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prêtres des idoles qui en solicitoient l'exécution. Il s'adressa ensuite à Ranganadadeven et le pria de faire venir en sa présence les brames les plus habiles pour les faire disputer avec le nouveau docteur de la loi du vrai Dieu, ajoutant que ce seroit un moyen sûr et facile de découvrir la vérité.

Le prince se choqua de la liberté de Teriadeven. Il lui reprocha en colère qu'il soutenoit le parti infâme d'un docteur d'une loi étrangère et lui commanda d'adorer sur-le-champ quelques idoles qui étoient dans la salle. «< A Dieu ne plaise, répliqua le genéreux catéchumène, que je commette une telle impiété! II n'y a pas longtemps que j'ai été miraculeusement guéri d'une maladie mortelle par la vertu du saint Évangile : comment, après cela, oserois-je y renoncer pour adorer les idoles et perdre en même temps la vie de l'âme et du corps ? >> Ces paroles ne firent qu'augmenter la fureur du prince; mais, par des raisons d'état, il ne jugea pas à propos de la faire éclater. Il s'adressa à un jeune seigneur qu'il aimoit, nommé Pouvaroudeven, et lui fit le même commandement. Celui-ci, qui avoit aussi été guéri par le baptême, quelque temps auparavant, d'une trèsfâcheuse incommodité dont il avait été affligé durant neufans, balança d'abord ; mais la crainte de déplaire au roi, qu'il voyoit furieusement irrité, le porta à lui obéir aveuglément. Il n'eut pas plutôt offert son sacrifice qu'il se sentit attaqué de son premier mal, mais avec tant de violence qu'il se vit en peu de temps réduit à la dernière extrémité. Un châtiment si prompt et si terrible le fit rentrer en lui-même; il eut recours à Dieu, qu'il venoit d'abandonner avec tant de lâcheté. Il pria qu'on lui apportât un crucifix; il se jeta à ses pieds, il demanda trèshumblement pardon du crime qu'il venoit de commettre et conjura le Seigneur d'avoir pitié de son âme en même temps qu'il auroit compassion de son corps. A peine eut-il achevé sa prière qu'il se sentit exaucé; son mal cessa tout de nouveau, et il ne douta point que celui qui lui accordoit avec tant de bonté la santé du corps ne lui fit aussi miséricorde et ne lui pardonnât sa chute.

Tandis que Pouvaroudeven sacrifioit aux idoles, le prince de Maravas s'adressa une seconde fois à Teriadeven et lui ordonna avec menaces de suivre l'exemple de ce seigneur; mais Teriadeven lui repartit généreusement qu'il aime

roit mieux mourir que de commettre une si grande impiété, et pour lui ôter toute espérance de le gagner, il s'étendit sur la vertu du saint Évangile et sur les louanges de la religion chrétienne. Le prince, outré d'une réponse si ferme, l'interrompit et lui dit d'un ton moqueur : « Eh bien! tu vas voir quelle est la puissance du Dieu que tu adores et quelle est la vertu de la loi que ton infâme docteur t'a enseignée. Je prétends que dans trois jours ce scélérat expire par la force seule de nos dieux sans même qu'on touche à sa personne. »

A peine eut-il dit ces paroles qu'il commanda que l'on fit, à l'honneur des pagodes, le sacrifice qu'ils appellent patiragalipouci : c'est une espèce de sortilège auquel ces infidèles attribuent une si grande force qu'ils assurent qu'on n'y peut résister et qu'il faut absolument que celui contre lequel on fait ce sacrifice périsse. De là vient qu'ils le nomment aussi quelquefois santourovesangaram, c'est-à-dire destruction totale de l'ennemi. Ce prince idolâtre employa trois jours entiers dans ces exercices diaboliques, faisant plusieurs sortes de sacrifices pour ne pas manquer son coup. Quelques Gentils qui étoient présens, et qui avoient quelquefois entendu les exhortations du confesseur de Jésus-Christ, avoient beau lui représenter que toutes ses peines seroient inutiles, que tous les maléfices n'auroient aucune vertu contre un homme qui se moquoit de leurs dieux; ces discours irritèrent furieusement ce prince; et comme le premier sortilège n'avoit eu aucun effet, il crut avoir manqué à quelque circonstance, ainsi il recommença par trois fois le même sacrifice sans pouvoir réussir.

