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PANTHEON LITTÉRAIRE

LETTRES

ÉDIFIANTES ET CURIEUSES

II

F. AUREAU. - IMPRIMERIE DE LAGNY

ÉDIFIANTES ET CURIEUSES

CONCERNANT

L'ASIE, L'AFRIQUE ET L'AMÉRIQUE

AVEC

QUELQUES RELATIONS NOUVELLES DES MISSIONS

ET DES NOTES GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES.

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BRÉSIL

- BUENOS-AYRES - INDOUSTAN - BENGALE - GINGI - GOLCONDE

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7, RUE GUÉNÉGAUD, 7

1877

Il vivoit de même que ces sauvages, de poisson et de cassave, (c'est un pain fait de la racine de manioc 1): il logeoit avec eux dans un coin de ce qu'ils appellent le carbet, (c'est une espèce de longue grange faite de roseaux, exposée aux injures de l'air et remplie d'une infinité d'insectes très-importuns), mais il étoit moins sensible à ces incommodités, qu'au peu de disposition qu'il trouvoit dans ces peuples à pratiquer les vérités qu'il leur annonçoit. Leur extrême indolence et leur inconstance naturelle s'opposoient au désir qu'il avoit de leur conversion. C'est pourquoi il ne conféra le saint baptême qu'à un petit nombre d'adultes sur la persévérance desquels il pouvoit compter, et il borna son zèle à baptiser les enfants qui étoient en danger de mort. Mais par ses sueurs et par ses travaux il fraya le chemin à d'autres missionnaires qui ont achevé son ouvrage, et l'on a aujourd'hui la consolation de voir plusieurs peuplades d'Indiens qui ont reçu le baptême et qui mènent une vie édifiante et conforme à la sainteté du christianisme.

Toutes ses vues se tournèrent ensuite du côté des nègres esclaves. L'humiliation de leur état excita sa charité: il a travaillé près de vingt ans à leur sanctification. Il étoit presque toujours en course, exposé aux ardeurs d'un soleil brûlant ou à des pluies continuelles, qui sont très-incommodes en certains temps de l'année. S'il se trouvoit dans un canot avec les nègres, il ramoit souvent en leur place, et quand quelques-uns d'eux étoient incommodés, il leur distribuoit ses provisions, se con

'Jatropha manioc, la racine de cette plante, mangée sans préparation, est un poison mortel pour les hommes et pour les animaux. Le suc de rocou est le contre-poison, mais il faut le prendre aussitôt, car si on tarde une demi-heure le remède est sans effet. Pour enlever le suc corrosif du manioc on presse fortement cette racine, puis on la réduit en farine et on en fait

du pain d'une qualité excellente. Le suc exprimé du

manioc a la blancheur et l'odeur du lait d'amande: on en fait de l'amidon.

Le rocau ou roncon, est un petit arbrisseau; sa graine

infusée et macérée donne une pâte rouge dont les peintres font usage. Elle a l'odeur de violette, mais cette

odeur se perd dans la traversée d'Amérique en Eu

rope.

Le rocou de la Guyane est très-estimé, et indépendamment de ses heureux effets contre l'empoisonnement par le manioc, il fortifie l'estomac et on l'emploie avec succès dans les inflammations d'entrailles.

tentant pour vivre de quelques morceaux de cassave qu'il recevoit d'eux en échange. Lorsque, après s'être bien fatigué tout le jour, il arrivoit le soir dans quelque pauvre habitation, son plaisir étoit d'y manquer de tout, jamais plus gai ni plus content que quand il se voyoit accablé du travail de la journée et dans la disette des choses les plus nécessaires à réparer ses forces.

Parmi plusieurs traits extraordinaires de son zèle, je n'en choisirai qu'un seul, qui vous en fera connoître l'étendue. Il apprit qu'un esclave s'étoit blessé et étoit en danger de mourir sans confession. La cabane de ce malheureux étoit fort éloignée de la maison: le père de Creuilly, suivant les mouvemens ordinaires de sa charité, partit sur l'heure à pied, et après avoir long-temps erré dans un bois où il s'égara, il se trouva à l'entrée d'une prairie toute inondée, remplie d'herbes piquantes et de serpens dont la morsure est très-dangereuse, et aperçut alors une misérable cabane qu'il crut être la demeure de ce pauvre esclave. Aussitôt, sans hésiter un moment, il se jette dans la prairie etla traverse ayant de l'eau jusqu'aux épaules. Lorsqu'il en sortit, il se trouva tout ensanglanté et il eut le chagrin de ne rencontrer personne dans la cabane, qui étoit abandonnée. Tout trempé qu'il étoit, il ne laissa pas de continuer sa route, avec la même ardeur vers l'endroit qu'on lui avoit désigné. Enfin il arrive à la cabane du nègre, qu'il trouva dans un état digne de compassion. Il le confessa, il le consola et fournit à ses besoins autant que sa pauvreté pouvoit le lui permettre. Lorsqu'il retourna le soir à la maison, à peine pouvoit-il se soutenir.

Personne ici ne doute que ces sortes de fatigues jointes à ses jeûnes et à ses continuelles austérités n'aient abrégé ses jours et hâté le moment de sa mort. Nous n'oublierons jamais les grands exemples de vertu qu'il nous a laissés. Bien qu'il fût d'une complexion vive et pleine de feu, il s'étoit tellement vaincu lui-même qu'on l'eût cru d'un tempérament froid et modéré. Son visage et son air ne respiroient que douceur. Tous les emplois lui étoient indifférens, et il ne marquoit d'inclination que pour les plus humilians et les plus pénibles, s'estimant toujours inférieur à ceux qu'on lui confioit. Comme il se croyoit le dernier des missionnaires, il les regardoit tous avec une sin

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