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de comcombre broyée les purge et les fait vomir s'ils en boivent le jus. La difficulté d'uriner se guérit ici en buvant une cuillerée d'huile d'olive bien mêlée avec une pareille quantité d'eau. Pour le cours de ventre, ils font torréfier une cuillerée de cumin blanc et un peu de gingembre concassé, qu'on avale avec du sucre. J'en ai vu guérir les fièvres qui commencent par le frisson, en faisant prendre au malade, avant l'accès, trois bonnes pilules faites de gingembre, de cumin noir et de poivre long. Pour les fièvres tierces, ils font prendre pendant trois jours trois cuillerées de jus de teucrium, ou de grosse germandrée, avec un peu de sel et de gingembre.

Ce n'est là, mon révèrend père, qu'une ébauche des observations que j'ai faites sur les arts et la médecine de ce pays. Si vous en souhaitez de nouvelles ou si vous voulez un plus grand éclaircissement sur celles que je vous envoie, vous n'aurez qu'a me l'écrire ; je me ferai un plaisir de vous satisfaire et de vous témoigner le respect avec lequel je suis dans l'union de vos saints sacrifices, etc.

LETTRE DU P. PAPIN.

Manière d'exercer la médecine dans l'Inde.

A Chandernagor de Bengale, en l'année 1711.

Je continue à vous faire part des remarques que j'ai faites sur la manière dont nos Indiens exercent la médecine. Leurs remèdes sont simples, et j'en ai vu souvent des effets extraordinaires.

Pour soulager ceux qui sentent une grande douleur de tête avec des élancemens, nos médecins de Bengale mêlent une cuillerée d'huile avec deux cuillerées d'eau, et après avoir bien agité ces deux liqueurs, ils en mettent dans le creux de la main et en frottent fortement la fontaine de la tête : ils disent que rien n'est plus propre à rafraîchir le sang. Ils donnent aussi la même dose à boire pour la rétention d'urine.

Ils traitent les érésipèles de la tête en appliquant les sangsues, et pour les faire mordre, ils les irritent en les tirant avec les doigts trempés dans du son mouillé.

La chaux éteinte estici d'un assez grand usage: ils l'appliquent aux tempes pour le mal de tête

qui vient de froideur. Ils l'appliquent pareillement sur les piqûres de scorpions, de frêlons, etc. Mais pour tirer les humeurs froides des genoux enflés, du ventre et les vents, ils la mêlent en petite quantité avec du miel, dont ils font une espèce d'emplâtre, qui tombe de lui-même quand il a fait son opération. Avant que d'appliquer ce liniment, ils oignent l'endroit avec de l'huile.

I'ls prétendent que le meilleur remède contre les vers du ventre, c'est un verre d'eau de chaux pris trois matins de suite. Pour les vers qui s'engendrent dans les plaies, ils mêlent un peu de chaux avec le jus de tabac.

Le cucuma, ou terramérita, n'est pas moins en usage que la chaux. Ils s'en frottent le front, le dedans des mains et le dessous des pieds pour en tirer la chaleur.

La feuille de haricots du Bengale broyée, mise dans un nouet et sentie plusieurs fois le jour, guérit, à ce qu'ils prétendent, de la fièvre tierce. J'ai vu depuis un mois un de nos médecins qui donnait dans un nouet la fleur entière et non froissée de leukantemum, ou camomille blanche, à sentir pour le même mal, et deux heures avant l'accès il prenait un nouet où il y avait une herbe froissée avec les doigts, dont il touchoit légèrement le front, les tempes, la fontaine de la tête, l'endroit du bras où l'on a coutume de saigner, les poignets, le dedans et le dehors de la main, l'ombilic, les lombes, les jarrets, le dessus et le dessous des pieds, et la région du cœur. L'accès fut médiocre et la fièvre ne revint plus. Je crois que ce nouet était rempli de feuilles de haricots du pays, car ils n'emploient pas ceux de l'Europe.

