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honneur dont nos Indiens sont jaloux, parce qu'ils trouvent un petit avantage dans les libéralités de ceux qui les ont tenus sur les fonts baptismaux.

Enfin, nous arrivâmes sur le soir à la mission de Saint-Paul : c'étoit un jour de réjouissance pour les sauvages, temps où ils prennent leurs plus belles parures. Les hommes vinrent nous recevoir à la descente de nos canots et nous conduisirent avec des démonstrations de joie extraordinaires à la case de leur missionnaire. Les femmes ne le cédèrent point à leurs maris et nous offrirent à l'envi divers rafraîchissemens.

Le lendemain nous visitâmes toutes les cases de ces bonnes gens, qui manquoient d'expressions pour nous témoigner leur amitié et leur reconnoissance. Je ne vous dissimulerai pas, mon révérend père, que je portois secrètement envie au père Dayma du bonheur qu'il a de travailler à la conversion de ces peuples; je ne les quittai qu'à regret lorsqu'après avoir demeuré trois jours avec eux, il fallut nous séparer.

Lorsque le père Dayma aura gagné et réuni dans le même lieu le reste des Pirious dispersés çà et là dans les forêts, il sera chargé d'une peuplade aussi nombreuse qu'elle le peut être dans ce lieu-là, eu égard à ce que les terres sont capables de rapporter pour la subsistance de ses habitans.

Je vous ai parlé dans d'autres lettres du grand capitaine Ananpiaron, que la mort nous enleva il y a peu d'années. J'ai entretenu | plusieurs fois ses deux fils, qui s'appellent Yaripa et Yapo. L'un et l'autre paroissent très affectionnés à la religion et aux missionnaires. Ils m'ont appris que le capitaine des Ouayes, qui habite le haut du Camopi, a dessein de s'approcher de nous et de descendre jusqu'à l'embouchure de cette rivière. S'il persiste dans sa résolution, comme il y a lieu de le croire, nous pourrons placer là une mission qui sera composée de ceux de cette nation, auxquels se joindront les Taroupis, les Acoquas, les Palanques et les Noragues.

Quoique cette mission placée à l'embouchure du Camopi doive être d'un grand secours à celle de Saint-Paul, dont elle retirera pareillement de grands avantages, je ne cesse pas de tourner mes vues du côté des Palikours et j'irai incessamment reconnoître leur pays.

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On m'a déjà fait une peinture très-désagréable de sa situation et de la persécution qu'on a à souffrir des maringouins, dont toutes ces terres sont couvertes. Je choisirai l'endroit le moins incommode pour y fixer notre demeure. Mais je crois qu'il faudra établir dans cette contrée deux missions, parce que les Palikours, les Mayets et les Caranarious, qui occupent notre côté, du côté des Amazones, sont des nations trop nombreuses pour être rassemblées dans le même lieu.

De là nous passerons chez les Itoutanes. Ces Indiens sont à tout moment dans la crainte de tomber entre les mains des Portugais on les réduira plus aisément que les autres sauvages d'alentour, parce qu'ils ont eu moins de commerce avec les Européens.

En nous avançant ainsi peu à peu au large, nous pourrons embrasser toute la Guyane fran çoise, c'est-à-dire le continent qui est depuis les Amazones jusqu'à Maroni. Peut-être même que la découverte de toutes ces terres deviendra très-avantageuse à la colonie.

Lorsque ces missions seront toutes formées, nous espérons en établir encore une autre à l'embouchure de cette rivière d'Ouyapoc, en y réunissant les Tokoyenes, les Maraones et les Maourious, nos voisins. Vous savez déjà que les Galibis de Sinamari sont dans les plus favorables dispositions à l'égard des missionnaires.

Voilà, comme vous voyez, mon révérend père, une grande moisson: plus elle est difficile à recueillir, plus elle animera le zèle des ouvriers évangéliques. Ces sauvages, tout grossiers, tout barbares qu'ils sont, ont été rachetés du sang de Jésus-Christ. Que ce motif est puissant pour nous soutenir dans nos peines et dans nos fatigues!

Je ne prétends rien dissimuler à ceux qui se sentent pressés de venir partager nos travaux, ils auront affaire à des peuples qui n'ont rien que de rustique et de rebutant dans leurs personnes, gens sans lois, sans dépendance, sans politesse, sans éducation, en qui l'on ne trouve nulle teinture de religion et qui n'ont pas même les premiers principes des vertus morales; en un mot, de vrais sauvages qui semblent n'avoir de l'homme raisonnable que la figure. Mais en cela même ne sont-ils pas plus dignes de notre compassion et de notre zèle?

