conversion de ce royaume, se charger de payer à chacun ce qui lui seroit assigné par la cour, et de pourvoir au bien des colonies, afin que tous pussent s'appliquer sans distraction à leur devoir, et que l'ambition et l'intérêt ne ruinassent pas en un moment, comme il est souvent arrivé, un ouvrage qu'on n'a établi qu'avec beaucoup de temps, de peines et de dangers. De la vie et de la mort du P. Cyprien Baraze, de la compagnie de Jésus et fondateur de la mission des Moxes dans le Pérou, imprimée à Lima par ordre de monseigneur Urbain de Matha, évêque de la ville de la Paix. On entend par la mission des Moxes un assemblage de plusieurs différentes nations d'infidèles de l'Amérique, à qui on a donné ce nom parce que en effet la nation des Moxes est la première de celles-là qui ait reçu la lumière de l'Evangile. Ces peuples habitent unt pays immense, qui se découvre à mesure qu'en quittant Sainte-Croix-de-la-Sierra on côtoie une longue chaîne de montagnes escarpées, qui vont du sud au nord. Il est situé dans la zone Voilà, ce me semble, messeigneurs, tout ce que vous avez souhaité que je vous donnasse par écrit. Il sera de votre sagesse et de votre prudence ordinaire de juger ce qu'il est à propos d'en faire savoir au roi notre maître. Il aura sans doute beaucoup de consolation d'apprendre qu'à son avénement à la cou. Dieu ait ouvert une belle carrière à son ronne, zèle. Je venois ici chercher des secours sans lesquels il étoit impossible ou de conserver ce que nous venons de faire, ou de pousser plus loin l'œuvre de Dieu. La libéralité du prince a prévenu et surpassé de beaucoup nos demandes. Que le Seigneur étende son royaume autant qu'il étend le royaume de Dieu, et qu'il vous donne, messeigneurs, autant de bénédictions que vous avez de zèle pour faciliter l'établissement de la religion dans ces vastes pays, qui ont été jusqu'à présent abandon-dée, faute d'issue pour faire écouler les eaux. nés ! Je suis, etc. A Guadalaxara, le 10 de février de l'année 1702 1. 1 Les missions dans la Californie avaient eu un succès complet. Sous la conduite des jésuites, les sauvages avaient quitté la vie nomade, cultivé de petits terrains, bâti des maisons, élevé des temples, lorsqu'un décret impolitique vint détruire sur tous les points de l'Amérique Espagnole l'utile et puissante société. Le gouverneur don Portola, envoyé en Californie pour exécuter le décret, crut y trouver de vastes trésors et 10,000 Indiens armés de fusils pour défendre les jésuites. Il vit au contraire des prêtres à cheveux blancs venir humblement à sa rencontre; il versa de généreuses larmes sur l'erreur du roi et adoucit tant qu'il put l'exécution des ordres dont il était porteur. Les jésuites partirent; ils furent accompagnés jusqu'au lieu de leur embarquement par toute la population. Les franciscains leur succédèrent et à leur suite vinrent les dominicains. Ceux-ci même s'établirent seuls dans la Vieille-Californie, et les franciscains s'étendirent dans la Nouvelle. Mais ces derniers seuls ont prospéré. Les autres ont laissé périr les fondations faites avant eux. Depuis le départ des jésuites la population de la Californie est fort réduite. Il n'existe pas 9,000 mille habitans dans un pays qui est plus grand que l'Angleterre torride et s'étend depuis dix jusqu'à quinze degrés de latitude méridionale. On en ignore entièrement les limites, et tout ce qu'on en a pu dire jusqu'ici n'a pour fondement que quelques conjectures, sur lesquelles on ne peut guère compter. Cette vaste étendue de terre paroît une plaine assez unie; mais elle est presque toujours inon Ces eaux s'y amassent en abondance par les pluies fréquentes, par les torrens qui descendent des montagnes et par le débordement des rivières. Pendant plus de quatre mois de l'année, ces peuples ne peuvent avoir de communication entre eux, car la nécessité où ils sont de chercher des hauteurs pour se mettre à couvert de l'inondation