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Maures et je me retirai dans la forteresse, où je passai la nuit. Les Maures, s'étant aperçus de quelque mouvement et ayant appris ensuite que j'étois dans la forteresse, se retirèrent à leur camp. A huit heures du soir, ils m'envoyèrent inviter à me rendre au camp, où leur commandant souhaitoit avec passion de me voir. Je leur fis réponse qu'un pénitent et un solitaire comme moi ne voyoit pas volontiers le grand monde. Comme ils décampèrent le lendemain matin, je retournai dans mon église, où mes chrétiens m'accompagnèrent.

Je ne sais quel étoit le dessein de ces Maures ni quel parti ils m'eussent fait si j'étois tombé entre leurs mains; tout ce que je sais, c'est que les brames nous ont souvent suscité de fâcheuses persécutions en leur persuadant que nous avons l'art de faire de l'or. C'est sous cette fausse accusation qu'ils maltraitent quelquefois les Indiens d'une manière cruelle, et que tout récemment ils retinrent un de nos missionnaires deux ans entiers dans une rude prison et qu'ils l'appliquèrent deux fois à la torture.

Quelque temps avant que les Maures entreprissent de m'enlever, j'admirai des effets bien sensibles de la providence de Dieu sur ses élus. Un idolâtre, étant venu par hasard de fort loin dans le village où je me trouvois, y tomba dangereusement malade ; des chrétiens lui parlèrent du vrai Dieu : il demanda à me voir, je l'instruisis autant que la nécessité pressante pouvoit le permettre; je lui conférai le baptême, qu'il demandoit avec avec ferveur, et il mourut le lendemain dans de grands sentimens de piété.

Quatre autres adultes furent favorisés presque en même temps de la même grâce. Il y avoit parmi eux un brame qui seroit mort infailliblement dans l'idolâtrie s'il fût resté dans sa famille. La conversion d'un brame est un vrai miracle de la grâce, tant ils ont d'obstacles à surmonter. Celui dont je vous parle étoit âgé de 65 ans, et, contre la coutume de ceux de sa caste, il aimoit assez les prédicateurs de l'Évangile : il avoit même contribué à nous faire avoir un emplacement dans la ville de Devandapallé pour y bâtir une église. Dieu a voulu sans doute récompenser cette bonne œuvre : il arriva de trente lieues loin dans une église où j'étois, il tombe malade, il envoie à deux heures après minuit me demander quelque

soulagement. Je lui portai de l'eau de méhsse, qui le fortifia. Bien qu'il eût toute sa présence d'esprit, je m'aperçus qu'il étoit dans un dan ger extrême, et comme il étoit assez instrui de nos mystères, je lui administrai le sain baptême, qu'il me demanda, et une heure après il mourut.

Ces miracles continuels de la miséricorde du Seigneur, dont nous sommes témoins, nous dédommagent au centuple des croix que nous avons à souffrir et de la pénitence continuelle qu'il nous faut pratiquer. La vie que nous menons est assurément austère, soit par la qualité des alimens, soit par la fatigue des voyages, soit par les persécutions et les dangers auxquels nous sommes sans cesse exposés. Vous savez sans doute que le riz, quelques légumes et de l'eau font toute notre nourriture; celle austé rité est absolument nécessaire en ces contrées, sans quoi il ne seroit pas possible d'y établir la religion. Les castes honorables ne vivent que de riz et de légumes, et on a le dernier mépris pour ceux qui usent d'autres alimens. D'ailleurs les pénitens gentils, car le démon a aussi ses mariyrs, observent cette austérité de vie. Nous avons auprès de nous un chrétien qui a été autrefois au service d'un de ces pénitens; il nous a rapporté que ce pénitent ne mangeoit à midi que du riz et des légumes, el que le soir il se contentoit de boire un peu d'eau, s'occupant tout le reste de la journée à réciter les louanges de ses faux dieux. Si notre vie étoit moins austère que la leur, et le misionnaire et la religion qu'il prêche tomberoient dans le mépris.

