de réputation. De là vient qu'il ne pense guère aux jeunes gens dont nous parlons. Depuis qu'il est sur le trône, il n'a assisté qu'une seule fois à leurs exercices, encore fut-ce par hasard. On assure même qu'à son avénement à la couronne il songea à les renvoyer du palais, mais il en fut détourné par sa mère, qui lui représenta que ce seroit une chose honteuse pour lui de congédier des gens que son frère avoit entretenus et élevés comme ses propres enfans. nant ce terme en France, mais on ne comcevra jamais bien l'idée de mépris et d'horreur que les Indiens y ont attachée. Ce qui la rend odieuse cette loi sainte, c'est qu'elle est regardée comme la loi des Européens, des parias, des paravas, des mucuas et d'autres castes qui passent pour infâmes aux Indes; c'est qu'elle défend de concourir à l'idolâtrie, de traîner les chars des idoles et de prendre part aux fêtes des Gentils. A cela près, la religion, quand elle est bien exposée, attire l'admiration des InAinsi rien n'empêche ces jeunes néophytes diens. Or, les chrétiens qui sont enfermés dans d'être de parfaits chrétiens que la captivité, le palais n'ont presque aucun de ces obstacles : qui les prive du secours des missionnaires et ils n'ont aucun commerce avec ceux qui sont par conséquent de l'usage des sacremens. A d'une caste basse ni avec les missionnaires que cela près, ils se comportent d'une manière leur couleur naturelle fait soupçonner d'être très-édifiante, car en premier lieu ils ont Franquis; on ne les appelle point non plus aux chacun dans leur appartement, qui est composé corvées propres des idoles, et ils n'ont point de trois petites chambres, un endroit où ils la peine de s'en défendre; cela fait qu'on les font régulièrement matin et soir leurs prières; laisse en repos sous les yeux même du roi, en second lieu, ils s'assemblent les fêtes et les tandis que hors de là les autres chrétiens sont dimanches, pour réciter ensemble certaines continuellement inquiétés. Ainsi cette chréprières qui sont en usage dans la mission, partienté se conserve sans peine. Les fautes qui lesquelles on supplée en quelque sorte au saint sacrifice de la messe, quand on ne peut pas l'entendre. Its y ajoutent plusieurs autres príères, comme les litanies, le chapelet, etc. Ils font une lecture spirituelle, ils chantent des cantiques, etc. Enfin, ils célèbrent les grandes fêtes même avec pompe : ils ornent l'autel deterdisant aux autres tout commerce avec lei fleurs, et comme ils savent jouer des instrumens, ils entremêlent leurs prières de symphonies; quelquefois ils font des feux d'artifice en signe de réjouissance. Il étoit bien difficile que les choses se passant avec cet éclat au milieu du palais, le prince n'en fût averti. Les ennemis de la foi eurent soin de lui en porter des plaintes et de mêler à leurs accusations beaucoup de calomnies. Le roi ordonna aux néophytes de venir rendre compte de leur conduite: ils parlèrent si fort à propos que le prince parut satisfait de leurs réponses, et depuis ce temps-là on ne les a jamais inquiétés. Cette indulgence ne m'a pas tout à fait surpris, car bien qu'une des principales raisons qui attire tant d'ennemis à notre sainte religion, c'est qu'elle anéantit la religion du pays, cependant il est vrai de dire que cette raison ne touche pas le commun des Indiens. Ce qui rend la religion odieuse, r'est qu'elle est prêchée par des gens qu'on soupçonne d'être Franquis. On entend mainte échappent aux particuliers ne sont pas impunies les plus distingués s'assemblent, et ayant bien examiné la nature de la faute, ils imposent une pénitence au coupable, its lexcommunient même en quelque sorte si la faute le mérite, en l'excluant des assemblées et en in jusqu'à ce qu'il ait réparé le scandale qu'il a donné. Outre les enfans des chrétiens qui furent enfermés dans le palais en haine du christianisme, quelques autres, quoique Gentils, y ont été mis pareillement pour punir leurs pères des fautes qu'ils avoient commises, principalement dans les intendances et dans la levée des deniers publics. Mais en quoi l'on doit admirer la Providence, c'est que plusieurs d'entre eux ont trouvé dans leur captivité même la liberté des enfans de Dieu. Les filles infidèles qui ont épousé des chrétiens ont embrassé la foi, quelques hommes instruits par les chrétiens et édifiés de leur conduite irréprochable se sont convertis et ont été baptisés ou sont maintenant catéchumènes. Ainsi