Auguste reproche à Cinna son ingratitude.
Tu vois le jour, Cinna; mais ceux dont tu le tiens Furent les ennemis de mon père, et les miens : Au milieu de leur camp tu reçus la naissance; Et, lorsqu'après leur mort tu vins en ma puissance, Leur haine enracinée au milieu de ton sein T'avait mis contre moi les armes à la main. Tu fus mon ennemi même avant que de naître, Et tu le fus encor quand tu te pus connaître; Et l'inclination jamais n'a démenti Ce sang qui t'avait fait du contraire parti. Autant que tu l'as pu les effets l'ont suivie. Je ne m'en suis vengé qu'en te donnant la vie : Je te fis prisonnier pour te combler de biens; Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens. Je te restituai d'abord ton patrimoine, Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine; Et tu sais que depuis, à chaque occasion, Je suis tombé pour toi dans la profusion. Toutes les dignités que tu m'as demandées Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées; Je t'ai préferé même à ceux dont les parents Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs; A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire, Et qui m'ont conservé le jour que je respire : De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu, Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu. Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène, Après tant de faveur montrer un peu de haine, Je te donnai sa place en ce triste accident, Et te fis, après lui, mon plus cher confident. Aujourd'hui mème encor, mon âme irrésolue Me pressant de quitter ma puissance absolue, De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis, Et ce sont malgré lui les tiens que j'ai suivis. Bien plus, ce même jour, je te donne Emilie,
Le digne objet des vœux de toute l'Italie,
Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins, Qu'en te couronnant roi je t'aurais donné moins. Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitòt sortir de ta mémoire; Mais, ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer, Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.
Ici Cinna, interrompant Auguste, ouvre la bouche pour se disculper; mais l'empereur lui impose silence et continue son discours:
Tu veux m'assassiner, demain, au Capitole, Pendant le sacrifice, et ta main pour signal Me doit, au lieu d'encens, donner le coup fatal. La moitié de tes gens doit occuper la porte, L'autre moitié te suivre, et te prêter main forte. Ai-je de bons avis, ou de mauvais soupçons ? De tous ces meurtriers te dirai-je les noms ? Procule, Glabrion, Virginian, Rutile, Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile, Maxime, qu'après toi j'avais le plus aimé : Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé; Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes, Que pressent de mes lois les ordres légitimes, Et qui, désespérant de les plus éviter, Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister.
Tu te tais maintenant, et gardes le silence, Plus par confusion que par obéissance. Quel était ton dessein, et que prétendais-tu Après m'avoir au temple à tes pieds abattu? Affranchir ton pays d'un pouvoir monarchique? Si j'ai bien entendu tantôt ta politique, Son salut désormais dépend d'un souverain Qui, pour tout conserver, tienne tout en sa main;
Et si sa liberté te faisait entreprendre,
Tu ne m'eusses jamais empêché de la rendre; Tu l'aurais acceptée au nom de tout l'état, Sans vouloir l'acquérir par un assassinat. Quel était donc ton but? d'y régner en ma place? D'un étrange malheur son destin le menace, Si pour monter au trône et lui donner la loi Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que moi ; Si jusques à ce point son sort est déplorable, Que tu sois après moi le plus considérable, Et que ce grand fardeau de l'empire romain Ne puisse après ma mort tomber mieux qu'en ta main. Apprends à te connaître, et descends en toi-même : On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime; Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux; Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux : Mais tu ferais pitié même à ceux qu'elle irrite, Si je t'abandonnais à ton peu de mérite. Ose me démentir; dis-moi ce que tu vaux; Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux, Les rares qualités par où tu m'as dû plaire, Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire. Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient. Elle seule t'élève, et seule te soutient; C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne; Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne; Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui Qu'à retirer la main qui seule est ton appui. J'aime mieux toutefois céder à ton envie; Règnes, si tu le peux, aux dépens de ma vie. Mais oses-tu penser que les Serviliens, Les Cosses, les Metels, les Pauls, les Fabiens, Et tant d'autres enfin de qui les grands courages Des héros de leur sang sont les vives images, Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux, Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux ? Parle, parle, il est temps.
Auguste apprend qu'Emilie, qu'il avait adoptée pour sa fille, est l'âme de la conjuration qu'on a tramée contre ses jours. Pénétré de douleur, et prêt à prononcer contre les coupables, il s'écrie :
En est-ce assez, ô ciel! et le sort pour me nuire A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encor séduire? Qu'il joigne à ses efforts le secours des enfers : Je suis maître de moi comme de l'univers; Je le suis, je veux l'être. O siècles ! ô mémoire! Conservez à jamais ma dernière victoire; Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie : Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie; Et, malgré la fureur de ton lâche dessein, Je te la donne encor comme à mon assassin. Commençons un combat qui montre par l'issue Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue. Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler; Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler: Avec cette beauté que je t'avais donnée, Reçois le consulat pour la prochaine année.
Aime Cinna, ma fille (1), en cet illustre rang, Préfères-en la pourpre à celle de mon sang; Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère ; Te rendant un époux, je te rends plus qu'un père.
(1) A. Émilie, fille de C. Torianus, tuteur d'Auguste, et proscrit par lui pendant le triumvirat.
LA TAUPE ET LA GRENOUILLE.
Une taupe, un beau jour, tomba dans un fossé, Au bord duquel la malheureuse,
Sans s'en douter, avait percé.
La voilà dans une eau bourbeuse,
Ne sachant comment s'en tirer.
Une grenouille était à la considérer.
Ma voisine, aidez-moi, dit la pauvre embourbée,
Daignez venir à mon secours;
De ce lac où je suis tombée
Vous connaissez tous les détours...
Grenouille la raillait, se moquait de sa peine. Il est de ces gens-là, on en voit par centaine; Qui n'en rencontre tous les jours? Mais loin de répliquer à d'insolents discours, La taupe fait si bien qu'elle gagne la plaine, Toute croftée et hors d'haleine.
Notre grenouille, à quelques jours de là, Par un enfant fut poursuivie;
Or, de se laisser prendre ayant fort peu d'envie, Prestement elle détala:
Le marmot court, et la voilà,
A travers champs toujours suivie. Grenouille de sauter et marmot de courir; La crainte est d'un côté, de l'autre le plaisir.
Apercevant assez près d'elle Une ouverture, lestement
La perronnelle
S'y blottit... Mais, hélas! était-ce le moment De se trouver bien rassurée?
Dans le trou de la taupe elle s'était fourrée! L'autre arrive, on se reconnaît ;
Dire comment, ce n'est pas nécessaire,
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