cette faveur doit être pour moi un nouvel engagement de m'employer tout entier à son service jusqu'au dernier soupir de ma vie. J'ai recueilli cette année des fruits abondans et j'ai eu beaucoup plus à souffrir que les années précédentes aussi suis-je dans un champ bien plus fertile en ces sortes de moissons, c'est le Marava, grand royaume tributaire de celui de Maduré. Le prince qui le gouverne n'est pourtant tributaire que de nom, car il a des forces capables de résister à celles du roi de Maduré si celui-ci se mettoit en devoir d'exiger son droit par la voie des armes. Il règne avec un pouvoir absolu et tient sous sa domination divers autres princes qu'il dépouille de leurs états quand il lui plaît. Le roi de Marava est le seul de tous ceux qui règnent dans la vaste étendue de la mission de Maduré qui ait répandu le sang des missionnaires : il fit trancher la tête, comme vous savez, au père Jean de Brito, Portugais, célèbre par sa grande naissance et par ses travaux apostoliques. La mort du pasteur attira alors une persécution cruelle sur son troupeau, mais elle est cessée depuis quelques années, et la mission du Marava est maintenant une des plus florissantes qui soient dans l'Inde. Le père Lainez, à présent évêque de Saint-Thomé, a cultivé cette chrétienté pendant quelque temps: il eut pour successeur le père Borghèse, de l'illustre famille qui porte ce nom; mais ce missionnaire, dont la santé étoit ruinée par de continuels travaux, fut contraint de se retirer et c'est sa place que j'occupe depuis un an. Cinq missionnaires suffiroient à peine pour cultiver une mission d'une si vaste étendue ; mais le manque de fonds nécessaires pour leur entretien, joint à la crainte qu'on a d'irriter le prince par la multitude d'ouvriers évangéliques, a obligé nos supérieurs à charger un seul missionnaire de tout ce travail. En deux mois et demi de temps j'ai baptisé plus de onze cents infidèles et j'ai entendu les confessions de plus de six mille néophytes. La famine et les maladies ont désolé ce pays, ce qui n'a pas peu redoublé mes fatigues, car le nombre des malades et des mourans ne me permettoit pas de prendre un moment de repos. Mais rien n'égaloit la vive douleur que je ressentois de voir que, quelque peine que je me donnasse, quelque diligence que je fisse, il y en avoit toujours quelqu'un qui mouroit sans que je pusse lui administrer les derniers sacremens. Dans les continuels voyages qu'il me falloit faire pour visiter les chrétiens, la disette, qui est partout extrême, étoit pour moi un autre sujet d'affliction. Ces pauvres gens se croiroient heureux s'ils trouvoient chaque jour un peu de riz cuit à l'eau avec quelques légumes insipides. Je me suis vu souvent obligé de m'en priver moi-même pour soulager ceux qui étoient sur le point de mourir de faim à mes yeux. Rien de plus commun que les vols et les meurtres, surtout dans le district que je parcours actuellement. Il y a peu jours qu'arrivant sur le soir dans une petite bourgade, je fus fort étonné de me voir suivi de deux néophytes qui portoient entre leurs bras un Gentil percé de douze coups de lance, pour avoir été surpris cueillant deux ou trois épis de millet. Je le trouvai tout couvert de son sang, sans pouls et sans parole: quelques petits remèdes que je lui donnai le firent revenir, et lui ayant annoncé Jésus-Christ et la vertu du baptême, il me demanda avec instance de le recevoir. Je l'y disposai autant que son état le permettoit, et je me hâtai ensuite de le baptiser, dans la crainte qu'il n'expirât entre mes bras. Il se trouva là par hasard un homme qui se disoit médecin ; je lui donnai quelques fanons afin qu'il bandat les plaies de ce pauvre moribond et qu'il en prît tout le soin possible. Je passai