enlèvent de force le peu de traite qu'ils font chez | pourroit prendre pour faire chez eux un éta les François, lorsqu'ils travaillent pour eux. Ce que cette nation a de singulier c'est que presque tous ceux qui la composent, hommes et femmes, sont couverts d'une espèce de lè pre, c'est-à-dire que leur épiderme n'est qu'une dartre farineuse qui se lève comme par écailles. Je vous avoue qu'on ne peut guère rien voir de plus affreux ni de plus dégoûtant. On trouve parmi les Palikours une autre nation de cette espèce qu'on nomme Mayels; nous serons apparemment obligés de bâtir pour eux une église particulière, parce que leur lepre qui flue de temps en temps répand une odeur si désagréable que les autres Indiens ne pourroient pas s'y accoutumer. Ce sont pourtant des âmes rachetées par le précieux sang de Jésus-Christ qui animent des corps si hideux et qui par-là méritent tous. nos soins. Prions le Seigneur qu'il remplisse de son esprit ceux qui seront employés à leur con7ersion. Je sortis le lundi de Tapamourou, et je couchai dans un petit bosquet sur l'un des bords du Ouassa; il me fallut y coucher encore le lendemain, parce que m'étant avancé jusqu'au milieu d'une crique qui conduisoit à d'autres habitations, l'eau qui y manquoit m'obligea de retourner sur mes pas. Le mercredi, j'arrivai chez un Indien nommé Coumarouma, qui m'avoit invité de l'aller voir et qui m'avoit même offert son emplacement pour y établir une mission mais il n'est pas, à beaucoup près, si convenable que le haut du Ouassa dont j'ai parlé. Comme cet Indien étoit venu à Kourou et avoit été témoin de la charité des missionnaires pour leurs néophytes, nous nous entretinmes long-temps des mesures qu'on : Les Palikours étaient à l'est des Pirious et des Mayez. Ceux-ci habitaient la côte et dans les terres basses et marécageuses, ceux-là dans les savanes et les hautes terres. Les Brésiliens leur ont fait une chasse à outrance et tout ce qu'ils ont pu saisir de ces peuplades ils P'ont transporté ailleurs et plus avant dans l'intérieur. Cette partie de la côte e tre l'Ouyapoc et l'Amazone, qui dépendait de la Guyane française, est depuis le traité de Vienne passé aux Portugais du Brésil. Cependant les sauvages de cette contrée gardaient une affection vive pour les Français, et c'est une des causes principales qui les ont fait traiter sans pitié par le gouvernement brésilien. blissement. Je lui dis, entre autres choses, que les pyayes, qui sont une espèce d'enchanteurs et de magiciens, étoient entièrement bannis de la mission du père Lombard, et que je n'en connoissois qu'un seul qui eût la réputation de l'être. Je le lui nommai: il le connoissoit; sachant qu'il étoit borgne : « Quoi! me dit-il en riant, un tel est pyaye? Et comment peut-il voir le diable, n'ayant qu'un œil ? » Cette plaisanterie de sa part me fit d'autant plus de plaisir qu'elle me confirma ce que je savois déjà, que les Palikours ne peuvent souffrir ces sortes de jongleurs aussi les ont-ils tous fait périr, et il n'y a pas long-temps qu'une troupe de femmes en tuèrent un qui étoit de la nation des Caranarious, parce qu'elles le soupçonnèrent de vouloir exercer sur elles son art magique. Le jeudi j'allai coucher à l'embouchure du Roucaoua, dans l'espérance de gagner le lendemain de bonne heure quelques habitations de sauvages; mais mon attente fut trompée, et il fallut coucher dehors cette nuit-là ; cependant, ne pouvant me résoudre à dormir dans le canot, nous mîmes pied à terre et nous suspendîmes comme nous pûmes nos hamacs parmi les joncs et les broussailles, et le lendemain samedi, après avoir navigué toute la matinée avec beaucoup de peine et de fatigues, nous découvrîmes enfin des abatis de bois, et peu de temps après, des cases de sauvages. J'en connoissois plusieurs que j'avois vus au fort, et ils me reçurent fort bien. Je dis la messe le lendemain, et ce fut un grand sujet de satisfaction, surtout pour les femmes, les jeunes gens et tous ceux qui n'avoient jamais vu célébrer nos saints mystères. Je leur fis une explication succincte, avec un petit discours sur la nécessité d'embrasser la foi pour entrer dans la voie du salut. J'employai le reste de la journée et le lundi suivant à parcourir les carbets épars de côté et d'autre. J'y rencontrai un déserteur d'une des missions portugaises, qui sont sur les bords du fleuve des Amazones : il étoit venu s'établir là avec toute sa famille. Ce bon homme