fait que leurs cabanes sont fort éloignées les unes des autres. Outre cette incommodité, ils ont encore celle du climat, dont l'ardeur est excessive: ce n'est pas qu'il ne soit tempéré de temps en temps, en partie par l'abondance des pluies et l'inondation des rivières, en partie par le vent du nord, qui y souffle presque toute l'année. Mais d'autres fois le vent du sud, qui vient du côté des montagnes couvertes de neige, se déchaîne avec tant d'impétuosité et remplit Fair d'un froid si piquant que ces peuples, presque nus et d'ailleurs mal nourris, n'ont pas la force de soutenir ce dérangement subit des saisons, surtout lorsqu'il est accompagné des inondations 'Le chef-lieu, l'Orato, est une bourgade avec presidio; le nombre des habitans, tant Espagnols que métis et Indiens, ne s'élève pas à plus de 1,000. dont je viens de parler, qui sont presque tou- | compagné d'un tigre qu'il semble avoir invité jours suivies de la famine et de la peste, ce qui cause une grande mortalité dans le pays.` Les ardeurs d'un climat brûlant, jointes à l'humidité presque continuelle de la terre, produisent une grande quantité de serpens, de vipères, de fourmis, de mosquites, de punaises volantes et une infinité d'autres insectes, qui ne donnent pas un moment de repos. Cette même humidité rend le terroir si stérile qu'il ne peut porter ni blé, ni vignes, ni aucun des arbres fruitiers qu'on cultive en Europe. C'est ce qui fait aussi que les bêtes à laine ne peuvent y subsister. Il n'en est pas de même des taureaux et des vaches on a éprouvé dans la suite des temps, lorsqu'on en a peuplé le pays, qu'ils y vivoient et qu'ils y multiplioient comme dans le Pérou. : Les Moxes ne vivent guère que de la pêche et de quelques racines que le pays produit en abondance. Il y a de certains temps où le froid est si apre qu'il fait mourir une partie du poisson dans les rivières : les bords en sont quelquefois tout infectés. C'est alors que les Indiens courent avec précipitation sur le rivage pour en faire leur provision, et quelque chose qu'on leur dise pour les détourner de manger ces poissons à demi pourris, ils répondent froidement que le feu raccommodera tout. Ils sont pourtant obligés de se retirer sur les montagnes une bonne partie de l'année et d'y vivre de la chasse. On trouve sur ces montagnes une infinité d'ours, de léopards, de tigres, de chèvres, de porcs sauvages et quantité d'autres animaux tout-à-fait inconnus en Europe. On y voit aussi différentes espèces de singes. La chair de cet animal, quand elle est boucanée, est pour les Indiens un mets délicieux. Ce qu'ils racontent d'un animal appelé ocorome est assez singulier. Il est de la grandeur d'un gros chien; son poil est roux, son museau pointu, ses dents fort affilées. S'il trouve un Indien désarmé, il l'attaque et le jette par terre sans pourtant lui faire de mal, pourvu que l'Indien ait la précaution de contrefaire le mort. Alors l'ocorome remue l'Indien, tâte avec soin toutes les parties de son corps, et se persuadant qu'il est mort effectivement, comme il le paroît, il le couvre de paille et de feuillages, et s'enfonce dans le bois le plus épais de la montagne. L'Indien, échappé de ce danger, se relève aussitôt et grimpe sur quelque arbre, d'où il voit revenir peu après l'ocorome ac : au partage de sa proie; mais ne la trouvant plus, il pousse d'affreux hurlemens en regardant son camarade, comme s'il vouloit lui témoigner la douleur qu'il a de l'avoir trompé '. Il n'y a parmi les Moxes ni lois, ni gouvernement, ni police; on n'y voit personne qui commande ni qui obéisse s'il survient quelque différend parmi eux, chaque particulier se fait justice par ses mains. Comme la stérilité du pays les oblige à se disperser dans diverses contrées afin d'y trouver de quoi subsister, leur conversion devient par là très-difficile, et c'est un des plus grands obstacles que les missionnaires aient à surmonter. Ils