trême confiance, et par la certitude qu'on a du bon usage qu'il saura faire de ce qu'on lui lègue? Donnet-on à celui que l'on peut soupçonner de ne devoir pas rendre à la personne à qui en effet l'on veut donner? faut-il se parler, faut-il s'écrire, est-il besoin de pacte ou de serments pour former cette collusion? Les hommes ne sentent-ils pas en cette rencontre ce qu'ils peuvent espérer les uns des autres? Et si au contraire la propriété d'un tel bien est dévolue au fidéicommissaire, pourquoi perd-il sa réputation à le retenir? Sur quoi fonde-t-on la satire et les vaudevilles? Voudroit-on le comparer au dépositaire qui trahit le dépôt, à un domestique qui vole l'argent que son maître lui envoie porter? On auroit tort : y a-t-il de l'infamie à ne pas faire une libéralité, et à conserver pour soi ce qui est à soi? Étrange embarras, horrible poids que le fidéicommis! Si par la révérence des lois on se l'approprie, il ne faut plus passer pour homme de bien : si par le respect d'un ami mort l'on suit ses intentions en le rendant à sa veuve, on est confidentiaire, on blesse la loi : elle cadre donc bien mal avec l'opinion des hommes. Cela peut être; et il ne me convient pas de dire ici : La loi pèche, ni, Les hommes se trompent. J'entends dire de quelques particuliers, ou de quelques compagnies : Tel et tel corps se contestent l'un à l'autre la préséance; le mortier et la pairie se disputent le pas. Il me paroît que celui des deux qui évite de se rencontrer aux assemblées est celui qui cède, et qui, sentant son foible, juge lui-même en faveur de son concurrent. Typhon fournit un grand de chiens et de chevaux : que ne lui fournit-il point! Sa protection le rend audacieux; il est impunément dans sa province tout ce qu'il lui plaît d'être, assassin, parjure; il brûle ses voisins, et il n'a pas besoin d'asile : il faut enfin que le prince se mêle lui-même de sa punition. Ragoûts, liqueurs, entrées, entremets, tous mots qui devroient être barbares et inintelligibles en notre langue et, s'il est vrai qu'ils ne devroient pas être d'usage en pleine paix, où ils ne servent qu'à entretenir le luxe et la gourmandise, comment peuvent-ils être entendus dans le temps de la guerre et d'une misère publique, à la vue de l'ennemi, à la veille d'un combat, pendant un siége? Où est-il parlé de la table de Scipion, ou de celle de Marius ? Ai-je lu quelque part que Miltiade, qu'Epaminondas, qu'Agésilas, aient fait une chère délicate? Je voudrois qu'on ne fit mention de la délicatesse, de la propreté, et de la somptuosité des généraux, qu'après n'avoir plus rien à dire sur leur sujet, et s'être épuisé sur les circonstances d'une bataille gagnée et d'une ville prise : j'aimerois même qu'ils voulussent se priver de cet éloge. Hermippe est l'esclave de ce qu'il appelle ses petites commodités; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume, les modes, la bienséance; il les cherche en toutes choses; il quitte une moindre pour une plus grande; il ne néglige aucune de celles qui sont praticables; il s'en fait une étude, et il ne se passe aucun jour qu'il ne fasse en ce genre une découverte. Il laisse aux autres hommes le diner et le souper, à peine en admet-il les termes; il mange quand il a faim, et les mets seulement où son appétit le porte. Il voit faire son lit ; quelle main assez adroite ou assez heureuse pourroit le faire dormir comme il veut dormir? Il sort rarement de chez soi; il aime la chambre, où il n'est ni oisif ni laborieux, où il n'agit point, où il tracasse, et dans l'équipage d'un homme qui a pris médecine. On dépend servilement d'un serrurier et d'un menuisier, selon ses besoins pour lui, s'il faut limer, il a une lime; une scie, s'il faut scier, et des tenailles, s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible, quelques outils qu'il n'ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de nouveaux et d'inconnus, qui n'ont point de nom, productions de son esprit, et dont il a presque oublié l'usage. Nul ne se peut comparer à lui pour faire en peu de temps et sans peine un travail fort inutile: il faisoit dix pas pour aller de son lit à la garde-robe, il n'en fait plus que neuf, par la manière dont il a su tourner sa chambre : combien de pas épargnés dans le cours d'une vie? Ailleurs l'on tourne la clef, l'on pousse contre, ou l'on tire à soi, et une porte s'ouvre quelle fatigue! voilà un mouvement de trop qu'il sait s'épargner; et comment? c'est un mystère qu'il ne révèle point: il est, à la vérité, un grand : maître pour le ressort et pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d'ailleurs que de la fenêtre ; il a trouvé le secret de monter et de descendre autrement que par l'escalier, et il cherche celui d'entrer et de sortir plus commodément que par la porte. Il y a déjà long-temps que l'on improuve les médecins, et que l'on s'en sert: le théâtre et la satire ne touchent point à leurs pensions; ils dotent leurs filles, placent leurs fils au parlement et dans la prélature, et les railleurs eux-mêmes fournissent l'argent. Ceux qui se portent bien deviennent malades; il leur faut des gens dont le métier soit de les assurer qu'ils ne mourront point: tant que les hommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé. Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques; ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir son malade. La témérité des charlatans, et leurs tristes succès, qui en sont les suites, font valoir la médecine et les médecins : si ceux-ci laissent mourir, les autres tuent. 1 Carro Carri débarque avec une recette qu'il appelle un prompt remède, et qui quelquefois est un poison lent: c'est un bien de famille, mais ame 1 Caretti, italien, qui acquit de la fortune et de la réputation en vendant fort cher des remèdes, qu'il faisoit sagement payer d'avance, et qui ne tuoient pas toujours les malades. lioré en ses mains; de spécifique qu'il étoit contre la colique, il guérit de la fièvre quarte, de la pleurésie, de l'hydropisie, de l'apoplexie, de l'épilepsie. Forcez un peu votre mémoire, nommez une maladie, la première qui vous viendra en l'esprit : l'hémorragie, dites-vous? il la guérit: il ne ressuscite personne, il est vrai ; il ne rend pas la vie aux hom mais il les conduit nécessairement jusqu'à la décrépitude; et ce n'est que par hasard que son père et son aïeul, qui avoient ce secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne, quelques-uns se contentent d'un remerciement : Carro Carri est si sûr de son remède, et de l'effet qui en doit suivre, qu'il n'hésite pas de s'en faire payer d'avance, et de recevoir avant que de donner si le mal est incurable, tant mieux, il n'en est que plus digne de son application et de son remède: commencez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui un contrat de constitution, donnez-lui une de vos terres, la plus petite, et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui de votre guérison. L'émulation de cet homme a peuplé le monde de noms en O et en Ì, noms vénérables qui imposent aux malades et aux maladies. Vos médecins, FAGON 1, et de toutes les facultés, avouez, ne guérissent pas toujours, ni sûrement ceux au contraire qui ont hérité de leurs pères la médecine pratique, et à qui l'expérience Fagon, premier médecin du roi. |