On ne dira pas que je donne de nos sauvages un portrait flatté; mais en même temps je ne

puis m'empêcher d'avouer qu'un missionnaire qui travaille à leur conversion trouve bien des avantages qu'il n'auroit pas chez d'autres nations infidèles. Ici il n'y a ni idolâtrie à détruire ni idole à renverser; il est à l'abri des persécutions auxquelles on doit s'attendre ailleurs de la part des puissances idolâtres; ses instructions trouvent des cœurs extrêmement dociles, et l'on n'a jamais vu aucun sauvage former la moindre difficulté sur les vérités qui lui sont annoncées. Enfin, il recueille en paix le fruit de ses sueurs et de ses travaux, car, bien qu'il soit vrai que dans le nombre de ces néophytes qu'on a convertis à la foi il s'en trouve de tièdes. et de languissans, il n'est pas moins vrai qu'on en voit un grand nombre qui conservent jusqu'à la mort un fond admirable de piété, et qui, par leur assiduité à la prière et dans tous les autres exercices d'une vraie dévotion, font paroître autant de ferveur qu'on en remarque en Europe parmi nos plus fervens congréganistes.

Parmi les nations polies et civilisées, un missionnaire a souvent à se précautionner contre les atteintes de la vaine gloire et contre les retours de l'amour-propre. Il n'a pas ici à craindre de semblables écueils, où viendroit se perdre le mérite de tous ses travaux: il passe sa vie dans l'obscurité, au milieu des bois, n'ayant que Dieu pour témoin de ses ennuis, de ses souffrances, de ses sueurs et de ses fatigues. Ah! qu'il est doux, mon révérend père, qu'il est consolant pour un ouvrier de l'évangile dont les vues sont bien épurées, de n'avoir que Dieu, au milieu de ces régions barbares, auquel il puisse avoir recours, de s'entretenir familièrement avec lui, de lui découvrir ses peines, de n'attendre de secours que de lui seul, et d'être comme en droit de lui dire : « Vous seul, ô mon Dieu, vous êtes mon unique refuge, mon soutien, mon espoir, ma consolation, ma joie, en un mot mon Dieu et mon tout : Deus meus et omnia.» Je me recommande à vos saints sacrifices et suis avec respect.

LETTRE DU P. FAUQUE,

MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIe de Jésus,

AU P. DE LA NEUVILLE,

DE LA MÊME COMPAGNIE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE.

Excursion dans les terres entre l'Ouyapoc et le fleuve des Amazones.

A Ouyapoc, ce 20 septembre 1736.

MON RÉVÉREND PÈRE,

La paix de N. S.

Je vous ai annoncé dans plusieurs de mes lettres le voyage que je projetois de faire chez les Palikours; mais des embarras imprévus et de fréquens accès d'une fièvre bizarre et opiniâtre me l'ont fait différer jusqu'au mois de septembre de l'année 1735. Ce fut donc le 5 de ce mois que je m'embarquai dans un petit couillara (c'est un tronc d'arbre creusé dont une extrémité se termine en pointe). Je descendis la rivière d'Ouyapoc dans cette espèce de canot, qui ne peut porter que cinq à six personnes, et je profitai ensuite de la marée pour entrer dans la rivière de Couripi, que nous remontâmes jusqu'à ce que la mer fût à flot. Nous mouillâmes alors, et comme les bords de cette rivière sont impraticables vers son embouchure, il me fallut prendre le repos de la nuit dans mon canot.

Aussitôt que la mer commença à monter, nous nous mîmes en route, et vers les sept heures du matin nous laissâmes à notre droite la rivière de Couripi pour entrer dans celle d'Ouassa. Vers le midi, je trouvai l'embouchure du Roucaua, que nous laissâmes aussi à la droite, me réservant d'y entrer à mon retour, et comme la marée ne se faisoit presque plus sentir, nous ne fùmes pas obligés de mouiller ; mais la nuit nous ayant surpris avant que nous pussions gagner aucune habitation, il fallut la passer encore dans notre petit canot, avec des incommodités que vous pouvez assez imaginer.

Entre trois et quatre heures du matin, nous aperçûmes du feu sur l'un des bords de la rivière. C'étoient quelques Indiens qui campoient lå et qui revenoient de chez leurs parens, établis près d'une grande crique' qu'on nomme

1 C'est ainsi que dans le pays on appelle les petites rivières.

Tapamourou, dont je parlerai plus bas. Après | prendre qu'un nombre de dignes ouvriers se

un court entretien que j'eus avec eux, je continuai ma route et je fus fort surpris de ne point trouver ce jour-là d'habitations de sauvages. Je savois néanmoins qu'il y en avoit plusieurs répandues de côté et d'autre ; mais outre que ceux qui m'accompagnoient ignoroient le chemin qui y conduit, il m'auroit été impossible d'y pénétrer, parce que les marais qu'il faut traverser étoient presque à sec.