Nos voyages sont pénibles : on ne trouve sur la route aucun lieu pour se retirer. Jusqu'à présent j'ai presque passé toutes les nuits sous un arbre exposé aux vents et à la pluie ; quelquefois je me retire dans un temple d'idoles, quand il s'en trouve sur le chemin, mais on y est d'ordinaire mangé d'insectes. Tandis que les chrétiens qui m'accompagnent me préparent un peu de riz et de légumes, je récite mon office, et après quelques heures d'un repos assez interrompu, je continue mon voyage; je n'en fais guère que je n'aie le visage, les mains et les pieds tout brûlés, sans trouver une seule goutte d'eau pour apaiser une soif ardente. C'est par une protection particulière de Dieu qu'il nous arrive si peu d'accidens dans ces voyages, car outre que le pays est

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Je continue à vous faire part du progrès que fait la religion dans cette mission naissante du Carnate. La connoissance que j'ai de votre zèle pour l'établissement de la foi dans ces contrées barbares me persuade qu'en cela je réponds le mieux que je puis à vos intentions et aux bontés dont vous m'avez honoré lorsque vous gouverniez la nation françoise dans l'Inde.

Je finissois la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire par le récit de la protection dont Prasappa-Naïdou (c'est le prince qui gouverne le pays d'Andevarou) favorisoit les prédicateurs de l'Évangile. Je vous ai mandé que non-seulement il avoit permis de bâtir un église à Madigoubba, mais qu'il avoit même fourni les bois nécessaires pour la construction de cette église. Ce monument, qui s'élevoit au milieu de la Gentilité, ne pouvoit manquer d'irriter les ennemis de la foi; aussi les Dasseris, fidèles adorateurs de Vichnou2, ne

Le père Le Caron a fini sa course apostolique presque aussitôt qu'il l'avait commencée. Il est mort victime de son zèle et de sa charité. Ayant appris qu'une famille entière d'idolâtres, frappée d'une maladie.contagieuse, avait été chassée de la peuplade et était dans la campagne dénuée de tout secours, il courut les assister : toucnée de ses soins, elle écouta ses instructions, et il eut le bonheur de les baptiser presque tous et de mou

cherchoient qu'une occasion de faire éclater la fureur dont ils étoient transportés.

L'absence du missionnaire, qui visitoit es autres chrétientés, fut le signal de leur révolte. Ils s'assemblèrent en grand nombre à Cloumourou, où il y a plusieurs familles de chrétiens; ils prétendoient piller les maisons des néophytes, aller ensuite à Madigoubba, qui n'est qu'à une demi-lieue de ce village, et mettre le feu aux matériaux qu'on employoit à bâtir l'église.

En effet, le retti, qui est le chef des chrétiens de cette contrée, revenant dans sa maison, la trouva investie par ces séditieux, et il eut bien de la peine à percer la foule. Sans entrer en de vaines disputes, il cita les plus distingués d'entre les dasseris devant les brames du village; puis interposant le nom du prince, selon la coutume du pays : « Je remets, leur dit-il, mes biens entre vos mains, vous en serez responsables. »

Cet expédient réussit; les brames firent comprendre aux dasseris qu'on ne leur demandoit que le temps nécessaire pour informer le prince, qui ne manqueroit pas de leur rendre justice. La réponse du prince vint dès le soir même. Des Maures, dépêchés de sa part aux dasseris, leur ordonnèrent de se rendre à la capitale pour y porter leurs plaintes contre les chrétiens. Ils y allèrent en foule; les dasseris de la ville se joignirent à ceux des villages; les brames, soit vichnouvistes, soit linganistes, qui sont en grand nombre, intervinrent dans la cause commune; les soldats et les marchands grossirent le parti ; enfin le nombre s'accrut de telle sorte que le prince, qui aperçut leur multitude, quitta le dessein d'aller à la promenade et rentra dans son palais.

