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geal ma route du côté de Cagnette, bourg de la province de Chinca. Je ne vous détaillerai point tout ce que j'ai eu à souffrir dans ce voyage. Je vous dirai seulement que ce pays est un peu moins aride que les provinces voisines, à cause du grand nombre de rivières qui l'arrosent; ce sont des torrens formés par les neiges fondues qui tombent avec rapidité du haut des montagnes et qui entraînent dans leur cours les arbres et les rochers qu'ils rencontrent; leur lit n'est pas profond, parce que les eaux se partagent en plusieurs bras, mais leur cours n'en est que plus rapide. On est souvent obligé de faire plus d'une lieue dans l'eau, et l'on est heureux quand on ne trouve point de ces arbres et de ces rochers que les torrens roulent avec leurs flots, parce que les mules, intimidées et déjà étourdies par la rapidité et le fracas des chutes d'eau, tombent facilement et se laissent souvent entraîner dans la mer avec le cavalier. A la vérité on trouve au bord de ces torrens des Indiens appelés Cymbadores qui connoissent les gués et qui, moyennant une somme d'argent, conduisent les voitures en jetant de grands cris pour animer les mules et les empêcher de se coucher dans l'eau. Mais si on n'a pas soin de les bien payer, ils sont capables de vous abandonner dans les endroits les plus dangereux et de vous voir périr sans pitié.

J'arrivai enfin à Cagnette après vingt-quatre heures de fatigues, de craintes et de périls. Je songeai d'abord à me reposer. Le lendemain je parcourus ce bourg d'un bout à l'autre. Les habitans m'en parurent pauvres et misérables; leur nourriture ordinaire est le blé d'Inde et le poisson salé. C'est un pays ingrat, triste et désert. L'habillement des femmes est assez singulier il consiste en une espèce de casaque qui se croise sur le sein et qui s'attache avec une épingle d'argent, longue de six ou sept pouces, dont la tête est ronde et plate et a six ou sept pouces de diamètre ; voilà toute la parure des femmes ; pour les hommes, ils sont vêtus à peu près comme les autres Indiens.

Les eaux d'un torrent voisin de Cagnette s'étoient débordées lorsque j'entrai dans le territoire de ce bourg. Mes guides me dirent alors qu'on ne pouvoit, sans beaucoup risquer, continuer la route ordinaire, et qu'il falloit me résoudre à faire une journée de plus et à pas

ser un pont qui se trouvoit entre deux montagnes; je suivis leur conseil, mais quand je vis ce pont, ma frayeur fut extrême. Imaginezvous deux pointes de montagnes escarpées et séparées par un précipice affreux ou plutôt par un abime profond où deux torrens rapides se précipitent avec un bruit épouvantable. Sur ces deux pointes on a planté de gros pieux auxquels on a attaché des cordes faites d'écorce d'arbres qui, passant et repassant plusieurs fois d'une pointe à l'autre, forment une espèce de rets qu'on a couvert de planches et de sable. Voilà tout ce qui forme le pont qui conduit d'une montagne à l'autre. Je ne pouvois.me résoudre à passer sur cette machine tremblante qui avoit plutôt la forme d'une escarpolette que d'un pont. Les mules passèrent les premières avec leur charge; pour moi je suivis en me servant et des mains et des pieds sans oser regarder ni à droite ni à gauche. Mais enfin la Providence me sauva et j'entrai dans la province de Pachakamac. Je passai en quittant le pont au pied d'une haute montagne dont la vue fait frémir le chemin est sur le bord de la mer ; il est si étroit qu'à peine deux mules peuvent y passer de front. Le sommet de la montagne est comme suspendu et perpendiculaire sur ceux qui marchent au-dessous, et il semble que cette masse soit à tout moment sur le point de s'écrouler; il s'en détache même de temps en temps des rochers entiers qui tombent dans la mer et qui rendent ce chemin aussi pénible que dangereux. Les Espagnols appellent ce passage el mal passo d'ascia, à cause d'une mauvaise hôtellerie de ce nom qu'on trouve à une lieue de là.

Dans l'espace de plus de quarante lieues, je n'ai pas vu un seul arbre, si ce n'est au bord des torrens, dont la faîcheur entretient un peu de verdure. Ces déserts inspirent une secrète horreur; on n'y entend le chant d'aucun oiseau, et dans toutes ces montagnes je n'en ai vu qu'un appelé condur, qui est de la grosseur d'un mouton, qui se perche sur les montagnes les plus arides et qui ne se nourrit que des vers qui naissent dans les sables brûlans dont les montagnes sont environnées.