me fit une politesse à laquelle je n'avois pas lieu de m'attendre et qui me fit connoftre le soin qu'ont les Portugais de civiliser les sauvages qu'ils rassemblent. Du plus loin qu'il m'aperçut, il vint au-devant de moi, tenant à la main une petite baguette dont il se servoit pour secouer la rosée des herbes qui bordoient le sentier par où je passois, ne voulant pas, me dit-il ensuite, que, puisque je prenois la peine de le visiter, mes habits en fussent endommagés. Le mardi, je retournai sur mes pas et j'allai chez des sauvages que je n'avois pu voir en entrant dans la rivière de Roucaoua. Depuis que je suis dans ce pays et que je fréquente les sauvages, je n'en ai point vu de si sales, ni de si malproprement logés: aussi le lendemain, dès que j'eus dit la messe, nous nous embarquâmes pour nous rendre à l'embouchure du Couripi. Quoiqu'il n'y ait point d'Indiens établis sur cette rivière, j'aurois bien voulu avoir le temps de la remonter, pour examiner le terrain, ayant ouï dire qu'il y avoit vers sa source une vaste montagne nommée Oucaillari, où une mission seroit très bien placée. Mais les fêtes de Noël me rappeloient à Ouyapoc. Les Palikours ont des coutumes assez singulières, mais dont nous ne pourrons être instruits que quand nous demeurerons avec eux. Il y en a deux principalement qui me frapperent la première c'est que les enfans måles vont tout nus jusqu'à l'âge de puberté : alors on leur donne la camisa: c'est une aune et demie de toile qu'ils se passent entre les cuisses et qu'ils laissent pendre devant et derrière, par le moyen d'une corde qu'ils ont à la ceinture, Avant que de recevoir la camisa, ils doivent passer par des épreuves un peu dures: on les fait jeûner plusieurs jours, on les retient dans leur hamac, comme s'ils étoient malades, et on les fouette fréquemment, et cela, disent-ils, sert à leur inspirer de la bravoure. Ces cérémonies achevées, ils deviennent hommes faits. : L'autre coutume, qui me surprit bien davantage, c'est que les personnes du sexe y sont entièrement découvertes elles ne portent jusqu'au temps de leur mariage qu'une espèce de tablier d'environ un pied en quarré, fait d'un tissu de petits grains de verre, qu'on nomme rassade. Je ne sache point que dans tout ce continent il y ait aucune autre nation où règne une pareille indécence J'espère qu'on aura peu de peine à leur faire quitter un usage si contraire à la raison et à la pudeur naturelle. Nous donnerons d'abord des juppes à toutes les femmes, et il y a lieu de croire qu'elles s'y accoutumeront, car j'en ai déjà vu quelquesunes en porter; elles seront bien plus honnêtement couvertes qu'avec leur tablier. Nous Les lettres qui me sont venues d'Europe en différens temps et de diverses personnes me donnent lieu de croire qu'on n'y a pas une idée assez juste de cette mission ni du genre de travaux que demande la conversion de nos sauvages. Quelques-uns s'imaginent que nous parcourons les villes et les bourgades à peu près comme il se pratique en Europe, où de zélés missionnaires, par de ferventes prédications, s'efforcent de réveiller les pécheurs qui s'endorment dans le vice, et d'affermir les justes dans les voies de la piété. D'autres, qui sont plus au fait de la situation de cette partie du monde, croient qu'un missionnaire, sans se fixer dans aucun endroit, court sans cesse dans les bois après les infidèles, pour les instruire et leur donner le baptême. Cette idée, comme vous le savez, mon révérend père, n'est rien moins que conforme à la vérité. Etre missionnaire parmi ces sauvages, c'est en assembler le plus qu'il est possible, pour en former une espèce de bourgade, afin qu'étant fixés dans un lieu, on puisse les former peu à peu aux devoirs de l'homme raisonnable, et aux vertus de l'homme chrétien. Ainsi, quand un missionnaire songe à établir une peuplade, il s'informe d'abord où est le gros de la nation qui lui est échue en partage; il s'y transporte et il tâche de gagner l'affection des sauvages par des manières alfables et insinuantes; il y joint des libéralités, en leur faisant présent de certaines bagatelles qu'ils estiment; il apprend leur langue s il ne la sait pas encore, et après les avoir préparés au baptême par de fréquentes instructions, il leur confère ce sacrement de notre régénération spirituelle. Il ne faut pas croire que tout soit fait alors et qu'on puisse les abandonner pour quelque temps. Il y auroit trop à