la hâte, avec des feuilles de palmier, dont il y a plusieurs espèces dans le pays, un petit ajoupa (c'est une espèce d'appentis qui sert à se mettre à couvert des injures du temps). Dès qu'il fut jour, nous nous remimes en route, et, entre deux et trois heures après midi, nous aperçûmes la première habitation de nos marrons, qu'ils ont nommée la Montagne de Plomb parce qu'il s'y trouve en effet une quantité de petites pierres noirâtres et rondes, dont ces malheureux se servent en guise de plomb à giboyer. Comme je vis la fumée à travers le bois, je crus d'abord que ceux qui faisoient l'objet de mon voyage n'étoient pas loin. Mais je me trompois dans ma conjecture: cette fumée étoit un reste de l'incendie qu'avoit fait le détachement qui m'avoit précédé, l'usage étant de brûler toutes les cases ou maisons et de faire le plus de dégât que l'on peut quand on est à la poursuite de ces sortes de fugitifs. Je me fis alors annoncer à plusieurs reprises par une espèce de gros coquillage qui a presque la forme d'un cône et dont on se sert ici, au lieu de cloche, pour donner aux nègres le signal du lever et des heures du travail. Mais voyant que personne ne paroissoit, je me mis à parcourir tout l'emplacement, où je ne reconnus les vestiges que de deux ou trois hommes, dont les pieds étoient imprimés sur la cendre. Je compris que ceux que je cherchois n'avoient pas osé paroître là depuis qu'on leur avoit donné la chasse. Il nous fallut donc encore loger comme nous avions fait le jour précédent, c'est-à-dire que nous construistmes notre petit ajoupa pour passer la nuit. Il me seroit impossible, mon révérend père, de vous exprimer tout ce que la crainte inspira à mes gens de me représenter. Ils appréhendoient qu'à chaque instant on ne tirât sur nous quelque coup de fusil ou qu'on ne décochât quelque flèche. J'avois beau les rassurer de mon mieux, ils me répondoient toujours qu'ils connoissoient mieux que moi la malignité du nègre fugitif. Cependant la Providence ne permit pas qu'il nous arrivât aucun accident facheux durant cette nuit, et m'étant levé à la pointe du jour, je fis encore sonner de mon coquillage, qui me servoit comme de cor de chasse et dont le son extrêmement aigu devoit certainement se faire entendre fort au loin, surtout étant au milieu des vallons et des mon tagnes. Enfin, après avoir long-temps attendu et m'être promené partout comme la veille, ne voyant venir personne, je résolus d'aller à l'emplacement où l'on avoit trouvé depuis peu de jours les marrons et où l'un d'eux avoit été tué. Je commençai par dire la sainte messe, comme j'avois fait à Tonne-Grande, après quoi nous entrâmes dans le bois. Je jugeai que d'un abatis à l'autre il n'y avoit guère que deux lieues, du moins nous ne mimes qu'environ deux heures pour faire le chemin. (On appelle ici abatis une étendue de bois coupé auquel on met le feu quand il est sec pour pouvoir planter le terrain.) Les marrons ont appelé cet endroit l'abatis du Saut, à cause qu'il y a une chute d'eau. L'emplacement me parut beaucoup plus grand et bien mieux situé que le premier, qu'ils nomment, comme j'ai dit, la Montagne de Plomb. C'étoit là aussi qu'ils prenoient leurs vivres, qui consistent en manioc, bananes, patates, riz, ignames, ananas et quelque peu de cannes à sucre. D'abord que nous fûmes à la lisière de l'emplacement, je m'annonçai avec mon signal ordinaire, et ensuite je fis le tour d'un bout à l'autre sans voir personne. Tout ce que je remarquai, c'est que depuis peu de jours on y avoit arraché du magrive et qu'on avoit enterré le corps de celui qui avoit été tué; mais la fosse étoit si peu profonde qu'il en sortoit une puanteur extrême. Je m'en approchai pourtant de fort près pour faire la prière sur ce