ans, deux chasseurs et deux pêcheurs. Moyen- | divers effets dont vous l'aviez chargé pour nant une certaine rétribution ils nous approvi-m moi je suis aussi sensible à cette preuve de sionnent assez bien, et, au cas que quelques-uns vos bontés qu'à l'intérêt que vous voulez bien d'entre eux viennent à nous manquer, il s'en pré- prendre à ma santé. Elle n'est pas aussi bonne sente déjà d'autres pour les remplacer, tant pour que je le désirerois; les fièvres tierces m'oblila chasse que pour la pêche. Communiquez, s'il gent depuis longtemps de garder la chambre, vous plaît, ma lettre à monseigneur le préfet, et la douleur que j'ai éprouvée en voyant mous'il est encore à Cayenne, et faites-lui nos ex- rir, à mes côtés, mon confrère, le père Fercuses de ce que nous ne lui avons point écrit, reira, ne contribue pas peu, peut-être, à la ce que nous aurions fait immanquablement si lenteur de mon rétablissement. Des fièvres conla santé nous l'eût permis, et il falloit ces be- tinuelles et violentes l'ont emporté en peu de soins pressans, j'ose vous l'avouer, pour vous jours. J'ose espérer cependant que le Seigneur écrire dans la circonstance où je me trouve. Je me donnera des forces pour arriver au but que souhaite que Dieu vous l'accorde, cette santé, je me suis proposé en venant ici. Lorsque ma si nécessaire pour remplir vos fonctions, tant santé me le permettra, je m'occuperai, avec au collège qu'à la paroisse. Je vous sais tou- tout le zèle et l'activité qui dépendent de moi, jours bon gré de m'avoir mis à même, lorsque de l'établissement de cette mission, et je saisinous étions à Cayenne, de partager avec vous rai avec empressement toutes les occasions qui les travaux du saint ministère dans la Savanne; me mettront à même de répondre à la conje le ferois encore volontiers si je ne me croyois fiance que vous avez bien voulu me témoide plus en plus appelé à la conversion des Ingner. diens, parmi lesquels je suis résolu de mourir; ma destinée paroft fixée sur ce peuple dur et barbare, parmi lequel j'espère faire plus de fruit, Dieu aidant, que parmi une nation plus cultivée et plus policée, dont la conduite exige plus de talent que je ne puis m'en attribuer, Envoyez-moi, s'il vous platt, les effets du père Mathos qui sont restés chez vous, ne réservant que la soutane, pour prix de laquelle vous offrirez le saint sacrifice de la messe pour le repos de l'âme du cher défunt. Vous prendrez sur mes appointemens la somme des dettes qu'il vous a laissées, qui montent, je pense, à 195 livres; le reste vous servira à nous faire l'achat des denrées qui nous sont nécessaires actuellement et dont je vous ferai le détail. Profitez de la pirogue par laquelle je vous fais passer ma lettre; ayez soin que tout puisse nous arriver sain et sauf, J'ai l'honneur d'être, etc. LETTRE DU P. PADILLA Mort du P. Ferreira-Notes sur les savannes, MESSIEURS, M. Monach, qui est entré avant - hier dans cette rivière, m'a remis les lettres et les J'expédierai, messieurs, ainsi que vous me le prescrirez, des canots indiens ou de pêcheurs blancs lorsqu'ils seront à ma portée, ce qui est rare, pour vous instruire de ce qui pourra vous intéresser dans ce quartier, et en même temps pour vous faire parvenir ma demande sur les secours dont je pourrois avoir besoin par la suite. Je n'omettrai rien non plus pour faire revenir les Indiens sur l'idée désavantageuse qu'on a cherché à leur donner de l'établissement de cette mission. Jusqu'à présent j'ai lieu d'être satisfait du zèle et de l'empressement qu'ils ont montré, et j'espère les entretenir dans ces mêmes sentimens. J'ai remis à M. Monach les divers effets que j'avois ici appartenant au roi, et qui étoient en prêt aux révérends pères Mathos et Ferreira. Ci-jointe est la