le reste de la nuit, partie à confesser un grand nombre de néophytes, partie à administrer les derniers sacremens à quelques malades. Je partis le lendemain de grand matin pour un autre endroit dont le besoin étoit plus pressant. A peine fus-je arrivé que ma cabane et la petite église furent environnées de quinze voleurs comme elles étoient enfermées d'une haie vive très-difficile à forcer et que d'ailleurs deux néophytes qui s'y trouvèrent firent assez bonne contenance, les voleurs se retirèrent et j'eus le loisir de rassembler les chrétiens d'alentour. Je visitai ceux qui étoient malades et je célébrai avec les autres la fête de tous les Saints. Je ne pus demeurer que deux jours parmi eux; ma présence étoit nécessaire dans une autre contrée assez éloignée, où il y avoit encore plusieurs malades. Mais je fus bien surpris lorsqu'en sortant de ma cabane j'aperçus ce pauvre homme dont je viens de parler et que je croyois mort de ses blessures. Ses plaies étoient fermées, et de tous les coups de lance qu'il avoit reçus, il n'y en avoit qu'un seul qui lui fit de la douleur. Il n'étoit venu me trouver dans cet état que par l'impatience qu'il avoit de se faire instruire; mais ne pouvant le satisfaire moi-même, je le mis entre les mains d'un catéchiste, avec ordre de me l'amener dès que je serois de retour, afin de suppléer aux cérémonies du baptême, que je n'avois pas eu le temps de faire, à cause du danger extrême où il étoit. Je partis donc pour pénétrer plus avant dans le pays des voleurs, car c'est ainsi que s'appelle le lieu que je parcours maintenant : il me fallut traverser une grande forêt avec beaucoup de risques; dans l'espace de deux lieues, on me montra divers endroits où il s'étoit fait tout récemment plusieurs massacres ; outre la parfaite confiance qu'un missionnaire doit avoir en la protection de Dieu, je prends une précaution qui ne m'a pas été inutile, c'est de me faire accompagner d'une peuplade à l'autre par quelqu'un de ces voleurs mêmes. C'est une loi inviolable parmi ces brigands de ne point attenter sur ceux qui se mettent sous la conduite de leurs compatriotes. Il arriva un jour que quelques-uns d'eux voulant insulter des voyageurs accompagnés d'un guide, celui-ci se coupa sur-le-champ les deux oreilles, menaçant de se tuer lui-même s'ils poussoient plus loin leur violence. Les voleurs furent obligés, selon l'usage du pays, de se couper pareillement les oreilles, conjurant le guide d'en demeurer là, de se conserver la vie, pour n'être pas contraints d'égorger quelqu'un de leur troupe. Voilà une coutume assez bizarre et qui vous surprendra; mais vous devez savoir que parmi ces peuples la loi du talion règne dans toute sa vigueur. S'il survient entre eux quelque querelle et que l'un, par exemple, s'arrache un œil ou se tue, il faut que l'autre en fasse autant, ou à soi-même, ou à quelqu'un de ses parens. Les femmes portent encore plus loin cette barbarie. Pour un léger affront qu'on leur aura fait, pour un mot piquant qu'on leur aura dit, elles iront se casser la tête contre la porte de celle qui les a offensées, et celle-ci est obligée aussitôt de se traiter de la même façon; si l'une s'empoisonne en búvant le suc de quelque herbe véréneuse, l'autre qui donné sujet à cette mort violente doit s'empoisonner aussi ; autrement on brûlera sa maipoisonner aussi, autrement on brålera sa maison, on pillera ses bestiaux et on lui fera toute sorte de mauvais traitemens jusqu'à ce que la satisfaction soit faite. Ils étendent cette cruauté jusque sur leurs propres enfans. Il n'y a pas longtemps qu'à quelques pas de cette église d'où j'ai l'honneur de vous écrire, deux de ces barbares ayant pris querelle ensemble, l'un d'eux courut à sa maison, y prit un enfant d'environ quatre ans et vint en présence de son ennemi lui écraser la tête entre deux pierres. Celui-ci, sans s'émouvoir, prend sa fille, qui n'avoit que neuf ans, et lui plonge le poignard dans le sein: << Ton enfant, dit-il ensuite, n'avoit que quatre ans, ma fille en avoit neuf, donne-moi une victime qui égale la mienne.»