le nombre des chrétiens augmente de jour en jour et l'on voit avec admiration la bonne odeur de JésusChrist se répandre dans un palais qui d'ailleurs est le séjour de tous les vices. Cette chrétienté s'accroît encore par les fruits du mariage; plusieurs ont déjà des enfans à qui ils n'ont pas manqué de conférer le baptème. Le nombre de ces chrétiens captifs est, à ce qu'on m'a assuré, de quatre-vingts ou quatre-vingt-dix. Ce qu'on ne peut assez déplorer, c'est qu'ils soient privés de la participation des sacremens. Quelques-uns ont trouvé le moyen de sortir; l'un d'eux en ayant obtenu la permission ne retourna plus au palais; il se retira dans la mission de Carnate, où il servit de catéchiste. Il est mort et est encore aujourd'hui fort regretté des missionnaires. La fuite de celui-là a fait resserrer les autres de crainte qu'ils ne suivissent son exemple. Cependant, sous ombre d'aller voir leurs parens, d'assister à quelque mariage, ou sous quelque semblable prétexte, quelques-uns ont eu le bonheur d'aller à l'église et d'y participer aux sacremens. Les uns sont allés à Elacarrichi, où le père Machado les a confessés et communiés ; d'autres sont venus me trouver à Eilour, et ils m'ont extrêmement édifié. L'un d'eux, qui est fils de mon catéchiste, est fort habile dans les langues du pays. Outre le tamul, qui est sa langue naturelle, il sait le telongou, le maraste, le turc et même le semuseradam, qui est la langue savante. Il en vint un autre qui me fit sa confession générale avec des sentimens de piété dont je me souviendrai toute ma vie. Trois de ces jeunes femmes captives, dont l'une s'est convertie dans le palais, vinrent me trouver à mon église et je fus charmé de leur piété. J'étois vivement touché quand je considérois que ces pauvres gens n'avoient perdu le rang d'honneur qu'ils auroient eu dans leur caste et n'étoient prisonniers que parce qu'ils étoient nés de parens chrétiens, et en même temps je remerciois le Seigneur des moyens qu'il leur donne pour se sanctifier. J'espère que sa providence, qui a tant fait en leur faveur, achèvera son ouvrage. Ils ont déjà fait quelques tentatives pour obtenir du moins un peu plus de liberté. Un jour que le roi sortoit, ils fendirent la foule des courtísans et des officiers sans que personne osât les arrêter, car ils ont le privilége de ne pouvoir être châtiés que par l'ordre exprès du roi, et s'approchant du prince: « C'est à votre justice, lui dirent-ils, que nous avons recours; on nous retient dans la plus étroite captivité il ne nous est pas permis de sortir ni d'aller chercher les choses les plus nécessaires à la vie; on nous les vend le double de ce qu'elles coûtent au marché. Craint-on que nous ne prenions la fuite? He! où pourrions-nous aller? De quoi sommes-nous capables et comment gagnerions-nous de quoi vivre? N'avons-nous pas nos familles dans le palais qui répondent de nous ? Nous vous regardons comme notre père, ordonnez qu'on nous traite comme vos enfans. >> Le roi ne s'offensa pas de ce discours, il les écouta avec bonté et leur promit d'examiner leur demande à son retour. Quelques-uns de nos missionnaires se flattent que ce palais est peut-être un séminaire d'où sortiront plusieurs excellens catéchistes, car si le prince leur rend un jour la liberté, comme il y a lieu de l'espérer, ils ne sont point propres à d'autres emplois, et comme ils sont habiles dans la connaissance des langues, et que d'ailleurs ils ont beaucoup de piété, ils sont très-capables de bien remplir les fonctions de catéchistes. Qu'il seroit glorieux à la religion si Dieu permettoit que dans la cour la plus ennemie de la loi chrétienne se fussent formés ceux-là mêmes que sa providence destinoit à en être les prédicateurs! LETTRE DU P. DE BOURZES Famine.-Embarras des missionnaires.