La province de Pachakamac est une des plus considérables du Pérou ; elle porte le

'Quelques géographes placent une île de ce nom en vue de Lima; d'autres parlent d'une riche vallée de ce nom à quatre lieues au sud de cette ville.

nom du dieu principal des Indiens, qui adorent | semaine, et dès le premier jour que le vent du

le soleil sous ce nom comme l'auteur et le principe de toute chose. La ville capitale de cette province étoit fort puissante autrefois et renfermoit plus d'un million d'âmes dans son enceinte. Elle fut le théâtre de la guerre des Espagnols, qui l'arrosèrent du sang de ses habitans. Je passai au milieu des débris de cette grande ville; ses rues sont belles et spacieuses, mais je n'y vis que des ruines et des ossemens entassés. Il règne parmi ces masures un silence qui inspire de l'effroi, et rien ne s'y présente à la vue qui ne soit affreux. Dans une grande place qui m'a paru avoir été le lieu le plus fréquenté de cette ville, je vis plusieurs corps que la qualité de l'air et de la terre avoit conservés sans corruption; ces cadavres étoient épars çà et là ; on distinguoit aisément les traits de leurs visages, car ils avoient seulement la peau plus tendue et plus blanche que les Indiens n'ont coutume de l'avoir.

Je ne vous parlerai point de plusieurs autres petites villes que j'ai vues dans ma route; je me contenterai de vous dire qu'en général elles sont pauvres, mal bâties et très-peu fréquentées des voyageurs.

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Le père Castagnares naquit le 25 septembre 1687 à Salta, capitale de la province de Tucuman. Son ardeur pour les missions se déclara de bonne heure et le fit entrer chez les jésuites. Après le cours de ses études, il se livra par préférence à la mission des Chiquites. Pour arriver chez ces peuples, il lui fallut parcourir plusieurs centaines de lieues dans des plaines incultes, dans des bois, sur des chaînes de montagnes, par des chemins rudes et difficiles coupés de rochers affreux et de profonds précipices, dans des climats tantôt glacés, tantôt embrasés. Il parvint enfin chez les Chiquites. Ce pays est extrêmement chaud et par la proximité du soleil ne connoît qu'une seule saison, qui est un été perpétuel. A la vérité, lorsque le vent du midi s'élève par intervalles, il occasionne une espèce de petit hiver; mais cet hiver prétendu ne dure guère de suite qu'une

nord se fait sentir, il se change en une chaleur accablante.

La nature a étrangement à souffrir dans un pareil climat. Le froment et le vin y sont inconnus. Ce sont des biens que ces terres ardentes ne produisent pas, non plus que beaucoup d'autres fruits qui croissent en Europe et même dans d'autres contrées de l'Amérique méridionale.

Un plus grand obstacle au succès d'une si grande entreprise est l'extrême difficulté de la langue des Chiquites, qui fatigue et rebute les meilleures mémoires. Le père Castagnares, après l'avoir apprise avec un travail inconcevable, se joignit au père Suarez, l'an 1720, pour pénétrer dans le pays des Samuques (peuple alors barbare mais aujourd'hui chrétien) dans l'intention de les convertir et de découvrir la rivière de Pilcomayo pour faciliter la communication de la mission des Chiquites avec celle des Guaranis, qui habitent les rives des deux fleuves principaux; ces deux fleuves sont le Parana et l'Urugay, lesquels forment ensuite le fleuve immense de la Plata. Quant au Pilcomayo, il coule des montagnes du Pérou, d'occident en orient, presque jusqu'à ce qu'il décharge ses eaux dans le grand fleuve du Paraguay, et celui-ci entre dans le Parana à la vue de la ville de los Corientes.

Les supérieurs avoient ordonné aux pères Patigno et Rodriguez de sortir du pays des Guaranis avec quelques canots et un nombre suffisant de personnes pour les conduire, de remonter le fleuve du Paraguay pour prendre avec eux quelques nouveaux ouvriers à la ville de l'Assomption, et de remonter tous ensemble le bras le plus voisin du Pilcomayo. Ils exécutèrent ponctuellement cet ordre et remontèrent le fleuve l'espace de quatre cents lieues, dans le dessein de joindre les deux autres missionnaires des Chiquites, de gagner en passant l'affection des infidèles qui habitent le bord de ce fleuve et de disposer insensiblement les choses à la conversion de ces barbares.

Le succès ne répondit pas d'abord aux travaux immenses qu'ils eurent à soutenir; mais le père Castagnares eut la constance de suivre toujours le même projet ; il ne se rebuta point et espéra contre toute espérance. Cette fermeté eut sa récompense. Les Samuques se convertirent au moment qu'on s'y attendait le moins.

