dans l'orthographe, mis en avant par Meigret et par Ramus, ont échoué; Ronsard lui-même recula devant l'emploi de cette écriture en tout conforme à la prononciation: il se contenta en quelques cas d'adoucir les aspérités, d'émonder quelques superfétations, d'enlever ou, comme il disait, de racler l'y grec : il avait d'ailleurs ce principe excellent que lorsque tels mots grecs auront assez longtemps demeuré en France, il convient de les recevoir en notre mesnie et de les marquer de l'i français, pour montrer qu'ils sont nôtres et non plus inconnus et étrangers. » Et pour le dire en passant, cette règle est celle qui se pratique encore et qui devrait prévaloir pour tout mot ou toute expression d'origine étrangère. Ainsi pour a-parle un a-parte, des a-parte; on l'écrivait d'abord en deux mots, et le pluriel ne prenait pas d's; mais, l'expression ayant fait assez longtemps quarantaine et ayant mérité la naturalisation, on en a soudé les deux parties, on en a fait un seul mot qui se comporte comme tout autre substantif de la langue, et l'on écrit: un aparté, des apartés. C'est ainsi encore qu'il est venu un moment où les quanquam sont devenus les cancans. Mais les errata, bien que si fort en usage et qui devraient être acclimatés,

ce semble, n'ont pu encore devenir des erratas, comme on dit des opéras (1).

Corneille, après Ronsard, apporte à son tour son autorité en cette question de la réforme de l'orthographe. Dans l'édition qu'il donna en 1664 de son Théâtre revu et corrigé, il mit en tête un Avertissement où il exposait ses raisons à l'appui de certaines innovations qu'il avait cru devoir hasarder, afin surtout, disait-il, de faciliter la prononciation de notre langue aux étrangers. Ces idées et vues de Corneille, excellentes en principe, me paraissent avoir été un peu compliquées et confuses dans l'exécution. Le grand poëte n'était pas un esprit pratique (2).

Ce qui est certain, c'est qu'une extrême irrégularité orthographique, une véritable anarchie s'était introduite dans les imprimeries pour les textes d'auteurs français au XVIIe siècle : il était temps que le Dictionnaire de l'Académie, si longtemps promis et attendu, vînt y mettre ordre.

Dans la préparation de ce premier Dictionnaire, et dans les cahiers qui en ont été conservés, on a les idées de Bossuet qui sont fort sages et fort saines. Il est pour une réforme modérée. Il est d'avis de ne pas s'arrêter sans doute à l'orthographe impertinente de Ramus, mais aussi de ne pas s'asservir à l'ancienne orthographe « qui s'attache superstitieusement à toutes les lettres tirées des langues dont la nôtre a pris ses mots »; il propose un juste milieu ne pas revenir à cette ancienne orthographe surchargée de lettres qui ne se prononcent pas, mais suivre l'usage constant et retenir les restes de l'origine et les vestiges de l'antiquité autant que l'usage le permettra.

(1) Chose bizarre! errata employé au singulier est devenu un mot français puisqu'on dit un errata; et au pluriel il est resté un mot étranger et latin, puisqu'il ne prend pas d's et qu'on écrit des errata et non des erratas. C'est à des irrégularités de ce genre que les décisions de l'Académie peuvent porter remède.

(2) L'excellent biographe de Corneille, M. Taschereau, tout en voulant bien m'approuver, m'écrit : « Une seule réserve en faveur de Pierre Corneille. Il a été plus pratique que vous ne le dites. Il serait bien bon, pour guider le lecteur dans la prononciation, d'adopter ses deux espèces de lettres sous les deux formes qu'il propose, l'une sonnante et l'autre grave. Il n'y a que ce moyen d'indiquer, par exemple, qu'on doit prononcer différemment deux mots souvent identiques, comme dans cette phrase: «Le vent est à l'est. »

Le premier Dictionnaire de l'Académie, qui parut en 1694, ne se contint point tout à fait, à ce qu'il semble, dans les termes où l'aurait voulu Bossuet, et l'autorité de Regnier des Marais, qui accordait beaucoup à l'archaïsme, l'emporta.

