son oncle. Il me répondit que, pour en être bien assuré, il falloit attendre le retour de son fils atné, et qu'alors nous pourrions conférer ensemble et voir sur quoi je pouvois compter. Comme nous n'étions pas éloignés de l'embouchure du Camopi', j'allai pendant ce tempslà voir cette rivière; nous y trouvâmes différentes cases de Pirious, qui nous reçurent avec affabilité. L'arrivée du fils aîné d'Apariou, qui s'appelle Aripa et qui doit lui succéder dans sa charge, m'obligea de retourner à sa case, où, ayant fait assembler les principaux de la nation, je leur déclarai que l'unique sujet de mon voyage étoit de m'assurer de leurs dispositions à l'égard du christianisme. Je m'étendis assez au long sur la vérité de la religion, sur la nécessité de l'embrasser et sur les grands avantages qu'ils en retireroient en cette vie et dans l'autre; puis je priai Aripa d'expliquer à son père et à tous ceux de l'assemblée ce que je venois de dire; il le fit, et je fus surpris d'entendre les exclamations du bon vieillard. Quoique sa langue me fût inconnue, je jugeai, par son ton de voix, par ses gestes et par la joie ré- | pandue sur son visage, qu'il entroit dans toutes mes vues. Ils furent quelque temps à délibérer ensemble; après quoi Aripa me répondit, au nom de l'assemblée, que notre établissement parmi eux leur faisoit plaisir, et qu'ils étoient prêts à nous écouter et à nous croire. On convint dès-lors d'un emplacement propre à construire l'église et les cases tant des missionnaires que des premiers chrétiens ; l'endroit qu'on a choisi est au commencement d'un saut dont le coup d'œil est magnifique : on ne peut imaginer une nappe d'eau plus belle et plus claire; les poissons y sont en abondance, ce qui ne sera pas un amusement infructueux pour les jeunes Indiens. Aripa me promit de fixer dans cet endroit l'établissement de tous ceux qui descendront du haut des deux rivières, en attendant que nous puissions nous y établir nous-mêmes. J'envie le sort de ceux qui auront l'avantage de recueillir cette moisson; ils seront bien dédommagés de leurs travaux par le caractère de douceur, de droiture et de docilité de ces peuples. J'avois avec moi un jeune enfant de Kourou, à qui je montrois à lire rien ne leur parut plus extraordinaire que de voir un livre. 'Elle se jette dans l'Ouyapoc à Sainte-Foi. Ils me demandèrent plusieurs fois si leurs enfans pourroient avoir le même avantage. « Pourquoi non, leur répondis-je : si vous voulez bien nous les confier, nous en aurons le même soin, et ils deviendront aussi habiles que le François. >> Si les fêtes de Noël ne m'eussent pas rappelé à Ouyapoc, où ma présence étoit absolument nécessaire, j'aurois bien plus avancé dans les terres et j'aurois découvert plusieurs autres nations de sauvages. C'est ce que je ferai dans un autre voyage. Je ne sais si vous avez été informé que feu M. Dorvilliers, avant que de partir pour la France, avoit envoyé un détachement de François vers le plus haut du Camopi: le dessein étoit de découvrir le lac Parime . Ils ont été environ six mois à faire ce voyage. Ce qu'ils nous ont rapporté de plus intéressant, c'est qu'ils ont trouvé des bois remplis de cacao; ils se préparent à y aller faire cette année unc abondante récolte. Ils nous ont raconté beaucoup d'autres choses curieuses de différentes nations sauvages qu'ils ont trouvées sur leur route; mais je ne crois pas devoir vous en faire part que nous ne nous soyons informés de la vérité de ces faits par nous-mêmes. Ne m'oubliez pas dans vos saints sacrifices, en l'union desquels je suis avec respect, etc. LETTRE DU P. LOMBARD, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, SUPÉRIEUR DES MISSIONS INDIENNES DANS LA GUYANE, AU PÈRE DE LA NEUVILLE, DE LA MÊME COMPAGNIE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE. Kourou.-L'Ouyapoc.