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mots que ce genre de vie est absolument nécessaire pour gagner ces infidèles, qui ne feroient nulle estime ni de la loi du vrai Dieu ni de ceux qui la prêchent s'ils nous voyoient vivre avec moins d'austérité que ne vivent leurs brames et leurs religieux. Nous conseillerez-vous de changer à cette condition? Qu'est-ce donc que notre vie, qu'il l'a faille tant ménager, après qu'un Dieu a bien voulu donner la sienne pour sauver ceux auprès de qui nous travaillons! Quand on fait réflexion que l'enfer se remplit tous les jours et que nous pouvons l'empêcher par la vie pénitente que nous menons, je vous assure qu'on n'a plus envie de l'épargner.

Quoique la vie des missionnaires soit aussi austère que je viens de vous le marquer, je vous répète encore qu'ils ne laissent pas d'avoir de grandes dépenses à faire, non pas pour leurs personnes, comme vous voyez, puisqu'ils ne boivent point de vin, qu'ils ne mangent ni pain, ni viande, ni poisson, ni œufs, et qu'ils sont vêtus d'une simple toile, mais pour les nouveaux établissemens qu'ils sont obligés de faire, pour le bâtiment des églises qu'ils élèvent au vrai Dieu dans ces terres infidèles et surtout pour l'entretien d'un grand nombre de catéchistes qui sont absolument nécessaires en ces pays. Un catéchiste est un homme que nous instruisons à fond de nos mystères et qui va devant nous de village en village apprendre aux autres ce que nous lui avons appris. Il fait un registre exact de ceux qui demandent le baptême, de ceux qui doivent approcher des sacremens, de ceux qui sont en querelle, de ceux dont la vie n'est pas exemplaire et généralement de l'état du lieu où on l'envoie. Nous arrivons ensuite, et nous n'avons plus qu'à confirmer par quelques instructions ce que le catéchiste a enseigné et qu'à faire les fonctions qui sont propres de notre ministère. Vous concevez par là l'utilité et la nécessité indispensable des catéchistes, et nous espérons que vous la voudrez bien faire comprendre à tous ceux qui s'intéressent à l'établissement de l'Évangile. Je viens de recevoir des lettres de Pondichéry qui me marquent que trois nouveaux missionnaires de notre compagnie y sont arrivés pour passer à la Chine. Le récit qu'on leur a fait des bénédictions que Dieu donne à cette nouvelle mission, et les grandes espérances que nous avons de convertir ces vastes pays et

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Je vous écris cette lettre par la voie d'Angle terre, en attendant que je le puisse faire plus au long par les vaisseaux de la royale compagnie qui partiront au mois de janvier. Je vous enverrai par celle voie les lettres originales de ce qui se passe de plus édifiant en ces quartiers. Vous y verrez le commencement de la nouvelle mission que nous avons entreprise sur le modèle de celle de Maduré, à deux journées d'ici, où se termine la mission de nos pères portugais.

Le père Mauduit est le premier qui soit allé mettre la main à l'œuvre. Il a fait son noviciat dans le Maduré même, en vivant de riz et de légumes seulement, comme vivent nos pères en ce pays-là. Il a baptisé plus de sept cents personnes pendant cinq à six mois qu'il a demeuré avec eux, et depuis qu'il est allé prendre possession de la nouvelle vigne du Seigneur, il a baptisé plus de six-vingts personnes, parmi lesquelles il y a deux brames, ce qui est une grande conquête. Il a obtenu des seigneurs de ce pays-là la permisssion de bâtir deux églises, qui sont à présent achevées. La vie qu'il mène est bien rude et bien austère, ce qui est nécessaire pour convertir ces peuples; mais ce qui lui donne beaucoup de crédit et d'entrée partout, c'est qu'il a des brames qui l'accompagnent et qui lui servent de catéchistes.