Quelques-uns des principaux ministres des faux dieux, voulant le tirer de l'embarras et de l'extrême confusion où il étoit, lui demandérent permission de faire une autre sorte de sacrifice contre lequel, selon eux, il n'y avoit point de ressource: ce sortilège est le salpechiam, qui a, disent-ils, une vertu si infaillible qu'il n'y a nulle puissance, soit divine, soit humaine, qui en puisse éluder la force; ainsi ils assuroient que le prédicateur mourroit immanquablement le cinquième jour. Des assurances si positives calmèrent un peu Ranganadadeven, dans le désespoir où il étoit de se voir confondu, aussi bien que tous ses dieux, par un seul homme qu'il tenoit dans les fers et qu'il méprisoit.

Mais ce fut pour lui et pour les prêtres des

izoles une nouvelle confusion lorsque, les cinq jours du salpechiam étant expirés, le saint homme qui devoit être entièrement détruit n'avoit pas même perdu un seul de ses cheveux. Les brames dirent au tyran que ce docteur de la nouvelle loi étoit un des plus grands magiciens qui fût au monde et qu'il n'avoit résisté à la vertu de tous leurs sacrifices que par la force de ses enchantemens. Ranganadadeven prit aisément ces impressions; il fit venir devant lui le père de Bris et lui demanda en lui montrant son bréviaire, qu'on lui avoit ôté lors qu'on le fit prisonnier, si ce n'étoit point de ce livre qu'il tiroit cette vertu qui avoit rendu jusqu'alors tous leurs enchantemens inutiles. Comme le saint homme lui eut répondu qu'il n'en falloit pas douter : « Hé bien! dit le tyran, je veux voir si ce livre te rendra aussi impénétrable à nos mousquets. » En même temps il ordonna qu'on lui attachât le bréviaire au col et qu'on le fit passer par les armes. Déjà les soldats étoient prêts de faire leurs décharges lorsque Teriadeven, avec un courage héroïque, se récria publiquement contre un ordre si tyrannique, et se jetant parmi les soldats, il protesta qu'il vouloit lui-même mourir si l'on ôtoit la vie à son cher maître. Ranganadadeven, qui s'aperçut de quelque émotion parmi les troupes, eut peur d'une révolte, parce qu'il ne doutoit pas que Teriadeven ne trouvât encore plusieurs partisans qui ne souffriroient pas qu'on insultat impunément ce prince. Ces considérations arrêtèrent l'emportement de Ranganadadeven, il fit même semblant de révoquer l'ordre qu'il avoit donné et commanda qu'on remît en prison le confesseur de Jésus-Christ.

Cependant dès ce jour-là même il prononça la sentence de mort contre lui, et afin qu'elle fat exécutée sans obstacle, il fit partir le père secrètement sous une bonne garde, avec ordre de le mener à Ouriardeven, son frère, chef d'une peuplade située à deux journées de la cour, pour le faire mourir sans délai. Quand on signifia cet arrêt au serviteur de Dieu, la joie de se trouver si près de ce qu'il souhaitoit avec tant d'ardeur fut un peu modérée par la peine qu'il eut de quitter ses chers enfans en JésusChrist qui étoient en prison avec lui. Cette séparation fut si sensible qu'il ne put retenir ses larmes en leur disant adieu. Il les embrassa tendrement tous quatre l'un après l'autre et les anima chacun en particulier à la constance par

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des motifs pressans et conformes à la portée de leur esprit et à l'état où ils étoient. Ensuite, leur parlant à tous ensemble, il leur fit un discours touchant et pathétique pour les exhorter à demeurer fermes dans la confession de leur foi et à donner généreusement leur vie pour le véritable Dieu, de qui ils l'avoient reçue. Les Gentils qui étoient présens en furent attendris jusqu'aux larmes et ne pouvoient assez s'étonner de la tendresse que le serviteur de Dieu faisoit paroître pour ses disciples pendant qu'il paroissoit comme insensible aux approches de la mort qu'il alloit souffrir; ils n'étoient pas moins surpris de la sainte résolution des quatre autres confesseurs de Jésus-Christ; qui montroient tant d'impatience de répandre leur sang pour l'amour de leur Sauveur. Ainsi le père sortit de la prison de Ramanadabouram suivi des vœux de ses disciples, qui demandoient avec instance de le suivre et de mourir avec lui.