misérable cadavre, dans l'espérance que si quelqu'un de ses compagnons m'apercevoit, cette action pourroit le toucher et l'engager à venir à moi. Mais toutes mes attentes furent vaines, et ayant passé le reste du jour inutilement dans cet endroit, nous revinmes coucher à la Montagne de Plomb, pour éviter la peine de faire là un nouvel ajoupa. La nuit se passa, comme la précédente, sans inconvéniens, mais non sans peur de la part de mes compagnons de voyage. Ils étoient surpris de ne voir sortir personne du bois pour se rendre à nous. Je ne savois moi-même qu'en penser. Cependant, comme il me restoit encore un abatis à visiter, qu'ils nomment l'abatis d'Augustin, parce qu'un des chefs du marronnage qui porte ce nom y faisoit sa demeure ordinaire avec sa bande, je m'imaginois que tous les marrons s'étoient réfugiés là comme à l'endroit le plus éloigné. Mon embarras étoit que mon guide n'en savoit pas le chemin. Après | tis nouvellement fait, comme celui que je ve l'avoir bien cherché, nous découvrîmes un petit sentier que nous enfilâmes à tout hasard, et après environ quatre heures de marche, toujours en montant et descendant les montagnes, nous arrivâmes enfin au bord d'un abatis dans lequel nous eûmes beaucoup de peine à pénétrer, parce que les bords étoient jonchés de gros troncs d'arbres. Nous franchimes pourtant cet obstacle en grimpant de notre mieux, et le premier objet qui se présenta à nous fut deux cases, ou carbets. J'y cours et j'y trouve du feu, une chaudière et de la viande fratchement bouillie, quelques feuilles de tabac à fumer et autres choses semblables. Je ne doutai point, pour lors, que quelqu'un ne sortit du bois pour venir me parler; mais après avoir bien appelé et m'être promené partout à mon ordinaire pour me bien faire connaître, ne voyant paraître personne et ayant encore assez de jour, je voulus passer plus loin pour tâcher de trouver enfin l'établissement d'Augustin, me persuadant toujours que ceux que Je cherchois s'y étoient retirés. Mes compagnons de voyage n'étant pas animés par des vues surnaturelles, comme je devois l'être, et toujours timides, auroient bien souhaité que nous retournassions sur nos pas. Ils me le proposèrent même plus d'une fois, mais je ne voulois pas laisser ma mission imparfaite. Ce n'est pas que je ne ressentisse moimême au fond du cœur, pour ne vous rien déguiser, une certaine frayeur : l'abandon total où je me voyois, l'horreur des forêts immenses au milieu desquelles j'étois sans aucun secours, le silence profond qui y régnoit, tout cela, ainsi qu'il arrive en pareille occasion, me faisoit faire, comme malgré moi, de sombres réflexions; mais j'avois grand soin d'étouffer ces sentimens involontaires, et je n'avois garde d'en rien laisser paroître, de peur de troubler davantage ceux qui m'accompagnoient. Ainsi, après leur avoir fait prendre quelques rafratchissemens, nous entrâmes encore dans le bois, sans savoir ni les uns ni les autres où aboutissoit le petit chemin que nous tenions. La divine Providence, qui nous guidoit et qui veilloit sur nous, permit qu'après avoir franchi bien des montagnes et des vallons, nous arrivâmes enfin à notre but, n'ayant guère marché qu'environ deux heures. Je n'en fus pas plus avancé, car je ne trouvai qu'un aba nois de quitter, mais sans que personne daignât se faire voir à nous. On avoit cependant arraché des racines bonnes à manger, et cueilli des fruits le jour même dans cet endroit, comme il nous parut par les traces toutes fraîches que nous reconnûmes. Ce qui me fit le plus de peine, c'est que les marrons, s'imaginant peut-être qu'il y avoit toujours un détachement à leurs trousses, avoient eux-mêmes mis le feu aux cases depuis peu de jours, afin sans doute que ceux qui les