note de ce que j'ai l'honneur de vous adresser. Je garderai seulement ce qui est à mon usage, le reste me devient superflu. Quant aux bestiaux que vous désireriez multiplier ici, les savannes me paroissent trèspropres à la réussite de votre projet: au reste, M. Monach, qui les a visitées, vous rendra compte des remarques qu'il aura pu y faire. Je vous prie, messieurs, de vouloir bien m'excuser si je me sers d'une main étrangère pour répondre aux lettres dont vous m'honorez; ma foible santé me défend dans ce moment toute espèce d'application, mais mon cœur n'en est pas moins pénétré de tous les sentimens de reconnoissance et de respect que vous m'inspirez, et avec lesquels je suis, etc. prendre des prisonniers dans les combats, ou ils les font esclaves pour toujours, ou, après les avoir rôtis sur les charbons, ils les mangent dans leurs festins, et se servent, au lieu de tasses, des crânes de ceux qu'ils ont ainsi dévorés. Ils sont fort adonnés à l'ivrognerie, et quand LETTRE DU P. STANISLAS ARLET, le feu leur monte à la tête après s'être querellés MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE de Jésus, AU R. P. GÉNÉRAL DE LA MÊME COMPAGNIE; TRADUITE DU LATIN. Mission nouvelle du Pérou. MON TRÈS REVEREND PÈRE, P. C. L'an 1697, la veille de la fête de saint Pierre et de saint Paul, nous arrivâmes au Pérou, le père François Boriné, mon compagnon, et moi, tous deux, grâces à Dieu, dans une santé parfaite, et sans avoir essuyé aucun fâcheux accident. Il y avoit justement quatre ans que, durant l'octave des saints apôtres, votre paternité nous avoit donné la permission de quitter la Bohême, notre patrie, pour passer aux Indes d'occident. Après quelque séjour en ce nonveau monde, nos supérieurs de ce pays me permirent, ce que je souhaitois avec le plus d'ardeur, d'avancer dans les terres pour y fonder un établissement nouveau. Nous lui avons donné le nom du prince des apôtres, sous les auspices de qui la mission a été entreprise et commencée, et on l'appelle la résidence de Saint-Pierre. Les barbares que la Providence m'a chargé de cultiver se nomment Canisiens. Ce sont des hommes sauvages et peu différens des bêtes pour la manière de vivre et de se conduire. Ils vont tout nus, hommes et femmes. Ils n'ont point de demeure fixe, point de lois, nulle forme de gouvernement. Egalement éloignés de la religion et de la superstition, ils ne rendent aucun honneur ni à Dieu ni aux démons, quoiqu'ils aient des idées assez formées du souverain Etre. Ils ont la couleur d'un brun foncé, le regard farouche et menaçant, je ne sais quoi de féroce dans toute la figure. On ne sauroit bien dire le nombre des hommes qui peuvent être en ces vastes pays, parce que l'on ne les voit jamais assemblés et qu'on n'a pas encore eu le temps d'en rien deviner par conjecture. Ils sont continuellement en guerre avec leurs voisins, et quand ils peuvent et dit bien des injures, souvent ils se jettent les uns sur les autres, se déchirent et se tuent. La pudeur m'empêche d'écrire d'autres désordres bien plus honteux auxquels ils s'abandonnent brutalement lorsqu'ils ont trop bu. Ils ont pour armes l'arc et les flèches et une espèce de long javelot fait de roseaux longs et pointus, qu'ils lancent de loin contre l'ennemi avec tant d'adresse et de force que de plus de cent pas ils renversent leur homme comme à coup sûr. Le nombre des femmes n'est point limité parmi eux, les uns en ont plus, les autres moins, chacun comme il l'entend L'occupation des femmes, les journées entières, est de préparer å leurs maris des breuvages composés de diverses sortes de fruits. Nous entrâmes dans le pays de ces pauvres barbares, sans armes, et sans soldats, accompagnés seulement de quelques chrétiens indiens qui nous servoient de