Il partit sur le soir avec les gardes qu'on lui donna; mais son épuisement étant plus grand encore qu'au voyage précédent, ce ne fut qu'avec des peines incroyables qu'il arriva au lieu de son martyre. On ne sait si ce fut la crainte de le voir expirer avant son supplice qui fit qu'on le mit d'abord à cheval; mais on l'en descendit bientôt après. Il marchoit nu-pieds, et ses chutes fréquentes lui déchirèrent tellement les jambes, qu'il avoit fort enflées, qu'on eût pu suivre ses pas à la trace de son sang. Il faisoit effort cependant pour avancer jusqu'à ce que ses gardes, voyant qu'il ne pouvoit plus du tout se soutenir, se mirent à le traîner impitoyablement le long du chemin.

Outre ces fatigues horribles et ce traitement plein de cruauté, on ne lui donna pour toute nourriture pendant le voyage, qui fut de trois jours, qu'une petite mesure de lait; de sorte que les payens même s'étonnèrent qu'il eût pu se soutenir jusqu'au terme du voyage, et que les chrétiens attribuèrent la chose à une faveur par ticulière de Dieu.

Ce fut en ce pitoyable état que cet homme vraiment apostolique arriva le 31 de janvier à Orejour, où devoit s'accomplir son martyre. Orejour est une grande bourgade située sur le bord de la rivière de Pambarou, aux confins de la principauté de Maravas et du royaume de Tanjaour1. Dès que Ouriardeven, frère du cruel

'Tandjor, présidence de Madras,

Ranganadadeven et encore plus inhumain que lui, eut appris l'arrivée du serviteur de Dieu, il ordonna qu'on le lui amenât. Ce barbare lui fit d'abord un accueil assez favorable. Il étoit

depuis quelques années devenu aveugle et paralytique des pieds et des mains, et comme il avoit souvent ouï parler des merveilles que Dieu opéroit par le saint Évangile, il conçut quelque espérance que le docteur de la nouvelle loi, étant dans son pouvoir, ne lui refuseroit pas une grâce que tant d'autres avoient reçue; c'est pourquoi, après lui avoir marqué assez de douceur dans cette première audience, où l'on ne parla que de religion, il lui envoya le lendemain toutes ses femmes, qui se prosternèrent aux pieds du confesseur de Jésus-Christ, pour le conjurer de rendre la santé à leur mari. Le père de Brito les ayant renvoyées sans leur rien promettre, Ouriardeven le fit appeler en particulier pour l'engager, à quelque prix que ce fút, à faire ce miracle en sa faveur. D'abord il promit, s'il lui accordoit ce qu'il lui demandoit, que non-seulement il le tireroit de prison et le délivreroit de la mort, mais encore qu'il le combleroit de riches présens. « Ce ne sont pas de semblables promesses, lui repartit le fervent missionnaire, qui pourroient m'obliger à vous rendre la santé si j'en étois le maître; ne pensez pas aussi que la crainte de la mort puisse m'y contraindre. Il n'y a que Dieu seul, dont la puissance est infinie, qui puisse vous accorder cette grâce. »

Le barbare, choqué de cette réponse, commanda aussitôt qu'on ramenât le prisonnier à son cachot et qu'on préparât incessamment tous les instrumens de son supplice. L'exécution fut pourtant différée de trois jours, pendant les quels on lui donna beaucoup moins de nourriture qu'à l'ordinaire ; en sorte que si on ne se fût pas pressé de le faire mourir par le fer; apparemment qu'il fût mort de faim et de misère. Le troisième février, qui fut la veille de son martyre, il trouva e moyen de m'envoyer une lettre qui étoit adressée à tous les pères de cette mission et que je garde comme une précieuse relique. Il n'avoit alors ni plume ni encre, ainsi il se servit pour l'écrire d'une paille et d'un peu de charbon détrempé avec dé l'eau. Voici les propres termes de cette lettre.

