cela, je vous ai entretenus de la voix: je l'ai considérée comme voix naturelle et comme voix instrumentale. J'ai cherché à fixer votre attention sur cette dernière; et, afin de vous faire sentir la nécessité de vous en occuper, je vous ai exposé tous les avantages que l'on en tire. D'après tout ce que j'ai dit, vous avez dù vous convaincre que la première obligation que s'impose celui qui parle en public, est de plaire à l'oreille; que, pour y parvenir, il est indispensable d'avoir une bonne prononciation, de bien savoir, par conséquent, comment se forment les sons et comment s'articulent les consonnes, puisque ce sont elles qui donnent le mouvement aux syllabes, qui se divisent en longues et brèves. Je vous ai parlé ensuite de la distribution des repos, qui servent à rendre les phrases intelligibles; je vous ai indiqué quelques règles, entr'autres celle-ci: qu'il ne faut jamais réunir des membres de phrases qui ne sont pas liés ensemble par le sens. On ne doit donc pas dire ces deux vers de Racine, ainsi que le font, par inadvertance sans doute, quelques-uns de nos grands professeurs de litté rature: Voudrais-je de la terre inutile fardeau, etc. Mais bien: Voudrais-je de la terre inutile fardeau, etc. Je vous ai également dit un mot sur la pose, les gestes et la physionomie, et indiqué ce qu'il faut faire pour donner de l'à-plomb à son corps, de la grâce à ses gestes, et de la noblesse à sa physionomie. Dans le mécanisme de la voix, je comprends la formation du son, sa classification, sa division et son élévation. Lorsque nous connaissons bien tout ce qui constitue la partie instrumentale de la voix, nous sommes sûrs de plaire à l'oreille; car nous avons acquis nonseulement les moyens de nous énoncer avec facilité et agrément, mais encore la faculté de communiquer aux autres toutes nos impressions et de faire valoir les productions de notre esprit. En effet, on n'éprouve plus de gêne ni d'embarras pour exprimer ses pensées, puisqu'elles sont portées à l'intelligence par des syllabes qui, se détachant bien les unes des autres, et étant prononcées dans les intervalles de temps qui leur conviennent, frappent l'oreille de la manière la plus heureuse; tandis que les repos de la voix, tout en mettant de la clarté dans les phrases, donnent la facilité de réparer ses forces et de conserver à son organe toute sa fraîcheur. Je crois, messieurs, en avoir dit suffisamment sur les avantages d'une bonne diction; nous allons nous occuper maintenant du mécanisme de la voix appliqué au débit et à la lecture des poètes et des écrivains. Ici, la position change; ce ne sont plus vos ouvrages que vous dites, et, dans ce cas, aurez-vous peut-être encore plus besoin de bien connaître le mécanisme de la voix, car il vous faudra avoir une plus grande variété de tons, surtout si vous voulez être véritablement l'interprète de nos poètes. Mais, quel que soit l'auteur que vous choisissiez, persuadez-vous toujours bien que vous ne produirez d'effet qu'autant que vous vous serez pénétrés de ses pensées, que vous les aurez rendues vôtres; sans quoi vous ne l'interpréterez qu'imparfaitement. Quand on dit, on prend la place de l'auteur ou du personnage qu'il a voulu peindre, et celui qui écoute doit le voir, doit l'entendre. Vous vous transformez donc pour un moment en un nouvel individu, que vous représentez au moyen de la physionomie, du geste et de la voix. C'est la pensée seule qui fait connaître le ton dans lequel elle doit être dite; les mots n'en sont que l'enveloppe. Dirigez donc toute votre attention sur le sens que l'auteur a voulu donner à sa phrase, sans vous occuper des termes dont il s'est servi, et qui pourraient tout aussi bien en exprimer un autre. Supposons que nous ayons à rendre ces deux vers de Racine : Celui qui met un frein à la fureur des flots D'abord, nous verrons quel est le personnage qui les prononce, et la position dans laquelle il se trouve au moment où il parle. Ayant reconnu que le grand-prêtre Joad, plein de confiance en Dieu, dont il est l'instrument sacré, pressent que le jour du châtiment d'Athalie ne peut être éloigné, nous dirons avec un accent noble et presque prophétique : Celui qui met un frein à la fureur des flots Changeons le sens de ces vers et supposons pour un moment qu'un honnête homme, voulant prouver que les fourbes sont toujours