Le père étoit à l'habitation de Saint-Joseph, | douceur, son affabilité, sa prudence et par les déplorant l'opiniâtreté de ces barbares, quand il arriva tout à coup à la peuplade de SaintJean-Baptiste, éloignée de Saint-Joseph de treize lieues, près de cent personnes, partie Samuques, partie Cucutades, sous la conduite de leurs caciques, demandant d'être mis au nombre des catéchumènes. Quelle joie pour les missionnaires et les néophytes! Aussi quel accueil ne firent-ils pas à des hommes qu'ils étoient venus chercher de si loin et qui se présentoient d'eux-mêmes! On baptisa dès lors les enfans de ces barbares. Mais, parce que plusieurs des adultes tombèrent malades, le père Herbas, supérieur des missions, jugea à propos de les reconduire tous dans leur pays natal pour y fonder une peuplade à laquelle il donna par avance le nom de Saint-Ignace.

Le supérieur voulut se trouver lui-même à la fondation et prit avec lui le père Castagnares, qui voyoit avec des transports de joie que de si heureux préparatifs commençoient à remplir les plus ardens de ses vœux. Les pères mirent quarante jours à gagner les terres des Samuques, avec des travaux si excessifs que le père supérieur, plus avancé en âge, ne les put supporter et qu'il y perdit la vie. Castagnares, d'une santé plus robuste et moins avancé en âge, résista à la fatigue et pénétra avec les Samuques qui le suivoient et quelques Chiquites, jusqu'aux Cucutades, qui habitent le bord d'un torrent quelquefois presque à sec et qui forme quelquefois un fleuve considérable. C'est là qu'est aujourd'hui située l'habitation de Saint-Ignace des Samuques. Il posa les premiers fondemens; et ayant perdu son compagnon, il se vit presque accablé des travaux qui retomboient tous sur lui seul. Il avoit à souffrir les influences de ce rude climat sans autre abri qu'une toile destinée à couvrir l'autel où il célébroit. Il lui fallut encore étudier la langue barbare de ces peuples et s'accoutumer à leur nourriture, qui n'est que de racines sauvages. Il s'appliqua surtout à les humaniser dans la terre même de leur habitation, ce qui peut-être n'étoit guère moins difficile que d'apprivoiser des bêtes féroces au milieu de leurs forêts. Mais les forces de la grâce applanissent toutes les difficultés et rien n'étonne un cœur plein de l'amour de Dieu et du prochain.

Tel étoit celui du père Castagnares. Par sa

petits présens qu'il faisoit à ces barbares, il gagna absolument leur amitié. De nouvelles familles venoient insensiblement augmenter l'habitation de Saint-Ignace. Ces accroissemens imprévus remplissoient de consolation le zélé missionnaire et le faisoient penser à établir si bien cette fondation que les Indiens n'y manquassent de rien et ne pensassent plus à errer, selon leur ancienne coutume, en vagabonds pour chercher leur subsistance dans les forêts. Mais comme le père se trouvoit seul et qu'il auroit fallu leur faire cultiver la terre et leur fournir quelque détail qui pût leur donner de petites douceurs, ce n'étoit là que de belles idées qu'il étoit impossible de réaliser jusqu'à ce qu'il lui arrivât du secours et des compagnons,

Cependant le Seigneur adoucit ses peines et lui faisoit trouver de petites ressources d'autant plus sensibles qu'elles provenoient de l'affection de ses néophytes. Un Samuque, dont il n'avoit pas été question jusque-là, alloit de temps en temps dans les forêts voisines, sans qu'on le lui commandat ou qu'on l'en priât, tuoit un sanglier et alloit le mettre à la porte du missionnaire, se retiroit ensuite sans deman der aucune de ces bagatelles qu'ils estiment lant et sans même attendre aucun remerciment. L'Indien fit au père trois ou quatre fois ces présens désintéressés.

Une chose manquoit à cette habitation, chose absolument nécessaire, le sel. Ce pays avoit été privé jusque-là de salines; mais on avoit quelque soupçon vague qu'il y en avoit dans les terres des Zathéniens. Un grand nom bre d'Indiens voulurent s'en assurer et éclaircir ce fait. Après avoir parcouru toutes les forêts sans avoir découvert aucune marque qu'il y eût du sel, un de ces Indiens monta sur une petite éminence pour voir si de là l'on ne découvriroit rien de ce qui étoit si ardemment désiré. Il vit à très-peu de distance une mare d'eau colorée, environnée de bruyères. La chaleur qu'il enduroit l'engagea à traverser ces bruyères pour aller se baigner. En entrant dans l'eau, il remarqua que la mare était couverte d'une espèce de verre; il enfonça sa main et la retira pleine d'un sel à demi formé. L'Indien satisfait appela ses compagnons, et le missionnaire, en étant informé, prit des mesures pour faire des chemins sûrs qui y abou

tissent et les mettre à l'abri des barbares idolâtres.