-Prédicans danois. De la mission de Maduré, le 25 novembre 1718. Le secours qu'on m'a envoyé cette année de France est venu très à propos. Il y a un an entier que la famine fait ici de grands ravages. Je me suis trouvé chargé de dix catéchistes et de trois élèves: ce sont treize familles qu'il m'a fallu nourrir. J'ai été heureux d'avoir réservé une petite somme des années précédentes, où j'avois moins de catéchistes, car la mission est si épuisée qu'elle n'auroit pas pu m'aider dans ce pressant besoin. Nous ne pouvons donc ni moi ni mes néophytes avoir assez de reconnaissance pour les personnes charitables qui nous ont fait ressentir l'effet de leurs libéralités. Il semble que les luthériens aient dessein d'imiter le zèle que les vrais catholiques ont eu de tout temps pour étendre la connoissance du vrai Dieu parmi les nations idolâtres. Le roi de Danemark fait de grandes dépenses pour l'entretien de quelques prédicans à Tran- | pérance qu'une lettre qu'il nous procureroit cambar: c'est une place danoise située sur la côte de Cholamandalam, ou, comme on dit en Europe, de Cholomandel. Il leur fournit l'argent nécessaire pour les entretenir eux et plusieurs catéchistes, pour payer des maîtres d'école, pour acheter une imprimerie et faire imprimer des livres tamuls, pour acheter de petits enfans et en faire des luthériens. On assure qu'à force d'argent ils ont gagné à leur secte environ cinq cents personnes. Pour nous, il ne nous est pas permis d'assister ouvertement nos néophytes, quand même nous en aurions les moyens c'est sur quoi on m'a donné des avis très-sérieux, de crainte que le maniacarem (c'est ainsi qu'on appelle le gouverneur d'une ou de plusieurs peuplades) ne s'imaginat que je suis riche. Ce seul trait est bien capable de faire connoître quel est le pays où nous vivons. Il n'en est pas de même des prédicans luthériens: ils sont dans une ville danoise, où ils n'ont rien à craindre de l'avarice des Gentils. Je ne vous parle point de ce qui s'est passé durant la détention du père Emmanuel Machado, mais la reconnaissance m'engage à vous entretenir de la manière dont il a été délivré de sa prison. Vous connaissez de réputation M. de Saint-Hilaire: c'est un gentilhomme de Gascogne que ses aventures ou plutôt la divine Providence a conduit aux Indes pour y servir la religion, comme il a fait en plusieurs rencontres. C'est par son zèle qu'il a mérité d'être fait chevalier de Christ. Le vice-roi de Portugal lui a fait cet honneur au nom du roi son maître, qui, à l'exemple des rois ses prédécesseurs, n'oublie rien de ce qui peut contribuer à faire connoftre Jésus-Christ aux nations infidèles. M. de Saint-Hilaire est en qualité de médecin auprès de Baker-Saibu, gouverneur de la forte place de Velour, dans le Carnate, et neveu du nabab ou vice-roi dans ce pays pour le Mogol. Dieu bénit visiblement les remèdes qu'il donne : il a fait des cures dont les plus habiles médecins de l'Europe se feroient honneur. Il est aussi médecin du nabab, et il s'attire l'estime de tout le monde par l'intégrité de ses mœurs et par sa libéralité, qu'il pousse quelquefois au delà des bornes. Il a surtout un grand zèle pour la religion. Peu après que le père Machado fut arrêté, nous nous adressâmes à lui, dans l'es du nabab obtiendroit la délivrance du missionnaire, parce que le roi de Tanjaour est tributaire du Mogol, et c'est le nabab qui vient presque tous les ans lever ce tribut. Le nabab, fortement sollicité par M. de Saint-Hilaire, écrivit plusieurs lettres, mais elles ne produisirent aucun effet. Un nabab européen auroit pris feu le phlegme indien ne s'échauffe pas si aisément; nous avions perdu toute espérance, mais M. de Saint-Hilaire ne se rebuta pas. Le nabab étant venu l'année passée sur les confins du Tanjaour pour lever le tribut, M. de Saint-Hilaire recommanda fort le père Machado à plusieurs seigneurs turcs du premier rang et accompagna sa recommandation de présens considérables. Heureusement pour nous Candogi-Vichitiram, favori du roi de Tanjaour, vint au camp du nabab. Les seigneurs turcs le pressèrent si fort qu'il promit avec serment de procurer la liberté au missionnaire. Il tint sa parole. Le père Machado sortit de prison le 6 juin, après y avoir été retenu près de deux ans et y avoir souffert d'extrêmes incommodités. Il alla aussitôt remercier M. de Saint-Hilaire et les seigneurs mahométans qui s'étoient intéressés pour sa délivrance, surtout Bakair-Saibu. Celui-ci lui fit beaucoup de caresses, l'embrassa et lui fit présent de quelques pièces de mousseline et de soie. Il le fit promener par la ville monté sur un éléphant, et M. de Saint-Hilaire précédoit à cheval cette espèce de triomphe. Vous croirez peut-être que le roi de Tanjaour en persécutant le pasteur n'aura pas épargné les ouailles ; cependant, par une providence particulière de Dieu, les chrétiens ont été tranquilles, ceux même qui demeurent dans le palais. Aussi c'est bien moins le roi de Tanjaour qui fit arrêter le père Machado qu'un de ses premiers ministres, nommé Anandarau, qui, après