il prêchoit dans leur langue, je ne compris rien | figurer ce qu'il en a coûté de sueurs et de fa à ce qu'il disoit; je ne jugeai de la force de sa prédication que par l'impression sensible qu'elle faisoit sur ses auditeurs. Il y eut grand nombre de communions à la fin de la messe, et ils employèrent une heure et demie à leur action de grâces. A la vue de ce spectacle, et comparant ce que je voyois de ces nouveaux chrétiens avec l'idée que je m'étois formée des sauvages, je ne pus m'empêcher de m'écrier: O mon Dieu! quelle piété! quel respect! quelle dévotion! Aurois-je pu le croire si je n'en avois été témoin! L'après-midi, le père Lombard fit le caté chisme aux enfans, après quoi on chanta les vêpres. La prière du soir, qui se fit en commun dans l'église, termina la journée du dimanche. Le lundi matin je vis encore les Indiens rassemblés dans l'église pour y faire la prière, ensuite ils entendirent la messe du père Lombard, pendant laquelle ils récitèrent le chapelet à deux chœurs, et de là ils allèrent chacun à leur travail. La mission de Kourou sera le modèle de toutes celles qu'on songe à établir parmi toutes ces nations de sauvages qui sont répandues de tous côtés dans cette vaste étendue de terres que présente la Guyane. Il y a de quoi occuper plusieurs ouvriers évangéliques, que nous attendons avec une extrême impatience. tigues afin de parvenir à les rassembler en grand nombre dans une même peuplade, et à les engager de contribuer, du travail de leurs mains, à la construction de l'église qui vient d'être heureusement achevée. Vous le comprendrez aisément, mon révérend père, vous qui savez quelle est la légèreté et l'inconstance de ces nations sauvages et combien elles sont ennemies de tout exercice tant soit peu pénible. Cependant le père Lombard a su fixer cette inconstance en les réunissant dans un même lieu, et il a pour ainsi dire forcé leur naturel, en leur inspirant pour le travail une activité et une ardeur dont la nature et l'éducation les rendoient tout-à-fait incapables. C'est au travail et au zèle de ces néophytes que ce missionnaire est redevable de la première église qui ait été élevée dans ces terres infidèles : il en avoit dressé le plan en l'année 1726, comme vous en fûtes informé par notre révérend père supérieur général. Le corps de ce saint édifice a quatre-vingtquatre pieds de longueur sur quarante de large; on a pris sur la longueur dix-huit pieds pour faire la sacristie et une chambre propre à loger le missionnaire; l'une et l'autre sont placées derrière le maître-autel; le chœur, la nef et les deux ailes qui l'accompagnent sont bien éclairés, et si l'on avoit pu ajouter à l'autel la décoration d'un retable, j'ose dire que la nouvelle église de Kourou, seroit regardée, même en Europe, comme un ouvrage de bon goût. tageaient la domination: les Espagnols, les Français, les Portugais et les Anglais. Les Espagnols d'Amérique se sont séparés de la métropole et ils ont joint la portion de la Guyane qu'ils possédaient à d'autres provinces dont se compose aujourd'hui la république de Vénézuela. Les Portugais se sont également séparés de la cour de Lisbonne, et la partie de la Guyane qui leur appartient est devenue l'Empire du Brésil. Les Anglais, les Hollandais et les Français, après de longues et sanglantes guerres, se sont partagé la Guyane proprement dite, et ils y entretiennent avec plus ou moins de succès les colonies qu'ils y ont fondées. La Guyane française est quelquefois aussi appelée la France Équinoxiale. De grands efforts ont été faits pour y naturaliser les plantes utiles de l'Inde. Sous beaucoup de rapports on a réussi et l'on tire à présent de ce pays des épices d'une excellente qualité. On a essayé de faire à Cayenne des plantations de thé, mais le commerce n'a retiré jusqu'ici aucun profit de cette tentative. On en fit la bénédiction solennelle le troisième dimanche de l'Avent, c'est-à-dire le douze décembre de l'année dernière. La cérémonie commença sur les huit heures. Nous nous rendimes processionnellement à l'église en chantant Veni Creator. Le célébrant, en aube, étole et pluvial, étoit précédé d'une bannière de la croix, et d'une dixaine de jeunes sauvages revêtus d'aubes et de dalmaliques. Quand nous eûmes récité à la porte de l'église les prières prescrites dans le Rituel, on commença