Un officier fut envoyé de sa part aux dasseris: « Le prince, leur dit-il, a connoissance des accusations que vous formez contre les chrétiens ils brisent vos idoles, ils déclament contre vos divinités, ils suivent une religion qui anéantit les coutumes de vos ancêtres; voilà le sujet de vos plaintes. Le prince est trop juste pour ne pas réserver une oreille aux accusés : faites venir vos plus célèbres docteurs, et dès que le saniassi romain sera de retour, vos contestations se termineront dans une dispute rẻ

rir avec son catéchiste de la maladie qu'il avait gagnée glée; le prince veut lui-même en être le juge. »

en les soignant. (Note de l'ancienne édition.)

2 Divinité du pays.

Le missionnaire apprit ces nouvelles en venant de célébrer la fête de Noël à Bailabaram;

il crut qu'il ne devoit pas différer de se rendre auprès de ses chers néophytes. A son passage par Darmavaram, qui est une ville considérable, les chrétiens à qui il communiqua le dessein où il étoit d'aller droit à la capitale lui représentérent qu'il n'étoit pas de la prudence, dans une pareille conjoncture, de se livrer entre les mains d'un prince gentil; que bien qu'il ait paru être dans des sentimens favorables à la religion, il étoit à craindre qu'une émeute si générale n'eût changé les inclinations de son cœur ; que du moins, avant que de rien tenter dans une affaire si délicate, il sembloit être plus à propos d'en conférer avec les chrétiens de Madigoubba et de sonder la disposition présente du prince. Le père répondit à ces représentations que son parti étoit pris, et que le reste il l'abandonnoit aux soins de la divine Providence.

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Il partit donc pour Anantapouram; dès qu'il y fut arrivé, il envoya prier le prince, par un de ses catéchistes, de lui accorder un moment d'audience : « Vous me trompez, dit le prince, il n'est pas possible que le saniassi romain soit ici. Il est à la porte de la ville, répondit le catéchiste, où il attend vos ordres. -Lui faut-il un ordre, répliqua le prince, pour venir dans sa maison? Ne sait-il pas que ce qui m'appartient est à lui? Allez, dit-il à un de ses brames, lui marquer la joie que j'ai de son arrivée et l'impatience où je suis de le voir. » Le prince le reçut avec des démonstrations d'estime et d'amitié plus grandes qu'il n'avoit fait jusqu'alors. Il fit aussitôt appeler les brames et il engagea la dispute, où on traila les mêmes questions dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir dans ma première lettre. Le père s'étendit fort au long sur les perfections du premier Être, et il fit voir d'une manière palpable que nulle de ces perfections ne convenoit aux divinités adorées dans l'Inde.

« N'entrez point, dit le prince, dans un plus grand détail; ce que vous me dites sur cela il y a trois mois m'est encore présent à l'esprit. Vous êtes obligés, continua-t-il en s'adressant aux brames, de convenir que Vichnou s'est nétamorphosé en pourceau le saniassi rohain vous le reprocha dans la dernière dispute. Faites-moi voir que cette métamorphose est bienséante à la Divinité, et alors je conviendrai avec vous de tout le reste. Mais comme cela n'est pas facile à prouver, avouons de bonne

foi que nos histoires ne sont qu'un tissu de fables.