s'être saisi du missionnaire, fit espérer au roi qu'il en tireroit des sommes considérables. C'est chez ce brame, et non dans les prisons du roi, que le père a été tourmenté et retenu si longtemps prisonnier. Il s'est éleve d'autres orages qu'il nous a fallu essuyer, particulièrement dans le Marava: il n'y a rien eu d'assez singulier pour vous en faire part. Cetie année le père Ricardi, jésuite piémontais, a été arrêté par les Gentils, mais sa détention n'a cu aucune suite fâcheuse. La famine dont je vous ai parlé nous a pro- | après mon arrivée ils apprirent que les idolacuré un avantage qui seul peut nous dédom- tres excitoient de nouveaux troubles et inquié mager des autres maux qu'elle nous a causés. toient leur troupeau ; ils partirent le même Nos catéchistes ont baptisé quantité d'enfans jour à neuf heures du soir en habit de pénitens qui mouroient de faim, dont la plupart sont pour aller conjurer l'orage. Je fus attendri en déjà dans le ciel. Le père Michel Bertholo, disant adieu à ces missionnaires, qui, après supérieur de cette mission, a signalé en cela avoir blanchi dans de continuels travaux, vơson zèle: je crois que dans la seule ville de loient encore pleins de joie à de nouveaux Trichirapali il a administré le saint baptême à combats. près de trois cents enfans. LETTRE DU P. LE CARON. Traversée.-Ténériffe.-Trinquebar. A Pondichery, ce 15 octobre 1718. Je suis enfin arrivé à l'heureux terme qui, depuis plus de douze ans, a été l'unique objet de mes vœux les plus ardens: Dieu en soit éternellement béni! On a bien raison d'appeler cette mission la mission des saints; si ceux qui y viennent travailler ne le sont pas encore, elle leur fournit les moyens de le devenir: c'est ce qui fait ma plus douce consolation. La vie dure et pénitente de nos missionnaires, les persécutions presque continuelles, les prisons, la mort même à quoi ils sont sans cesse exposés, les détachent aisément des choses de la terre et ne les attachent qu'à Dieu, leur unique appui. En arrivant ici je trouvai deux de nos pères portugais de la mission de Maduré, qui y étoient venus pour se délasser de leurs travaux apostoliques. Il me sembloit voir ces premiers apôtres de l'Église naissante s'entretenir des progrés de l'Évangile dans les contrées idolatres, de leurs souffrances et de leurs combats pour la cause de Jésus-Christ. J'étois charmé de leur entendre raconter les principales circonstances de la glorieuse mort du père Jean de Brito, les rigueurs extrêmes que les Maures exercèrent l'an passé sur un de leurs pères, l'ayant appliqué deux fois à une cruelle torture qu'il soutint avec une constance héroïque, et tant d'autres traverses qué l'ennemi de la foi leur suscite tous les jours. Je n'ai pas joui longtemps des grands exemples de vertu et de l'aimable compagnie de ces pères trois jours Vous êtes sans doute dans l'impatience d'apprendre des nouvelles de mon voyage; je vous satisferai en peu de mots. Nous nous embarquâmes à Saint-Malo les premiers jours de mars, et, après avoir attendu durant près de trois semaines les vents favorables, on leva l'ancre le vingtième du même mois. Le quatrième d'avril nous arrivâmes à Sainte-Croix de Ténériffe, l'une des Canaries. Nous en partimes le 6 d'avril, et à plus de trente lieues de là nous découvrions assez distinctement le pic de Ténériffe: c'est une montagne d'une hauteur prodigieuse; son sommet étoit couvert de neiges, tandis que nous éprouvions au pied de la colline d'excessives chaleurs. Comme la semaine sainte approchoit, nous donnâmes à l'équipage une retraite de huit jours, qui se fit aussi tranquillement que si nous eussions été dans une maison religieuse. Tout le monde fit ses Pâques avec de grands sentimens de piété. Durant le voyage on faisoit exactement la prière le matin et le soir, on récitoit le chapelet à deux chœurs, on faisoit l'examen de conscience, on assistoit à une lecture spirituelle et l'on approchoit souvent des sacremens. Ces bonnes œuvres ont attiré sur nous les bénédictions du ciel. Trois mois entiers nous n'avons vu que le ciel et la mer; les calmes, qui par leur durée sont tant à craindre sous la ligne, nous ont peu retardés; les grandes chaleurs ne s'y sont fait sentir que sept ou huit jours. Il paroissoit de temps en temps de gros poissons, dont plusieurs se laissoient prendre à l'hameçon; des baleines longues de trente pieds se sont approchées plusieurs fois de notre vaisseau ces