horizons rigides du pays où les libres bois ont gardé « l'âme de Sacrovir. >>> Connaissez-vous un sol âpre, dur et sans roses, Puis au sein de l'impassible nature, c'est l'homme courbé sur la terre avare, le bûcheron, vieux Celte dont la hache est devenue une cognée, car la forêt c'est son champ à lui, Alors tombent, heurtant leurs têtes vénérables, Tout cela est vu, mis au point perspectif, rendu par masses en justes images, comme il convient à la poésie qui doit rendre visible l'âme des choses plutôt que les choses elles-mêmes et a un autre idéal descriptif que de mettre en vers un rapport d'inspecteur des forêts; mais l'auteur ne se borne pas à nous peindre la lutte victorieuse de l'homme contre l'arbre, il suit celui-ci devenu radeau à travers les méandres de la Cure, de l'Yonne, puis de la Seine jusqu'à ce que réduit à l'état de bourgeoise provision de bûches, le noble chêne vienne échouer aux berges de Paris Cette autre forêt vive où poussent drus les hommes. Enfin, quand vient l'automne, le bûcheron se fait vendangeur et envahit la Bourgogne vineuse, mais de même que le matelot débarqué ressemble bien peu à l'homme du bord, ainsi dans le Morvandiau, ce Breton de la France centrale, surgit soudain le Bourguignon exubérant et joyeux, si bien que commencé en pleine vie à demi sauvage, le poème s'achève parmi les rires rabelaisiens et les grosses joies tout imprégnées de purée septembrale. Sans risquer maintenant un jugement complet sur un poète, dont le bagage est sans doute d'ores et déjà respectable, mais qui a encore bien des choses à nous dire, si nous essayons de caractériser les tendances actuelles de l'auteur des Poèmes de Bourgogne, il se révéléra tout d'abord à nous comme un moderne au talent pénétré de l'atmosphère spéciale où il a été nourri, et personne assurément ne lui fera un reproche d'être de son temps Ce n'est point non plus un isolé et sans relever directement de personne, il fait penser à Brizeux dont il a souvent le charme pittoresque et local, parfois à François Coppée pour la douceur et la familiarité de certaines peintures intimes; puis c'est le souffle sonore et lyrique de Lamartine qui anime l'ode pour le centenaire de Buffon; çà et là, dans la Muse et la Ville, par exemple, on croit saisir quelques reflets d'Alfred de Musset enfin dans la pièce Aux Mobiles de la Côte-d'Or, un écho semble jeter les notes ardentes de Paul Dérouléde. Et cependant M. Lucien Paté n'a rien de l'imitateur qui tàtonne et faute d'une voie personnelle, essaye tous les chemins ouverts par d'autres; quelques rencontres purement extérieures ainsi qu'il s'en trouve chez tous les poètes qui puisent aux mêmes sources d'inspirations générales, laissent intactes et vierges sa perception propre des sentiments humains comme sa vision du monde extérieur, et c'est par là qu'il est vraiment marqué du sceau de l'artiste et du poète. Mais en lui persiste toujours la nature droite et saine du Bourguignon; si le cœur est enthousiaste, si les yeux saisissent dans leurs traits essentiels les images et les formes, l'esprit demeuré ferme et maître de lui, sait se préserver des défauts propres à certaines écoles contemporaines. Certes, M. Paté ne dédaigne ni la mélodie ni la couleur, mais il ne croit pas que les recherches laborieuses du rhythme soient toute la poésie, et les empâtements de certains descriptifs, toute la couleur; moderne à l'égal des plus modernes il n'en est pas pour cela moins correct et moins clair. A tous ces titres, messieurs, comme à son amour profond, ému pour le pays natal incessamment revu par l'imagination à travers la vitre grise d'un bureau parisien, nous reconnaîtrons la forte race de la Bourgogne; nous ne dirons pas de lui, pourtant, c'est un poète bourguignon, et sans l'égaler aux tout premiers, mais en lui réservant encore le bénéfice d'un ample avenir, nous dirons tout court, c'est un poète. Votre commission vous propose de décerner une médaille d'or à M. Lucien Paté. Nous vous entretiendrons maintenant d'un homme dont la vie représente un demi-siècle de travaux sur l'histoire bourguignonne. Né le 17 novembre 1816, å Verdun-sur-le-Doubs, où son père (1), médecin distingué, a laissé de précieux souvenirs, Jean-PierreAbel Jeandet fit ses premières études de médecine à Dijon, et les mena de front avec de patientes recherches entreprises sur sa ville natale, aux archives du département. Il était filleul du savant orientaliste, Jean-Pierre-Abel Remusat, (2) dont la mort prématurée fut un malheur pour notre compatriote, car ce premier protecteur avait reconnu bien vite en Abel Jeandet, une véritable vocation pour les travaux d'érudition historique. Bien différente, peut-être, aurait été sa destinée, désormais limitée à l'horizon le plus étroit de la vie provinciale, si cet appui ne lui eût manqué soudain presque au seuil de sa vie laborieuse. Quoi qu'il en soit et sans chercher à deviner le secret d'un avenir irréalisé, Abel Jeandet fut interne à l'hôpital de la Salpêtrière, reçu docteur en 1851, et revint à Verdun où il exerça la médecine, d'abord avec son père puis seul, sans que les fatigues professionnelles d'un médecin de campagne pussent le distraire de travailler sur l'histoire de Verdun, œuvre considérable dont il a publié quelques fragments, de collaborer activement à la Biographie universelle de Didot et dans une polémique chaleureuse autant que serrée, de défendre contre le libraire Pouque, la mémoire de Claude Robert, l'auteur du premier Gallia (1) François Jeandet, ancien chirurgien militaire des armées impériales, docteur en médecine, ancien maire de Verdun, où il est né le 26 novembre 1788 et est mort le 1er juin 1860. (2) Paris, 1788-1832. Christiana. En 1859 il publie une lettre pleine d'érudition et de chaleur patriotique sur les richesses historiques de la Bourgogne; l'année suivante l'Académie de Mâcon couronne une remarquable étude sur Pontus de Thyard, évêque de Chalon-sur-Saône et l'un des poètes de la Pléiade, travail excellent qui est tout un chapitre de l'histoire littéraire et politique du xvie siècle et imprimé avec autant de correction et de goût que d'élégance, par l'éditeur Perrin, de Lyon. Cependant la réputation du laborieux travailleur s'était répandue dans la région et le 1er avril 1873 on créait pour lui la place d'archiviste municipal de la ville de Lyon. Ce fut une grande mais courte joie pour M. Jeandet; cinq mois plus tard, en effet, pour des raisons administratives et budgétaires que nous n'avons pas à apprécier, l'emploi de conservateur des archives municipales était supprimé par arrêt préfectoral du 28 août. M. Jeandet dût donc rentrer à Verdun, mais son trop court passage aux archives lyonnaises n'avait pas été sans profit pour celles-ci et dans une brochure de protestation publiée en 1874, Cinq mois aux archives de la ville de Lyon, il eût le légitime orgueil de faire connaître tout ce qu'au point de vue du classement et de l'inventaire il avait commencé pour les trésors d'un dépôt beaucoup trop négligé jusque-là. Huit ans plus tard à la mort de M. Michon, la ville de Mâcon le demandait pour archiviste et il était nommé par arrêté du maire le 25 octobre 1881; le 31 mai 1883 il prenait séance à l'Académie de Mâcon dont il devenait bientôt un des membres |