Comme la nuit approchoit, je craignois fort d'être encore obligé de la passer dans mon canot, mais heureusement nous aperçûmes deux Indiens qui étoient à la pêche. Nous courûmes sur eux à force de rames, et eux, qui nous prenoient pour des coureurs de bois, fuyoient devant nous de toutes leurs forces, et nous eûmes bien de la peine à les atteindre. Nous les joignîmes enfin, et ils furent agréablement surpris de trouver dans moi toute la tendresse d'un père. Leur rencontre ne me fit pas moins de plaisir, surtout lorsqu'ils me dirent que leur demeure n'étoit pas fort éloignée. Ils m'y conduisirent, et le lendemain, fête de l'immaculée conception de la très-sainte Vierge, j'eus le bonheur d'y offrir le saint sacrifice de la

messe.

Dès que l'aube du jour commença à parottre, je dressai mon autel et je le plaçai hors de la case, afin que de tous côtés on pût aisé ment me voir célébrer les saints mystères. C'étoit une nouveauté pour ces peuples, surtout pour les femmes et les enfans, qui n'étoient jamais sortis de leur pays. Aussi se placèrent-ils de telle sorte qu'il ne leur échappa pas la moindre cérémonie, et ils assistèrent à cette sainte action avec une modestie et une attention qui me charmèrent.

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préparent à venir cultiver cette abondante portion de la vigne du Seigneur.

Je me rendis de là chez mon banaré (c'est le nom qui se donne, parmi les Indiens, å ceux avec lesquels on contracte des liaisons d'amitié, qui s'entretiennent par de petits présens qu'on se fait mutuellement). Il n'omit rien pour me retenir le reste du jour; mais je ne pus lui donner cette satisfaction parce que j'avois dessein de me rendre chez le capitaine de toute la nation, auquel M. des Roses, chevalier de Saint-Louis et commandant pour le roi dans ce poste, a donné, depuis environ deux ans, un brevet avec la canne de commandant. Cette canne est un jonc orné d'une pomme d'argent, aux armes de France, qui se donne de la part du roi aux capitaines dés sauvages. Youcara (c'est le nom de ce capitaine) est, je crois, le plus âgé de tous les Palikours. Comme je l'avois vu plusieurs fois à Ouyapoc et que je lui avois souvent promis de l'aller voir chez lui, il me parut charmé que je lui eusse tenu enfin parole, et il n'oublia rien pour me dédommager de toutes les fatigues que j'avois eu à essuyer les jours précédens. Il me parut fort empressé à donner sur cela ses ordres à ses poitos, c'est-à-dire à ceux de sa dépendance, et surtout aux femmes, auxquelles appartient le soin du ménage.

Après les premiers complimens de part et d'autre, j'entrai d'abord en matière sérieuse et je lui dis que nous songions efficacement å nous établir parmi eux pour leur procurer le bonheur d'être chrétiens. Je lui exposai succinctement les motifs, soit surnaturels, soit humains, qui me parurent les plus propres å faire impression sur son esprit. Je n'oubliois pas la protection qu'ils auroient contre les vexations de ceux qui vont en traite, car je savois les sujets de mécontentement qu'il avoit sur cet article et qui lui tenoient au cœur. Comme il n'entend pas trop bien la langue galibi, dans laquelle je lui parlois, il me répondit qu'il feroit venir un interprète pour m'expliquer ses véritables sentimens. L'interprète arriva le lendemain matin, et après une courte répétition que je fis de ce que je lui avois dit la veille, il me répondit que sa nation seroit charmée d'avoir des missionnaires, et qu'ils ne viendroient jamais aussi tôt qu'elle le sou

Vous jugez bien, mon révérend père, que la conversion de nos Indiens fut le principal objet de mon attention dans le temps du sacrifice me trouvant au milieu de ce peuple infidèle, devois-je appliquer à d'autres le fruit et le mérite de l'hostie sainte que j'offrois à Dieu! Je conjurois donc le père des lumières d'envoyer au plus tôt à ces nations infortunées les secours dont elles sont privées depuis tant de siècles et qui ne sont dans l'égarement que parce qu'elles n'ont personne qui leur enseigne la voie du salut. Je fis la même application de toutes les autres messes que je dis pendant mon voyage, et ma consolation est d'ap- | haitoit.

