la France entière, et elle choisit pour sujet du concours qui devait être jugé en 1889 : LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME ET LES ÉLECTIONS AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1789 EN BOURGOGNE. La plus grande publicité a été donnée à ce programme, et dès le mois de février 1888, l'Académie le notifiait à toutes les sociétés savantes de la région et même de la France, tandis que des insertions étaient faites à plusieurs reprises dans les journaux de la Bourgogne et des départements voisins, ainsi que dans les publications parisiennes spéciales. Tout a donc été mis en œuvre pour stimuler le zèle des travailleurs, mais le succès, vous le savez déjà, n'a pas répondu à votre attente et le terme de rigueur du 1er décembre 1889 est arrivé sans qu'aucun mémoire eût été adressé à l'Académie. Elle ne doit pas désespérer, pourtant, de provoquer sur le sujet choisi ce travail sérieux qui manque à la bibliographie historique de la Bourgogne; selon le roulement adopté en 1884, l'année 1892 ramènera le tour des Belles-Lettres, votre commission vous propose en conséquence de reporter dès à présent à cette date le concours qui n'a pas donné de résultat l'année dernière. L'Académie n'en a pas moins tenu à ce qu'il n'y eût aucune interruption dans la série de ses prix annuels, et le 4 décembre dernier elle nommait une commission spéciale avec invitation de déposer son rapport à l'une des plus prochaines séances. C'est au nom de cette commission que j'ai l'honneur de vous proposer les résolutions suivantes. Nous ne saurions oublier, messieurs, que l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon a compté de tout temps des poètes dans son sein, et que le jugement commun des nations et des siècles, place la poésie au sommet de la hiérarchie des Belles-Lettres. Or, par une heureuse fortune, dans le cours de décembre 1889, un poète, M. Lucien Paté, présentait deux volumes de vers à l'Académie, en sollicitant l'honneur de lui appartenir. Né à Chalon-sur-Saône le 6 mars 1845, M. Lucien Paté est donc de pure origine bourguignonne; sous-chef au ministère des Beaux-Arts, secrétaire-adjoint de la Commission des Monuments historiques, on vous a dit ici même, combien en toute occasion il s'était montré, pour nos vieux monuments, un ami zélé et utile, quant à son talent littéraire et poétique, l'analyse si pénétrante et si fine qu'en a donnée alors notre confrère M. d'Hugues, vous l'a fait pleinement connaître. M. Lucien Paté est aujourd'hui notre confrère, mais à titre de correspondant, ce qui ne le met pas hors concours pour les médailles dont dispose l'Académie. Votre commission a pensé tout d'abord à M. Lucien Paté, toutefois elle n'a pas retenu le volume de Poésies qu'a déjà couronné l'Académie française; un tel jugement tombe de trop haut pour qu'une modeste Académie de province puisse le paraître confirmer; mais les Poèmes de Bourgogne sont à nous sans partage et c'est de ceux-ci que votre commission va vous entretenir. Un littérateur délicat, qui est aussi un poète, M. Charles Fuster, publiait dernièrement un volume, qu'avec une aimable familiarité, il intitulait : Les Poètes du Clocher, et dans lequel il a donné place à notre confrère aux côtés d'Eugène Manuel, d'Achille Paysant, d'Alexandre Piedagnel, d'André Theuriet, de Léon Valade, de Grandmougin, de Gabriel Vicaire et de Charles Fuster luimême. C'est en effet la vraie Bourgogne qu'aime et chante M. Paté, avec ses paysages, ses souvenirs, ses grands hommes; peut-être même, aurait-il pu grossir aisément son recueil sans recourir à l'adjonction d'une pièce, fort belle d'ailleurs, mais étrangère au terroir, dont le sujet est l'inauguration à Lorient de la statue du poète breton, M. Brizeux. On aimerait plutôt à quitter le volume sur une de ces peintures toutes bourguignonnes, comme le morceau descriptif Taizé, où se pénétrant les yeux et l'âme des horizons tranquilles, et des vallées au vert humide de son cher pays, l'auteur évoque Millet ce paysan, Virgile du pinceau et ce bon Corot, le plus idyllique des maîtres du paysage renouvelé, pour lequel on serait tenté de réclamer la couronne virgilienne s'il n'y avait pas toujours quelque chose d'aventureux dans l'identification d'un peintre et d'un poète, plus encore d'un ancien et d'un homme moderne. Reconnaissons déjà, messieurs, un trait de cet amour vraiment filial que M. Paté a voué à la Bourgogne ; et ce sentiment jaillit vraiment en lui des entrailles mêmes de l'être. Ainsi, nous le surprenons un jour devant la Méditerranée aux flots de velours bleu moiré d'argent pâle, à Cannes, c'est-à-dire au point le plus radieux de ce rivage que d'un coup de pinceau vainqueur un autre poète, notre confrère aussi, M. Stephen Liégeard, a marqué du nom désormais historique de la Côte d'Azur, - eh bien, en contemplant ces splendeurs de la lumière, l'auteur des Poèmes de Bourgogne pense encore à notre languissant soleil et Au logis paternel, sous le toit tant aimé. Nous signalerons seulement en passant les trois odes pour le centenaire de Buffon, et pour l'inauguration des statues de Niepce de Saint-Victor et de Rude; ce sont des pièces coulées dans un moule quasi officiel, dirions-nous volontiers, moins distinguées peut-être, moins personnelles à coup sûr que les œuvres plus spontanées où l'auteur évoque si bien les aspects naturels et les hommes du pays aimé. Et cependant que de strophes vibrantes et pleines n'aurions-nous pas à y cueillir, ne serait-ce que ce passage où, dans un jour de deuil français, le poète nous montre les lourds escadrons germains défilant victorieux sous l'arc triomphal élevé aux gloires sans nombre d'une épopée de vingt-cinq années, mais devant qui se dressent soudain les êtres formidables créés par le génie de cet autre Bourguignon, François Rude. Quel homme a fait passer son souffle dans ces pierres? Mais, nous le répétons, ce n'est pas dans ces trois pièces que se révèle le meilleur, le plus savoureux du talent de M. Lucien Paté; certes, ce sont de beaux vers, combien pourtant à cette poésie de forum, à ces stances un peu oratoires faites pour être jetées d'une voix chaude à une foule en fête et facile à l'enthousiasme, ne préfèrerons-nous pas ce poème, le Morvan, digne à lui seul de la haute distinction que nous vous demandons pour notre nouveau confrère. Le Morvan! rude et âpre pays de granit, sorte d'îlot demeuré à travers les âges, par le nom, la nature et les hommes, gaulois et immuable au milieu des flots modernes qui l'assaillent sans le submerger! On se rappelle ce cri du cœur, que las des splendeurs bruyantes de la Rome d'Auguste, Virgile jette aux fraîches vallées de l'Hemus et aux grands arbres ombreux; eh bien, dans son bureau ministériel, au milieu de l'âcre et fade senteur des paperasses accumulées, excédé de rapports administratifs, de circulaires et d'audiences officielles, M. Lucien Paté aspire lui aussi, aux brises vivifiantes des forêts, à la douceur des rêveries le long des ruisseaux chantant en leurs lits de granit; alors le poète qui sommeillait un instant se réveille, et le voilà envolé sur le manteau voyageur vers les |