Les vaisseaux du roi nous ont apporté cette année les pères Hervieu, de La Fontaine et Noëlas, qui sont venus ici pour passer à la Chine. Le père de La Fontaine a été si édifié des travaux de nos pères et des grands biens de cette mission, qu'il a pris la résolution de demeurer parmi nous avec l'agrément des supérieurs. Il s'applique actuellement à apprendre la langue du pays, pour aller au plus tôt joindre le père Mauduit dans sa nouvelle mission. La ferveur est présentement pour la Chine; mais si nos pères avoient la même idée que nous avons de la sainte mission de Maduré, je ne doute pas qu'ils ne la préférassent aux missions de la Chine et du Canada. J'ose même vous assurer que la vie toute apostolique qu'on y mène, les souffrances et les travaux continuels auxquels on est exposé et les grands fruits qu'on y fait, passent tout ce qu'on peut dire de ces célèbres missions. Jugez-en par ce seul trait:

Depuis quatre ans et demi que le père Bouchet est dans l'église d'Aour, qu'il a fondée, il a baptisé plus de dix mille âmes. C'est une chose charmante de voir la ferveur extraordinaire avec laquelle vivent ces nouveaux chrétiens. Ils récitent tous les jours ensemble les chapelets de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge. Ils font le matin et le soir les prières et l'examen et quelques-uns même la méditation. Le père Martin, qui est depuis deux mois à Aour avec le père Bouchet, me mandoit, après trois semaines de séjour, qu'il avoit baptisé plus de soixante personnes pour sa part, qu'il ne se passoit presque aucun jour qu'il n'y eût des baptêmes et des mariages, et qu'il lui faudroit une relation entière pour me raconter tous les biens et toutes les choses édifiantes qu'il a vues dans cette mission. S'il m'envoie l'ample récit qu'il m'a promis, je vous en ferai part.

Ce même père Martin entra dans la mission de Maduré le jour de la Sainte-Trinité 1699. A la prmeière résidence où il alla, il trouva un de nos pères qui venoit d'être chassé de son église et qu'on avoit si fort maltraité qu'on lui avoit fait sauter deux dents de la bouche à force de coups, parce qu'il avoit converti et baptisé un homme d'une grande caste (c'est ainsi qu'ils appellent ce que les Juifs appeloient tribus).

J'ai reçu depuis peu une lettre du père Laynès, célèbre missionnaire du Maduré. Il étoit

allé au commencement de cette année secourir les chrétiens de Maravas, où le vénérable père Jean de Brito a été martyrisé. Le père Laynės y a passé cinq mois dans des dangers continuels, couché à l'ombre de quelque arbre ou au bord de quelque étang, où les naturels du pays viennent souvent se laver. Il les instruisoit de nos mystères, et Dieu donnoit tant de force et d'onction à ses paroles qu'en peu de mois il a baptisé quatre à cinq mille idolâtres, sans parler de plusieurs milliers de chrétiens auxquels il a administré les sacremens de la pénitence et de l'eucharistie. Il me marque qu'il ne sait comment il a pu suffire à un travail si excessif. C'est ce même père qui, revenant l'an passé d'assister les chrétiens d'Outremelour, qui est la dernière résidence de Maduré, souffrit un tourment bien douloureux et bien extraordinaire. Il avoit obtenu du durey (seigneur d'Outremelour) la permission de bâtir une église sur ses terres, vers le nord, et proche la célèbre ville de Cangibouram, qui est dans le royaume de Carnate'. Un gouverneur l'ayant arrêté, à la sollicitation de quelques Gentils, ennemis de notre sainte religion, ce barbare lâcha sur lui quelques soldats à grande gueule (c'est ainsi qu'on les appelle), qui, comme autant de chiens enragés, le mordirent jusqu'au sang partout le corps et lui firent des plaies si profondes qu'il en a été long-temps très-incommodé. Je crois vous avoir déjà mandé cette action inhumaine.

Je vous quitte pour aller baptiser trois adultes de plusieurs qui se font instruire. Je vous manderai la première fois ce que je fais ici pour rendre vénérable notre sainte religion aux Gentils, et pour les y attirer. Comme ils sont frappés singulièrement de nos fêtes et de nos cérémonies, j'imagine chaque jour quelque manière de les célébrer avec plus d'éclat et de pompe. Dans la dernière solennité du jour de l'Assomption de la sainte Vierge, vous eussiez été charmé de voir les Gentils même s'unir à nous pour contribuer à l'envi à honorer la reine du ciel. Je vous en enverrai une petite relation. Je me recommande à vos saints sacrifices, et je vous prie de croire que je suis avec bien du respect, etc.

Karnatik, présidence de Madras,

LETTRE DU P. BOUCHET

AU P. LE GOBIEN.

Efforts des ouvriers évangéliques.-Succès croissans.

A Maduré, le 1er de décembre 1700.