poursuivroient ne pussent s'y loger. Je ne pouvois pas douter que de la lisière du bois ils ne me vissent et ne m'entendissent. Aussi je criais de toutes mes forces qu'ils pouvoient se rendre à moi en toute sûreté, que j'avois obtenu leur grâce entière, que mon état, me défendant de contribuer à la mort de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, je n'avois garde de les venir chercher pour les livrer à la justice; que du reste ils étoient maîtres de moi et de mes gens, puisque nous n'étions que six en tout et sans armes, au lieu qu'eux étoient en grand nombre et armés. Souvenez-vous, mes chers enfans, leur disais-je, que, quoique vous soyez esclaves, vous êtes cependant chrétiens comme vos maîtres; que vous faites profession depuis votre baptême de la même religion qu'eux, laquelle vous apprend que ceux qui ne vivent pas chrétiennement tombent après leur mort dans les enfers: quel malheur pour vous si, après avoir été les esclaves des hommes en ce monde et dans le temps, vous deveniez les esclaves du démon pendant toute l'éternité! Ce malheur pourtant vous arrivera infailliblement, si vous ne vous rangez pas à votre devoir, puisque vous êtes dans un état habituel de damnation, car, sans parler du tort que vous faites à vos maîtres en les privant de votre travail, vous n'entendez point la messe les jours saints, vous n'approchez point des sacremens, vous vivez dans le concubinage, n'étant pas mariés devant vos légitimes pasteurs. Venez donc à moi, mes chers amis, venez hardiment, ayez pitié de votre âme, qui a coûté si cher à Jésus-Christ.... Donnez-moi la satisfaction de vous ramener tous à Cayenne; dédommagez-moi par là des peines que je prends à votre occasion, approchez-vous de moi pour me parler, et si vous n'êtes pas contens des assurances de pardon que je vous donnerai, vous resterez dans vos demeures, puisque je ne saurois vous emmener par force. Enfin, après avoir épuisé tout ce que le zèle et la charité inspirent en semblable occasion, aucun de ces misérables ne paroissant, nous vinmes coucher aux cases que nous avions laissées dans l'autre abatis, soit pour éviter la peine de faire là un logement, soit parce que les traces fraîches que nous avions vues nous donnèrent lieu de croire que quelqu'un pourroit y venir pendant la nuit. Mais personne ne se montra, de sorte que, indignés de leur opiniâtreté, nous reprimes le lendemain vers les quatre heures le chemin de la Montagne de Plomb. Nous y séjournâmes tout le samedi, j'y dis la sainte messe le dimanche, et comme j'étois préssé de m'en retourner, parce que les vivres commençoient à nous manquer, je voulus, avant que de partir, y laisser un monument non équivoque de mon voyage, en y faisant planter une croix d'un bois fort dur et qui subsiste encore. Cette croix, comme je le dirai plus bas, servit à me faire réussir dans mon entreprise : car d'abord que les nègres marrons l'eurent aperçue, ils y vinrent faire leur prière, ayant la coutume, malgré leur libertinage (ce qu'on auroit de la peine à croire) de prier Dieu soir et matin. Ils baptisent même les enfans qui naissent parmi eux et ont grand soin de les instruire des principes de la foi autant qu'ils en savent eux-mêmes. D'abord que je fus rendu à Tonne-Grande, où j'avois laissé mon canot, je fis savoir à MM. d'Orvilliers et Le Moine le peu de réussite qu'avoit eu mon projet. Je leur mandai que je devois rester quelque temps dans ce quartier-là pour faire les pâques aux nègres; j'ajoutai que m'étant mis, au commencement de mon voyage, sous la protection des anges gardiens, j'avois un secret pressentiment qu'ils ne me laisseroient point retourner à Cayenne sans avoir connoissance des enfans prodigues qui en étoient l'objet. Enfin je priai ces