bâtissent des cabanes fort basses dans les lieux qu'ils ont choisis pour leur retraite, et chaque cabane est habitée par ceux de la même famille. Ils se couchent à terre sur des nattes, ou bien sur un hamac qu'ils attachent à des pieux ou qu'ils suspendent entre deux arbres, et là ils dorment exposés aux injures de l'air, aux insultes des bêtes et aux morsures des mosquites. Néanmoins ils ont coutume de parer à ces inconvéniens en allumant du feu autour de leur hamac ; la flamme les échauffe, la fumée éloigne les mosquites, et la lumière écarte au loin les bêtes féroces; mais leur sommeil est bien troublé par le soin qu'ils doivent avoir de rallumer le feu quand il vient à s'éteindre. Ils n'ont point de temps réglé pour leurs repas toute heure leur est bonne dès qu'ils trouvent de quoi manger. Comme leurs alimens sont grossiers et insipides, il est rare qu'ils y excèdent; mais ils savent bien se dédomma.ger dans leur boisson. Ils ont trouvé le secret de faire une liqueur très-forte avec quelques racines pourries qu'ils font infuser dans de l'eau. Cette liqueur les enivre en peu de temps et les porte aux derniers excès de fureur. Ils en usent principalement dans les fêtes qu'ils célèbrent en l'honneur de leurs dieux. Au bruit de certains instrumens, dont le son est fort fort désagréable, ils se rassemblent sous des espèces de berceaux qu'ils forment de branches d'arbre Le couguar, qu'on nomme aussi tigre roux, tigre poltron, n'a pourtant rien de l'instinct cruel des tigres; il est peu dangereux et n'attaque que les brebis, qu'il tue pour en lécher le sang, mais il fuit l'approche du berger et du chien et il est facile à apprivoiser. On ne le trouve guère que dans les contrées centrales de l'Amérique du Sud. entrelacées les unes dans les autres, et lå ils dansent tout le jour en désordre et boivent à longs traits la liqueur enivrante dont je viens de parler. La fin de ces sortes de fêtes est presque toujours tragique: elles ne se terminent guère que par la mort de plusieurs de ces insensés et par d'autres actions indignes de l'homme raisonnable. Quoiqu'ils soient sujets à des infirmités presque continuelles, ils n'y apportent toutefois aucun remède. Ils ignorent même la vertu de certaines herbes médicinales, que le seul instinct apprend aux bêtes pour la conservation de leur espèce. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'ils sont fort habiles dans la connoissance des herbes venimeuses, dont ils se servent à toute occasion pour tirer vengeance de leurs ennemis. Ils sont dans l'usage d'empoisonner leurs flèches lorsqu'ils se font la guerre, et ce poison est si subtil que les moindres blessures deviennent mortelles. L'unique soulagement qu'ils se procurent dans leurs maladies consiste à appeler certains enchanteurs, qu'ils s'imaginent avoir reçu un pouvoir particulier de les guérir. Ces charlatans vont trouver les malades, récitent sur eux quelque prière superstitieuse, leur promettent de jeûner pour leur guérison et de prendre un certain nombre de fois par jour du tabac en fumée, ou bien, ce qui est une insigne faveur, ils sucent la partie mal affectée; après quoi ils se retirent, à condition toutefois qu'on leur paiera libéralement ces sortes de services. Ce n'est pas que le pays manque de remèdes propres à guérir tous leurs maux : il y en a abondamment et de très-efficaces. Les missionnaires, qui se sont appliqués à connoître les simples qui y croissent, ont composé, de l'écorce de certains arbres et de quelques autres herbes, un antidote admirable contre la morsure des serpens. On trouve presque à chaque pas sur les montagnes de l'ébène et du gayac; on y trouve aussi de la cannelle sauvage et une autre écorce d'un nom inconnu, qui est très-salutaire à l'estomac et qui apaise sur-le-champ toutes sortes de douleurs. Il y croit encore plusieurs autres arbres qui distillent des gommes et des aromates propres à résoudre les humeurs, à