Je ne sais pas où un chirurgien allemand, qui étoit sur les vaisseaux hollandois, avoit appris que les haricots sont très-utiles contre le scorbut: il en ordonnoit le bouillon aux plus malades; il les faisoit manger fricassés avec de l'huile, et il les guérissoit.

Les habiles médecins jugent de la grandeur du mal par le pouls; le commun en juge par le froid ou par la chaleur extérieure. Ils prétendent que le froid occupe le dedans quand la chaleur domine au dehors. Alors ils sont inexorables pour ne point permettre de boire, de crainte du sannipat (c'est une espèce de léthargie qui, sans troubler beaucoup la raison, cause la mort en peu de temps).

De toutes les fièvres, ils ne craignent que la

:

double tierce pour celles qui commencent par Je frisson et par le tremblement, ils font avaler une espèce de bouillie de riz cuit avec une cuillerée de poivre entier et une tête d'ail concassée. Ce remède fait suer les malades et les délivre de la soif. Quand on a froid au corps et chaud aux mains et aux pieds, ils ordonnent de prendre, trois matins de suite, trois cuillerées du suc d'une petite herbe, que je crois être le chamædris rampant, avec du jus de gingembre vert : peut-être que le gingembre sec avec du sucre aurait le même effet que le vert.

Il y en a qui, pour décharger les poumons d'une pituite crasse et visqueuse, veulent qu'on fume, au lieu de tabac, l'écorce sèche de la racine de verveine; d'autres, pour inciser cette humeur dans la toux, font torréfier parties égales de clous de canelle, de poivre long, qu'ils mêlent avec du miel corrigé par une tête de clou rougie au feu ; cette composition étant faite, ils en mettent de temps en temps sur la langue.

J'ai vu des Persans qui, pour nettoyer les vaisseaux salivaires et amygdales, d'une humeur épaisse et gluante, se gargarisoient avec une décoction de lentilles, et ils s'en trouvoient bien.

Je connois un Indien qui a au milieu du front la cicatrice d'une profonde brûlure qu'on lui fit à l'âge de douze ans pour le guérir de l'épilepsie. On le brûla jusqu'à l'os, avec un bouton d'or, dans le paroxisme, et il fut parfaitement guéri. Ils ont encore un autre remède plus aisé. Dans le commencement du paroxisme, ils appliquent derrière la tête, dans l'endroit où les deux gros muscles qui la relèvent se séparent, deux ou quatre grosses sangsues, et si elles ne produisent rien, ils en ajoutent d'autres jusqu'à ce que le malade revienne à lui.

Quand on est travaillé d'un cours de ventre avec tranchées et glaires, ils donnent à boire le matin un verre d'eau dans lequel ils ont mis dès la veille au soir une cuillerée de cumin blanc avec deux cuillerées de poivre concassé et grillé comme du café. Si c'est un cours de ventre bilieux, ils mêlent de l'opium avec du miel, dont ils font un emplâtre qu'ils posent sur l'ombilic.

Ils froissent les écailles d'huître sur une pierre avec de l'eau, et ils font un liniment dont ils se servent pour l'enflure du scrotum :

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ils emploient le même remède pour toutes les fluxions froides.

Quand ils veulent faire suer un malade, ils le font asseoir sur un siége, ils lui couvrent tout le corps, excepté la tête, et dessous ils mettent de l'eau chaude où l'on a fait bouillir la stramonia, la grosse germandrée, l'eryssimum, etc. Je crois qu'ils y mettroient du buis s'ils en avoient, car le buis épineux que nous avons à Bengale n'a pas la même vertu que le buis qui croît en Europe.

Il y a ici une maladie assez commune, accompagnée de sueurs extraordinaires qui causent la mort. Le remède est de donner des cordiaux et de semer dans le lit du malade quantité de semence de lin, laquelle, mêlée avec la sueur, fait un mucilage qui resserre les pores par sa froideur.

Pour guérir les dartres, ils mettent une larme d'encens mâle dans deux ou trois cuillerées de jus de limon et ils en bassinent l'endroit où est la dartre. On en est guéri en trois semaines ; on sent de la fraîcheur en appliquant ce remède.