MES RÉVÉRENDS PÈRES, ET TRÈS-CHERS COMPAGNONS,

P. C.

Vous avez su, du catéchiste canaguien, ce qui s'est passé dans ma prison jusqu'à son départ. Le jour suivant, qui fut le 28 de janvier, on damné à perdre la vie à coups de mousquet. me fit comparoître en jugement, où je fus con J'étois déja arrivé au lieu destiné à celle exécution et tout étoit prêt lorsque le prince de Maravas, appréhendant quelque émotion, ordonna qu'on me séparât des autres confesseurs de Jé

sus-Christ, mes chers enfans, pour me re

mettre entre les mains de son frère Ouriardeven, à qui on envoya ordre en même temps dé me faire mourir sans différer davantage. Je suis arrivé avec beaucoup de peine à sa cour le dernier de janvier, et ce même jour Ouriardeven m'a fait venir en sa présence, où il y a eu une grande dispute: après qu'elle a été finie, on m'a ramené en prison, où je suis encore à présent, attendant la mort que je dois souffrir pour mon Dieu. C'est l'espérance de jouir de ce bonheur qui m'a obligé à venir deux fois dans les Indes. Il est vrai qu'il m'en a coûté pour l'obtenir; mais la récompense que j'espère de celui pour qui je me sacrifie mérite toutes ces peines et de bien plus grandes encore. Tout le crime dont on m'accuse, c'est que j'enseigne la loi du vrai Dieu et qu'on n'adore plus les idoles. Qu'il est glorieux de souffrir la mort pour un tel crime! C'est aussi là ce qui fait ma joie et ce qui me remplit de consolation en Notre-Seigneur. Les soldats me gardent à vue, ainsi je ne puis vous écrire plus au long. Adieu, mes pères, je vous de

mande votre bénédiction et me recommande à Vos saints sacrifices. De la prison d'Ourejour, le 3 de février 1693.

De vos révérences, le très-humble serviteur en Jésus-Christ.

JEAN DE BRITO.

C'étoit dans ces sentimens et avec ce grand courage que l'homme de Dieu attendoit l'heureux moment de son matyre. Ouriardeven, qui avoit eu des ordres exprès de le faire mourir incessamment, voyant qu'il ne pouvoit rien obtenir pour sa guérison, le mit entré les mains de cinq bourreaux pour le couper en pièces et l'exposer à la vue du peuplé après qu'il seroit mort.

A une portée de mousquet d'Ourejour, on avoit planté un grand pieu ou une espèce de poteau fort élevé, au milieu d'une vaste campagne, qui devoit servir de théâtre à ce sanglant spectacle. Le 4 février sur le midi, on y amena le serviteur de Dieu pour achever son sacrifice en présence d'une grande multitude de peuple qui étoit accouru de toutes parts dès que la nouvelle de sa condamnation se fut répandue dans le pays. Étant arrivé auprès du poteau, il pria les bourreaux de lui donner un moment pour se recueillir, ce qu'ils lui accordèrent; alors s'étant mis à genoux en présence de tout ce grand peuple, et étant tourné vers le poteau auquel son corps séparé de sa tête devoit être attaché, il parut entrer dans une profonde contemplation. Il est aisé de juger quels pouvoient être les sentimens de ce saint religieux dans une semblable conjoncture, persuadé qu'il alloit dans quelques momens jouir de la gloire des saints et s'unir éternellement avec son Dieu. Les Gentils furent si touchés de la tendre dévotion qui paroissoit peinte sur son visage qu'ils ne purent retenir leurs larmes; plusieurs même d'entre eux condamnoient hautement la cruauté dont on usoit envers ce saint homme.