à en bénir les dehors. Le premier coup d'aspersoir fut accompagné d'un coup de canon, qui réveilla l'attention des Indiens : c'est M. Dorvilliers, gouverneur de Cayenne, qui leur a fait présent de cette pièce d'artillerie, dont il se fit plusieurs salves pendant la cérémonie. On ne pouvoit s'empêcher d'être attendri en voyant la sainte allégresse qui étoit peinte sur le visage de nos néophytes. Lorsque la bénédiction de l'église fut achevée, nous allâmes encore processionnellement chercher le saint sacrement dans une case, où dès le matin on avoit dit une messe basse pour y consacrer une hostie. Le dais fut porté par quelques-uns des François de l'île de Cayenne, que leur dévotion avoit attirés à cette sainte cérémonie. Ce fut un spectacle bien édifiant de voir une multitude prodigieuse d'Indiens, fidèles et infidèles, répandus dans une grande place, qui se prosternoient devant Jésus-Christ pour l'adorer, tandis qu'on le portoit en triomphe dans le nouveau temple qui venoit de lui être consacré. La procession fut suivie de la grande messe, pendant laquelle le père Lombard fit un sermon très touchant à ses néophytes: douze sauvages, rangés en deux chœurs, y chantèrent avec une justesse qui fut admirée de nos François, lesquels y assistèrent. L'après-midi, on se rassembla pour chanter vêpres, et la fête se termina par le Te Deum et la bénédiction du très-saint sacrement. Un instant avant que le prêtre se tournât du côté du peuple pour donner la bénédiction, le père Lombard avança en surplis vers le milieu de l'autel, et par un petit discours très-pathétique, il fit à JésusChrist, au nom de tous les néophytes, l'offrande publique de la nouvelle église. Le silence et l'attention de ces bons Indiens faisoient assez connoître que leurs cœurs étoient péné trés des sentimens de respect, d'amour et de reconnoissance, que le missionnaire s'efforçoit de leur inspirer. : Depuis que nos sauvages ont une église élevée dans leur peuplade, on s'aperçoit qu'ils s'affectionnent beaucoup plus qu'ils ne faisoient auparavant à tous les exercices de la piété chrétienne ils s'y rendent en foule tous les jours, soit pour y faire leur prière et entendre l'instruction qui se fait soir et matin en leur langue, soit pour assister au saint sacrifice de la messe. On ne les voit guère manquer au salut qui se fait le jeudi et le samedi, de même qu'il se pratique dans l'île de Cayenne. C'est par ces fréquentes instructions, et de si saintes pratiques qu'on verra croître de plus en plus la ferveur et la dévotion de ces nouveaux fidèles. Tels sont, mon révérend père, les prémices d'une chrétienté qui ne fait que de naître dans le centre même de l'ignorance et de la barbarie. Je ne doute point que l'exemple de ces premiers chrétiens ne soit bientôt suivi par d'autres nations de sauvages, qui sont répandues de tous côtés dans ce vaste continent. C'est à quoi je pensois souvent pendant le séjour que j'ai fait au fort d'Oyapoc', où j'ai demeuré un mois pour donner les secours spirituels à la garnison. Le pays est beau et excellent pour toute sorte de plantage; mais ce qui me frappe d'autant plus, c'est qu'il est trèspropre à y établir de nombreuses missions. Un assez grand nombre d'Indiens qui sont dans le voisinage sont venus me rendre visite. et ont paru souhaiter que je demeurasse avec eux; je les aurois contentés avec plaisir si j'en avois été le maître et si mes occupations me l'eussent permis. Mais je les consolai en les assurant que la France devoit nous envoyer un secours d'ouvriers évangéliques, et qu'aussitôt qu'ils seroient arrivés, nous n'aurions rien tant à cœur que de travailler à les instruire et à leur ouvrir la porte du ciel. Il est à croire que leur conversion à la foi ne sera pas si difficile que celle des Galibis 2. Quand je leur demandois s'ils avoient un véritable désir d'être chrétiens, ils me disoient en riant qu'il ne savoient pas encore de quoi il s'agissoit et qu'ainsi ils ne pouvoient pas me donner de réponse posi rou. Oyapoc est à 50 lieues de la peuplade de Kou 2 C'est sur cette côte qu'est Sinamari, où les dépor tés du 18 fructidor eurent tant à souffrir. tive. Je trouvai cette réflexion assez sensée à nager une pirogue', il faut quelquefois parpour des sauvages. courir vingt lieues de pays. Dans les momens que j'ai eu de loisir, j'ai