Nous délibérâmes alors sur l'endroit que nous choisirions pour y fixer la mission; mais comme je n'avois pas encore parcouru les rivières de Roucaoua et de Tapamourou, je ne pouvois guère juger quel terrain méritoit la préférence. Maintenant que je les ai parcourues, je crois qu'on ne peut mieux faire que de s'établir chez Youcara jusqu'à ce qu'on trouve un endroit plus convenable. Sa demeure est presque tout-à-fait à la source du Ouassa, d'où l'on peut en un jour entrer dans Cachipour par la communication d'une petite crique. Je crois même qu'il y aura là beaucoup moins de maques (c'est un insecte assez semblable aux cousins, mais beaucoup plus gros, et dont l'extrémité des pieds est blanche). Cela seul mérite, je vous assure, quelque attention, car vous ne sauriez vous imaginer combien celte espèce d'insecte est incommode en certaines saisons de l'année. Il y en a quelquefois une si grande quantité que pour prendre son repas il faut se retirer dans quelque coin un peu à l'écart, souvent même on est obligé de manger en se promenant: c'est ce qui rend ce pays impraticable aux Européens. Quelques Indiens, pour se garantir de ces importuns insectes, se font des cases au milieu de l'eau, dans des marais fort éloignés de la terre, ой ces petits animaux, ne trouvant ni arbres ni herbes aux environs pour se reposer, pénètrent guère, du moins en si grand nombre. La plupart dorment dans ce qu'ils appellent la tocaye ( c'est une case écartée dans les bois, qui ressemble à une glacière): ils ne s'y rendent que vers les huit heures du soir, et sans bruit, de crainte que ces insectes ne les suivent, car leur instinct les porte à aller où il y a du feu et où ils entendent du bruit. Je n'ai jamais osé y coucher, de peur d'y être étouffé vous jugez aisément quelle doit être la chaleur d'une chambre fermée hermétiquement, où respirent, pendant toute une nuit, trente ou quarante Indiens.

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pour guérir les malades, etc. Il me pria d'en mettre sur quelques enfans qui languissoient depuis longtemps dans son carbet. Je les fis approcher et je leur fis le signe de la croix sur le front avec cette eau. Dieu en fut glorifié, car j'appris, peu de jours après, qu'ils jouissoient d'une santé parfaite.

Je trouvai dans ce capitaine des dispositions très favorables au christianisme, que je le pressois d'embrasser. En nous quittant, nous convinmes que dans trois jours il viendroit me joindre à l'embouchure de Tapamourou, où j'allois, et me confier deux jeunes Indiens que j'avois choisis chez lui pour les conduire à Kourou et les mettre en apprentissage de chirurgie. Il ne manqua pas au rendez-vous; mais comme je ne pus pas m'y rendre aussi exactement que lui, il planta une croix sur l'un des bords de la crique, pour me donner une preuve de son arrivée, après quoi il revira de bord. Heureusement les Indiens de ma suite ayant sonné du cor, il jugea que je n'étois pas loin et il s'arrêta pour m'attendre. Je vous avoue, mon révérend père, que je fus extrêmement surpris lorsque je vis le signe de notre rédemption arboré sur les bords de cette petite rivière, où je n'avois rien aperçu trois jours auparavant, et j'avois peine à me persuader que ce fût là l'ouvrage d'un sauvage. Il me dit qu'il l'avoit vu pratiquer ainsi autrefois à quelques François, dans les voyages qu'il avoit faits. avec eux. Je le louai fort d'avoir retenu et imité ce trait de leur piété.

Pour revenir à Tapamourou, je ne pus gagner les cases des Indiens que bien avant dans la nuit du samedi au dimanche, bien qu'on m'eût fait espérer que j'y arriverois en plein jour. La principale cause de ce retardement fut que nous trouvèmes le lit de cette petite rivière tout couvert d'herbes et d'une espèce de roseaux sur lesquels il fallut se pousser å force de lacaré, (c'est une perche fourchue dont on se sert en guise de harpon.) Cette manière de naviguer est très-fatigante et demande beaucoup de temps. On est sujet à cet inconvénient dans les rivières peu fréquentées parce que les halliers des deux bords, venant å se joindre, font une espèce de barrière qui arrête tout ce que l'eau entraîne. Cela est quelquefois si considérable qu'on fait des lieues entières où il semble qu'on soit sur une prairie flottante, tandis qu'on a au-dessous de soi

trois ou quatre brasses d'eau. Mon inquiétude étoit de nous voir obligés à passer encore la nuit dans notre canot, où nous n'aurions pas été fort en sûreté contre les crocodiles, dont nous étions environnés. Toutes ces rivières en foisonnent, et c'est ce qui contribue principalement à former l'embarras dont je viens de parler, car ces animaux, extrêmement voraces, en poursuivant les petits poissons dont ils se nourrissent, arrachent beaucoup de joncs, qui suivent ensuite le courant, et qui, venant à s'accrocher les uns les autres, couvrent toute la surface de l'eau.