-

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- Vichnou se métamorphosa de la sorte répondirent les brames, pour exterminer un fameux géant. Ne prenons point le change, dit le missionnaire: il ne s'agit pas ici de la cause de la métamorphose, mais de l'indécence ou plutôt de la folie qu'il y a d'attribuer cette métamorphose à la Divinité. Ne les poussez pas davantage, reprit le prince en souriant. >> Puis s'étant aperçu qu'un brame vichnouviste, parlant au père, se servoit de termes peu respectueux, il lui en fit une sévère réprimande : << Souvenez-vous, lui dit-il, qui est celui à qui vous parlez, el ayez égard au lieu où vous êtes.>> Le père prit de là occasion de toucher un point qui regarde ces prétendus docteurs : « Il est étrange, dit-il, de voir jusqu'où va l'orgueil des gouroux dans cette partie de l'Inde; il y en a qui, entrant dans la maison de leurs disciples, se font laver les pieds par le chef de famille et qui ensuite distribuent cette eau à boire comme une chose sacrée. La sainteté de mon état m'empêche de révéler ici certains mystères d'iniquité..... »

A ces paroles, le père s'aperçut de quelque altération sur le visage du prince, parce que c'est surtout dans la caste des linganistes que ces infâmes pratiques sont en usage; c'est pourquoi il n'insista pas davantage sur cet article, d'autant plus qu'on comprenoit assez ce qu'il vouloit dire « Il n'y a point d'artifice, poursuivit-il, que vos gouroux n'emploient pour mettre à contribution leurs disciples. Que quelques-uns d'eux leur représentent leur misère et leur pauvreté, n'ont-ils pas le front de leur dire qu'ils n'ont qu'à emprunter de l'argent et mettre en gage leurs femmes et leurs enfans! De tels docteurs, conclut le missionnaire, ne ressemblent-ils pas plutôt à des sergens qu'à des pères?

-Vous avez raison, interrompit le prince, la qualité de sergens leur convient admirablement bien, car ils en font les fonctions. » Puis adressant la parole à un gourou vichnouviste nommé Adjacoulou : « Pouvez-vous vous inscrire en faux contre ce que dit le saniassi romain ?— Quoi donc! répondit le gourou avec émotion. voudroit-il nous réduire à la mendicité? Non, répliqua le missionnaire, mais je voudrois qu'une sordide avarice ne vous portât pas à faire des vexations indignes de votre ministère. »

tout à fait l'orage. Le missionnaire jugca å propos de montrer au prince celte patente, dont voici la teneur :

<< Ladoutoulla cam nabab, à tous les fosdars, rajas, quelidars, paleacandloux et autres ordres. Les saniassis romains ont des églises dans le pays de Carnate, où ils sont obligés de voyager pour instruire leurs disciples: ce sont des pénitens qui font profession d'enseigner la vérité et dont la probité nous est connue. Nous les considérons et nous les affectionnons; c'est pourquoi notre volonté est qu'eux et leurs disciples soient traités partout favorablement sans qu'on leur fasse aucune peine. Tel est l'ordre que nous donnons. »

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Le prince en finissant la lecture de cette patente: «Quels seroient les enfans du démon, dit-il, qui voudroient inquiéter de si grands hommes ? Je me flatte, répondit le père, que quand vous connoftrez encore mieux la sainteté de la loi chrétienne, vous m'honorerez d'un semblable témoignage. C'est à moi à en recevoir de vous, reprit le prince d'un air obligeant. » Après quoi il réitéra ses ordres afin qu'on continuât de fournir ce qui seroit nécessaire pour la construction de la nouvelle église, et il ajouta, en congédiant le missionnaire, qu'il vouloit assister à la première fête qui s'y célébreroit.