En montant vers les sauts d'Oyapoc, on dressé un petit plan des missions qu'on pour-pourroit établir une troisième mission à quatre roit établir dans ces contrées parmi les nations journées du fort: elle seroit placée à l'embou sauvages qu'on a découvertes jusqu'à présent. J'ai profité des lumières de M. de La Garde, commandant pour le roi dans le fort d'Oyapoc, qui a beaucoup navigué sur ces rivières; voici le projet de cinq missions que nous avons formé ensemble. chure du Camopi et seroit composée des nations indiennes qui sont éparses çà et là depuis le fort jusqu'à cette rivière. Ces principales nations sont les Caranes, les Pirious et les Acoquas. A cinq ou six journées au-delà, en suivant toujours la même rivière et entrant un peu dans les terres, on pourroit former une quatrième mission composée des Macapas, des Ouayes, des Tarippis et des Pirious, La première pourroit s'établir sur les bords du Ouanari: c'est une assez grande rivière qui se décharge dans l'embouchure même de l'Oyapoc, à la droite en allant de Cayenne au fort. Les peuples qui composeroient cette mis- Enfin, une cinquième mission pourroit être sion sont les Tocoyennes, les Maraones et fixée à la crique 2 des Palanques, qui se jette les Maourions. L'avantage qu'on y trouve- dans l'Oyapoc à sept journées du fort. Elle roit, c'est que le missionnaire qui cultiveroit se formeroit des Palanques, des Ouens, des ces nations sauvages ne seroit éloigné du fort Tarippis, des Pirious, des Coussanis et des que de trois ou quatre lieues; qu'il y pourroit Macouanis. La même langue, qui est celle des faire de fréquentes excursions, et que d'ailleurs terres, se parlera dans ces trois dernières misil n'auroit point d'autre langue à apprendre sions. Je compte d'amener ici vers Pâques un que celle des Galibis; que si l'on vouloit pla- Indien Carave qui sait le galibi et avec lecer deux missionnaires au fort d'Oyapoc, quel je commencerai à déchiffrer cette langue. l'un d'eux pourroit aisément vaquer à l'ins- Nous avons encore dans notre voisinage un truction des Indiens, et je puis assurer qu'en assez bon nombre d'Indiens Galibis, qui soupeu de temps il s'en trouveroit un grand nom-haitent qu'on les instruise des principes du bre qui seroient en état de recevoir le bap-christianisme : ils sont aux environs d'une ritême. vière appelée Sinamari. Si ma présence n'eût La seconde mission pourroit être composée pas été nécessaire à Oyapoc, je serois allé des Palicours, des Caranarious et des Mayets, passer quelques mois avec eux. Le père Lomqui sont répandus dans les savanes aux envi-bard, qui connoît la plupart de ces sauvages, rons du Couripi: c'est une autre grande rivière qui se décharge aussi dans l'Oyapoc á la gauche, vis-à-vis du Ouanari, Ces nations habitent maintenant des lieux presque imprati- Voilà, mon révérend père, une vaste carcables, leurs cases sont submergées une partie rière ouverte aux travaux apostoliques de dix de l'année ainsi il faudroit les transporter ou douze missionnaires. Plaise au Seigneur vers le haut du Couripi. Ce qui facilitera la d'envoyer au plus tôt ceux qu'il a destinés à reconversion de ces peuples, c'est que parmi cueillir une moisson si abondante. Comme c'est eux on ne trouve pas de Pyayes' comme ail-à vos soins et à votre zèle que nous devons la leurs, et qu'ils n'ont jamais donné entrée à la perfection de ce premier établissement, dont polygamie. Ces deux missions n'étant pas éloi- je viens de vous entretenir, les secours abongnées du fort, fourniroient aisément les équi-dans que vous nous avez accordés nous metpages nécessaires pour le service du roi, ce tent en état d'avancer la conversion de tant de qui seroit d'un grand secours, car aujourd'hui peuples barbares. Je suis avec beaucoup de pour trouver douze ou quinze Indiens propres respect en l'union de vos saints sacrifices, 'Sur les bords du fleuve Maroni, Espèce de magiciens. assure qu'une mission qu'on y établiroit pourroit devenir aussi nombreuse que celle de Kourou. LETTRE DU P. LOMBARD, DE LA COMPAGNIE DE JESUS, SUPÉRIEUR DES MISSIONS DES AU RÉVÉREND PÈRE CROISET, PROVINCIAL DE LA MÊME COMPAGNIE DANS LA PROVINCE DE Nouveaux établissemens. Conversions. de sueur, il me fallut essuyer une pluie continuelle pendant une partie de la nuit, A deux heures du matin, j'arrivai tout