animaux exhaloient une odeur qui empoisonnoit. Au commencement du mois de juillet nous abordâmes à l'fle d'Anjouan, qui est à plus de quatre mille lieues de France. Les insulaires vinrent sur une écorce d'arbre nous apporter des fruits. Pour une aiguille on avoit six grosses oranges. Étant descendu à terre, je vis don ner quatre gros chapons pour un gobelet de deux sous. On prit pour la provision du navire trente bœufs, plus de cinquante cabris, quantité de volailles, du riz, des légumes et beaucoup d'autres choses; le tout ne coûta pas cent écus. Nous ne nous arrêtâmes là que deux jours et nous fimes route vers la côte de Goa: du plus loin que nous l'aperçûmes, nous invoquâmes saint François Xavier. De là nous allâmes à Trancamban', où les Danois ont une belle forteresse qui n'est qu'à vingt-cinq lieues de Pondichery. Le roi de Danemark y a fait bâtir un beau séminaire où on élève les enfans des idolâtres dans la religion protestante: il leur donne chaque année deux mille écus pour leur entretien. Celui qui est chargé de ce séminaire alla il y a deux ans en Europe; il ramassa pour cet établissement de grosses aumônes en Allemagne, en Hollande et en Angleterre. Il a voulu entreprendre depuis quelque temps la conversion des brames; il s'avança pour cela dans les terres et il fit quelques instructions devant un grand peuple que la nouveauté avoit attiré. Il ignoroit apparemment l'horreur que les Indiens ont pour le vin et pour toute autre liqueur capable d'enivrer: se trouvant un peu altéré au milieu d'une instruction, il tira de sa poche une petite bouteille de vin, dont il vida la moitié et donna le reste à son compagnon. Les brames s'offensèrent d'une action si opposée à leurs manières; ils l'abandonnèrent sur-le-champ et le décrièrent dans tout le pays. Ce pauvre prédicant fut contraint de se retirer tout honteux avec sa femme et ses enfans dans son séminaire. Enfin, le 20 août, nous arrivâmes à Pondichéry après cinq mois de la plus belle et de la plus heureuse navigation qui se soit jamais faite, sans tempête, sans danger, sans accident, sans maladie. Douze jours après, le père Boudier, avec qui j'avois fait le voyage, partit sur le même vaisseau pour le royaume de Bengale, qui est à trois cents lieues d'ici. Il fallut nous séparer après avoir vécu dix ans ensemble dans une grande union: ces sortes de séparations coûtent à la nature. Je le conduisis sur le bord de la mer, et là nous nous embrassâ– mes tendrement peut-être pour la dernière fois. Pour moi l'on m'a destiné à la mission de Car 'Trinquebar, sur la côte de Coromandel. nate, la plus avancée dans les terres : je serai éloigné de quelques journées du père Le Gac, qui soutient avec un courage admirable la vie austère des grands pénitens de l'Inde. Je m'applique pour cela à l'étude de la langue telongou. Accordez-moi les secours de vos prières et recommandez-moi souvent à la très-sainte Vierge. La première église que je bâtirai, ce sera en l'honneur de son immaculée Conception. Demandez-lui qu'elle m'obtienne la grâce de travailler longtemps et avec fruit à la conversion de ces peuples idolâtres, et de terminer ma vie par la couronne du martyre. C'est une grâce que je ne mérite pas, mais l'espérance de l'obtenir par vos prières, dans un lieu où les persécutions sont si fréquentes, me remplit en ce moment d'une joie que je ne puis vous exprimer. Trop heureux si je pouvois avoir le même sort du père Brito, qui eut la tête tranchée pour la foi dans le Marava, ou des pères Mauduit et de Courbeville, qui furent empoisonnés, ou des pères Faure et Bonnet, qui ont été massacrés par les Nicobarins. J'ai été également édifié et attendri quand j'ai vu, par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le désir ardent qui vous presse dé vous consacrer aux missions et les instances réitérées que vous faites auprès de vos supérieurs pour obtenir d'eux cette grâce, qui vous paroft la plus grande qu'ils puissent jamais vous accorder. Votre attrait, dites-vous, est pour la mission de Maduré : vous la regardez comme une de celles où il y a le plus à travailler et å souffrir, et j'ose dire que vous ne vous trompez pas. Dans cette vue, vous vous adressez à moi, comme à un des plus anciens missionnaires de cette partie de l'Inde, pour vous instruire des travaux et des peines qui y sont attachés au ministère apostolique, et en même temps des bénédictions que Dieu répand sur ces peines et |