Après environ un quart d'heure d'oraison, il se leva avec un visage riant qui montroit assez la tranquillité et la paix de son âme, et s'approchant des bourreaux, qui s'étoient un peu retirés, il les embrassa tous à genoux avec une joie qui les surprit. Ensuite s'étant relevé « Vous pouvez à présent, mes frères, leur dit-il, vous pouvez faire de moi ce qu'il vous plaira,» ajoutant beaucoup d'autres expressions pleines de douceur et de charité qu'on n'a pu encore recueillir.

Les bourreaux à demi ivres se jetèrent sur lui et déchirérent sa robe, ne voulant pas se donner la peine ni le temps de la lui détacher. Mais ayant aperçu le reliquaire qu'il avoit coutume de porter au col, ils se retirèrent en arrière saisis de frayeur et se disant les uns aux autres que c'étoit assurément dans cette boîte qu'étoient les charmes dont il enchantoit ceux de leur nation qui suivoient sa doctrine, et qu'il falloit bien se donner de garde de le toucher pour n'être pas séduits comme les autres. Dans cette ridicule pensée, un d'eux, prenant un sabre pour couper le cordon qui tenoit le reliquaire, fit au père une large plaie dont il sortit beaucoup de sang. Le fervent mission

naire l'offrit à Dieu comme les prémices du sacrifice qu'il étoit sur le point d'achever. Enfin ces barbares, persuadés que les charmes magiques des chrétiens étoient assez puissans pour résister au tranchant de leurs épées, se firent apporter une grosse hache dont on se servoit dans leurs temples pour égorger les victimes qu'on immoloit aux idoles, après quoi ils lui attachèrent une corde à la barbe et la lui passèrent autour du corps pour tenir la tête penchée sur l'estomac pendant qu'on lui déchargeroit le coup.

L'homme de Dieu se mit aussitôt à genoux devant les bourreaux, et levant les yeux et les mains au ciel, il attendoit en cette posture la couronne du martyre lorsque deux chrétiens de Maravas, ne pouvant plus retenir l'ardeur dont leurs cœurs étoient embrasés, fendirent la presse et s'allèrent jeter aux pieds du saint confesseur, protestant qu'ils vouloient mourir avec leur charitable pasteur, puisqu'il s'exposoit avec tant de zèle à mourir pour eux; que la faute, s'il y en avoit de son côté, leur étoit commune et qu'il étoit juste qu'ils en partageassent avec lui la peine. Le courage de ces deux chrétiens surprit étrangement toute l'assemblée et ne fit qu'irriter les bourreaux. Cependant, n'osant pas les faire mourir sans ordre, ils les mirent à l'écart, et après s'en être assurés, ils retournèrent au père de Brito et lui coupèrent la tête. Le corps, qui devoit naturellement tomber sur le devant, étant panché de ce côté-là avant que de recevoir le coup, tomba néanmoins à la renverse avec la tête qui y tenoit encore, les yeux ouverts et tournés vers le ciel. Les bourreaux se pressèrent de la séparer du tronc, de peur, disoient-ils, que par ses enchantemens il ne trouvât le moyen de l'y réunir. Ils lui coupèrent ensuite les pieds et les mains, et attachèrent le corps avec la tête au poteau qui y étoit dressé afin qu'il fût exposé à la vue et aux insultes des passans.

Après cette exécution, les bourreaux menèrent au prince les deux chrétiens qui s'étoient venus offrir au martyre. Ce barbare leur fit couper le nez et les oreilles, et les renvoya avec ignominie. Un d'eux, pleurant amèrement de n'avoir pas eu le bonheur de donner sa vie pour Jésus-Christ, revint au lieu du supplice. Il y considéra à loisir les saintes reliques, et après avoir ramassé dévotement les pieds et les mains, qui étoient dispersés de côté et d'au

tre, il les approcha du poteau, où étoient la tête et le corps, et y demeura quelque temps en prières avant que de se retirer.