guides ou d'interprètes. Dieu voulut que notre expédition fût plus heureuse qu'on n'eût ôsé l'espérer, car plus de douze cents hommes sortirent bientôt des forêts pour venir avec nous jeter les fondemens de de notre nouvelle peuplade. Comme jamais ils n'avoient vu ni chevaux ni hommes qui nous ressemblassent pour la couleur et pour l'habillement, l'étonnement qu'ils firent paroître à notre première rencontre fut pour nous un spectacle bien divertissant. Nous voyions l'arc et les flèches leur tomber des mains de la crainte qui les saisissoit; ils étoient hors d'eux-mêmes, ne sachant que dire, et ne pouvant deviner d'où de tels monstres avoient pu venir dans leurs forêts. Car ils pensoient, comme ils nous l'ont avoué depuis, que l'homme, son chapeau, ses habits et le cheval sur lequel il étoit monté, n'étoient qu'un animal composé de tout cela par un prodige extraordinaire ; et la vue d'une nature si monstrueuse les tenoit dans une es. pèce de saisissement qui les rendoit immobiles. Un de nos interprètes les rassura, leur expliquant qui nous étions et les raisons de notre voyage, que nous venions de l'autre extrémité du monde seulement pour leur apprendre à connaître et à servir le vrai Dieu. Il leur fit ensuite quelques instructions particulières, dont nous étions convenus, et qui étoient à leur portée, sur l'immortalité des âmes, sur la durée de l'autre vie, sur les récompenses que Dieu leur promettoit après leur mort s'ils gardoient ses commandemens, sur les châtimens redoutables dont il les menaçoit avec raison, s'ils se rendoient rebelles à la lumière qui les venoit éclairer de si loin. Il n'en fallut pas davantage. Depuis ce premier jour un grand nombre de ces pauvres gens nous suivent comme un troupeau fait le pasteur, et nous promettent d'attirer après eux plusieurs milliers de leurs compagnons. Nous n'avons pas sujet de craindre qu'ils nous trompent. Déjà six nations fort peuplées, ou plutôt un peuple de six grandes forêts, ont envoyé des députés nous offrir leur amitié, nous demander la nôtre et nous promettre de se faire avec nous des demeures stables où nous jugerons à propos. Nous avons reçu ces députés avec toutes les démonstrations de l'amitié la plus tendre, et nous les avons renvoyés chez eux chargés de présens. Ces présens ne sont que quelques petits grains de verre dont ils font apparemment des bracelets et des colliers. L'or et l'argent ne sont point ici à beaucoup près si estimés, et si j'avois pour quarante ou cinquante écus seulement de ces grains de verre de toutes les grosseurs et de toutes les couleurs, hormis le noir, dont il ne faut pas, ce seroit de quoi nous amener une grande multitude de ces bonnes gens, que nous retiendrions ensuite par quelque chose de meilleur et de plus solide. Nous avons choisi, pour faire notre nouvelle habitation, un canton bien situé et fort agréable, vers la hauteur d'environ quatorze degrés de latitude australe. Elle a au midi et à l'orient une plaine de plusieurs lieues d'étendue, plantée par intervalles de beaux palmiers; au septentrion un fleuve grand et poissonneux, nommé Cucurulu en langue canisienne ; à l'occident, ce sont de vastes forêts d'arbres odoriférans et très propres à bâtir, dans lesquelles on trouve des cerfs, des daims, des sangliers, des singes et toutes sortes de bêtes fauves et d'oiseaux. La nouvelle bourgade est partagée en rues et en places publiques, et nous y avons une maison comme les autres, avec une chapelle assez grande. Nous avons été les archi tectes de tous ces bâtimens, qui sont aussi grossiers que vous pouvez vous l'imaginer. Il faut avouer que les chaleurs sont ici très grandes par la nature du climat. C'est un été violent qui dure toute l'année, sans nulle variété sensible des saisons, et si