transi de froid à la case, et dès le lendemain la pleurésie se déclara heureusement la fièvre étoit intermittente et me donnoit quelque relâche. : Ce fut dans un de ces intervalles qu'on m'apprit que deux missionnaires étoient morts le même jour à Cayenne, au service de la garnison, qui étoit attaquée d'une maladie conta A Kourou, dans la Guyane, ce 23 février 1730. gieuse, et qu'il n'y en restoit plus qu'un seul MON RÉVÉREND PÈRE, La paix de N. S. d'une santé chancelante. Tout malade que j'étois, je pris le parti d'aller au secours de cette colonie qui se voyait tout à coup privée de presque tous ses pasteurs. Je partis donc d'Oyapoc, et ayant fait ce trajet en moins de vingt-quatre heures, j'arrivai avec le père Catelin à Cayenne. Quelques Indiens de la mission de Kourou me témoignèrent en cette occasion leur zèle et leur attachement. A peine fus-je abordé qu'ils se présentèrent à moi pour me porter sur leurs épaules jusqu'à notre maison, qui est éloignée d'une demi-lieue de Je ne saurois trop tôt marquer à votre révérence combien cette mission lui est obligée d'y avoir envoyé le frère du Molard. Il est arrivé dans les circonstances les plus favorables, vu le dessein que nous avons formé d'établir au plus tôt plusieurs missions, non seulement à Kourou, mais encore à Oyapoc. Habile et plein de bonne volonté comme il est, son secours nous étoit très-nécessaire pour la construction et l'ornement des églises que nous devons éle-l'endroit où j'avois débarqué. Le violent accès ver dans toutes ces contrées barbares. La dernière lettre du père Fauque vous aura déjà fait connoître Oyapoc: c'est une grande rivière au-dessus de Cayenne; le roi vient d'y établir une colonie, dont il nous a confié le soin, pour ce qui regarde le spirituel, en nous chargeant en même temps de faire des missions aux environs de cette rivière, où les nations indiennes sont en bien plus grand nombre qu'à Kourou. de fièvre que j'avois eu toute la nuit m'avoit tellement abattu que je ne pouvois me soutenir qu'avec peine. L'affection de ces bons Indiens me consoloit, je les entendois se dire les uns aux autres : « Ayons grand soin de notre Baba, n'épargnons pas nos peines, car que deviendrions-nous s'il venoit à nous manquer? qui est-ce qui nous instruiroit ? qui nous confesseroit? qui nous assisteroit à la mort ? La consternation étoit générale à Cayenne quand j'y arrivai, à cause de la perte qu'on venoit de faire tout à la fois de trois mission Le frère du Molard va d'abord travailler à l'embellissement de l'église de Kourou et à la construction d'une maison pour les mission-naires: une pareille mortalité étoit extraordinaires car jusqu'ici nous n'avons logé que dans de petites huttes à l'indienne. Après quoi, lorsqu'il s'agira de former des peuplades, il n'aura guère le temps de respirer. Je prévois ce qu'il en coûtera de dangers et de fatigues aux missionnaires pour aller chercher les Indiens épars çà et là dans les retraites les plus sauvages où ils se cachent, et pour les rassembler dans un même lieu; je l'ai éprouvé plus d'une fois, et tout récemment une excursion que j'ai faite chez les Maraones m'a mis dans un état où pendant quelques jours on a appréhendé pour ma vie. Je croyois ne pouvoir jamais me tirer des bois et des ravines, et pour surcroît de disgrâces, étant tout couvert naire et l'on n'avoit rien vu de semblable depuis que nous y sommes établis. La bonté de l'air qu'on y respire et des alimens dont on se nourrit fait que communément il y a très peu de malades. Vous comprenez assez, mon révérend père, quels sont nos besoins et combien il est important de remplacer au plus tôt ces pertes. Dix nouveaux missionnaires, s'ils arrivoient, auroient peine à suffire au travail qui se présente. Le peu de temps que j'ai demeuré à Øyapoc ne m'a pas permis de faire autant de découvertes que j'aurois souhaité : le pays est d'une vaste étendue et habité par quantité de diverses nations indiennes. On vient, depuis peu, d'en découvrir une qui est très-nombreuse | qui s'ouvre au zèle des ouvriers évangéliques. et qui est établie à deux cents lieues du fort d'Oyapoc c'est la nation des Amikouanes, que l'on appelle autrement les Indiens à longues oreilles. Ils les ont effectivement fort longues, et elles leur pendent jusque sur les épaules. C'est à l'art, et non pas à