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ces flatteries et toutes ces instances trop sensibles et grossières. Que votre ami soit pour vous un esprit. Une lettre, une pensée, une parole sincère, un regard de lui, voilà ce dont j'ai besoin et non pas des nouvelles qu'il peut m'apprendre ou des diners qu'il peut m'offrir. Je puis bavarder, in'informer de la politique, jouir des agréments de la société et des bons rapports du voisinage avec des compagnons d'une moindre importance. La société de mon ami ne doit-elle pas être pour moi poétique, pure, universelle, grande, comme la nature ellemême? Serai-je forcé de reconnaître que nos relations sont profanes, comparées à cette barre lointaine de nuages qui sommeille à l'horizon, ou à cette masse de gazon ondoyant qui divise le ruisseau? N'avilissons pas l'amitié, mais relevons-la, et abritons-la sous l'étendard idéal. Le grand œil plein de menaces de notre ami, la beauté pleine de dédain de son maintien et de ses actions ne nous ordonnent pas de nous abaisser, mais au contraire nous invitent à nous fortifier et à nous élever. Ne souhaite pas qu'il soit plus petit d'une seule de ses pensées, mais reçois-les toutes et réponds-leur à toutes. Garde ton ami comme la grande contre-partie de toimême; donne-lui le rang d'un prince. Honore toutes ses supériorités ; qu'il soit pour toi une sorte de magnifique ennemi, indomptable, religieusement respecté, et non un trivial compère fait pour fatiguer bien vite et pour être promptement mis de côté. Les couleurs de l'opale, la lumière du diamant ne peuvent être vues si l'œil est trop près d'elles. J'écris une lettre à mon ami, j'en reçois une de lui; cela vous semble peu de chose; pour moi, et cela me suffit. Cette lettre est un don spirituel digne de m'être offert par lui, digne d'être accepté par moi, et qui ne déshonore aucun de nous deux. En lisant ces chaudes lignes le cœur se confiera spontanément, comme il ne se serait pas confié à la parole, et se répandra

en prophéties d'une existence plus divine que toutes celles que l'héroïsme a faites excellentes.

Respectons donc les lois de l'amitié de façon à ne pas nuire à sa fleur suprême par notre impatience de la voir s'ouvrir. Nous devons être à nous avant d'être aux autres. Il y a dans le crime cette satisfaction que le criminel, selon le proverbe latin, peut traiter son complice sur un pied complet d'égalité. Crimen quos inquinat, œquat. Mais avec ceux que nous admirons et que nous aimons nous ne pouvons pas agir ainsi. Cependant le moindre manque de possession de soi-même vicie, à mon avis, les rapports entiers de l'amitié. Il ne peut y avoir de paix profonde entre deux esprits, il ne peut y avoir de respect mutuel que lorsque dans leurs conversations chacun se présente comme le représentant du monde entier.

Agissons avec toute la grandeur d'esprit qu'il nous est possible dans une affaire aussi grande que l'amitié. Soyons silencieux afin de pouvoir entendre le chuchotement des dieux. N'intriguons pas. Qui vous force à vous jeter de tous côtés et à répandre autour de vous les pensées que vous auriez exprimées aux àmes choisies? Qui vous force à dire quelque chose même à ces dernières? Il importe peu que les paroles que vous répandez soient ingénieuses, gracieuses et affables. Il y a des degrés innombrables dans l'échelle de la sagesse et de la folie, et pour vous, dire quelque chose, c'est être frivole. Attendez, et c'est votre âme alors qui parlera; attendez jusqu'à ce que la nécessité et l'infini vous dominent, jusqu'à ce que le jour et la nuit se servent eux-mêmes de vos lèvres pour exprimer leurs mystères. La seule monnaie de Dieu, c'est Dieu lui-même; il ne paye jamais moins, jamais plus. La seule récompense de la vertu est la vertu, la seule manière d'acquérir un ami est d'être soimême un ami. Il serait absurde d'espérer nous rappro

cher d'un homme parce que nous fréquentons sa maison. S'il est différent de vous, son âme fuira loin de vous, et vous ne surprendrez jamais dans ses yeux un seul regard sincère. Nous contemplons de loin les âmes nobles, et malgré cet éloignement elles nous repoussent encore; pourquoi alors les importunerions-nous? Tard, bien tard, nous nous apercevons qu'il n'y a pas d'arrangements, d'introductions, de coutumes, d'habitudes de société qui puissent nous servir pour nous établir en relation d'amitié avec ceux que nous désirerions pour amis, et que la seule condition pour cela c'est d'élever notre nature à la hauteur de la leur; alors nous les rencontrerons absolument comme l'eau rencontre l'eau, et si nous ne les rencontrons pas, nous n'aurons plus besoin d'eux, car nous serons déjà devenus eux. En dernière analyse, l'amitié n'est que la réflexion de la dignité personnelle d'un homme sur d'autres hommes. Les hommes ont quelquefois changé de noms avec leurs amis, comme pour faire entendre par là que dans son ami chacun aimait sa propre âme.