ce n'étoient les vents, qui soufflent par intervalles et qui rafraîchissent un peu l'air, le lieu seroit absolument inhabitable. Peut-être aussi qu'étant élevés dans les pays septentrionnaux, nous sommes un peu plus sensibles à la chaleur que les autres. L'air enflammé forme des orages et des tonnerres aussi affreux qu'il sont fréquens. Des nuages épais de moucherons vénimeux nous tourmentent jour et nuit par leurs morsures. On ne voit de pain et de vin que ce qu'il en faut pour dire la messe. C'est de la rivière et de la forêt qu'on tire tout ce qui sert à la nourriture, et on ne connoît d'autre assaisonnement à ces mets différens qu'un peu de sel quand on en a, car souvent même on en manque. On boit ou de l'eau ou des breuvages dont nous avons parlé. Mais Dieu, par ses consolations pleines de douceur, supplée à tout ce qu'on pourroit désirer d'ailleurs pour la commodité ou pour la délicatesse, et dans une si grande disette de toutes choses, on ne laisse pas de vivre très content. En mon particulier, mon révérend père, j'ose vous assurer que, depuis que je suis dans cette pénible mission, je n'ai pas eu un mauvais jour, et certainement ce que je m'en figurois, lorsque je demandois à y venir, me donnoit bien plus d'inquiétude et de dégoût que ne m'a causé de peine l'expérience de ce que j'ai trouvé à souffrir. Je repose plus doucement à l'air sur la terre dure que je ne fis jamais étant encore au siècle dans les meilleurs lits : tant il est vrai que l'imagination des maux tourmente souvent beaucoup plus que les maux même ne sauroient faire. La vue seule de ce grand nombre de catéchumènes qui se préparent avec une ferveur inexplicable à embrasser la foi et qui se rendent dignes du baptême par un changement total de mœurs et de conduite, feroit oublier d'autres maux bien plus sensibles. C'est un charme de voir venir ce peuple en foule, et d'un air content, le matin à l'explication du catéchisme, et le soir aux prières que nous faisons faire en commun; de voir les enfans disputer entre eux à qui aura plus tôt appris par cœur ce qu'on leur enseigne de nos mystères; nous reprendre nous-mêmes quand il nous échappe quelque | saints! C'est une chose qui paroît incroyable, mauvais mot dans leur langue, et nous sugge rer tout bas comment il auroit fallu dire; les adultes plus avancés demander avec empressement le premier sacrement de notre religion, venir nous avertir à toutes les heures du jour et de la nuit, et quand quelqu'un d'eux est extraordinairement malade, pour aller promptement le baptiser; nous presser de trouver bon qu'ils bâtissent au Grand-Maître une grande maison, c'est ainsi qu'ils nomment Dieu et l'église, pendant que plusieurs d'entre eux n'ont pas encore où se retirer ni où se loger. On sait quel obstacle c'est à la conversion des barbares que la pluralité des femmes, et la peine qu'on a d'ordinaire à leur persuader ce que le christianisme commande à cet égard. Dès les premiers discours que nous fimes à ceux-ci, avec toute la sagesse et toute la réserve qne demandoit un point si délicat, ils comprirent très-bien ce que nous voulions. dire et nous fumes obéis partout, hormis en trois familles, sur lesquelles nous n'avons pu encore rien gagner. Il n'en a pas plus coûté pour les guérir de l'ivrognerie, ce qui doit paroître admirable et fait voir la grande miséricorde de Dieu sur ces peuples, qui paroissoient jusqu'ici abandonnés. Quelques femmes ont déjà appris à filer et à faire de la toile pour se couvrir. Il y en a bien une vingtaine qui ne paraissent plus qu'habillées de leur ouvrage, et nous avons semé une assez grande quantité de coton pour avoir dans quelques années de quoi vêtir tout le monde. Cependant on se sert comme on peut de feuilles d'arbres pour se couvrir, en