tement, et doit chercher d'avoir les choses les plus belles et les plus convenables, sans s'effrayer de leur prix, et sans demander comment on se les procure à meilleur marché. La magnificence diffère de la libéralité en ce que la dernière peut être exercée avec des dépenses moins grandes; ou bien, lorsque les dépenses sont égales, la première en exige un emploi plus noble et plus splendide. Le magnifique exposera dans les temples de riches monuments de sa piété (3), il préparera des sacrifices brillants, et immolera de nombreuses victimes. Dans la guerre il équipera les plus belles galères et paiera le mieux ses matelots; en temps de paix, il retirera chez lui et nourrira ces chœurs de musiciens et d'acteurs qui ornent les fêtes publiques et honorent la république qui les a fournis. Dans des occasions solennelles il donnera un festin à toute la ville. que Ses dépenses particulières ne seront très-grandes dans des circonstances extraordinaires, comme, par exemple, à une noce, ou dans les choses qui font l'objet de la rivalité de tous ses concitoyens, ou bien quand il recevra des étrangers qu'il faut escorter dans leur retour, et auxquels il faut faire des présents: car les dons ressemblent, en quelque sorte, aux offrandes l'on fait dans les temples. Cependant sa maison sera tenue d'une manière conforme à sa fortune, parce que c'est là aussi une des choses qui procurent de la considération. que Les objets pour lesquels il aimera le plus à faire des dépenses seront ceux qui exigent beaucoup de temps, et qui durent à proportion, comme de faire construire un bel édifice, un temple, un tombeau; c'est dans ces occasions surtout qu'il montrera un goût exquis. Le prodigue, au contraire, et surtout celui qui s'est enrichi par des occupations viles, tombe dans l'excès de faire des dépenses outrées et mal employées. Il ne dépense que pour faire parade de ses richesses, met un faste déplacé dans les petites choses, ne sait jamais s'en tenir à ce qui convient; et souvent, après avoir fait de grands frais mal à propos, il reste en défaut là où il étoit le plus nécessaire de dépenser. Il donne aux membres de ces confréries qui mangent tour à tour les uns chez les autres un festin semblable à celui avec lequel il célèbre une noce; et, s'il conduit un choeur de comédiens, il paroît dès le commencement de la représentation sur la scène avec un habit de pourpre. Les avares aussi, lorsqu'ils possèdent une trèsgrande fortune, veulent quelquefois imiter la magnificence; mais ils l'imitent mal, restent toujours au-dessous de ce qu'il faudroit faire, balancent longtemps pour la plus petite dépense, visent sans cesse à épargner, ne donnent qu'à regret, et croient cependant toujours en avoir fait beaucoup plus qu'il n'eût été nécessaire. NOTES. (1) Ce caractère est tiré, ainsi que le suivant, de l'ouvrage de morale adressé par Aristote à son fils Nicomaque; ་ la magnificence y est traitée au livre IV, chap. 1; le courage, au liv. III, chap. vi et suivants. C'est de cet ouvrage surtout que Théophraste paroît avoir profité pour faire celui que l'on vient de lire (voyez le Discours sur Théophraste, note 1), et ces deux caractères sont ceux que le philosophe de Stagyre a tracés avec le plus de détails : le premier se rapproche davantage du genre de Théophraste; le second peut servir plus particulièrement à donner une idée de la méthode d'Aristote. On en trouvera un troisième dans le chapitre LXXXI du Voyage du jeune Anacharsis. Je dois prévenir que ces deux caractères, ainsi que ceux de Dion Chrysostôme, qu'on trouvera ci-après, ne sont pas traduits littéralement, mais qu'on ne les a donnés que par extrait; autrement ceux d'Aristote eussent été trop didactiques, et ceux de Dion trop allégoriques et trop longs, pour répondre au but qu'on s'étoit proposé. Le caractère tiré de l'ouvrage de rhétorique adressé à Hérennius est si bien imité de Théophraste, et celui de Lycon est si court, que j'en ai donné des traductions complètes. Du reste, la comparaison de tous ces morceaux, et du fragment de Satyrus conservé par Athénée, liv. IV, chap. xix, et que l'on peut voir dans la préface de M. Coray, page 62, avec les caractères de Théophraste, prouve que ce dernier a porté cet art de rassembler des traits particuliers pour peindre, selon l'expression de La Bruyère, le fond du caractère par les choses extérieures, à un point de perfection qui n'a plus été atteint après lui par les auteurs anciens, ou du moins dont nous ne trouvons aucun autre exemple dans ce qui nous reste de leurs ouvrages. (2) En temps de guerre tous les citoyens riches étoient obligés de fournir et d'équiper une ou plusieurs galères à leurs frais; c'étoit une charge ordinaire et proportionnée aux moyens de chacun : les chœurs, au contraire, entraînoient des dépenses extraordinaires, et beaucoup de citoyens opu lents se sont ruinés par le luxe qu'ils y ont mis. ( Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxiv. ) (3) Ces monuments consistoient en couronnes, en trépieds, en coupes et autres vases d'or et d'argent, en objets des arts, etc. (Voyez Pollux, I, xxvIII.) J'ai un peu paraphrasé ce trait et les suivants, qui ne sont indiqués dans l'original que par très-peu de mots : les usages dont il s'agit étoient suffisamment connus à des lecteurs contemporains; mais il n'en est pas de même des lecteurs modernes. II. LE COURAGE. LE Courage consiste à tenir entre la témérité et la crainte le juste milieu indiqué par la saine raison. Nous craignons en général tous les maux, comme l'ignominie, la pauvreté, les maladies, l'isolement, la mort. Mais ce n'est point sur tous ces maux que s'exerce le courage; car il y en a qu'il est même beau de craindre et honteux de ne pas redouter; telle est l'ignominie. Il est beau de ne pas craindre la pauvreté, les maladies, et en général tout ce qui n'est pas une suite de nos fautes ou de nos vices: mais il y a des gens insensibles au déshonneur de leur femme et de leurs enfants, et ce défaut absolu de crainte n'est rien moins que du courage. Le Le courage proprement dit s'exerce surtout dans les dangers; les plus terribles ne lui inspirent point d'effroi ; il n'en craint pas même le plus éminent et le plus grand, celui de la mort. L'homme courageux peut craindre de périr par une maladie; mais il donne les plus grandes preuves de la qualité qui l'anime dans le plus beau de tous les dangers, dans celui que les peuples et les rois honorent et récompensent le plus, dans la guerre. |