échauffer et à ramollir, sans parler de plusieurs simples connus en Europe et dont ces peuples ne font nul cas, tels que sont le fameux arbre de quinquina et | une écorce appelée cascarille, qui a la vertu de guérir toutes sortes de fièvres. Les Moxes ont chez eux toute cette botanique sans en faire aucun usage. Rien ne me fait mieux voir leur stupidité que les ridicules ornemens dont ils croient se parer et qui ne servent qu'à les rendre beaucoup plus difformes qu'ils ne le sont naturellement. Les uns se noircissent une partie du visage et se barbouillent l'autre d'une couleur qui tire sur le rouge. D'autres se percent les lèvres et les narines, et y attachent diverses babioles qui font un spectacle risible. On en voit quelques-uns qui se contentent d'appliquer sur leur poitrine une plaque de métal. On en voit d'autres qui se ceignent de plusieurs fils remplis de grains de verre, mêlés avec les dents et des morceaux de cuir des animaux qu'ils ont tués à la chasse. Il y en a même qui attachent autour d'eux les dents des hommes qu'ils ont égorgés, et plus ils portent de ces marques de leur cruauté, plus ils se rendent respectables à leurs compatriotes. Les moins difformes sont ceux qui se couvrent la tête, les bras et les genoux de diverses plumes d'oiseaux, qu'ils arrangent avec un certain ordre qui a son agré L'unique occupation des Moxes est d'aller à la chasse et à la pêche, ou d'ajuster leur arc et leurs flèches; celle des femmes est de préparer la liqueur que boivent leurs maris et de prendre soin des enfans. Ils ont la coutume barbare d'enterrer les petits enfans quand la mère vient à mourir, et s'il arrive qu'elle enfante deux jumeaux, elle enterre l'un d'eux, alléguant pour raison que deux enfans ne peuvent pas bien se nourrir à la fois. Toutes ces diverses nations sont presque toujours en guerre les unes contre les autres. Leur manière de combattre est toute tumultuaire; ils n'ont point de chef et ne gardent nulle discipline: du reste, une heure ou deux de combat finit toute la campagne. On reconnoît les vaincus à la fuite; ils font esclaves ceux qu'ils prennent dans le combat, et ils les vendent pour peu de chose aux peuples avec qui ils sont en commerce. Les enterremens des Moxes se font presque sans aucune cérémonie. Les parens du défunt creusent une fosse; ils accompagnent ensuite le corps en silence ou en poussant des sanglols. Quand il est mis en terre, ils partagent entre eux sa dépouille, qui consiste toujours en des choses de nulle valeur, et dès lors ils perdent pour jamais la mémoire du défunt. Ils n'apportent pas plus de cérémonie à leurs mariages. Tout consiste dans le consentement mutuel des parens de ceux qui s'épousent et dans quelques présens que fait le mari au père ou au plus proche parent de celle qu'il veut épouser. On ne compte pour rien le consentement de ceux qui contractent, et c'est une autre coutume établie parmi eux, que le mari suit sa femme partout où elle veut habiter. Quoiqu'ils admettent la polygamie, il est rare qu'ils aient plus d'une femme, leur indigence ne leur permettant pas d'en entretenir plusieurs. Cependant ils regardent l'incontinence de leurs femmes comme un crime énorme, et si quelqu'une s'oublioit de son devoir, elle passe dans leur esprit pour une infâme et une prostituée; souvent même il lui en coûte la vie. Tous ces peuples vivent dans une ignorance profonde du vrai Dieu. Il y en a parmi eux qui adorent le soleil, la lune et les étoiles ; d'autres adorent les fleuves; quelques-uns, un prétendu tigre invisible; quelques autres portent toujours sur eux un grand nombre de petites idoles d'une figure ridicule; mais ils n'ont aucun dogme qui soit l'objet de leur créance: ils vivent sans espérance d'aucun bien futur, et s'ils font quelque acte de religion, ce n'est nullement par un principe d'amour : la crainte seule en est le principe. Ils s'imaginent qu'il y a dans chaque chose un esprit