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rience m'ayant démontré que les vers, et surtout les vers tragiques, étaient les plus propres à former une bonne diction, et que, lorsqu'on s'était habitué à bien rendre les contrastes et les effets des grandes passions, on arrivait ensuite facilement à saisir ces nuances délicates qui caractérisent le genre familier.

Dans la versification, on commencera par étudier les morceaux où il y a le moins d'action. Ils sont les plus propres à former l'oreille, parce que l'imagination n'étant point entraînée par la force de la pensée, on peut s'écouter en les disant, et, par ce moyen, corriger tout ce qui peut nuire à la beauté de la prononciation; tandis, au contraire, qu'il est impossible de bien s'entendre dans les morceaux de passion, qui demandent à être dits avec abandon.

Messieurs, je vous ai exposé les principales parties du mécanisme du débit, en élaguant autant que possible tous les petits détails qui auraient pu empêcher de voir les points principaux, sur lesquels je voulais fixer votre attention, convaincu que l'expérience vous les ferait facilement découvrir. Si je vous ai persuadé que, dans la voix humaine, il y a un instrument dont on peut apprendre à jouer; si j'ai excité chez vous le désir de vous en occuper, j'aurai atteint le but que je me proposais en faisant ce cours. Souvenez-vous toujours, messieurs, que nous vivons sous une forme de gouvernement où il est impossible de parvenir aux premiers emplois, si l'on ne sait pas manier la parole, et que, par conséquent, vous devez vous en occuper et la faire marcher de pair avec les études scientifiques. Travaillez donc, messieurs, avec constance à avoir une articulation nette et facile, à mettre de l'ordre dans vos phrases, à donner de la souplesse à votre intelligence en l'exerçant continuellement sur les ouvrages de nos grands écrivains.

ONZIEME DISCOURS.

PREMIER EXERCICE.

De la prononciation.

Messieurs,

Chaque auteur ayant un style différent, doit nécessairement avoir un choix de mots dont la réunion présente un ensemble de syllabes plus ou moins difficiles à articuler. Tout lecteur ou tout diseur devant plaire à l'oreille, se trouve donc dans la nécessité de s'habituer à bien prononcer quelques passages des principaux ouvrages de nos grands écrivains, afin de se familiariser avec leur manière d'écrire la moindre hésitation dans l'articulation d'une syllabe est funeste à la lecture et à la récitation. Comme lecteur ou diseur, il ne doit pas commenter le choix des mots et leur dissonance. Du moment qu'il veut soit lire ou dire, il est censé approuver le travail de l'auteur, et même se sentir assez fort pour faire disparaître par les repos et une prononciation savante les passages défectueux qui se trouvent dans son ouvrage.

Ainsi, il serait impossible à une personne qui ne saurait pas bien prononcer et bien phraser, de dire le vers suivant :

Non, il n'est rien que Nanine n'honore.

Cette quantité de syllabes formées par la lettre n, qui ne représente pas un son très-agréable, rend cette phrase insupportable; il semble que l'on entend des forgerons qui frappent sur une enclume. Sans doute, par le travail, on ne parviendra jamais à rendre ce vers harmonieux ; mais au moins on le rendra intelligible et supportable.

Non | il n'est rien | que Nanine n'honore.

D'abord, articulez lentement et fortement toutes ces syllabes, jusqu'à ce qu'elles vous soient familières; ensuite coupez votre vers en quatre parties; détachez-bien non, et dites - le comme s'il n'y avait rien après, c'est-à-dire que l'on entende par ce non, que Nanine est si vertueuse, que tout ce qu'elle touche est annobli par elle. Il n'est rien: vous faites un temps pour bien létacher que Nanine, sujet principal sur lequel vous voulez fixer l'attention. Vous faites encore un temps après Nanine, et vous dites dans un ton de voix un peu plus bas, n'honore, en ayant soin d'adoucir l'articulation des deux syllabes n'hono. Ainsi, par les repos vous avez empêché les syllabes de se heurter, et, par les inflexions douces, vous les avez rendues presque agréables.

Pour dire ou lire un morceau avec pureté et élégance, on doit donc commencer par articuler chaque syllabe séparément, c'est-à-dire qu'avant de les prononcer on doit avoir soin de placer les organes qui servent à les mettre en mouvement.

Exemple:

Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur.

Avant qu'on entende le mot le, le bout de la langue doit s'être placé contre le palais, où il comprime l'air comme s'il n'y avait que la consonne l à articuler; puis la langue prendra la position qui convient au son de la voyelle e. Dans ce mot il y a deux positions; dans le monosyllabe jour qui suit il y en aura trois : la langue sera d'abord placée près du palais, puis couchée dans la longueur de la bouche et enfin posée près des dents supérieures, afin que la lettrer qui termine ce mot vibre légèrement.

Je pense que ces quelques mots indiquent suffisamment la règle à suivre pour bien articuler soit un morceau de prose, soit un morceau de poésie.

DEUXIÈME EXERCICE.

Du ton chantant dans la lecture et des moyens de le faire disparaître.

Ce qui dans les colléges et les institutions rend la lecture insupportable, c'est le ton chantant. D'où vient ce ton? De ce que les élèves élèvent la voix à la fin de chaque mot. Ce son élevé détruit entièrement l'harmonie de notre langue, qui veut que la dernière syllabe soit plus basse. Ainsi les élèves au lieu de dire CaLYPso, en appuyant sur la syllabe LYP et en baissant un peu celle de so, disent CaLYPSO; c'est-à-dire qu'ils portent toute la force sur la dernière syllabe.

Pour rendre une lecture supportable, il faut avant tout que le ton élevé et chantant disparaisse. Quel moyen prendre? Le suivant qui me réussit partout; il consiste à faire à l'élève une interrogation devant le mot qu'on veut qu'il corrige. Ainsi je suppose qu'on veuille commencer cette étude par la phrase qui suit :

Calypso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse.

On la fait d'abord lire à l'élève selon sa manière, en ayant soin toutefois de lui faire remarquer les syllabes qui sont mal prononcées. Puis on recommence la lecture en lui fesant les questions suivantes :

DEMANDE. Comment s'appelait la dame dont vous ve

nez de parler?

L'ÉLÈVE. Calypso.

DEMANDE. Elle ne pouvait quoi faire P

L'ÉLÈVE. Se consoler.

DEMANDE. Du départ de qui ?

L'ÉLÈVE. D'Ulysse.

DEMANDE. Lisez-moi maintenant cette phrase ?

L'ÉLÈVE. CaLYPso ne pouvait se conSOler du départ

d'Ulysse.

Il faut renouveler ces interrogations jusqu'à ce que l'oreille de l'élève soit rectifiée.

TROISIÈME EXERCICE.

De la manière de couper les phrases.

Quand on est maître de l'articulation d'un morceau, on s'occupe à en bien détacher toutes les parties, qu'il ne faut pas oublier de réunir par des sons suspendus. (Ce trait | indique une légère pause).

Exemple:

<<Calypso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse. >>>

Je fais un léger temps après Calypso, sujet principal, que je détache un peu. Je fais un autre temps après se consoler, parce que je puis réunir ces mots, du part d'Ulysse, sans nuire au sens de la phrase. Par ces deux légères pauses je donne plus de clarté et plus d'harmonie à la pensée. Ces repos ont l'avantage, 1o de ne pas fatiguer l'oreille, qui se trouve ne faire qu'un léger travail; 2o de donner le temps à l'intelligence de recevoir toutes les parties de la pensée, de les bien voir, de les bien digérer, et, par conséquent, d'être en état de recevoir celles qui suivent. Ces repos vous permettent

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