-Je le veux bien, répondit l'autre, et voyant à ses côtés son fils aîné, qu'il étoit près de marier, il lui donne quatre où cinq coups de poignard: non content d'avoir répandu le sang de ses deux fils, il tue encore sa femme pour obliger son ennemi à tuer pareillement la sienne. Enfin une petite fille et un jeune enfant qui étoit à la mamelle furent encore égorgés; de sorte que dans un seul jour sept personnes furent sacrifiées à la vengeance de deux hommes altérés de sang et plus cruels que les bêtes les plus féroces. J'ai actuellement dans mon église un jeune homme qui s'est réfugié parmi nos chrétiens, blessé d'un coup de lance que lui avoit porté son père pour le tuer et pour contraindre par là son ennemi à tuer de même son propre fils. Ce barbare avoit déjà poignardé deux de ses enfans dans d'autres occasions et pour le même dessein. Des exemples si atroces vous paroîtront tenir plus de la fable que de la vérité, mais soyez persuadé que, loin d'exagérer, je pourrois vous en produire d'autres qui ne sont pas moins tragiques. Il faut pourtant avouer qu'une coutume si contraire à l'humanité n'a lieu que dans la caste des voleurs et même que parmi eux plusieurs évitent les contestations, de crainte d'en venir à de si dures extrémités. J'en sais qui, ayant eu dispute avec d'autres prêts à exercer une telle barbarie, leur ont enlevé leurs enfans pour les empêcher de les égorger et pour n'être pas obligés eux-mêmes de massacrer les leurs. Ces voleurs sont les maîtres absolus de toute cette contrée; ils ne paient ni taille ni tribut au prince; ils sortent de leurs bois toutes les nuits, quelquefois au nombre de cinq à six cents personnes, et vont piller les peuplades de sa dépendance. En vain jusqu'ici a-t-il voulu les réduire. Il y a cinq ou six ans qu'il mena contre eux toutes ses troupes, il pénétra jusque dans leurs bois, et après avoir fait un grand carnage de ces rebelles, il éleva une forteresse où il mit une bonne garnison pour les contenir dans leur devoir, mais il secouèrent bientôt le joug. S'étant rassemblés environ un an après cette expédition, ils surprirent la forteresse, la rasèrent, ayant passé au fil de l'épée toute la garnison, et demeurèrent les maîtres de tout le pays. Depuis ce temps-là ils répandent partout l'effroi et la consternation. A ce moment on vient de m'apprendre qu'un de leurs partis pilla, il y a quelques jours, une grande peuplade, et que les habitans s'étant mis en défense, le plus fervent de mes néophytes y fut tué d'une manière cruelle ; il n'y a guère qu'un mois qu'un de ses parens, plein de ferveur et de piété, eut le même sort dans une bourgade voisine. On compte plus de cent grandes peuplades que ces brigands ont entièrement ravagées cette année. Quoiqu'il soit difficile que la foi fasse de grands progrès dans un lieu où règnent des coutumes si détestables, j'y ai cependant un assez grand nombre de néophytes, surtout à Velleour, qui signifie en leur langue peuplade blanche. Ce qui m'a rempli de consolation dans le peu de séjour que j'y ai fait, c'est de voir qu'au centre même du vol et de la rapine, il n'y a aucun de ces nouveaux fidèles qui participe aux brigandages de leurs compatriotes. J'y ai eu pourtant un vrai sujet de douleur. Un des idolâtres de cette grande peuplade me paroissoit porté à embrasser le christianisme; il n'a aucun des obstacles qui en éloignent tant d'autres de sa caste. Sa