messieurs de vouloir prolonger encore de quelques jours l'amnistie qu'ils m'avoient d'abord accordée pour eux, et ils eurent la bonté de l'étendre jusqu'à un mois entier. Après cette réponse, je commençai ce qu'on appelle ici les pâques du quartier, c'est-à-dire, que je parcourus les différentes habitations pour confesser ceux qui sont déjà baptisés et pour instruire ceux qui sont encore infidèles, C'est notre coutume d'aller ainsi, au moins une fois l'an, chez tous les colons nos paroissiens, quelque éloignés qu'ils soient, car il y a ici des paroisses qui ont quinze et vingt lieues d'étendue, et vous ne sauriez croire, mon révérend père, le bien qu'il y a à faire et qu'on fait quelquefois dans ces sortes d'excursions. Le missionnaire qui est chargé de cette bonne œuvre met la paix dans les familles désunies en terminant leurs petits différends; conclut des mariages pour faire cesser les commerces illicites, à quoi les esclaves sont très-sujets; tâche de leur adoucir les peines attachées à leur état en les leur faisant envisager sous des vues surnaturelles; prend une connoissance exacte de leur instruction actuelle, pour disposer peu à peu à la communion ceux qu'il en juge capables (notre usage étant de permettre à très-peu de nègres d'approcher de la sainte-table, par l'expérience que nous avons qu'ils en sont indignes); il remontre prudemment aux maîtres les fautes dans lesquelles ils tombent quelquefois envers leurs esclaves, soit en ne veillant pas assez sur leur conduite spirituelle, soit en les surchargeant de travaux injustes, soit enfin en ne leur donnant pas le nécessaire pour la nourriture et le vêtement, suivant les sages ordonnances de nos rois; il fait mille autres choses de cette nature, qui sont du ressort de son ministère et qui tendent toutes également à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Il en coûte, à la vérité, beaucoup de faire de pareilles courses dans un pays tel que celui-ci, où, lorsqu'on est en campagne, on est toujours, ou brûlé par les rayons d'un soleil ardent ou accablé de pluies violentes; mais à quoi ne porte pas un zèle bien épuré et quelles difficultés ne fait-il pas surmonter! Cependant, en faisant cette bonne œuvre comme par occasion, car ce n'est pas là mon emploi ordinaire, je n'oubliai pas le premier objet de mon voyage. J'avois grand soin de dire aux nègres que s'ils pouvoient voir quelques-uns de leur compagnons marrons, ils les assurassent que, quoiqu'ils n'eussent pas voulu s'approcher de moi dans le bois, j'avois néanmoins obtenu encore un mois d'amnistie pour eux; mais que si, pendant cet espace de temps, ils ne revenoient pas, ils n'avoient plus ni grâce ni pardon à espérer; qu'ils devoient se persuader, au contraire, qu'on les poursui- | leurs esclaves, et les noirs eux-mêmes qui ser vroit sans relâche jusqu'à ce qu'on les eût tous exterminés. vent dans le bourg se faisoient une fête de revoir, l'un son père, l'autre sa mère, celui-ci son fils ou sa fille, et comme plusieurs de ceux que je menois n'avoient pas vu la ville depuis très-longtemps et qu'ils y remarquèrent bien du changement, notre marche étoit très-lente, afin de leur donner le plaisir de satisfaire leur curiosité, ce qui laissoit en même temps la liberté à leurs camarades de les embrasser, en faisant retentir l'air de mille cris d'allégresse et de bénédiction. Ce qu'il y avoit pourtant de plus frappant, c'étoit une troupe de jeunes enfans des deux sexes qui étoient nés dans les bois, et qui, n'ayant jamais vu de personnes blanches ni de maison à la françoise, ne pouvoient se lasser de les considérer en marquant, à leur façon, leur admiration. Je conduisis d'abord mon petit troupeau à l'église, où il y avoit déjà une grande assemblée à