Ils guérissent le panaris fort aisément. Ils font mortifier sur la braise un morceau de la feuille d'une espèce de lys qui croît à Bengale; ils le mettent sur le mal deux fois le jour; au bout de trois jours le pus est formé : ce remède cause beaucoup de douleur. Il emploient le même remède pour résoudre les furoncles et les duretés et pour les faire percer. Je m'en suis servi moi-même pour un abcès caché sous les muscles du bras: je le fis sortir avec un cataplasme d'oignons et de gingembre vert, fricassés dans l'huile de moutarde. Quand l'abcès parut, les feuilles de lys le dissipèrent entièrement. Ce cataplasme se met sur les parties attaquées de la goutte et sur le ventre pour la colique venteuse.

Le scorbut n'est pas inconnu dans ces contrées on le nomme jari. Nos médecins purgent d'abord celui qui en est attaqué, après quoi ils lui font boire une liqueur composée de jus d'oignon, de gingembre vert et de grand basilic, parties égales. Leur gargarisme se fait avec du miel et du jus de limon. Ils prétendent que ce mal vient des ulcères qui sont dans les entrailles.

Il y a ici un autre mal fort commun qu'on \ appelle agrom. La langue se fend et se coupe en plusieurs endroits; elle est quelquefois rude et semée de taches blanches. Nos Indiens crai

gnent beaucoup ce mal, qui vient, à ce qu'ils disent, d'une grande chaleur d'estomac. Pour remède, ils donnent à mâcher du basilic à graine noire ou bien ils en font avaler le suc ferré avec la tête d'un clou; quelquefois ils donnent à boire le jus de la grosse menthie.

Il y a encore ici une sorte d'ulcères qu'ils appellent fourmillière de vers, et en effet ce sont plusieurs ulcères qui se communiquent par de petits canaux pleins de vers l'un se guérit et l'autre s'ouvre. Pour prendre ces vers, il y en a qui appliquent sur la partie malade de petites lames de plomb percées en plusieurs endroits, et sur le plomb ils attachent des figues du pays bien mûres : les vers passent par les trous du plomb et se jettent dans le fruit, qu'on ôte aussitôt, et alors l'ulcère se guérit.

Un chirurgien du pays m'a dit, il y a peu de jours, qu'il venait de guérir un ulcère corrosif et très infect qu'avoit un Indien au-dessus du pied en lui mettant une couche de tabac grossièrement pulvérisé de l'épaisseur d'une pièce de quinze sols et du sel pilé d'une égale épaisseur. On lui appliqua ce remède tous les matins, et il fut guéri en vingt jours.

LETTRE DU P. DE SANT-YAGO

AU RÉVÉREND P. MANUEL SAVAY,

PROVINCIAL A GOA.

Détails sur le royaume de Maissour ( Myzore).

A Capinagar, le 8 d'août 1711.

MON REVÉREnd Père,

La paix de N.-S.

Le père Dacunha est le premier missionnaire que votre révérence ait envoyé dans la mission de Maissour depuis qu'elle gouverne la province; il a cultivé cette nouvelle vigne pendant trois ans avec un zèle infatigable au milieu de plusieurs persécutions et il vient enfin de mourir des blessures qu'il a reçues pour la défense des vérités de la foi. Je puis mieux que personne vous instruire des circonstances de sa mort, puisque j'ai été témoin oculaire de bien des choses et que d'ailleurs j'en ai entendu beaucoup d'autres de la bouche

même d'un missionnaire et de ceux qui ont été les fidèles compagnons de ses travaux et de ses souffrances.

L'ancienne église que le père Dacunha avoit sur les terres du roi de Cagonti ayant été brûlée par les mahomélans, il forma le dessein d'en construire une plus vaste et qui pût contenir un plus grand peuple, car le christianisme faisoit chaque jour de nouveaux progrès. Il n'eut pas de peine à en obtenir la permission du chef de la bourgade: ainsi, dès qu'il eut trouvé un lieu et une situation convenable, il commença la construction de l'édifice.