-Les Galibis. A Kourou, dans la Guyane, ce 11 avril 1733. MON RÉVÉREnd Père, La paix de N. S. Les missions naissantes qui se forment dans cette vaste étendue de terres connues sous le nom de Guyane sont trop redevables à vos soins et aux secours que vous leur fournissez si libéralement, pour ne pas vous en rendre un Vaste lac, ou mer Blanche, dans le pays des Caracas. (Mathurin.) compte fidèle. Je vous ai déjà entretenu de la première peuplade établie à Kourou, où nous avons rassemblé un grand nombre de sauvages, et de l'église que nous y avons construite. Cette peuplade est située dans une fort belle anse, arrosée de la rivière Kourou, qui se jette en cet endroit dans la mer. Nos sauvages l'ont assez bien fortifiée; elle est fraisée, palissadée et défendue par des espèces de petits bastions. Toutes les rues sont tirées au cordeau et aboutissent à une grande place au milieu de laquelle est bâtie l'église, où les sauvages se rendent matin et soir, avant et après le travail, pour 'faire la prière et écouter une courte instruction. Connoissant, comme vous faites, la légèreté de nos Indiens, vous aurez sans doute été surpris, mon révérend père, qu'on ait pu fixer ainsi leur inconstance naturelle : c'est la religion qui a opéré cette espèce de prodige; elle prend chaque jour de fortes racines dans leurs cœurs. L'horreur qu'ils ont pour leurs anciennes superstitions, leur exactitude à approcher souvent des sacremens, leur assiduité à assister aux offices divins, les grands sentimens dont ils sont remplis au moment de la mort, sont des preuves non suspectes d'une conversion sincère et durable. tant avec deux autres Indiens, ei, ayant trouvé que le malade n'étoit pas dans un danger aussi pressant qu'on l'avoit publié, il le prit sur ses épaules et, avec le secours de ses compagnons, il me l'apporta à la mission, où je suis à portée de le baptiser quand je le jugerai nécessaire. Cette peuplade, qui est comme le chef-lieu de toutes celles que nous projetons d'établir, s'est accrue considérablement par le nombre des familles indiennes qui viennent y fixer leur demeure et par la multitude des jeunes gens que j'ai élevés la plupart dès leur enfance et qui sont maintenant pères de famille. Les premiers y sont attirés par les avantages qu'ils trouvent avec nous. Au lieu qu'errant dans leurs forêts, ils cherchoient avec bien de la peine de quoi vivre et étoient sujets à de fréquentes maladies, qui, faute de soins, les enlevoient souvent dans la fleur de l'âge. Ici ils se procurent sans tant de fatigues et abondamment tout ce qui est nécessaire à la vie; ils sont plus rarement malades, et l'on n'épargne aucun soin pour rétablir leur santé quand elle est altérée deux grands logemens que j'ai fait bâtir servent d'infirmeries l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes. Deux Indiens ont soin de la première et deux Indiennes de la seconde. Je leur ai fait apprendre à saigner et assez de chirurgie et de pharmacie pour préparer les médicamens dont les malades ont besoin et les donner à propos. Vous ne nous lais de France, et ils ont ici plus de force et de vertu qu'en France même. Enfin le bonheur que goûtent nos néophytes, réunis ensemble dans un même lieu, n'ayant pu être ignoré d'un grand nombre de nations sauvages qui habitent la Guyane, ces bons Indiens me sollicitent continuellement et me pressent d'envoyer chez eux des missionnaires pour y faire des établissemens semblables à celui de Kourou. Quelle ample moisson si nous avions assez d'ouvriers pour la recueillir! Nos François, qui viennent de temps en temps à Kourou, admirent la piété et la modestie avec laquelle ces sauvages assistent au service, et la justesse dont ils chantent l'office divin à deux chœurs. Vous seriez certainement attendri si vous entendiez les motets que nos jeu-sez manquer d'aucun des meilleurs remèdes nes Indiens chantent à la messe lorsqu'on élève la sainte hostie. Un Indien, nommé Augustin, qui sait fort bien le plain-chant, préside au chœur, anime nos chantres et les soutient du geste et de la voix. Il joint à beaucoup plus d'esprit que n'en ont communément les sauvages un grand fond de piété et remplit souvent les fonctions d'un habile et zélé catéchiste, soit en apprenant la doctrine chrétienne aux infidèles dispersés dans les terres, soit en leur conférant le baptême à l'article de la mort après les avoir instruits. Il y a peu de jours Le grand nombre des familles qui composent qu'on m'avertit que dans un lieu qui n'est pas la peuplade et dont les chefs sont encore jeufort éloigné de la mission, un sauvage infidèle nes contribuent beaucoup au bon ordre et à la étoit à l'extrémité. Outre que ma présence étoit ferveur qu'on y voit régner. Depuis vingt-trois alors absolument nécessaire à Kourou, une ans que je suis attaché à la nation des Galibis, inondation subite avoit rendu le chemin im- ils ont tous été sous ma conduite dès leur bas praticable à tout autre qu'aux Indiens. J'en-âge : leur piété est solide, et c'est sur leurs voyai Augustin à son secours. Il partit