craindre qu'ils ne retournassent bientôt à leur première infidélité: c'est la principale différence qu'il y a entre les missionnaires de ces contrées et ceux qui travaillent auprès des peuples civilisés. On peut compter sur la solidité de ceux-ci et s'en séparer pour un temps, au moyen de quoi on entretient la piété dans des provinces entières; au lieu qu'après avoir rassemblé le troupeau, si nous le perdions de vue, ne fût-ce que pour quelques mois, nous risquerions de profaner le premier de nos sacremens et de voir périr pendant ce temps-là tout le fruit de nos tra vaux. Qu'on ne me demande donc pas combien nous baptisons d'Indiens chaque année. De ce que je viens de dire il est aisé de conclure que quand une chrétienté est déjà formée, on ne baptise plus guère que les enfans qui y naissent ou quelques néophytes qui, par leur négligence à se faire instruire ou par d'autres raisons, méritent de longues épreuves, pour ne pas se rendre tout-à-fait indignes de ce sa crement. Vous n'ignorez pas, mon révérend père, ce que les missionnaires ont à souffrir, surtout dans des commencemens si pénibles: la disette des choses les plus nécessaires à la vie, quelque désir qu'aient les supérieurs de pourvoir à leurs besoins; les incommodités et les fatigues des fréquens voyages qu'ils sont obligés de faire pour réunir ces barbares en un même lieu; l'abandon général dans les maladies et le défaut de secours et de remèdes. Ce n'est là néanmoins que la moindre partie de leurs croix. Que ne leur en doit-il pas coûter de se voir éloignés de tout commerce avec les Européens et d'avoir à vivre avec des gens sans mœurs et sans éducation, c'est-à-dire avec des gens indiscrets, importuns, légers et inconstans, ingrats, dissimulés, lâches, fainéans, malpro pres, opiniâtrement attachés à leurs folles superstitions, et pour tout dire en un mot, avec des sauvages! Que de violences ne faut-il pas se faire! que d'ennuis, que de dégoûts à essuyer! que de complaisances forcées ne faut-il pas avoir! combien ne doit-on pas être maître de soi-même! Un missionnaire, pour se faire goûter de ses sauvages, doit en quelque sorte devenir sauvage lui-même. Il faut pourtant vous l'avouer, mon réverend père, on est amplement dédommagé de toutes ces peines, non-seulement par la joie intérieure qu'on ressent de coopérer avec Dieu au salut de tant d'âmes qui ont toutes coûté le précieux sang de Jésus-Christ, mais encore par la satisfaction que l'on a de voir plusieurs de ces infidèles qui, ayant une fois embrassé la foi, ne se démentent jamais de la pratique exacte des devoirs du christianisme. En sorte qu'il arrive en cela, comme en bien d'autres choses, que les racines sont amères et que les fruits sont doux. C'est en suivant ce plan que nous venons de faire, le père Bessou et moi, un assez long voyage chez les Indiens, qui sont au haut des rivières d'Ouyapoc et de Camopi, afin de les engager à se réunir et à se fixer dans une bourgade où l'on puisse les instruire des vérités de la religion. C'est un projet que j'avois formé il y a long-temps, et que je n'ai pu exécuter plus tot parce que les Palikours et les nations plus voisines ont attiré jusqu'ici toute mon attention. Mais des personnes, à l'autorité desquelles je dois déférer, ont jugé qu'il ne falloit pas différer plus long-temps de travailler à la conversion des Ouens, des Coussanis et des Tarouppis, qui sont répandus le long de ces deux rivières. J'ai lieu de croire que Dieu bénira cette entreprise. Je partis donc le 3 novembre de l'année dernière pour me rendre à la mission de SaintPaul, où je devois m'associer le père Bessou. Je fus agréablement surpris de trouver ce village beaucoup plus nombreux qu'il ne l'étoit la dernière fois que j'y allai: outre plusieurs familles de Pirious, de Palanques et de Macapas, qui s'y sont rendues de nouveau, la nation des Caranes y est maintenant établie tout entière et en fait un des plus beaux ornemens, car, de toutes ces nations barbares, c'est celle où l'on trouve plus de disposition à la vertu. Coussaris, à l'est de la Guyane française. Mais ce qui me toucha infiniment, ce fut de voir l'empressement extraordinaire de ces peuples à se faire instruire. Au premier coup de cloche qu'ils entendent, il se rendent en foule à l'église, où leur attention est extrême. Le temps qu'on emploie matin et soir à leur faire des catéchismes réglés leur paroît toujours trop court à plusieurs, et il