Le père Castagnares entreprit ensuite avec ses Indiens de construire une petite église, et pour remplir le projet général qu'il avoit formé, il voulut défricher des terres pour les ensemencer; mais comme les Indiens ne sont point accoutumés au travail, il falloit être toujours avec eux, exposé aux rigueurs du climat, et souvent le père arrachoit lui-même les racines des arbres que les Indiens avoient coupés, et il mettoit le premier la main à tout pour animer les travailleurs. Les Chiquites faisoient leur part de l'ouvrage; mais ils disparurent tout à coup et s'en retournèrent chez eux. « Leur éloignement nous fit beaucoup de peine, dit un de nos missionnaires, parce qu'ils avoient soin de quelques vaches que nous avions. Nous ne nous étions point aperçus avant leur éloignement de la crainte excessive que les Samuques ont de ces animaux, qu'ils fuient avec plus d'horreur que les tigres les plus féroces. Ainsi nous nous vîmes obligés à tuer les veaux de notre propre main, quand nous avions besoin de viande, et à traire les vaches pour nous nourrir de leur lait. » Ce fut alors qu'arriva une aventure assez plaisante. Les Zathéniens avec quelques Samuques et les Cucutades se liguèrent pour faire une invasion dans la peuplade de Saint-Joseph. Ils en étoient déjà fort prés lorsqu'un incident leur fit abandonner ce dessein. Les vaches paissoient à quelque distance de l'habitation; la vue de ces animaux et leurs seules traces qu'aperçurent les Zathéniens leur causèrent tant de frayeur que, bien loin de continuer leur route, toute leur valeur ne put les empêcher de fuir avec la plus grande et la plus ridicule précipitation.

Dieu permit alors qu'une grande maladie interrompit les projets du père Castagnares; mais quoiqu'il fût sans secours et dans un pays où il manquoit de tout, la même Providence rétablit bientôt sa santé, dont il faisoit un si bon usage. Il ne fut pas plutôt remis et convalescent qu'il se livra à de plus grands travaux.

Il est un point de ressemblance entre les hommes apostoliques et les anciens conquérans. Ceux-ci ne pouvoient apprendre qu'il y eût à côté de leurs états d'autres régions indépendantes sans brûler du désir de les asservir et d'en augmenter leur empire; et les hommes

apostoliques qui parcourent des contrées infldėles, quand ils ont soumis quelques-uns de ces peuples idolâtres à l'Évangile, si on leur dit qu'au delà il est une nation chez qui le nom de Jésus n'a pas encore été prononcé, ils ne peu→ vent s'arrêter; il faut que leur zèle se satisfasse et qu'ils aillent y répandre la lumière de l'Evangile. La difficulté, les dangers, la crainte même d'une mort violente, tout cela ne sert qu'à les animer davantage : ils se croient trop heureux si, au prix de leur sang, ils peuvent arracher quelques âmes à l'ennemi du salut. C'est ce qui détermina le père Castagnares à entreprendre la conversion des Terenes et des Mataguais.

Sa mission chez les Terenes n'eut pas de succès, et il fut obligé, après bien des fatigues, de revenir à l'habitation de Saint-Ignace. De là il songea à faire l'importante découverte du Pilcomayo, dont nous avons déjà parlé, et qui devoit servir à la communication des missions les unes avec les autres. Après avoir navigué soixante lieues, ne pouvant continuer sa route par eau, il prit terre et voyagea à pied en cotoyant le rivage du fleuve. Étrange résolution! Le pieux missionnaire n'ignoroit pas qu'il lui falloit traverser plus de trois cents lieues de pays qui n'étoient habités que de nations fé→ roces et barbares. Il connoissoit la stérilité de ces côtes. Malgré cela, avec dix hommes seulement et une très-modique provision de vivres il osa tenter l'impossible. Il voyagea dix jours, traversant des terres inondées, dans l'eau jusqu'à la poitrine, se nourrissant de quelques dattes de palmiers, souffrant nuit et jour la persécution des insectes qui l'épuisoient de sang; il lui falloit souvent marcher pieds nus dans les marécages couverts d'une herbe dure et si tranchante qu'elle ne faisoit qu'une plaie de ses pieds, qui teignoient de sang les eaux qu'il traversoit. Il marcha ainsi jusqu'à ce qu'ayant perdu toutes ses forces et manquant de tout, il fut obligé de se remettre sur le fleuve pour s'en retourner à l'habitation de Saint-Ignace.