attendant quelque chose de mieux. En un mot, les hommes et les femmes indifféremment nous écoutent et se soumettent à nos conseils avec tant de docilité qu'il paroît bien que c'est la grâce et la raison qui les gouvernent. Il ne faut qu'un signe de notre volonté pour porter ces chers fidèles à faire tout le bien que nous leur inspirons. Voilà, mon révérend père, ceux à qui a passé le royaume de Dieu, que sa justice, par un jugement redoutable, à ôté à ces grandes provinces de l'Europe, qui se sont livrées à l'esprit de schisme et d'hérésie. Oh! si sa miséricorde vouloit faire ici une partie des merveniles auxquelles les aveugles volontaires de notre Allemagne s'obstinent à fermer les yeux, qu'apparemment il y auroit bientôt ici des qu'en un an de temps des hommes tout sauvages et qui n'avoient presque rien de l'homme que le nom et la figure, aient pu prendre si promptement des sentimens d'humanité et de piété. On voit déjà parmi eux des commencemens de civilité et de politesse. Ils s'entre-saluent quand ils se rencontrent et nous font, à nous autres, qu'ils regardent comme leurs maîtres, des inclinations profondes, frappant la terre du genou et baisant la main avant que de nous aborder. Ils invitent les Indiens des autres pays qui passent par leurs terres à prendre logis chez eux, et, dans leur pauvreté, ils exercent une espèce d'hospitalité libérale, les conjurant de les aimer comme leurs frères et de leur en vouloir donner des marques dans l'occasion. De sorte qu'il y a lieu d'espérer qu'avec la grâce de Dieu, qui nous a tant aidés jusqu'ici, nous ferons de ces nations non-seulement une église de vrais fidèles, mais encore avec un peu de temps une ville, peut-être un peuple d'hommes qui vivront ensemble selon toutes les lois de la parfaite société. Pour ce qui regarde les autres missions fondées en ce pays-ci depuis dix ans, je dirai à votre paternité ce que j'ai appris, que le christianisme y fait de très-grands progrès, plus de quarante mille barbares ayant déjà reçu le baptême. C'est un concours et une modestie rare dans les églises, un respect profond à l'approche des sacremens; les maisons des particuliers retentissent souvent des louanges de Dieu qu'on y chante et des instructions que les plus fervens font aux autres. M'étant trouvé dans une de ces missions pendant la semaine sainte, j'eus la consolation de voir dans l'église plus de cinq cents Indiens qui châtioient rigoureusement leur corps le jour du vendredisaint, à l'honneur de Jésus-Christ flagellé. Mais ce qui me tira des larmes de tendresse et de dévotion, ce fut une troupe de petits Indiens et de petites Indiennnes, qui, les yeux humblement baissés, la tête couronnée d'épines, et les bras appliqués à des poteaux en forme de croix, imitèrent plus d'une heure entière en cette posture l'état pénible du Sauveur crucifié, qu'ils avoient là devant les yeux. Mais afin que nos espérances ne nous trompent point et que le nombre de nos nouveaux fidèles s'augmente chaque jour avec leur ferveur, du fond de ces grands déserts où nous sommes à l'autre extrémité du monde, je conjure votre | de les retirer des profondes ténèbres de l'idolâ paternité de se souvenir de nous dans ses saints sacrifices, et de nous procurer le même secours auprès de nos pères et frères répandus par toute la terre, avec qui nous conservons une étroite union en Jésus-Christ, et dans les prières desquels nous avons une parfaite confiance. Je suis, etc. Au Pérou, de la mission que les Espagnols appelent Moxos, et que les naturels du pays nomment Canisie, le 1er septembre 1698. MÉMOIRE Touchant l'état des missions nouvellement établies dans la Californie, par les pères de la compagnie de Jésus, présenté au conseil royal de Guadalaxara au Mexique, le 