Dans l'embarras où je me trouvai, je fis sonner de temps en temps du cor, afin d'avertir les sauvages de venir au devant de nous; mais ils ne portent pas jusque-là leur politesse: tout ce qu'ils firent, fut de nous apporter du feu à la descente de notre canot. Je bénis Dieu de bon cœur de me voir enfin à terre; je n'étois pas pourtant au bout de mes peines. Après avoir marché environ cent pas, nous trouvâmes un grand marais, qu'il fallut traverser pour se rendre au carbet. Les Indiens mettent d'ordinaire sur ces espèces d'étangs, des troncs d'arbres, qui se joignent bout à bout et qui forment une espèce de pont sur lequel ils courent comme des singes. Je voulus les imiter, à la faveur d'un tison de feu qu'on faisoit flamber devant moi pour m'éclairer; mais, soit que ma chaussure ne prêtât pas comme les pieds de mon guide, soit que je n'eusse pas autant de dextérité que lui, je tombai au second pas que je fis, et j'ai peine à comprendre comment je ne me brisai pas les côtes: le coup que je me donnai sur le côté gauche fut si violent que j'en ressentis une vive douleur pendant plusieurs mois. Je pris alors le parti de marcher dans le marais même, au risque d'être mordu des serpens, et j'arrivai enfin au gite sans autre inconvénient que celui d'être bien mouillé.

Je trouvai là une grande et vaste case: comme elle étoit environnée de marais et de terres noyées, et que le temps des maques n'étoit pas encore passé, tous les habitans du lieu et ceux même de ma suite m'abandonnèrent pour aller coucher dans le tocaye. Je vous avoue, mon révérend père, que pendant cette nuit où je me voyois tout seul, j'eus bien des pensées effrayantes, malgré tous les motifs de confiance en Dieu que je ne cessois de me rappeler à l'esprit. «Si quelque sauvage, me disois-je, pour

enlever le peu que tu as, venoit maintenant t'égorger! si quelque tigre ou quelque crocodile se jetoit sur toi pour te dévorer! >> Car quelles horreurs n'inspirent pas les ténèbres d'une nuit obscure, surtout dans un pays barbare. Le lever de l'aurore vint enfin calmer mes inquiétudes, et après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, j'allai visiter quelques habitations du voisinage.

J'entrai dans une case haute, que nous appelons Soura en langue galibi: m'entretenant avec ceux qui l'habitoient, je fus tout-à-coup saisi d'une odeur cadavérique, et comme j'en témoignai ma surprise, on me dit qu'on venoit de déterrer les ossemens d'un mort, qu'on devoit transporter dans une autre contrée, et l'on me montra en même temps une espèce d'urne qui renfermoit ce dépôt. Je me ressouvins alors que j'avois vu ici, il y a trois ou quatre ans, deux Palikours, lesquels étoient venus chercher les os d'un de leurs parens qui y étoit mort. Comme je ne pensai pas alors à les questionner sur cette pratique, je le fis en cette occasion, et ces sauvages me répondirent que l'usage de leur nation étoit de transporter les ossemens des morts dans le lieu de leur naissance, qu'ils regardent comme leur unique et véritable patrie. Cet usage est parfaitement conforme à la conduite que tint Joseph à l'égard de son père Jacob, et je dois vous dire en passant que nous remarquons parmi ces peu ples tant de coutumes du peuple juif qu'on ne peut s'empêcher de croire qu'ils en descendent.

En continuant mes excursions dans mon canot, je trouvai deux cases de Caranarious. Ce sont des Indiens qui poussent encore plus loin. que les autres sauvages le dénuement de toutes choses. Ils n'ont pas même de plantage; les graines des plantes et des arbres ou le poisson sont leur nourriture ordinaire. La cassaye, qui est un gâteau fait de la racine de manioc, et la boisson ordinaire des sauvages, qui se fait de la même racine, sont pour eux le plus grand régal. Quand ils veulent se le procurer, ils font une pêche abondante et ils portent leurs poissons chez les Palikours, qui leur donnent du manioc en échange. Les Palikours ont pris sur eux un tel ascendant qu'ils en font en quelque sorte leurs esclaves, c'est-à-dire qu'ils s'en servent pour faire leurs abatis, leurs canots, leur pêche, etc; souvent même ils leur

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