Comme il n'avoit pas encore de maison pour loger, il se retiroit dans un bois sous un arbre, où les chrétiens lui avoient dressé une petite hutte de feuillages pour y être avec plus de décence et moins d'incommodité. Là une foule de Gentils venoient visiter le missionnaire; ils y étoient attirés en partie par le bien qu'ils avoieut entendu dire de lui, en partie parce qu'ils étoient charmés de ses discours sur la religion. Plusieurs en furent touchés et promirent d'embrasser le christianisme. Quelquesuns même donnèrent à leurs enfans la permissions de recevoir le baptême.

Plusieurs dasseris, disciples du gourou, qui est le chef de la religion auprès du roi de Cagonti, vinrent de sa part trouver le missionnaire pour entrer avec lui en dispute. La dispute roula sur deux articles: ils combattoient l'unité de Dieu, et ils prétendoient qu'il avoit un

corps.

Il ne fut pas difficile au missionnaire de les confondre, et leur confusion fut salutaire à plusieurs Gentils des autres sectes qui étoient présens la plupart en furent touchés et pressèrent le missionnaire de les instruire. Cependant les dasseris, si fiers avant la dispute, se retirérent tout interdits et menacèrent le père de venger bientôt l'affront qu'eux et leurs divinités venoient de recevoir.

Les chrétiens, attentifs à la conservation de leur pasteur, le conjurèrent d'aller passer les nuits dans son ancienne église, quoiqu'il n'y eût plus que des murailles à demi brûlées : il leur paroissoit que parce qu'elle étoit dans le bourg, il y seroit plus en sûreté; mais le père ne fut point intimidé par ces menaces. Il se rassuroit principalement sur la réception gracieuse que lui avoit faite le délavay, c'est-à-dire le général des troupes du royaume, et sur les assu

rances qu'il lui avoit données de så protection.

Sa nouvelle église étant donc achevée, il songea à y célébrer la fête de l'Ascension et compta pour rien les complots que les dasseris ne cessoient de tramer secrètement. Les chrétiens s'y étant rassemblés, il commença la messe, car ce fut la première et la dernière qu'il dit dans cette église.

Pendant la messe on vit arriver quarante dasseris, portant des bannières et faisant sonner des timbales et des hautbois. Le magistrat du lieu, qui avoit permis l'ouverture de l'église, envoya querir un des chrétiens qui assistoit à la messe et le fit partir en diligence pour la cour. Il portoit au délavay la nouvelle de ce qui se passoit, et devoit en rapporter des ordres. Le père, de son côté, après sa messe, fit une courte exhortation aux chrétiens, afin de les encourager à tout souffrir pour la cause de Jésus-Christ.

Déjà une partie des dasseris étoit arrivée et s'étoit placée devant la porte de l'église pour observer le missionnaire, de peur qu'il n'échappât. Le père connut qu'il n'y avoit pas moins de péril pour lui à sortir qu'à demeurer i craignit de plus d'exposer les chrétiens à la merci de leurs ennemis ; ainsi il prit le parti de rester dans l'église et d'y attendre la réponse du délavay.