à l'ins- exemples que se forment les nouveaux venus, qui, presque sans y faire réflexion, se laissent entraîner au torrent et s'assujettissent avec moins de peine aux exercices ordinaires de la mission. Je vous l'ai déjà dit, mon révérend père, et je ne cesserai de le répéter, un missionnaire ne fera jamais de fruit bien solide parmi ces barbares s'il ne se fixe chez une nation à laquelle il se consacre tout entier : il ne doit point s'écarter de ses néophytes : quelque abandonnées que lui paroissent d'autres nations qui l'environnent, il ne peut faire autre chose que de gémir sur leur malheureux sort ou de leur procurer s'il le peut d'autres secours; mais pour lui, il faut qu'il s'occupe sans cesse du soin de son troupeau et qu'il lui rebatte continuellement les mêmes vérités, sans se rebuter ni de la chute des uns ni du peu de ferveur des autres. Si je pouvois réunir sous un coup d'œil les chagrins et les dégoûts que j'ai eu à essuyer depuis que je travaille à la conversion des Galibis, vous en seriez étonné. C'est cependant ma persévérance qui a attiré les bénédictions de Dieu sur la mission de Kourou, qu'on voit maintenant si bien établie qu'elle a mérité l'attention particulière de monseigneur le comte de Maurepas, dont le zèle pour l'établissement de la religion dans ces terres infidéles et pour l'avancement de nos colonies nous fait ressentir chaque année des effets de la libéralité de notre grand monarque. Une protection si puissante est bien capable de soutenir et d'animer les ouvriers évangéliques dans les plus pénibles fonctions de leur ministère. Après vous avoir parlé de la mission de Kourou, il faut vous entretenir du nouvel établissement qui se forme à Ouyapoc, où je fis un voyage sur la fin de l'année dernière. En fouillant la terre pour les fondemens de l'église qui y a été bâtie, nous fûmes fort surpris de trouver à quatre ou cinq pieds une petite médaille fort rouillée. Je la fis nettoyer et j'y trouvai l'image de saint Pierre c'est ce qui me détermina à prendre ce prince des apôtres pour protecteur de la nouvelle église. Mais comment cette médaille a-t-elle pu se trouver dans ces contrées ? car enfin les Indiens n'ont jamais connu de médaille ni de monnoie, et il ne paroît pas qu'aucun chrétien ait jamais habité cette partie du Nouveau-Monde. Je m'offre à vous l'en de vos savans antiquaires. Son type paroît être des premiers siècles du christianisme. Le père Fauque est le premier jésuite qui se soit établi à Ouyapoc. Vous connoissez son zèle pour la conversion de nos sauvages et le talent qu'il a de s'insinuer dans leur esprit. Mais sa santé, qui s'affoiblit chaque jour, le met hors d'état de soutenir les fatigues inséparables des missions indiennes. Il fixera son séjour au fort d'Ouyapoc, où, se trouvant comme au centre de toutes les missions que nous espérons établir, il en aura la direction et trouvera dans sa prudente économie de quoi fournir aux besoins des missionnaires. Il est là comme environné de différentes nations, et entre autres des Maraones, des Maourios, des Tou-Koyanes, des Palikours, des Mayes, des Karanarious, etc. A trois journées du fort, je séjournai au premier carbet que je trouvai, et j'y eus de fréquens entretiens avec ceux de ces sauvages qui savoient le galibi. J'espère que la semence que je jetai comme en passant dans leurs cœurs produira un jour des fruits de bénédiction. De là, je continuai ma route, et après deux jours de navigation au milieu des roches dont la rivière est semée, et des fréquents sauts qui s'y trouvent, j'arrivai chez la nation la plus reculée des Pirious et où demeurent les capitaines, dont deux entendent fort bien le galibi. J'y trouvai le père d'Ayma logé dans une misérable hutte, vivant comme ces pauvres sauvages et passant la journée partie à la prière, partie à l'étude de la langue et à l'instruction des enfans. Deux sauvages qui savent les langues de de ces nations lui servoient d'interprètes. Il y a déjà deux ans qu'il a fixé parmi eux son séjour. Il m'a parlé d'un vaste emplacement où toutes ces nations doivent se réunir; je l'ai vu et il est très-bien situé, mais il n'est pas du goût de tous les Indiens; ceux d'en bas trouvent qu'il est trop éloigné, car il n'est qu'à une demi-journée de la rivière Camopi, et que, d'ailleurs, cette contrée est peu propre à la chasse et à la pêche. C'est pourquoi je convins avec les capitaitaines qu'on chercheroit plus bas un autre