Voilà, mes révérends pères, quelle a été la glorieuse fin de notre cher compagnon le révérend père Jean de Brito. Il soupirait depuis longtemps après cet heureux terme, il y est enfin arrivé. Comme c'est dans les mêmes vues que lui que nous avons quitté l'Europe et que nous sommes venus aux Indes, nous espérons avoir peut-être un jour le même bonheur que ce serviteur de Dieu. Plaise à la miséricorde infinie de Notre-Seigneur Jésus-Christ de nous en faire la grâce, et que de notre côté nous n'y mettions aucun obstacle! La chrétienté de Maravas se trouve dans une grande désolation par la perte de son saint pasteur. Joignez donc, je vous conjure, vos prières aux nôtres afin que le sang de son premier martyr ne lui soit pas inutile et qu'elle retrouve, par les intercessions de ce nouveau protecteur, d'autres pères, aussi puissans que lui en œuvres et en paroles, qui soutiennent et qui achèvent ce qu'il a si glorieusement commencé.

Au moment que j'appris la nouvelle de la prison de notre glorieux confesseur, je me mis en chemin pour aller au Maravas l'assister et lui rendre tous les bons offices dont je suis capable. Je marchais avec une diligence incroyable et j'avais déjà fait une partie du voyage lorsqu'on m'apporta des nouvelles sûres de son martyre. Je résolus de passer outre; mais les chrétiens qui m'accompagnaient et les Gentils mêmes qui se trouvèrent présens me représentérent que si j'entrais plus avant dans le Maravas, j'exposerois, sans espérance d'aucun succès, cette chrétienté désolée à une nouvelle persécution. Cette crainte me fit changer de dessein, je me retirai dans une bourgade voisine pour être plus à portée de secourir ceux qui étoient encore en prison et pour tâcher de retirer les reliques du saint martyr ou de les faire décemment ensevelir.

Si je vous marque ici, mes révérends pères, moins de choses que vous n'en désireriez savoir, soyez assurés que je ne vous mande rien que je n'aie appris de gens dignes de foi qui en ont été témoins oculaires. Si je découvre dans la suite quelque chose de plus, je ne manquerai pas de vous en faire part. Je me recommande cependant à vos saints sacrifices, et suis avec respect, etc.

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LETTRE DU P. PIERRE MARTIN

AU P. DE VILLETTE.

Notions sur le Bengale, le Karnatik et le Maduré. Relations avec les mahométans.

A Balassor ', le 30 janvier 1699. MON RÉVÉREnd Père,

P. C.

On m'a remis entre les mains les lettres que vous vous êtes donné la peine de m'écrire. Je ne vous dirai pas le plaisir que j'ai ressenti, en recevant ces marques de votre cher souvenir. Il est plus doux que vous ne pensez d'apprendre, dans ces extrémités du monde, que nos amis ne nous oublient point et que, pendant que nous combattons, ils lèvent les mains au ciel et nous aident de leurs prières. J'en ai eu, je vous assure, un très-grand besoin depuis que je vous ai quitté, et je me suis trouvé dans des occasions qui vous paroîtroient bien délicates et difficiles si je pouvais vous les marquer ici.

Je suis venu dans les Indes par l'ordre de mes supérieurs. Je vous avouerai que je n'ai eu aucun regret de quitter la Perse, mon attrait étant pour une autre mission où je croyois qu'il y avoit plus à souffrir et plus à travailler. J'ai trouvé ce que je cherchois plus tôt que je n'eusse pensé. Dans le voyage, je fus pris par les Arabes et retenu prisonnier pour n'avoir pas voulu faire profession du mahométisme. Quelque envie qu'eussent ces infidèles de savoir qui nous étions, le père Beauvollier mon compagnon et moi, ils n'en purent venir à bout et ils crurent toujours que nous étions de Constantinople. Ce qui les trompoit est qu'ils nous voycient lire des livres turcs et persans. Nous les laissâmes dans cette erreur jusqu'à ce qu'un d'entre eux s'avisa d'exiger de nous la profession de leur maudite secte. Alors nous nous déclarâmes hautement pour chrétiens, mais toujours sans dire notre pays. Nous parlâmes mêine très-fortement contre leur imposteur Mahomet,

'Ancienne province d'Oricah, aujourd'hui présiderce de Calcutta.

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