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d'humilité. Le gourou parla d'abord au père en des termes de mépris; puis il lui demanda qui il étoit, d'où il étoit, quelle langue il parloit et dans quelle caste il étoit né. Le père ne lui fit aucune réponse, et le gourou, attribuant ce silence à sa foiblesse, interrogea le catéchiste qui étoit au côté du père. Celui-ci répondit que le père étoit xchatri'. De là le gourou passa à des questions sur la religion. « Qu'est-ce que Dieu ? demanda-t-il au catéchiste. C'est un souverain d'une puissance infinie, répondit le catéchiste. Qu'entendez-vous par ces mots?» reprit le gourou. Le catéchiste tâcha de le satisfaire, Ils demeurèrent quelque temps dans ces sortes d'interrogations et de réponses mutuelles. Enfin le catéchiste vint à dire que Dieu étoit le Seigneur de toutes choses. « Qu'est-ce, encore une fois, dit le gourou, que ce Seigneur de toutes choses? «< Lepère prit alors la parole et dit : « C'est un être par lui-même, indépendant, pur esprit et très-parfait. » A ces mots le gourou fit de grands éclats de rire, puis il ajouta : « Oui, oui, bientôt je t'enverrai savoir si ton Dieu n'est qu'un pur esprit. » Le père répondit que s'il vouloit l'apprendre, il seroit aisé de le lui démontrer. Le gourou n'ignoroit pas le succès des disputes passées et il craignit de s'engager dans une dispute nouvelle qui auroit tourné infailliblement à sa confusion; ainsi il se contenta de demander si Brama de Tripudi étoit Dieu. C'est une idole fort révérée dans le pays.« Non,>> répondit le père. A ces mots, le gourou se livra à toute sa colère, et prit à témoin le magistrat de la bourgade. Il eût sans doute fait mourir le père

Avant qu'elle fût venue, plus de soixante dasseris, suivis d'un grand nombre de brames, se présentèrent à la porte de l'église, et ne trouvant point d'obstacle, ils coururent au père. Un brame lui donna un coup de bâton sur les reins ce premeir coup fut suivi de bien d'autres qu'on déchargea sur lui. Les uns le frap-sur-le-champ sans quelques Gentils qui, toupèrent à la tête, les autres sur les bras ; ceuxci avec des bâtons, ceux-là du bout de leurs lances ou avec des épées. Ceux qui n'avoient pas d'armes le maltraitèrent de paroles et le chargèrent d'outrages. Sans un brame qui avoit assisté à la dispute sur l'unité de Dieu, et qui prit le parti du père, on lui auroit arraché la vie au pied de l'autel. Ce brame n'étoit pas de la secte des dasseris, et peut-être avoit-il reconnu la vérité.

Enfin, tout couvert du sang qui couloit des plaies qu'il avoit reçues sur la tête et d'un coup d'épée à la main droite, le père fut traîné devant le gourou. Celui-ci étoit assis sur un tapis et faisoit paroître autant d'orgueil et de colère que le missionnaire montroit de constance et

chés de compassion, le conjurèrent avec larmes d'épargner ce reste de vie qu'avoit encore le misssionnaire et de ne pas souiller ses mains du peu de sang qui lui restoit dans les veines.

Le père seul dans l'assemblée paroissoit intrépide. Il se consoloit intérieurement de voir que ses travaux n'étoient pas vains, puisqu'ils aboutissoient à confesser et à glorifier le nom du vrai Dieu. Sa consolation fut encore augmentée par la générosité d'un de ses néophytes. Le gourou lui ayant demandé s'il ne vouloit pas se ranger au nombre de ses disciples: «Non, lui dit-il.- Du moins ne serez-vous pas

Les xchatris ou rajas, c'est la seconde caste des Indiens.

des disciples de votre propre frère? -Non, dit encore le néophyte, ou plutôt je n'en sais rien, car peut-être se fera-t-il chrétien. Mais pour quoi renoncer à la doctrine de votre père, reprit le gourou, pour en suivre une autre? C'est que jusqu'ici mon père ne m'a point appris le chemin du salut, qui m'a été enseigné par ce misssionnaire. »

Deux anciens chrétiens firent paroître pour le père un attachement aussi louable. Tandis qu'il étoit en présence du gourou, ils vinrent se jeter au cou de leur pasteur et s'offrirent à défendre les intérêts de la religion. On ne les tira de ces tendres embrassemens qu'avec violence et à grands coups. Le catéchiste, qui ne le quitta point, reçut un coup de sabre sur les côtes. Il avait une ardeur inexprimable de mourir avec son pasteur.