MON REVEREND PÈRE,

P. C.

1

Notre mission de Maduré est plus florissante que jamais. Nous avons eu quatre grandes persécutions cette année. On a fait sauter les dents à coups de bâton à un de nos missionnaires, et actuellement je suis à la cour du prince de ces terres pour faire délivrer le père Borghese, qui a déjà demeuré quarante jours dans les prisons de Trichirapali avec quatre de ses catéchistes qu'on a mis aux fers. Mais ces persécutions sont cause de l'augmentation de la religion. Plus l'enfer s'efforce de nous traverser, plus le ciel fait de nouvelles conquêtes. Le sang de nos chrétiens répandu pour Jésus-Christ est, comme autrefois, la semence d'une infinité de prosélytes.

Dans mon particulier, ces cinq dernières années, j'ai baptisé plus de onze mille personnes et près de vingt mille depuis que je suis dans cette mission. J'ai soin de trente petites églises et d'environ trente mille chétiens ; je ne saurois vous dire le nombre des confessions; je crois en avoir ouï plus de cent mille.

Vous avez souvent entendu dire que les missionnaires de Maduré ne mangent ni viande, ni poisson, ni œufs ; qu'ils ne boivent jamais de vin ni d'autres liqueurs semblables; qu'ils vivent dans de méchantes cabanes couvertes de paille, sans lit, sans siége, sans meubles ; qu'ils sont obligés de manger sans table, sans serviette, sans couteau, sans fourchette, sans cuillère. Cela paraît étonnant; mais croyez-moi, mon cher père, ce n'est pas là ce qui nous coûte le plus. Je vous avoue franchement que depuis douze ans que je mène cette vie, je n'y pense seulement pas. Les missionnaires ont ici des peines d'une autre nature, dont le père Martin vous écrira amplement l'année prochaine. Pour ce qui est de moi, je ne souffre que de n'avoir

C'est la ville où le roi de Maduré fait sa résidence ordinaire.

pas de quoi entretenir plus de catéchistes, qui m'aideroient à travailler à la conversion des âmes. J'ai un déplaisir que je ne puis vous expliquer, quand je vois venir des idolâtres de plusieurs cantons, qui me demandent des mattres pour leur enseigner la loi de Dieu, et que je ne puis ni me multiplier moi-même ni multiplier mes catéchistes, faute de ce qui serait nécessaire à leur subsistance. Parvuli petierunt panem, et non erat qui frangeret eis. Ainsi je sèche de douleur de voir périr des âmes pour lesquelles Jésus-Christ a répandu son sang. Hélas! mon cher père, est-il possible qu'on ne sera point sensible à leur perte! J'ai vendu cette année un calice d'argent que j'avais, pour me donner un catéchiste de plus. Vous me demanderez ce que je veux, je vous réponds que je ne veux rien pour moi, mais rien, vous dis-je, rien du tout ce que je souhaite, et ce que je vous demande par les entrailles de Jésus-Christ, c'est de me procurer autant d'aumônes que vous pourrez pour ces catéchistes, et comptez qu'un catéchiste de plus ou de moins est une chose de la dernière conséquence. Je me recommande instamment à vos saints

sacrifices, et je suis avec bien du respect, etc.

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d'un ennemi mortel des chrétiens. Celui-ci se mit dans l'esprit de pervertir le nouveau chrétien et de le ramener au culte des idoles ; mais voyant ses prières, ses promesses et ses menaces également inutiles et que rien ne pouvoit faire perdre à son parent le précieux don de la foi, il tourna toute sa fureur contre le missionnaire qui l'avoit converti, et résolut de le perdre avec tous les chrétiens. Dans ce dessein, il présenta une requête au gouverneur de la province, dans laquelle il demandoit qu'on arrêtat le docteur étranger qui séduisoit les peuples et qui empêchoit qu'on adorât les dieux du pays.