Sur la fin de cette audience, le missionnaire, | cade, qui nous fit rendre notre église et apaisa voyant que le prince ne lui disoit mot de l'émeute que les dasseris avoient excitée à son occasion, crut devoir le prévenir en général sur les oppositions qu'on formoit de toutes parts contre le christianisme : « Il n'est pas surprenant, lui dit-il, que la vérité trouve tant de contradicteurs. L'homme, naturellement ennemi de la contrainte, ne peut souffrir qu'on s'oppose au penchant qui l'entraîne vers le mal: « Le vice, ainsi que l'a dit un de vos poëtes, paroît à l'homme de l'ambroisie, et la vérité lui semble du poison. » Si la religion du vrai Dieu toléroit un seul des vices qui sont autorisés par les différentes sectes de ce pays, je pourrois me promettre de trouver un grand nombre de partisans et de disciples; mais comme cette religion est si sainte et si pure qu'elle condamne jusqu'à l'apparence même du vice, faut-il s'étonner qu'on s'efforce de la décrier et que tant d'ennemis s'élèvent contre ses ministres? Ma confiance est dans la protection du vrai Dieu, que j'adore et dont je publie la sainte loi c'est le seul intérêt de sa gloire qui m'a fait quitter mon pays pour venir vous enseigner le chemin du ciel; c'est son bras puissant qui me soutiendra contre les efforts de tant d'ennemis. Sans ce secours dont je m'appuie, aurais-je la témérité, seul comme je suis, d'entrer en lice avec une si grande multitude et de m'exposer à un danger continuel de perdre la vie? C'est le seul bien qu'on puisse me ravir, et je m'estimerois heureux de le sacrifier mille fois en témoignage des vérités que je vous annonce. C'est ce vrai Dieu, prince, dont je publie les grandeurs, qui suscite des hommes amateurs de la vérité pour prendre en main sa défense et la soutenir de leur autorité. C'est à ce seul vrai Dieu que je suis redevable des marques d'affection dont vous m'honorez et de la permission que vous m'avez donnée de bâtir une église dans vos états. - Que dites-vous ? répondit le prince, quels avantages n'ai-je pas reçus moi-même depuis que vous êtes venu à ma cour? Votre entrée dans mes états n'a-t-elle pas été pour moi une source de prospérités et de bénédictions? >>

Vous avez su, monsieur, que dans le temps que les dasseris nous enlevèrent notre église de Devandapallé, M. de Saint-Hilaire, qui s'intéresse avec tant de zèle pour le progrès de la foi, nous obtint une patente du nabab d'Ar

Comme le père étoit occupé à conduire le bâtiment de son église, il reçut une lettre que lui présentèrent deux députés d'un prince maure, gouverneur de Manimadougou, petite ville éloignée de dix-huit à vingt lieues de Madigoubba. Ce gouverneur est homme d'esprit et curieux. Ayant appris qu'un saniassi romain enseignoit une nouvelle doctrine, il souhaitoit de le voir et de l'entretenir : c'est ce que contenoit sa lettre, qui étoit écrite sur du papier semé de fleurs d'argent. En voici à peu près les termes :

<< Moi Secou-Aboulla-Rahimou, cam, gouverneur de la ville et forteresse de Manimadougou, je fais la révérence en présence des pieds de celui qui brille de toute sorte de belles qualités, qui est dans la plus haute contemplation de la Divinité, qui enseigne la loi du souverain maître de toutes choses..... Il y a longtemps que j'ai un extrême désir de jouir de votre présence, et il n'y a que vous qui sachiez quand ce moment heureux pour moi arrivera. Les

deux personnes que je vous envoie tâcheront de découvrir quelle est votre volonté. Je finis en faisant plusieurs profondes révérences. >>

Le père, qui savoit que cette démarche du prince maure n'avoit pour principe que sa curiosité naturelle et qu'il n'y avoit nulle espérance de lui faire goûter les vérités du christianisme, lui fit la réponse suivante :

« Le docteur de la loi du vrai Dieu donne sa bénédiction à Secou-Aboulla-Rahimou, etc. J'ai reçu avec toute la joie de mon âme la lettre qu'il vous a plu de m'envoyer. N'étant que le dernier des esclaves du vrai Dieu qui a créé le ciel et la terre et qui les gouverne par sa toutepuissance, je ne suis pas le maître de disposer de moi-même pour aller ou pour demeurer en quelque lieu que ce soit. Je m'assurerai par la prière quels sont les ordres et la volonté du souverain maître que j'adore, et alors je tâcherai de contenter pleinement le désir de votre cœur. Je prierai ce grand maître pour la conservation de votre personne. »