punis par Dieu, se servît de la même phrase, nous prendrons le ton de la conversation ordinaire et nous dirons: Celui qui met un frein à la fureur des flots Vous voyez que, sans rien changer à la construction de la phrase, j'ai rendu deux situations. Mais doit-on en conclure qu'on peut dire indistinctement une phrase dans tel ou tel ton? Non, messieurs. Comme l'auteur n'a eu qu'une pensée en écrivant, c'est la sienne qu'il faut tâcher de rendre; sans quoi on ne serait qu'un mauvais interprète. Il faut donc la dégager de ses expressions, afin de bien la juger; si l'on ne procédait ainsi, croyez \ vous qu'il serait possible d'interpréter La Fontaine, notre plus grand philosophe ? Mais il nous tromperait toujours car nous ne verrions souvent que de la bonhomie, j'allais presque dire de la niaiserie, là où il a mis une pensée profonde. La Fontaine, un bon homme! personne moins> que lui n'a mérité ce nom. Est-ce dans sa fable des Animaux malades de la peste ou dans le Chêne et le Roseau qu'il est un bon homme, ou bien dans le Chat, la Belette et le jeune lapin et le Loup et le Chien ? Dans toutes ces fables il ne fait parler que des animaux et des végétaux; et cependant que de sublimes leçons de haute philosophie elles renferment ! Par ce que je viens de dire, vous devez être suffisamment convaincus que vous ne pourrez donner de mouvement aux pensées que par le sentiment que vous communiquerez aux mots chargés de les transmettre, et que ce sentiment ne peut avoir lieu qu'autant que vous les aurez bien comprises. Dans un de mes discours, j'ai comparé une phrase à un tableau; je vais reprendre ma comparaison, et la développer de manière à en démontrer toute la justesse. Maintenant que j'ai à ma disposition toutes sortes de couleurs, puisque j'ai des milliers de syllabes qui les remplacent, il me sera facile de peindre. Mais comment procéderai-je pour mettre de la vie dans mes tableaux? Ainsi que le font les peintres. Comme ils ne couchent leurs couleurs qu'après avoir fait dans leur esprit le tableau qu'ils veulent représenter sur la toile, de même je dois me faire une image exacte des choses que je veux peindre avec des sons; ceux qui m'écoutent ne peuvent apercevoir nettement ce que j'ai voulu leur dire, si je ne l'ai pas bien vu moi-même. Ce que nous disons est la copie de l'original qui est en notre tête : or, comme il n'y a point de bonne copie d'un mauvais original, c'est donc à lui qu'il faut d'abord travailler avant que de remuer le pinceau, c'est-à-dire la langue, et d'appliquer les couleurs, c'est-à-dire les sons. Je conclus que la pensée est le point directeur; que, sans elle, on ne peut avoir qu'un débit froid et monotone; que, par conséquent, c'est elle qui est le fond du débit et que les mots n'en sont que l'enveloppe. Le diseur doit donc toujours s'occuper à chercher la pensée et à la voir dans toutes ses parties, afin de lui donner tous les développements nécessaires; point de milieu: il faut qu'il soit l'auteur lui-même ou le personnage que celui-ci a créé. Cela étant, il est sûr de produire de grands effets, puisque, d'abord, il a une bonne articulation, et qu'ensuite il sait bien phraser. Ainsi il remplit toutes les conditions imposées au diseur ou au lecteur, qui sont de plaire à l'oreille, de mettre de la clarté dans le discours, et de convaincre l'esprit; tandis que si vous manquez à l'une de ces trois obligations, vous ne réussirez jamais complètement. En effet, si vous ne savez qu'articuler et que phraser, et que vous ne compreniez pas l'auteur, vous ne serez qu'un faiseur de sons; dans ce cas, vous n'aurez que l'enveloppe de la pensée et ne satisferez que l'oreille. Si vous avez une bonne articulation et que vous compreniez bien l'auteur, mais que vous ne mettiez pas de clarté dans la distribution de la phrase, il y aura confusion. Si vous n'avez que la pensée et la manière de la diviser, mais que votre articulation soit mauvaise, vous ennuierez, parce que vous ne plairez pas à l'oreille. Ainsi vous ne réussirez qu'autant que vous posséderez au même degré ces trois choses, que vous pourrez acquérir par le travail et l'étude. Maintenant que nous sommes suffisamment fixés sur ce qu'il faut savoir pour bien dire, nous allons nous occuper un instant du lecteur. A-t-il les mêmes obligations à remplir que le diseur? Oui et non; oui, |