Plus haute est la noblesse que nous exigeons de l'amitié, plus nous sentons la difficulté de la réaliser et de la faire vivre en chair et en os. Nous errons solitaires dans le monde. Les amis tels que nous les désirons sont des rêves et des fables. Mais une sublime espérance réjouit le cœur fidèle qui songe que, quelque part, dans d'autres régions de l'infini, des âmes existent qui maintenant agissent, souffrent, osent, qui peuvent nous aimer et que nous pouvons aimer. Nous pouvons nous féliciter d'avoir passé dans la solitude, les périodes du bas âge, des folies, des étourderies, et de la honte, puisque, lorsque nous sommes des hommes accomplis nous pouvons serrer une main héroïque avec une main héroïque. Seulement, soyez avertis par tout ce que vous avez déjà observé de ne pas nouer de rapports avec les personnes

vulgaires avec lesquelles aucune amitié ne peut subsister. Notre impatience nous trahit en nous jetant dans des relations folles et téméraires auxquelles aucun dieu ne fait attention. En persistant à suivre votre sentier vous pouvez oubliez les détails, mais vous gagnez l'essentiel. Votre caractère se dessine définitivement et vous vous manifestez si clairement à vous-même que vous vous trouvez placé hors de l'atteinte des fausses amitiés et que vous attirez vers vous les premiers nés du monde, ces rares pèlerins dont un ou deux à la fois seulement errent dans le monde, et en présence desquels les grands hommes du vulgaire ne sont simplement que des spectres et des ombres.

C'est folie de craindre former des nœuds trop spirituels, car nous ne pouvons perdre aucun amour naïf. Quelle que soit l'altération que notre intuition fasse subir à nos opinions ordinaires, nous pouvons être sûrs que la nature nous fera toujours avancer dans une région supérieure, et bien qu'elle semble nous dérober quelque joie, elle nous en dédommagera par des plaisirs plus grands. Comprenons, s'il nous est possible, l'absolue solitude de l'homme. Nous pouvons être sûrs que nous portons tous les hommes en nous. Nous allons en Europe, nous cherchons des hommes, nous lisons des livres pleins d'une foi instinctive et nous croyons naïvement qu'ils nous illumineront et nous révéleront à nous-mêmes. Oh! mendiants que nous sommes ! Les hommes sont semblables à nous; l'Europe est une vieille garde-robe formée d'hommes morts dont les livres sont les spectres. Rejetons loin de nous cette idolâtrie. Abandonnons ces manières de mendiants. Disons même adieu, s'il le faut, à nos plus chers amis, et demandons-leur: qui êtes-vous? Abandonnez-moi, je ne serai pas dépendant plus longtemps'. Oh! mon frère, ne vois-tu pas que nous ne nous

Dans tout cet essai, malgré les couleurs avec lesquelles il peint

séparons que pour nous rencontrer sur de plus grandes hauteurs et pour être plus l'un à l'autre, parce que nous nous appartenons encore trop à nous-mêmes? Un ami est un Janus à double face, qui regarde à la fois le passé et le futur. Il est l'enfant de tous nos jours passés, le prophète de tous nos jours à venir. Il est le précurseur d'amis plus grands que lui, car c'est la propriété des choses divines de se reproduire à l'infini.

J'agis avec mes amis comme avec mes livres. Je les aurais conformes à ma pensée que je m'en servirais à peine. Nous devons faire à la société nos propres conditions, l'admettre ou l'exclure pour la plus légère cause. Je ne puis m'accorder la licence de parler beaucoup avec mon ami. S'il est grand, il m'élève si haut que je ne puis redescendre pour causer. Dans mes grandes journées, des pressentiments se manifestent et se suspendent au-dessus de moi et me font signe du fond du firmament. C'est à eux alors que je dois me dévouer. Je sors afin de les atteindre, je rentre afin de les saisir; je crains seulement qu'ils ne se retirent dans le ciel, car ils ne sont déjà plus à l'horizon que comme une traînée de brillante lumière. Eh bien! dans ces moments, quoique j'apprécie mes amis, puis-je abandonner la poursuite de mes visions pour étudier les leurs et causer avec eux? Certes, j'éprouverais une sorte de joie familière à abandonner cette haute recherche, cette astronomie spirituelle, cette étude des étoiles, pour descendre à sympathiser chaleureusement avec eux; mais je sais bien que je pleurerais toujours la perte de mes divinités. Il est vrai aussi que la semaine prochaine j'aurai un certain nombre de jours maussades et languissants, pendant lesquels j'aimerais à m'occuper d'objets qui me

le sentiment de l'amitié, l'idée fixe d'Emerson, l'isolement ; son sentiment fixe, la solitude reviennent à chaque ligne,

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