L'or qu'il fit briller aux yeux de cet officier intéressé le rendit plus zélé et plus vif qu'il n'eût apparemment été. Une compagnie de ses gardes eut ordre de s'assurer au plus tôt du missionnaire. Cette troupe, animée par l'auteur de la persécution, qui se mit à leur tête, vient fondre pendant la nuit sur la maison, y entre avec violence, la pille et la saccage, sans que le père de Saa pût dire une parole, quand il l'aurait voulu. Il étoit arrêté par une fluxion violente, qui, s'étant jetée sur la gorge et sur le cou, lui avoit ôté l'usage de la voix. Son état douloureux ne toucha point ces barbares, ils l'arrêtèrent avec tous ses catéchistes et le traînérent avec ignominie à la maison du gouverneur. Cet officier fit au père de grands reproches de ce qu'il venoit suborner les peuples et détruire une religion qu'on professoit, disoit-il, dans tout le pays depuis plus de deux cent mille ans; que pour venger l'honneur de ses dieux offensés, il le condamnoit à avoir sans délai le nez et les oreilles coupées. C'étoit vouloir ôter au missionnaire toute créance et le mettre hors d'état de se faire écouter, car ce supplice rend infâme dans les Indes non-seulement celui qui l'endure, mais ceux encore qui auroient le moindre commerce avec un homme ainsi mutilé.

Cet ordre barbare alloit s'exécuter, et un soldat avoit déjà le sabre à la main, lorsqu'un des juges s'avisa de dire au gouverneur qu'il valoit mieux casser les dents à ce blasphémateur, pour proportionner en quelque sorte le châtiment au crime qu'il avoit fait de décrier leurs dieux. Le gouverneur, qui goûta cette raison, ordonną sur-le-champ à deux soldats de lui faire sauter les dents de la bouche à coups de poing, ou, si cela ne suffisoit pas, avec un ins

trument de guerre qu'un d'eux tenoit alors à la main. Les soldats, plus humains que leurs maîtres, frappèrent le père, mais ils le faisoient mollement, et plusieurs coups ne portoient point. Le gouverneur s'en aperçut, et les menaçant de son sabre, il ne fut content qu'après qu'on eut cassé au père quatre ou cinq dents. La multitude des coups qu'il reçut sur la tête et sur le visage, et que sa fluxion rendoit infiniment douloureux, fit craindre qu'il n'expiråt entre les mains de ses bourreaux; il éleva plus d'une fois les yeux et les mains au ciel, et offrit sa vie à Dieu, en le priant de vouloir bien éclairer ces pauvres aveugles.

Les catéchistes, les mains liées derrière le dos, assistèrent au supplice de leur maître. On tâcha de les intimider; on ne réussit pas, et ils marquèrent tous avoir de la peine de n'y pas participer. Il y en eut même un qui, plus courageux que les autres, s'avança, et se mettant entre le père et les soldats, leur dit d'un ton de voix élevé : « Pourquoi veut-on nous épargner? c'est nous, bien plus que notre maître, qui devons être punis, puisque c'est nous qui l'avons amené dans ce pays et qui l'aidons en tout ce qu'il fait pour la gloire du créateur du ciel et de la terre que nous adorons. » Le gouverneur ne put souffrir la sainte liberté du catéchiste, il le fit meurtrir de coups, et dans le transport de sa colère, il est certain qu'il l'eût fait mourir aussi bien que le père s'il en eût eu l'autorité.

Après cette première exécution, on les renvoya tous en prison, dans l'espérance d'en tirer quelque grosse somme d'argent; mais le père manda qu'il faisoit profession de pauvreté, qu'on ne devoit rien attendre de lui ni de ses disciples, et que, d'ailleurs, il leur étoit si glorieux de souffrir pour la cause du Seigneur du ciel et de la terre, qu'ils donneroient volontiers de l'argent, s'ils en avoient, pour obtenir qu'on augmentât leurs supplices et qu'on voulût même leur ôter la vie. Une réponse si ferme déconcerta le gouverneur, qui se contenta de bannir le père de Saa des terres de son gouvernement et de faire encore quelque mauvais traitement à ses catéchistes. La sentence du père portoit qu'on chassoit ce prédicateur étranger parce qu'il méprisoit les grands dieux du pays et qu'il faisoit tous ses efforts pour détruire le culte qu'on leur rendoit.

C'est ainsi que ce saint missionnaire sortit de prison. Il avoit la tête et le visage si extraordi

nairement enflés qu'on auroit eu peine à le reconnoître. Les soldats qui avoient ordre de le conduire jusqu'au lieu de son exil ne purent le voir dans un état si pitoyable sans en être touchés de compassion et sans lui demander pardon des mauvais traitemens qu'ils lui avoient faits malgré eux. Le père, attendri, leur donna sa bénédiction et pria Notre-Seigneur de dissiper les ténèbres de leur ignorance.