emplacement qui fût au gré de toutes ces nations, et que je viendrois moi-même y établir la mission. Ils me promirent de leur côté d'y rassembler tous les Indiens qui leur sont soumis, d'abattre le bois nécessaire pour aplanir le terrain, et d'y faire un plantage de cacao pour voyer si vous croyez qu'elle mérite l'attention | leur subsistance. Je leur ajoutai que je portois. encore mes vues plus loin et que mon dessein étoit d'établir une mission chez les Ouayes et les Tarrupis, et une autre chez les Aromayotos. Ils approuvèrent ce dessein, en m'assurant qu'ils enverroient de leurs gens chez ces peuples pour les disposer à seconder les bonnes intentions que j'avois pour eux. Enfin, je leur demandai quelques-uns de leurs Indiens qui sussent la langue galibi, afin de m'apprendre la langue des Pirious, ce qu'ils m'accordèrent avec plaisir. Tout le loisir que je puis avoir je l'emploie à faire des grammaires et des dictionnaires de toutes les langues indiennes que j'ai apprises: j'abrégerai par là bien du travail à ceux de nos pères qui viendront partager nos travaux ou nous remplacer après notre mort. biter cette mission. Par ce moyen-lå ils ne seront point exposés au risque de retomber dans leurs premiers déréglemens ni au danger de périr de misère, faute de secours. La colonie recevra de grands avantages de cet établissement. La mer est souvent difficile à tenir depuis la pointe d'Aprouague jusqu'à Ouyapoc. Il s'y fait de continuels naufrages, faute d'endroits où l'on puisse relâcher. Cette mission sera l'asile où se retireront ceux qui voyagent, jusqu'à ce que le temps devienne favorable pour se remettre en mer. D'ailleurs, on cherche à ouvrir un chemin pour aller par terre à la colonie naissante d'Ouyapoc. Les Indiens d'Aprouague rendront ce chemin praticable, et auront soin de l'entretenir. Enfin, ils seront d'un grand secours, soit pour la navigation, qu'ils entendent mieux qu'aucune autre nation, soit pour défricher les terres et pour construire des cases et des canots. On sait que quand ces sauvages sont dispersés et errans dans les forêts, on n'en peut tirer aucun service, au lieu que quand ils sont rassembés dans un même lieu, l'émulation se met parmi eux, le gain qu'ils font et qui leur procure divers avantages les rend actifs et laborieux. Il se présente une mission bien plus importante à établir et dont le projet est fort goûté de M. le gouverneur et de M. l'intendant de Cayenne. Un grand nombre d'Indiens, qui désertent les peuplades qu'ont les Portugais vers le fleuve des Amazones, viennent chaque jour chercher un asile sur nos terres, où, quoiqu'ils soient chrétiens, ils se répandent de côté et d'autre et vivent sans aucun exercice de religion. Une grande mission portugaise établie à Purukouaré a été presque abandonnée par les Indiens cinquante de ces sauvages, qui étoient sous la conduite des révérends pères récollets sont venus à Kourou. Je les ai trouvés bien instruits des vérités de la religion, et il n'y a rien à craindre pour eux tandis qu'ils demeureront dans notre peuplade. Mais que deviendront les autres qui mènent une vie errante? Ne perdront-ils pas bientôt les sentimens de piété qu'on leur a inspirés? Ceux même qui sont à Kourou, peuvent-ils y demeurer longtemps? Car le caractère de ces nations, leurs mœurs, leurs coutumes, leur langage sont entièrement différens des mœurs et du langage des Galibis, qui composent notre peuplade. Il y a même entre eux je ne sais qu'elle antipathie, qu'on auroit peine à vaincre. Le dessein est donc d'éta-pect, etc. blir sur la rivière d'Aprouague une mission qui ne sera composée que de ces Indiens fugitifs, tant de ceux qui se sont réfugiés sur nos terres que de ceux qui viendront dans la suite. La situation d'Aprouague, qui se trouve entre Cayenne et Ouyapoc et à peu près à égale distance, est très-favorable. Il faudra leur accorder un vaste terrain et ne donner retraite à aucun d'eux qu'à condition qu'ils iront ha Le champ est ouvert, mon révérend père, il ne s'agit plus que de nous envoyer des ouvriers propres à le cultiver. Ce nouvel établissement demande un homme qui s'y livre entièrement, qui soit d'un zèle infatigable pour courir ces mers et aller chercher ces Indiens errans et fugitifs, et qui ait de la facilité à apprendre les langues, surtout celles des Arouas et des Mariones. Ce sont principalement ces deux nations, qui, se voyant inquiétées par les Portugais, se ressouviennent qu'ils