Peu de jours après il reçut une autre lettre de la femme du nabab de Chirpi : elle avoit déjà envoyé deux fois le même exprès à Ballabaram, où elle croyoit qu'étoit le missionnaire, pour le prier de la venir trouver. Le père s'en excusa sur l'obligation où il étoit de visiter ses différentes chrétientés. Cette réponse ne l'ayant pas satisfaite, elle lui écrivit une seconde lettre plus pressante que la première, et pour l'y engager, elle lui permettoit de bâtir une église dans l'étendue de son gouvernement, le laissant le maître de choisir ou Chipi, ou Colalam, ou Cotta-Cotta, qui sont de grandes villes et fort peuplées.

Le missionnaire ne crut pas devoir se rendre aisément à ses sollicitations, soit parce qu'il y a toujours du risque à se livrer entre les mains. des Maures, soit par le peu d'espérance qu'il y a de les convertir; il prit le parti d'envoyer un de ses catéchistes pour la sonder et pour découvrir s'il pouvoit quel étoit son dessein. Mais, sans vouloir autrement s'expliquer, elle répondit qu'elle avoit des choses à dire au saniassi romain qu'elle ne pouvoit confier à personne ; qu'elle le prioit de considérer qu'il n'étoit pas de la bienséance qu'une femme de son rang sortit du palais sans en avoir la permission expresse de son mari.

Le père, touché de ces raisons, se rendit le lendemain à Colla-Colta, et il fut aussitôt con

duit dans l'appartement de la princesse maure.. C'étoit d'abord une prétendue maladie sur laquelle elle vouloit le consulter. Il répondit qu'il n'avoit nulle connoissance de la médecine et que sa profession étoit d'enseigner la vérité. Une autre chose lui donnoit de l'inquiétude, savoir quelle étoit la situation de son fils aîné qu'on retenoit à la cour du Mogol jusqu'à ce que son père eût satisfait à une dette considérable. Enfin elle vint à la principale raison de son empressement à entretenir le missionnaire.

Quatre ou cinq mois auparavant, quelques faquirs (c'est le nom qu'on donne aux pénitens maures) lui avoient fait dire qu'ils savoient plusieurs secrets et entre autres celui de faire de l'or. Elle les avoit fait venir, et sur ce qu'ils dirent que malheureusement ils n'étoient pas en état de fournir aux dépenses nécessaires pour les préparatifs, elle se chargea d'en faire les frais. On leur donna plusieurs ouvriers pour travailler sous eux. Trois ou quatre mois se passèrent à chercher diverses plantes, à les broyer, à préparer les métaux qui devoient entrer dans cette composition; ils firent fondre une grande quantité de cuivre qu'ils réduisirent en petits lingots: ces lingots devoient se changer en or en les trempant dans une certaine eau. Après avoir fait l'épreuve de cette cau, ils présentèrent à la dame deux ou trois morceaux d'or, auxquels il ne manquoit, disoient-ils, que quelques karats pour être dans sa perfection: «Pour cela, ajoutèrent-ils, il n'y a plus qu'à faire tremper dans cette eau des perles et des pierres fines pendant deux ou trois jours; mais il nous faut passer ce temps-là en prières, sans manger, sans boire, sans parler à personne. » La dame cut la simplicité de leur confier ses bijoux ; ils passèrent le premier jour en prières, mais la seconde nuit ils disparurent et emportèrent les perles et les diamans qui leur avoient été confiés. La perte étoit grande; l'incertitude où étoit la pauvre dame du traitement que lui feroit le nabab à son retour lui causoit de mortelles inquiétudes. Comme elle s'étoit laissée persuader que le missionnaire avoit le secret de faire de l'or, elle le conjuroit avec larmes de la tirer du mauvais pas où elle s'étoit engagée. L'expérience qu'elle venoit de faire ne pouvoit encore la guérir de son entêtement sur le secret imaginaire de la pierre philosophale

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