10 février 1702. PAR LE PERE FRANÇOIS-MARIE PICOLO, DE LA MÊME COMPAGNIE, ET L'UN DES PREMIERS FONDATEURS DE CETTE MISSION. TRADUIT DE L'ESPAGNOL. MESSEIGNEURS, C'est pour obéir aux ordres que vous m'avez fait l'honneur de me donner depuis quelques jours, que je vais vous rendre un compte exact et fidèle des découvertes et des établissemens que nous avons faits, le père Jean-Marie de Salvatierra et moi, dans la Galifornie, depuis environ cinq ans que nous sommes entrés dans ce vaste pays. Nous nous embarquâmes au mois d'octobre de l'année 1697, et nous passâmes la mer, qui sépare la Californie du Nouveau-Mexique, sous les auspices et sous la protection de Notre-Dame de Lorette, dont nous portions avec nous l'image. Cette étoile de la mer nous conduisit heureusement au port avec tous les gens qui nous accompagnoient. Aussitôt que nous eûmes mis pied à terre, nous plaçâmes l'image de la sainte Vierge au lieu le plus décent que nous trouvâmes, et, après l'avoir ornée autant que notre pauvreté nous le put permettre, nous priâmes cette puissante avocate de nous être aussi favorable sur terre qu'elle nous l'avoit été sur mer. Le démon, que nous allions inquiéter dans la paisible possession où il était depuis tant de siècles, fit tout ses efforts pour traverser notre entreprise et pour nous empêcher de réussir. Les peuples chez qui nous abordâmes, ne pouvant être informés du dessein que nous avions trie où ils sont ensevelis, et de travailler à leur salut éternel, parce qu'ils ne savoient pas notre langue et qu'il n'y avoit, parmi nous, personne qui eût aucune connoissance de la leur, s'imaginèrent que nous ne venions dans leur pays que pour leur enlever la pêche des perles, comme d'autres avoient paru vouloir le faire plus d'une fois au temps passé. Dans cette pensée, ils prirent les armes et vinrent par troupes à notre habitation, où il n'y avait alors qu'un très petit nombre d'Espagnols. La violence avec laquelle ils nous attaquèrent et la multitude de flèches et de pierres qu'ils nous jetèrent fut si grande que c'étoit fait de nous infailliblement si la sainte Vierge, qui nous tenoit lieu d'une armée rangée en bataille, ne nous eût protégés. Les gens qui se trouvèrent avec nous, aidés du secours d'en haut, soutinrent vigoureusement l'attaque et repoussèrent les ennemis avec tant de succès qu'on les vit bientôt prendre la fuite. Les barbares, devenus plus traitables par leur défaite, et voyant d'ailleurs qu'ils ne gagneroient rien sur nous par la force, nous députèrent quelques-uns d'entre eux; nous les reçûmes avec amitié; nous apprîmes bientôt assez de leur langue pour leur faire concevoir ce qui nous avoit portés à venir en leur pays. Ces députés détrompèrent leurs compatriotes de l'erreur où ils étoient, de sorte que, persuadés de nos bonnes intentions, ils revinrent nous trouver en plus grand nombre et nous marquèrent tous de la joie de voir que nous souhaitions les instruire de notre sainte religion et leur apprendre le chemin du ciel. De si heureuses dispositions nous animèrent à apprendre à fond la langue monqui, qu'on parle en ce pays-lå. Deux ans entiers se passèrent, partie à étudier et partie à catéchiser ces peuples. Le père de Salvatierra se chargea d'instruire les adultes, et moi les enfans. L'assiduité de cette jeunesse à venir nous entendre parler de Dieu, et son application à apprendre la doctrine chrétienne fut si grande qu'elle se trouva en peu de temps parfaitement instruite. Plusieurs me demandérent le saint baptême, mais avec tant de larmes et de si grandes instances que je ne crus pas devoir le leur refuser. Quelques malades et quelques vieillards qui nous parurent suffisamment instruits le reçurent aussi, dans la crainte où nous étions qu'ils ne mourussent |