femme et ses enfans sont déjà chrétiens, et s'ils manquent de faire chaque jour leurs prières ordinaires, il leur en fait aussitôt une sévère réprimande ; à force de les entendre réciter, il les a fort bien apprises; enfin il n'adore point d'idoles ni aucune des fausses divinités qu'on invoque dans le pays. Avec de si belles dispositions, je croyois n'avoir nulle peine à le gagner entièrement à Jésus-Christ. Cependant, quand je lui parlai de la nécessité du baptême et de l'impossibilité où il étoit de faire son salut s'il ne se faisoit chrétien, il me parut incertain et chancelant sur le parti qu'il devoit prendre. Je l'embrassai plusieurs fois, en lui disant tout ce que je croyois pouvoir le toucher davantage; mes paroles arrachèrent quelques larmes de ses yeux, mais elles ne purent arracher l'irrésolution de son cœur. Voilà, mon révérend père, de ces croix auxquelles un missionnaire est bien plus sensible qu'à celles que le climat ou que la persécution des infidèles fait souffrir. J'en ai eu beaucoup d'autres dont je voudrois vous faire le détail, surtout ces dernières années que la guerre, la famine et les maladies contagieuses ont désolé tout le pays; mais la crainte que ma lettre n'arrive pas à Pondichery avant le départ des vaisseaux m'oblige à la finir malgré moi. J'espère tirer de grands secours des catéchistes entretenus par les libéralités des personnes vertueuses qui se sont adressées à vous pour me faire tenir leurs aumônes; elles auront par là devant Dieu le mérite d'avoir contribué à la conversion et au salut de plusieurs infidèles : aidez-moi à leur en témoigner ma reconnois sance. J'oubliois de répondre à une question que votre révérence me fait, savoir: S'il y a des athées parmi ces peuples. Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'à la vérité il y a une secte de gens qui font, ce semble, profession de ne reconnoître aucune divinité, et qu'on appelle Naxtagher, mais cette secte a très-peu de partisans. A parler en général, tous les peuples de l'Inde adorent quelque divinité; mais, hélas! qu'ils sont éloignés de la connoissance du vrai Dieu! Aveuglés par leurs passions encore plus que par le démon, ils se forment des idées monstrueuses de l'Etre-Suprême, et vous ne sauriez vous figurer à quelles infâmes créatures ils prodiguent les honneurs divins. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu dans l'antiquité d'idolâtrie plus grossière et plus abominable que l'idolâtrie indienne. Ne me demandez point quelles sont leurs principales erreurs, on ne peut les entendre sans rougir, et certainement vous ne perdez rien en les ignorant. Priez seulement le Seigneur qu'il me donne la vertu, le courage et les autres talens nécessaires au ministère dont il a daigné me charger, et qu'il m'envoie du secours pour m'aider à recueillir Le métier dont se servent les tisserands ne coûte pas davantage, et avec ce métier, on les voit, accroupis au milieu de leur cour ou sur le bord du chemin, travailler à ces belles toiles qui sont recherchées dans tout le monde'. On n'a pas besoin ici de vin pour faire de l'eau-de-vie; on en fait avec du sirop, du sucre, quelques écorces et quelques racines, et cette eau-de-vie brûle mieux et est aussi forte que celle d'Europe. On peint des fleurs et on dore fort bien sur le verre. Je vous avoue que j'ai été surpris en voyant certains vases de leur façon, propres à rafraîchir l'eau, qui n'ont pas plus d'épaisseur que deux feuilles de papier collées ensemble. Nos bateliers rament d'une manière bien dif La liqueur que les teinturiers emploient ne perd rien de sa couleur à la lessive. J'ai compris, par la dernière lettre que j'ai reçue de votre révérence, que je lui ferois plai-férente des vôtres ; c'est avec le pied