ont été reçus autrefois dans l'alliance des François et viennent se réfugier chez leurs anciens amis. Je me repose entièrement sur votre zèle, dont vous nous donnez tant de preuves, et suis avec bien du res m LETTRE DU P. FAUQUE, MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS, AU P. DE LA NEUVILLE, DE LA MÊME COMPAGNIE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE Mœurs des Indiens. A Ouyapoc, le 2 juin 1735. MON RÉVÉRend Père. La paix de N. S. Les lettres que vous nous faites l'honneur de nous écrire chaque année respirent tout le zèle dont vous êtes rempli pour la conversion de nos pauvres sauvages. Nous voudrions pouvoir y répondre par une égale activité dans un travail auquel certainement nous ne nous refusons pas; mais, comme vous savez, le champ est vaste et très-inculte. Pour le défricher, il faut du temps et un plus grand nombre d'ouvriers que nous ne sommes. Cependant, grâces aux bénédictions du Seigneur, nous recueillons déjà des fruits abondans, qui nous assurent que nos espérances sont bien fondées pour la suite. La peuplade de Kourou, que le père Lombard a formée, prend chaque jour de nouveaux accroissemens. Il n'y a point d'année qu'on n'y baptise plusieurs catéchumènes ces nouveaux venus se forment bientôt sur le modèle des anciens fidèles. Les exemples de piété et de ferveur qu'ils ont devant les yeux fixent leur inconstance naturelle et les forcent en quelque sorte d'imiter les vertus dont ils sont témoins. Le bel ordre qui s'observe dans cette peuplade, la variété des exercices, le soin qu'on prend de ces néophytes, la paix, la tranquillité et le bonheur dont ils jouissent, tout cela n'a pas été ignoré des nations les plus reculées. Six ou sept de ces nations pressent depuis longtemps le père Lombard de leur envoyer des missionnaires qui leur procurent les mêmes avantages, et c'est ce que ce père, dont vous connoissez le zèle, a extrêmement à cœur. Pour moi, j'attends que le père d'Auzilhac vienne me remplacer à Ouyapoc, et aussitôt je partirai pour ouvrir la mission des Paliours. C'est la nation la plus nombreuse de toutes celles qui sont aux environs de cette contrée. Je suis déjà connu de ces peuples et je sens que j'en suis aimé. Si l'on veut gagner le cœur et l'affection de nos Indiens, il faut s'armer de beaucoup de patience pour supporter leurs grossièretés et leurs défauts, avoir avec eux un air ouvert et des manières aisées, et être surtout attentif aux occasions de leur rendre service. C'est par ces manières franches et officieuses que le père Dayma s'est attiré l'amitié des Pirious et les a rassemblés dans une peuplade au nombre de plus de deux cents. Cette mission, qu'il a établie sous l'invocation de Saint-Paul, deviendra en peu de temps très-florissante. Dans le voyage que je viens d'y faire avec M. Le Grand, lieutenant d'une compagnie de la marine, nous trouvâmes sur notre route la nation des Caranes. Ces bons sauvages nous. comblèrent d'amitiés et de caresses, et je suis persuadé qu'on n'aura nulle peine à les réunir avec les Pirious. Ces deux nations parlent la même langue, elles se ressemblent parfaitement dans leurs mœurs et dans leurs usages, et les familles de part et d'autre s'unissent volontiers par des alliances. Ce qui me fit plaisir fut de voir parmi eux une grande quantité d'enfans: cette jeunesse, formée de bonne heure à la piété chrétienne, se préservera plus aisément des vices ordinaires aux sauvages et conservera l'esprit du christianisme plus constamment que leurs parens qui se sont convertis dans un âge déjà avancé. En approchant de la nouvelle peuplade, j'admirai l'ardeur avec laquelle une soixantaine d'Indiens, hommes, femmes et enfans, travailloient à défricher les terres de l'emplacement où l'on doit bâtir l'église et le logement du missionnaire. Pour peu qu'on connoisse le caractère indolent des sauvages et combien ils sont éloignés de tout travail tant soit peu pénible on ne doutera point que cette vivacité et cette ardeur dont ils sont naturellement incapables, ne soit l'effet d'une grâce singulière de Dieu, qui leur inspire un courage si extraordinaire. Je louai le zèle qu'ils faisoient paroître pour élever ce saint édifice en l'honneur du vrai Dieu; je leur promis qu'aussitôt que l'église seroit achevée je viendrois les revoir et que j'amènerois avec moi quelques François pour leur servir de parrains lorsqu'ils seroient en état de recevoir le saint baptême. C'est un |