faut que le missionnaire ait encore la patience de leur répéter en particulier ce qu'il leur a expliqué dans l'instruction publique. Une si grande ferveur, si peu conforme au génie et au caractère de ces nations, me fait croire que la chrétienté de SaintPaul deviendra un jour très-florissante. Après avoir demeuré trois jours dans la mis sion de Saint-Paul, nous nous mîmes en route, le père Bessou et moi, chacun dans notre canot. Dès la première journée je trouvai un fameux pyaye, nommé Canori, qui s'est fort accrédité parmi les sauvages, et avoit eu l'audace, pendant une courte absence du père Dayma, de venir dans sa mission de SaintPaul et de faire ses jongleries tout autour de la case qu'il avoit nouvellement construite pour son logement. Je tâchai de savoir quelles avoient été ses intentions, mais ce fut inutilement on ne tire jamais la vérité de ces sortes de gens accoutumés de longue main à la perfidie et au mensonge. Ainsi, prenant le ton qui convenoit, je lui remis devant les yeux les impostures qu'il mettoit en œuvre pour abuser de la simplicité d'un peuple crédule, en le menaçant que s'il approchoit jamais de la peuplade de Saint-Paul, il y trouveroit le châtiment que méritoient ses fourberies. Ce qui met en crédit ces sortes de pyayes, c'est le talent qu'ils ont de persuader aux Indiens, surtout quand ils les voient attaqués de quelque maladie, qu'ils sont les favoris d'un esprit beaucoup supérieur à celui qui tourmente le malade; qu'ils vont monter au ciel pour appeler cet esprit bienfaisant, afin qu'il chasse l'esprit malin, seul auteur des maux qu'il souffre; mais, pour l'ordinaire, ils se font payer d'avance et très-chèrement leur voyage. Ainsi, que le malade vienne à mourir entre leurs mains, ils sont toujours sûrs de leur salaire. Le 11 du même mois, nous entrâmes dans la rivière de Camopi, environ sur les sept heures du matin, laissant la rivière d'Ouyapoc à notre gauche, et nous réservant à la monter à notre retour. Le Camopi est une assez grande rivière, moins grande que l'Ouyapoc, mais beaucoup plus facile à naviguer. Il y a pourtant des sauts en quantité; nous en traversâmes un surtout le 15 qui étoit fort long et très-dangereux quand les eaux sont grandes. Aussi ne s'avise-t-on guère de le franchir alors, principalement quand on a des marchandises on aime mieux faire des portages, quelque pénibles qu'ils soient, et c'est à quoi ne manquent jamais ceux qui vont chercher le cacao. J'aurois peine à vous exprimer le profond silence qui règne le long de ces rivières; on fait des journées entières sans presque voir ni entendre aucun oiseau. Cependant cette solitude, quelque affreuse qu'elle paroisse d'abord, a je ne sais quoi dans la suite qui dissipe l'ennui. La nature, qui s'y est peinte elle-même dans toute sa simplicité, fournit à la vue mille objets qui la récréent. Tantôt ce sont des arbres de haute futaie, que l'inégalité du terrain présente en forme d'amphithéâtre, et qui charment les yeux par la variété de leurs feuilles et de leurs fleurs. Tantôt ce sont de petits torrens ou cascades, qui plaisent autant par la clarté de leurs eaux que par leur agréable murmure. Je ne dissimulerai pas pourtant, mon révérend père, qu'un pays si désert inspire quelquefois je ne sais quelle horreur secrète, dont on n'est pas tout-à-fait le maître, et qui donne lieu à bien des réflexions. Combien de fois me disois-je dans mes sombres rêveries, comment est-il possible que la pensée ne vienne point å tant de familles indigentes, qui souffrent en Europe toutes les rigueurs de la pauvreté, de venir peupler ces vastes terres qui, par la dou-ceur du climat et par leur fécondité, semblent ne demander que des habitans qui les cultivent. Un autre plaisir bien innocent que nous goûtâmes dans ce voyage, c'est que, les eaux étant fort basses et fort claires, nous vfmes souvent des poissons se jouer sur le sable et s'offrir d'eux-mêmes à la flèche de nos gens, qui ne nous en laissèrent pas manquer. Ce fut le 16 que nous nous trouvâmes aux premières habitations des Ouens, ou Ouayes. Ces pauvres gens nous firent un très-bon accueil; toutes les démonstrations d'amitié dont un sauvage est capable, ils nous les donnèrent. Ils parurent charmés de la proposition que nous leur fimes de venir demeurer avec eux pour les instruire des vérités chrétiennes et leur procurer le même bonheur qu'aux Pirious. Ils se regardoient les uns les autres et se