qu'ils font sir de lui communiquer les remarques que j'ai jouer l'aviron, et leurs mains leur servent d'hymopochlion2. faites sur les diverses choses qui m'ont frappé dans ce pays; je voudrois que mes occupations m'eussent permis de vous satisfaire au point que vous le désirez. Ce que je vous en écris aujourd'hui n'est qu'un petit essai de ce que je pourrai vous envoyer dans la suite si vous me témoignez que vous en soyez content. Au reste ce pays-ci est, de tous ceux que je connoisse, celui qui fournit plus de matière à écrire sur les arts mécaniques et sur la médecine. Les ouvriers y ont une adresse et une habileté qui surprend ; ils excellent surtout à faire de la toile: elle est d'une si grande finesse que des pièces fort longues et fort larges pourroient passer sans peine au travers d'une bague'. Si vous déchiriez en deux une pièce de mousseline et que vous la donnassiez à raccommoder à nos rentrayeurs, il vous seroit impossible de découvrir l'endroit où elle auroit été rejointe quand même vous y auriez fait quelque marque pour le reconnoftre ; ils rassemblent si adroitement les morceaux d'un vase de verre ou de porcelaine qu'on ne peut s'apercevoir qu'il ait été brisé. Les orfèvres y travaillent en filigrane avec beaucoup de délicatesse; ils imitent parfaite ment les ouvrages d'Europe sans que la forge dont ils se servent ni leurs autres outils leur reviennent à plus d'un écu. Une pièce de huit aunes, de cette finesse, faisait partie d'une cargaison qui fut vendue à Nantes en 1796, au prix de 500 fr. l'aune. L'Europe, qui ne connaissait encore, il y a trente ans, que la mousseline de l'Inde, n'en fait plus venir une seule pièce aujourd'hui. Les laboureurs en Europe piquent leurs bœufs avec un aiguillon pour les faire avancer; les nôtres ne font simplement que leur tordre la queue. Ces animaux sont très-dociles, ils sont instruits à se coucher et à se relever pour prendre et pour déposer leur charge. On se sert ici d'une espèce de moulin à bras pour rompre les cannes de sucre, qui ne revient pas à dix sols. Un émouleur fabrique lui-même sa pierre avec de la lacque et de l'émeril. Un maçon carrèlera la plus grande salle d'une espèce de ciment, qu'il fait avec de la brique pilée et de la chaux, sans qu'il paroisse autre chose qu'une seule pierre, beaucoup plus dure que le tuf3. J'ai vu faire une espèce d'auvent, long de quarante pieds, large de huit et épais de quatre à cinq pouces, qu'on éleva en ma présence, et qu'on attacha à la muraille par un seul côté, sans y mettre aucun autre appui. C'est avec une corde à plusieurs nœuds que les pilotes prennent hauteur; ils en mettent un 1 Ce détail rappelle les ouvrières en blonde des environs de Caen. Accroupies à leur porte et pour le plus mince salaire, elles font les plus beaux ouvrages du monde. Ce mot signifie point d'appui, ce qu'on met sous le levier pour le faire jouer. Cette méthode, imitée d'abord par les Vénitiens, est en usage maintenant dans quelques parties de la France. bout entre les dents, et par le moyen d'un bois qui est enfilé dans la corde, ils observent facilement la queue de la petite ourse, qui s'appelle communément l'étoile du nord, ou l'étoile polaire. La chaux se fait d'ordinaire avec des coquillages de mer; celle qui se fait de coquilles de limaçon sert à blanchir les maisons, et celle de pierres, à mâcher avec des feuilles de bétel. On en voit qui en prennent par jour gros comme un œuf. Le beurre se fait dans le premier pot qui tombe sous la main on fend un bâton en quatre et on l'étend à proportion du pol où est le lait; ensuite on tourne en divers sens ce bâton par le moyen d'une corde qui y est attachée, et au bout de quelque temps le beurre se trouve fait. Ceux qui vendent le beurre