qui s'irrite quelquefois contre eux et qui leur envoie les maux dont ils sont affligés : c'est pour cela que leur soin principal est d'apaiser ou de ne pas offenser cette vertu secrète, à laquelle, disent ils, il est impossible de résister. Du reste, ils ne font paroitre au dehors aucun culte extérieur et solennel, et parmi tant de nations diverses, on n'en a pu découvrir qu'une ou deux qui usassent d'une espèce de sacrifice. On trouve pourtant parmi les Moxes deux sortes de ministres pour traiter les choses de la religion. Il y en a qui sont de vrais enchanteurs, dont l'unique fonction est de rendre la santé aux malades; d'autres sont, comme les prêtres, destinés à apaiser les dieux. Les premiers ne sont élevés à ce rang d'honneur qu'après un jeune rigoureux d'un an pendant lequel ils s'abstiennent de viande et de poisson. Il faut, outre cela, qu'ils aient été blessés par un tigre et qu'ils se soient échappés de ses griffes c'est alors qu'on les révère comme des hommes d'une vertu rare, parce qu'on juge de là qu'ils ont été respectés et favorisés du tigre invisible, qui les a protégés contre les efforts du tigre visible avec lequel ils ont combattu. Quand ils ont exercé long-temps cette fonction, on les fait monter au suprême sacerdoce; mais, pour s'en rendre dignes, il faut encore qu'ils jeûnent une année entière avec la même rigueur et que leur abstinence se produise au dehors par un visage hâve et exténué alors on presse certaines herbes fort piquantes pour en tirer le suc qu'on leur répand dans les yeux, ce qui leur fait souffrir des douleurs très-aiguës, et c'est ainsi qu'on leur imprime le caractère du sacerdoce. Ils prétendent que par ce moyen leur vue s'éclaircit, ce qui fait qu'ils donnent à ces prêtres le nom de tiharaugui, qui signifie en leur langue celui qui a les yeux clairs. A certains temps de l'année et surtout vers la nouvelle lune, ces ministres de Satan rassemblent les peuples sur quelque colline un peu éloignée de la bourgade. Dès le point du jour, tout le peuple marche vers cet endroit en silence; mais quand il est arrivé au terme, il rompt tout-à-coup ce silence par des cris affreux c'est, disent-ils, afin d'attendrir le cœur de leurs divinités. Toute la journée se passe dans le jeûne et dans ces cris confus, et ce n'est qu'à l'entrée de la nuit qu'ils les finissent par les cérémonies suivantes : Leurs prêtres commencent par se couper les cheveux (ce qui est parmi ces peuples le signe d'une grande allégresse) et par se couvrir le corps de différentes plumes jaunes et rouges. Ils font apporter ensuite de grands vases, où l'on verse la liqueur enivrante qui a été préparée pour la solennité : ils la reçoivent comme des prémices offertes à leurs dieux, et après en avoir bu sans mesure, ils l'abandonnent à tout le peuple, qui, à leur exemple, en boit aussi avec excès. Toute la nuit est employée à boire et å danser un d'eux entonne la chanson, et tous formant un grand cercle se mettent à trafner les pieds en cadence et à pencher nonchalamment la tête de côté et d'autre avec des mouvemens de corps indécens, car c'est en quoi consiste toute leur danse. On est censé plus dévot et plus religieux à proportion qu'on fait plus de ces folies et de ces extravagances. | ses instances, et la nouvelle mission des Moxes Enfin, ces sortes de réjouissances finissent d'or- lui échut en partage'. dinaire, comme je l'ai déjà dit, par des blessures ou par la mort de plusieurs d'entre eux. Ils ont quelque connoissance de l'immortalité de nos âmes; mais cette lumière est si fort obscurcie par les épaisses ténèbres dans lesquelles ils vivent qu'ils ne soupçonnent pas même qu'il y ait des châtimens à craindre ou des récompenses à espérer dans l'autre vie aussi ne se mettent-ils guère en peine de ce qui doit leur arriver après leur mort. Toutes ces nations sont distinguées les unes des autres par les diverses langues qu'elles parlent on en