Il se mit ensuite en chemin ; mais comme sa foiblesse étoit extrême et comme il tomboit presque à chaque pas, les soldats s'offrirent à le porter tour à tour dans leurs bras. Il ne le voulut pas, et il se traîna comme il put jusqu'au terme de son bannissement.

Je le trouvai presque guéri de ses plaies quand j'arrivai à Camien-naiken-patty. Ses dents, qui avoient été toutes ébranlées, lui causoient encore des maux très-aigus; mais la douleur ne lui ôtoit rien de sa gaîté ni du désir ardent qu'il avoit de rentrer dans le champ de bataille à la première occasion qui se présenteroit.

Le gouverneur qui l'avoit jugé ressentit bientôt les effets de la vengeance de Dieu. Le tonnerre tomba deux fois sur sa maison, désola ses troupeaux et lui tua, entre autres, une vache qu'il faisoit nourrir avec beaucoup de superstition. Cette mort le toucha sensiblement; mais ce qui augmenta sa douleur fut que le même coup de tonnerre qui frappa cet animal si cher fit disparoître une grosse somme d'or qui étoit le fruit de son avarice et de ses tyrannies.

Enfin, pour mettre le comble à sa désolation, on lui ôta, presqu'au même temps, son gouvernement pour une raison que je n'ai pas su, on le mit aux fers et on le condamna à payer une grosse amende.

Un soldat qui avoit paru plus ardent que les autres à tourmenter le père en fut puni d'une manière moins funeste. Il fut blessé dan gereusement à la chasse, et regardant cet accident comme une punition de sa cruauté, il pria un de ses parens d'aller se jeter aux pieds du missionnaire, de lui demander pardon en son nom et de le supplier de procurer quelque soulagement à son mal. Le père le fit avec joie et lui envoya sur-le-champ des remèdes par un de ses catéchistes. Ces châtimens étonnèrent les Gentils et donnèrent une haute idée du pouvoir du Seigneur du ciel, qui protégeoit si vi

siblement ses serviteurs et ceux qui lui étoient recommandés de leur part.

Après avoir demeuré près d'un mois à Camien-naiken-patti, à cause des troubles du royaume, qui rendoient les chemins impraticables, j'en partis pour me rendre à Aour, qui est la principale maison de la mission de Maduré.

Le père Bouchet, qui a soin de cette maison et à qui je suis en partie redevable de la grâce que les pères portugais m'ont faite de me recevoir dans leur mission, ayant appris que j'étois arrivé sur la frontière de Maduré, mais que les troupes répandues dans le royaume, à cause de la guerre, m'empêchoient de l'aller joindre, envoya au devant de moi un fervent chrétien qui connoissoit parfaitement toutes les routes. Je me mis sous la conduite de ce guide, qui me fit bientôt quitter le grand chemin pour entrer dans le pays de la caste des Voleurs'. On la nomme ainsi parce que ceux qui la composent faisoient autrefois métier de voler sur les grands chemins. Quoique la plupart de ces gens-là se soient faits chrétiens et qu'ils aient aujourd'hui horreur de l'ombre même du vol, ils ne laissent pas de retenir leur ancien nom, et les voyageurs n'osent encore passer par leurs forêts. Les premiers missionnaires de Maduré furent assez heureux pour gagner l'estime de cette caste, de sorte qu'à présent il n'y a guère de lieu dans le royaume où nous soyons mieux reçus et plus en sûreté que dans leurs bois. Si quelqu'un, je dis de ceux mêmes qui ne sont point encore convertis, étoit assez téméraire pour enlever la moindre chose aux docteurs de la loi du vrai Dieu, on en feroit un châtiment exemplaire. Cependant comme l'ancienne habitude et l'inclination naturelle ne se perdent pas si vite ni si aisément, on éprouve longtemps ceux qui demandent à se faire chrétiens; mais quand une fois ils le sont, on a la consolation de voir que, bien loin d'exercer leurs brigandages ou de faire le moindre tort à qui que ce soit, ils détournent autant qu'ils peuvent leurs compatriotes de ce vice.

Depuis quelques années cette caste des Voleurs est devenue si puissante qu'elle s'est rendue comme indépendante du roi de Maduré, en sorte qu'elle ne lui paie que ce qu'elle juge à propos. Il n'y a que deux ans que les

C'est le Marava habité par les Koulys.

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