cause de la fête de saint François Xavier; mais elle fut bientôt pleine par la foule qui nous suivoit. Je commençai par faire faire à ces pauvres misérables une espèce d'amende honorable. Enfin j'avois fini ma mission et parcouru toutes les habitations des environs de TonneGrande; j'étois même déjà embarqué dans mon canot pour me rendre à Cayenne, un peu confus d'avoir échoué dans mon dessein aux yeux des hommes, qui ne jugent ordinairement des choses que par le succès, lorsque je vis venir à moi un autre petit canot nagé par deux jeunes noirs, porteurs d'une lettre de l'économe de Mont-Séneri (c'est une sucrerie du quartier), qui me marquoit que les nègres marrons étoient arrivés chez lui et qu'ils me demandoient avec empressement. J'y vole avec plus d'empressement encore qu'ils n'en avoient eux-mêmes, et j'en trouve en effet déjà une vingtaine qui m'assurent que les autres sont en chemin pour se rendre. Quelle agréable surprise pour moi, mon révérend père, de voir mes vœux accomplis lorsque je m'en croyois le plus éloigné ! Après avoir versé quelques larmes de joie sur ces brebis égarées depuis si longtemps et qui rentroient dans le bercail, je leur fis des reproches sur ce qu'ils n'avoient pas voulu me parler tandis que j'étois au milieu d'eux, et ils me répondirent constamment qu'ils craignoient qu'il n'y eût quelque détachement en embuscade pour les saisir; mais qu'ayant vu le signe de notre rédemption arboré sur leur terre, ils s'étoient enfin persuadés que le temps d'obtenir grâce pour leur âme et pour leur corps étoit arrivé. Que ce soit là le véritable motif qui les a fait agir, ou que quelqu'un de leurs camarades des différentes habitations que j'avois préparées pour les pâques, les ait assurés de la sincérité du pardon que je leur promettois c'est ce que je n'ai jamais pu découvrir. Mais, quoi qu'il en soit, il en vint peu à peu jusqu'à cinquante, et comme M. notre gouverneur, qui tenoit un détachement tout prêt pour allertations et pour tâcher de prendre ou tuer ceux dans le bois si je ne réussisois pas, me pressoit de me rendre à Cayenne, je partis avec ces cinquante fugitifs. Il seroit impossible, mon révérend père, de vous expliquer avec quelles démonstrations de joie l'on me reçut, suivi de tout ce monde, chacun d'eux portant sur sa tête et sur son dos son petit bagage. Les rues étoient bordées de peuple pour nous voir passer. Les maîtres se félicitoient les uns les autres d'avoir recouvré 1o A Dieu, dont ils avoient abandonné le service depuis si longtemps; 2° à leurs mattres et aux colons, à qui plusieurs d'entre eux avoient porté beaucoup de préjudice ; 3° à leurs compagnons, du mauvais exemple qu'ils leur avoient donné par leur fuite, par leurs vols, etc. Après quoi je dis la sainte messe en action de grâces. Ils y assistèrent avec d'autant plus de plaisir et de dévotion que plusieurs d'entre eux ne l'avoient pas entendue depuis quinze ou vingt ans ; et lorsqu'elle fut finie, je les présentai à M. le gouverneur, qui confirma le pardon que je leur avois promis de sa part ensuite on les remit à leurs maîtres respectifs. On dépêcha aussitôt un nombreux détachement pour aller faire le dégât dans leurs plan qui resteroient s'ils ne se rendoient pas volontairement; mais une maladie qui se mit dans la troupe aussitôt qu'elle arriva sur les lieux fit échouer cette opération en sorte que ceux que j'avois laissés au nombre seulement de dixsept, tant grands que petits, soit hommes ou femmes, et qui m'avoient fait dire qu'ils viendroient après moi, n'ont pas tenu parole et sont encore dans les bois. Il s'y en est même joint quelques autres depuis ce temps-là. Si le que nous avons d'être parmi les Indiens, presque tous déserteurs du Portugal, qui ont eu le