Ce ne fut qu'à la troisième édition de son Dictionnaire, celle qui parut en 1740, que l'Académie se fit décidément moderne et accomplit des réformes décisives dans l'orthographe. Il y avait eu Fontenelle et La Motte, avec leur influence, dans l'intervalle. Si l'on compare cette troisième édition à la première, elle offre, nous dit M. Didot, qui y a regardé de près, des modifications orthographiques dans cinq mille mots, c'est-à-dire dans le quart au moins du vocabulaire entier. Il se fit un grand abatis de superfluités de tout genre: « des milliers de lettres parasites disparurent. » C'est à cette troisième édition, où pénétra l'esprit du XVIIIe siècle, qu'on dut de ne plus écrire accroistre, advocat, albastre, apostre, bienfaicteur, abysme, laict, allaicter, neufvaine, etc.; toutes ces formes surannées et gothiques firent place à une orthographe plus svelte et dégagée. L'abbé d'Olivet eut la principale part dans ce travail'; il fut en réalité le secrétaire et la plume de l'Académie; elle avait fini, de guerre lasse, par lui donner pleins pouvoirs ; il s'en explique lui-même dans une lettre au président Bouhier, du 1er janvier 1736, et l'on est initié par lui aux coulisses du Dictionnaire. Et où n'y a-t-il pas de coulisses, je vous en prie?

« A propos de l'Académie, écrivait-il à son confrère le président, il y a six mois qu'on délibère sur l'orthographe, car la volonté de la Compaguie est de renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à l'orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première et la deuxième; mais le moyen de parvenir à quelque espèce d'uniformité ? Nos délibérations, depuis six mois, n'ont servi qu'à faire voir qu'il était impossible que rien de systématique partît d'une Compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre à imprimer, l'Académie se détermiņa hier à me nommer seul plénipotenciaire à cet égard. Je n'aime point cette besogne, mais il faut bien s'y résoudre, car, sans cela, nous aurions vu arriver non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la Compagnie eût pu se trouver d'accord. »

Au moment de mettre sous presse, on fut encore arrêté quelque temps, du fait de l'imprimeur :

« Coignard, écrivait l'abbé d'Olivet (8 avril 1736), a depuis six se

maines la lettre A, mais ce qui fait qu'il n'a pas encore commencé à imprimer, c'est qu'il n'avait pas pris la précaution de faire fondre des E accentués, et il en faudra beaucoup parce qu'en beaucoup de mots nous avons suprimé les S de l'ancienne orthographe, comme dans despescher, teste, masle, que nous allons écrire dépécher, téte, mále, etc. »

Le xvIe siècle avait été hardi; le xvire était redevenu timide et soumis en bien des choses; le XVIII* reprit la hardiesse, et l'orthographe, comme tout le reste, s'en ressentit : elle perdit ou rabattit quelque peu, dès l'abord, de l'ample perruque dont on l'avait affublée. L'abbé de Saint-Pierre, qui fut le premier à réagir contre la mémoire de Louis XIV, faisait imprimer ses écrits dans une orthographe simplifiée qui lui était propre; mais le bon abbé tenait trop peu de compte, en tout, de la tradition, et on ne le suivit pas. D'autres esprits plus précis et plus fermes étaient écoutés : Dumarsais, Duclos, n'oublions pas un de leurs prédécesseurs, le Père Buffier, un jésuite doué de l'esprit philosophique, l'abbé Girard, mais Voltaire surtout, Voltaire, le grand simplificateur, qui allait en tout au plus pressé, et qui, en matière d'orthographe, sut se borner à ne demander qu'une réforme sur un point essentiel, une seule : en la réclamant sans cesse et en prêchant d'exemple, il finit par l'obtenir et par l'imposer.

Cette réforme, toutefois, qui consistait à substituer l'a à l'o dans tous les mots où l'o se prononçait a, ne passa point tout d'une voix de son vivant : elle n'était point admise encore dans la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie qui parut en 1762. Tout au plus y avait-on écrit connaissance, connaître, ivraie, jusqu'alors écrits par o. Mais ce ne fut que dans la cinquième édition, publiée de nos jours, en 1835, que l'innovation importante, déjà admise par la généralité des auteurs modernes, trouva grâce aux yeux de l'Académie, et que la réforme prêchée par Voltaire fut consacrée.

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Il y eut des protestations individuelles remarquables. Charles Nodier, par inimitié contre Voltaire d'abord, par l'effet d'un retour ultraromantique vers le passé, par plusieurs raisons ou fantaisies rétrospectives, continua de maintenir et de pratiquer l'o. Lamennais aussi, radical sur tant de points, était rétrograde et réactionnaire sur l'o: il affectait de le maintenir. Chateaubriand de même; c'était un coin de cocarde, un lien de plus avec le passé.

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