Son repos y fut court. La soif de la gloire de Dieu le pressa d'aller chez les barbares nommés Malaguais. Un Espagnol, dont le nom étoit Acozar, sincèrement converti par les exhortations du missionnaire, l'accompagna, malgré les représentations de ses amis et l'évidence du danger. Ils arrivèrent les barbares les reçurent bien. Mais il y avoit chez une nation

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avancée dans les terres, un cacique ennemi déclaré des missionnaires, de leurs néophytes el de tout ce qui conduisoit au christianisme. Ce perfide vint inviter le père à fonder une peuplade chez lui. Le missionnaire, croyant l'invitation sincère, vouloit s'y rendre; mais il y eut des Indiens qui connoissoient la mauvaise intention du cacique et qui ne manquèrent pas d'avertir le père du danger auquel il alloit s'exposer.

Il résolut donc de s'arrêter pendant quelque temps chez les premiers Mataguais qui l'avoient accueilli. Dans cet intervalle, il n'y eut point de caresses qu'il ne fit au cacique et à sa troupe. Il le renvoya enfin avec promesse qu'aussitôt qu'il auroit achevé la chapelle qu'il vouloit bâtir, il passeroit dans sa nation pour s'y établir. Le cacique dissimulé se retira avec ses gens. Le père, se croyant en pleine sûreté, envoya ses compagnons dans la forêt pour couper les bois propres à la construction de la chapelle, et les Mataguais qui lui étoient fidèles pour les rapporter. Ainsi il resta presque seul avec Acozar. A peine ceux-ci s'étoient-ils éloignés qu'un Indien de la suite du traître cacique retourna sur ses pas. « Que voulez-vous? lui demanda le père. » Il répondit qu'il revenoit pour chercher son chien qui s'étoit égaré; mais il ne revenoit que pour remarquer si le père étoit bien accompagné, et le voyant presque seul, il alla sur-le-champ en donner avis à son cacique, qui revint à l'instant avec tous ses gens, assaillit le père avec une fureur infernale et lui ôta sacrilégement la vie. Les autres barbares firent le même traitement à Acozar, qui eut ainsi le bonheur de mourir dans la compagnie de cet homme apostolique. Aussitôt ils mirent la croix en pièces, ils brisèrent tout ce qui servoit au culte divin et emportèrent triomphans tous les petits meubles du missionnaire, comme s'ils eussent remporté une victoire mémorable. La mort, ou, pour mieux dire, le martyre du père Augustin Castagnares arriva le 15 septembre 1744, la cinquante-septième année de son âge.

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A Buenos-Ayres, le 18 mai 1729.

Je me hâte, monsieur, de remplir la promesse que je vous ai faite en partant de vous écrire les particularités de mon voyage, qui, aux fatigues près d'un trajet long et pénible, a été des plus heureux.

Je sortis le 8 de novembre 1738 de la rade de Cadix avec trois missionnaires de notre compagnie.

Poussé par un vent favorable, l'équipage perdit bientôt la terre de vue, et la navigation fut si rapide qu'en trois jours et demi nous arrivâmes à la vue des Canaries. Mais alors, le vent ayant changé, nous fumes obligés de louvoyer jusqu'au 16, jour auquel nous mouillâmes à la baie de Sainte-Croix de Ténériffe, où nous arrêtâmes quelque temps pour faire de nouvelles provisions.

Je ne trouve rien de plus ennuyeux que le séjour d'un vaisseau arrêté dans un port. Heureusement nous ne restâmes pas longtemps dans celui où nous étions, car le 26 janvier nous nous trouvâmes sous le tropique du Cancer. Je fus alors témoin d'un spectacle auquel je ne m'attendois guère. On vit parottre tout à coup sur le vaisseau dix ou douze aventuriers que personne ne connoissoit. C'étoient des gens ruinés qui, voulant passer aux Indes pour y tenter fortune, s'étoient glissés dans le navire parmi ceux qui y avoient porté les provisions et s'étoient cachés entre les ballots. Ils sortirent de leur retraite les uns après les autres, bien persuadés qu'étant si avancés en mer on ne chercheroit point un port pour mettre à terre. Le capitaine, indigné de voir tant de bouches surnuméraires, se livra à des transports de fureur qu'on eut bien de la peine à calmer, mais enfin on en vint à bout. Quoique nous fussions sous la zone torride, nous n'étions cependant pas tout à fait à l'abri des rigueurs de l'hiver, parce que le soleil étoit alors dans la partie du sud et qu'il régnoit un vent frais qui approchoit de la bise.

les

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