bonheur d'être instruits dès leur enfance des principes de la religion. Il est vrai que, par le défaut de missionnaires, ces premières semences de l'Évangile sont restées incultes parmi eux; mais ils nous témoignent la plus grande joie d'être à même aujourd'hui de mettre en pratique ce qu'ils ont appris dans leur jeunesse; ils viennent à nous avec empressement et consentent volontiers à construire leurs carbets autour de nous, et à former une bourgade; nous en attendons incessamment quinze ou seize familles. Nous avons déjà baptisé quinze petits enfans, et beaucoup d'autres nous seront présentés lorsqu'un temps moins pluvieux permettra aux parens de remonter de l'embouchure des rivières appelées Maribanaré et Macari. Il y a même des adultes qui demandent le baptême, que nous ne pouvons leur accorder que dans un cas de nécessité, parce qu'ils ne sont pas suffisamment instruits : nous savons là-dessus l'intention de Notre-Seigneur ; il a dit à ses premiers ministres : Allez, enseignez, baptisez; mais ce qui nous cause beaucoup d'embarras, ce sont les mariages, ou J'ai reçu jeudi dernier, dix-neuf du présent, la lettre que vous m'avez écrite. Ce jour-là même j'eus un accès de fièvre et un second trois jours après, qui m'obligea de me mettre au lit et de prendre le lendemain un vomitif. Le père Padilla en fit autant, attaqué lui-même d'une fièvre tierce depuis quinze jours, qui est dégé-plutôt le concubinage de nombre d'Indiens du nérée en fièvre quarte; cette fièvre, qui ne l'a point quitté jusqu'à présent, l'a extraordinairement affaibli. Il me charge de vous dire bien des choses et vous prie, ainsi que moi, de présenter nos respects à monseigneur le préfet, la lettre duquel nous n'avons pu répondre, tant à cause de notre situation actuelle que parce que le temps nécessaire nous a manqué. Nous lui avions déjà écrit d'Oyapoc par le capitaine qui nous a conduits ici. Que vous dirai-je de notre état actuel ? Nous habitons dans un petit carbet, où nous sommes exposés à toutes les injures de l'air; la pluie et le vent y pénètrent, et nous sommes d'autant plus sensibles à cette incommodité que nous avons plus à souffrir du côté de la santé et que nous sommes moins dans le cas d'y remédier pour le présent. Je passe sous silence tous les autres désagrémens inséparables de la carrière dans laquelle nous ne faisons que d'entrer, et qui nous font adorer en silence les décrets d'un Dieu qui console dans les tribulations et qui n'humilie ses ministres que pour les rendre plus actifs et plus propres à ses desseins. Nous lui sommes déjà redevables de la satisfaction Para, où ils ont laissé leurs femmes, et réciproquement des Indiennes leurs maris qui ont formé d'autres alliances ici, et ont même des enfans de leur commerce criminel, souvent avec plusieurs, quelques-uns même avec leurs parentes. Il y en a d'autres qui, quoique chrétiens, ont contracté avec des infidèles, et des fidèles avec des Indiens païens. Nous avons déjà la promesse de quelques-uns de ceux qui n'ont qu'une concubine, de faire, en face de l'église, ce que nous leur prescrirons à cet égard. Ce sont ces sortes de mariages, mon cher confrère, qui nous mettent dans le cas de recourir au père des lumières; nous vous prions de les demander également pour nous. Après vous avoir exposé l'état de notre mission quant au spirituel, je vous dirai, pour ce qui concerne le temporel, que nous avons à notre service une très-bonne blanchisseuse indienne et son fils âgé de vingt ans, dont nous sommes on ne peut plus contens; il est industrieux, fidèle, laborieux, nous fait bonne cuisine et sert bien la messe. Il fut jadis domestique d'un prêtre missionnaire parmi les Indiens du Para. Nous avons, en outre, deux enfans de onze à douze |