compte jusqu'à trente-neuf différentes, qui n'ont pas le moindre rapport entre elles. Il est à présumer qu'une si grande variété de langage est l'ouvrage du démon, qui a voulu mettre cet obstacle à la promulgation de l'Évangile et rendre par ce moyen la conversion de ces peuples plus difficile. C'étoit en vue de les conquérir au royaume de Jésus-Christ que les premiers missionnaires jésuites établirent une église à Sainte-Croix-dela-Sierra, afin qu'étant à la porte de ces terres infidèles, ils pussent mettre à profit la première occasion qui s'offriroit d'y entrer. Leur attention et leurs efforts furent inutiles pendant près de cent ans cette gloire étoit réservée au père Cyprien Baraze, et voici comment la chose arriva. Le frère del Castillo, qui demeuroit à SainteCroix-de-la-Sierra, s'étant joint à quelques Espagnols qui commerçoient avec les Indiens, avança assez avant dans les terres. Sa douceur et ses manières prévenantes gagnèrent les principaux de la nation, qui lui promirent de le recevoir chez eux. Transporté de joie, il partit aussitôt pour Lima afin d'y faire connnoître l'espérance qu'il y avoit de gagner ces barbares à Jésus-Christ. Il y avoit long-temps que le père Baraze pressoit ses supérieurs de le destiner aux missions les plus pénibles. Ses désirs s'enflammèrent encore quand il apprit la mort glorieuse des pères Nicolas Mascardi et Jacques-Louis de Sanvitores, qui, après s'être consumés de travaux, l'un dans le Chili et l'autre dans les îles Mariannes, avoient eu tous deux le bonheur de sceller de leur sang les vérités de la foi qu'ils avoient prêchées à un grand nombre d'infidèles. Le père Baraze renouvela donc : Ce fervent missionnaire se mit aussitôt en chemin pour Sainte-Croix-de-la-Sierra avec le frère del Castillo. A peine y furent-ils arrivés qu'ils s'embarquèrent sur la rivière de Guapay, dans un petit canot fabriqué par les gentils du pays, qui leur servirent de guides. Ce ne fut qu'après douze jours d'une navigation trèsrude et pendant laquelle ils furent plusieurs fois en danger de périr qu'ils abordèrent au pays des Moxes. La douceur et la modestie de l'homme apostolique et quelques petits présens qu'il fit aux Indiens, d'hameçons, d'aiguilles, de grains de verre et d'autres choses de cette nature, les accoutumèrent peu à peu à sa pré sence. Pendant les quatre premières années qu'il demeura au milieu de cette nation, il eut beaucoup à souffrir soit de l'intempérie de l'air qu'il respiroit sous un nouveau climat, ou des inondations fréquentes accompagnées de pluies presque continuelles et de froids piquans, soit de la difficulté qu'il eut à apprendre la langue, car, outre qu'il n'avoit ni maître ni interprète, il avoit affaire à des peuples si grossiers qu'ils ne pouvoient même lui nommer ce qu'il s'effor çoit de leur faire entendre par signe, soit enfin de l'éloignement des peuplades qu'il lui falloit parcourir à pied, tantôt dans des pays marécageux et inondés, tantôt dans des terres brûlantes, toujours en danger d'être sacrifié à la fureur des barbares, qui le recevoient l'arc et les flèches en main, et qui n'étoient retenus que par cet air de douceur qui éclatoit sur son visage: tout cela joint à une fièvre quarte qui le tourmenta toujours depuis son entrée dans le pays avoit tellement ruiné ses forces qu'il n'avoit plus d'espérance de les recouvrer que par le changement d'air. C'est ce qui lui fit prendre la résolution de retourner à Sainte-Croix La province de Moxos faisait partie de la viceroyauté de la Plata; elle est maintenant comprise dans la république Bolivia. Elle a 120 lieues du nord au sud, sur autant de l'est à l'ouest. On y a introduit la culture de toutes sortes de plantes utiles et qui demandent de la chaleur : maïs, cannes à sucre, arbre à pain, riz, cacao, poivre vert, coton, gayac, cannelle, quinquina. Mais il y a encore d'immenses forêts qui sont peuplées de sangliers, d'ours et de tigres. |