ont le secret de le faire passer pour frais quand il est vieux et qu'il sent le rance. Pour cela on le fait fondre, on y jette ensuite du lait aigre et caillé, et, huit heures après, on le retire en grumeaux, en le passant par un linge. Les chimistes emploient le premier pot qu'ils trouvent pour revivifier le cinabre et les autres préparations du mercure, ce qu'ils font d'une manière fort simple. Ils n'ont point de peine à réduire en poudre tous les métaux ; j'en ai été témoin moi-même; ils font grand cas du talc et du cuivre jaune, qui consume, à ce qu'ils disent, les humeurs les plus visqueuses et qui lève les obstructions les plus opiniâtres. Les médecins sont plus réservés que ceux d'Europe à se servir du soufre; ils le corrigent avec du beurre; ils font aussi jeter un bouillon au poivre long et font cuire le pignon d'inde dans le lait. Ils emploient avec succès contre les fièvres l'aconit corrigé dans l'urine de vache, et l'orpiment corrigé dans le suc de limon. Un médecin n'est point admis à traiter un malade s'il ne devine son mal et quelle est l'humeur qui prédomine en lui; c'est ce qu'ils connoissent aisément en tâtant le pouls du malade. Et il ne faut pas dire qu'il est facile de s'y tromper, car c'est une science dont j'ai moimême quelque expérience. Les maladies principales qui règnent dans ce pays-ci sont 1° le mordechin, ou le choleramorbus ; le remède qu'on emploie pour guérir ce mal est d'empêcher de boire celui qui en est attaqué et de lui brûler la plante des pieds; 2o le sonipat, ou la léthargie, qui se guérit en mettant dans les yeux du piment broyé avec du vinaigre; 3° le pilhai, ou l'obstruction de la rate, qui n'a point de remède spécifique, si ce n'est celui des joghis. Ils font une petite incision sur la rate, ensuite ils insèrent une longue aiguille entre la chair et la peau : c'est par cette incision qu'en suçant avec un bout de corne, ils tirent une certaine graisse qui ressemble à du pus. La plupart des médecins ont coutume de jeter une goutte d'huile dans l'urine du malade: si elle se répand, c'est, disent-ils, une marque qu'il est fort échauffé au-dedans; si au contraire. elle demeure en son entier, c'est signe qu'il manque de chaleur. Le commun du peuple a des remèdes fort simples. Pour la migraine, ils prennent, en forme de tabac, la poudre de l'écorce sèche d'une grenade broyée avec quatre grains de poivre. Pour le mal de tête ordinaire, ils font sentir, dans un nouet, un mélange de sel ammoniac, de chaux et d'eau. Les vertiges qui viennent d'un sang froid et grossier se guérissent en buvant du vin, où on a laissé tremper quelques grains d'encens. Pour la surdité qui vient d'une abondance d'humeurs froides, ils font instiller une goutte de jus de limon dans l'oreille. Quand on a le cerveau engagé et chargé de pituite, on sent, dans un nouet, le cumin noir pilé. Pour le mal de dents, une pâte faite avec de la mie de pain et de la graine de stramonia, mise sur la dent malade, en étourdit la douleur. On fait sentirla matricaire, ou l'absinthe broyée, à celui qui a une hémorragie. Pour la chaleur de poitrine et le crachement de sang, ils induisent un giraumont de pâte qu'ils font cuire au four, et boivent l'eau qui en sort. Pour la colique venteuse et pituiteuse, ils donnent à boire quatre cuillerées d'eau, ou on a fait bouillir de l'anis et un peu de gingembre, à diminution de moitié. Ils pilent aussi l'oignon cru avec du gingembre, qu'ils prennent en se couchant, et qu'ils gardent dans la bouche pour en sucer le jus. La feuille Pénitens indiens. 2 On appelle ainsi un paquet de quelque drogue enfermée dans un nœud de linge. On donne ce nom à une variété de la courge-pepon, qui a la forme d'une calebasse et le goût d'une citrouille. |