la nature, qu'ils sont redevables d'un ornement si extraordinaire et qui leur plaît si fort. Ils s'y prennent de bonne heure pour se procurer cet agrément ils ont grand soin de percer les oreilles à leurs enfans ; ils y insèrent de petits bois pour empêcher que l'ouverture ne se ferme, et de temps en temps its y en mettent d'autres toujours plus gros les uns que les autres, jusqu'à ce que le trou devienne assez grand, à la longue, pour y insinuer certains ouvrages qu'ils font exprès et qui ont deux ou trois pouces de diamètre. Cette nation, qui a été inconnue jusqu'ici, est extrêmement sauvage: on n'y a aucune connoissance du feu. Quand ces indiens veulent couper leur bois, ils se servent de certains cailloux qu'ils aiguisent les uns contre les autres pour les affiler et qu'ils insèrent dans un manche de bois en guise de hache. J'ai vu à Oyapoc une de ses sortes de haches: le manche a environ deux pieds, et au bout il y a une échancrure pour y insérer le caillou. Je l'examinai, mais bien qu'il soit si mince, il me parut peu tranchant. J'ai vu aussi un de leurs pendans d'oreilles: c'est un rouleau de feuilles de palmistes d'un pouce de large : ils gravent sur le tranchant quelque figure bizarre qu'ils peignent en noir ou en rouge, et qui, attachée à leurs oreilles, leur donne un air tout-à-fait risible; mais, à leur goût, c'est une de leurs plus belles parures. En-deçà des Amikouanes, ils y a plusieurs autres nations; quoiqu'elles soient fort différentes et même qu'elles se fassent quelquefois la guerre les unes aux autres, il n'y a point de diversité pour la langue, qui est la même parmi toutes ces nations. Tels sont les Aromagatas, les Palunks; les Turupis, les Quays, les Pirius, les Coustumis, les Acoquas et les Caranes. Toutes ces nations sont vers le haut de la rivière Oyapoc. Il y en a un grand nombre d'autres sur les côtes, comme les Palicours, les Mayes, les Karnuarious, les Coussanis, les Toukouyanes, les Rouourios et les Maraones. Voilà, comme vous voyez, un vaste champ Vous souhaitez, mon révérend père, que je vous informe du progrès que fait la religion parmi ces peuples et des œuvres extraordinaires de piété qu'on leur voit pratiquer. Il me seroit difficile de vous rien mander de fort intéressant. Vous savez que cette mission n'est encore que dans sa naissance. On vous a déjà fait connoître le caractère de ces nations sauvages, leur légèreté, leur indolence et l'aversion qu'elles ont pour tout ce qui les gêne. Nous ne pouvons guère espérer de fruits solides de nos travaux que quand nous les aurons réunis dans différentes peuplades où l'on puisse les instruire à loisir et leur inculquer sans cesse les vérités chrétiennes. Le cœur de ces barbares est comme une terre ingrate, qui ne produit rien qu'à force de culture. Il a été un temps où leur inconstance naturelle et la difficulté de les fixer dans le bien me rebutoient extrêmement. Je craignois de m'être laissé tromper par des apparences et d'avoir conféré le baptême à des gens qui étoient indignes de le recevoir. Une espèce de dépit, qui me paroissoit raisonnable, me fit presque succomber à la tentation qui me prenoit de les abandonner. J'écoutai néanmoins de meilleurs conseils ; d'autres pensées, plus justes et plus conformes au caractère des peuples que Dieu avoit confiés à mes soins en m'appelant à cette mission, succédèrent aux premières idées qui me décourageoient le Seigneur, malgré mes défiances et mes dégoûts, me donna la force de m'appliquer avec encore plus d'ardeur à cultiver un champ qui me sembloit tout-à-fait stérile, et ce n'est que depuis quelques années que j'ai enfin reconnu, par le succès dont Dieu a béni ma persévérance, que la religion avoit jeté de profondes racines dans le cœur de plusieurs de ces barbares. J'en ai été encore mieux convaincu par la sainte et édifiante mort de plusieurs néophytes que j'ai assistés en ce dernier moment. Je ne vous en rapporterai que trois ou quatre exemples. Je sais, mon révérend père, qu'ils n'auront pas de quoi vous frapper : vous avez reçu les derniers soupirs d'une infinité de personnes dont la vie, passée dans l'exercice de toutes sortes de vertus, a été couronnée par la mort la plus sainte; mais enfin quand les mêmes choses se rapportent d'un peuple sauvage et barbare, dont le naturel, les mœurs et l'édu |