Cependant le chef des dasseris, voyant que le peuple et que ceux des brames qui n'étoient pas de sa secte portoient compassion au missionnaire, lui ordonna tout à coup de sortir du pays. Le catéchiste fit son possible pour obtenir que le père demeurât encore cette nuit-là, afin qu'on pût le panser; ce fut en vain. Le père, de son côté, fit instance et demanda qu'il lui fût permis de guérir les plaies des chrétiens, dont il étoit plus touché que des siennes. Le gourou rejeta avec fierté sa demande et le fit partir ce soir-là même. Pour s'assurer mieux de sa sortie, il lui donna des gardes, avec ordre de ne le point quitter qu'ils ne l'eussent mis hors du royaume. Le père, voyant qu'il ne pouvoit plus différer et que le néophyte qu'on avoit envoyé à la cour ne revenoit pas, regarda tendrement son église, dit adieu à ses chrétiens, qui fondoient en larmes, et partit à pied.

un exprès pour m'avertir du danger où étoit leur pasteur : je partis sur-le-champ pour aller le secourir, et je le trouvai bien plus mal que je ne croyois. Je vis ses plaies, dont quelquesunes étoient assez profondes. Les douleurs qu'il ressentoit ne le laissoient reposer ni jour ni nuit: elles lui avoient causé la fièvre, accompagnée de dégoûts et de vomissemens. Au milieu de ces maux, je le trouvai dans une résignation parfaite à la volonté de Dieu, content dans ses peines et les mettant au nombre des bienfaits du ciel.

Quatre jours après mon arrivée, se sentant beaucoup plus mal, il me pria de lui administrer les sacremens. Il se prépara pendant deux heures à sa confession : il me fit lire ensuite un chapitre de l'Imitation de Jésus-Christ, tenant à la main un crucifix qu'il baignoit de ses larmes, puis il me fit une confession générale de toute sa vie, avec tant de douleur qu'après l'avoir entendue je ne pus pas moi-même retenir mes larmes. Alors il tomba dans un délire qui m'ôta toute l'espérance que j'avois de sa guérison : il y demeura jusqu'au jour suivant, qu'il eut encore un intervalle de raison, pendant lequel je lui donnai le saint viatique. Ses actes furent aussi fervens qu'au temps de sa confession générale. Mais, peu de temps après, il retomba dans son premier état : tous ses rêves n'étoient que du martyre; il ne parloit que de préparer ses habits pour aller se présenter aux juges. Quand je lui disois de prendre un peu de nourriture: «Il n'en est pas besoin, me répondoit-il, vous et moi nous allons au ciel : l'arrêt de notre condamnation est déjà porté.>>

Le lendemain son délire cessa, mais il sortit tant de sang de ses blessures que le chirurgien qui le pansoit en fut effrayé et désespéra tout à fait du malade. Je l'avertis que sa mort approchoit : lui, qui avoit mis à profit tous les momens qu'il avoit eus de libres, demanda à renouveler sa confession. Il répéta ses actes de foi, d'espérance et d'amour de Dieu. Ses entretiens avec le Sauveur furent tendres et affectueux. Enfin il connut lui-même l'heure de sa mort, il prononça le saint nom de Jésus, et m'ayant embrassé avec une parfaite connoissance, il s'endormit dans le Seigneur, dix-huit jours après les mauvais traitemens qu'il avoit reçus des brames et des dasseris de Cagonti. Le père Dacunha n'a pu me dire combien il Les chrétiens de cet endroit m'envoyèrent avoit reçu de coups; mais j'ai su des Gentils

Il marcha toute la soirée jusqu'à une bourgade où il y avoit des chrétiens et où il passa la nuit. Alors ses douleurs se firent sentir plus vivement; il en fut si abattu et si accablé qu'il ne pouvoit plus se remuer. Son bras gauche étoit estropié des coups qu'il avoit reçus ; son bras droit étoit encore plus maltraité; il s'en étoit servi pour parer les coups qu'on lui déchargeoit sur la tête. Enfin il se trouva dans un état où il ne pouvoit plus se soutenir, et ce ne fut qu'avec bien de la peine qu'on le transporta jusqu'à Capinagati, le principal lieu de sa résidence.

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