marquoient leur étonnement de ce que, loin de leur rien demander, nous leur faisions présent de mille choses qui, en elles-mêmes, étoient de peu de valeur, mais dont les sauvages sont fort curieux. Il n'y en eut aucun d'eux qui ne promît de venir défricher des terres dans l'endroit que nous avons choisi, c'est-à-dire dans cette langue de terre que forme le confluent des rivières d'Ouyapoc et de Camopi. J'avois déjà jeté les yeux sur cet emplacement en l'année 1729. Mais aujourd'hui que je l'ai examiné de près, je ne crois pas qu'on puisse trouver un endroit plus commode et plus propre à y établir une peuplade. Il plut également au père Bessou, qui est destiné à gouverner cette peuplade quand les Indiens y seront rassemblės. 1 Nous nous arrêtâmes le 17 pour nous reposer ce jour-là et pour renouveler nos petites provisions, qui commençoient à nous manquer. Le lendemain matin nous reprîmes notre route. Nous passâmes devant une petite rivière nommée Tamouri, que nous laissâmes à notre droite. Il faut la remonter pendant trois jours et marcher ensuite trois autres jours dans les terres pour aller chez une nation qu'on nomme Caïcoucianes, dont la langue approche assez du langage galibi et est la même que celle des Armagatous. Nous aurions bien voulu visiter ces pauvres infidèles, mais les eaux étoient trop basses et ce n'étoit pas là le principal but de notre voyage. Nous nous contentâmes de lever les mains au ciel pour prier le père des miséricordes de bénir les vues que nous avons de les réunir aux autres nations que nous devons rassembler. J'ai lieu de croire qu'ils ne sont point éloignés du royaume de Dieu. Quelques-uns d'eux ayant visité la peuplade de Saint-Paul, ont été si contens de ce qu'ils y ont vu, que je ne doute pas qu'ils ne descendent bientôt à l'embouchure de leur rivière, pour se transporter au lieu où l'on fixera la nouvelle mission, surtout si les Armagatous veulent pareillement y venir. Quelques-uns de la nation des Ouens doivent aller leur rendre visite et les y inviter de ma part. Ce jour-là même, à une heure après midi, nous arrivâmes à l'habitation d'Ouakiri, chef Les Galibis sont à l'ouest de la Guyane française. de toute la nation des Ouens, qui souhaitoit avec ardeur de voir un missionnaire parmi ses poïtos (c'est ainsi qu'on nomme les sujets d'un capitaine indien). Nous eûmes la douleur d'ap-` prendre qu'il y avoit quatre mois que la mort l'avoit enlevé. Il étoit enterré dans un spacieux tabout' tout neuf, où nous passâmes la nuit. Ce que j'y remarquai de singulier, c'est que la fosse étoit ronde et non pas longue, comme elles le sont d'ordinaire. En ayant demandé la raison, on me répondit que l'usage de ces peuples étoit d'inhumer les cadavres comme s'ils étoient accroupis. Peut-être que la situation recourbée où ils sont dans leurs hamacs courts et étroits a introduit cette coutume; peut-être aussi que la paresse y a bonne part, car il ne faut pas alors remuer tant de terre. Quoi qu'il en soit, la nation des Ouens et le missionnaire qui va travailler à leur conversion ont fait une grande perte dans la personne d'Ouakiri. C'étoit un homme plein de feu, ami des François, aspirant au bonheur d'écouter nos instructions et ayant plus d'autorité sur ceux de sa nation que n'en ont communément les capitaines parmi les sauvages. Nous nous flattons néanmoins que cette perte n'est point irréparable, car nous nous sommes aperçus que ses enfans et son frère ont hérité de lui les mêmes senti mens. Comme nous ne connaissions point d'autre nation au-delà du lieu où nous étions, il fallut songer au retour : nous descendîmes la rivière de Camopi, et le 23 nous entrâmes dans celle d'Ouyapoc, quoique nos gens se fussent arrêtés quelques heures pour chasser les cabiais, que les Pirious nomment cabionara. C'est un animal amphibie qui ressemble à un gros marcassin. On en tua deux dans l'eau à coups de fusil et de flèche. Cette chasse pensa nous coûter cher. Comme on faisoit boucaner cette viande pendant la nuit, selon l'usage des Indiens, dans le bois où nous étions couchés, nous fùmes réveillés brusquement par les cris de tigres, qui ne sembloient pas être éloignés sans doute qu'ils étoient attirés par l'odeur de la viande. Nous allumâmes à l'instant de grands feux qui les écartèrent. Il s'en faut bien que les eaux de l'Ouyapoc soient aussi ramassées que celles du Camopi. On trouve à tout moment dans l'Ouyapoc des Espèce de case. |