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propre cœur. Qu'il laisse de côté la société des hommes, qu'il vive beaucoup solitaire, et qu'il marche dans le sentier qu'il a choisi. La continuelle société des sentiments simples et élevés endurcira son caractère et le fera honorablement agir, s'il est besoin, dans les tumultes ou sur l'échafaud. Tous les maux qui sont arrivés aux hommes peuvent aussi lui arriver, et très aisément, surtout dans une république où apparaissent des signes de décadence religieuse. Le jeune homme doit familiariser sa pensée avec la grossière médisance, le feu, la poix bouillante, le gibet, doit méditer avec douceur de caractère, et se convaincre de la nécessité d'établir solidement son sentiment du devoir pour braver toutes ces tortures, puisqu'il peut plaire au journal de demain ou à un nombre suffisant de ses voisins de déclarer ses opinions incendiaires.

Mais le cœur le plus susceptible doit calmer ses appréhensions de la calamité en voyant combien vite la nature met un terme aux plus extrêmes cruautés de la malice. Nous approchons rapidement d'une frontière où aucun ennemi ne peut nous suivre. Laisse-les extravaguer, dit le poëte, toi tu dors tranquille dans ta tombe. Au milieu des ténèbres de notre ignorance de ce qui sera, dans les heures où nous sommes sourds pour les voix divines, qui n'a pas envié ceux qui ont vu en sûreté leurs virils efforts arrivés à bonne fin? Celui qui voit la petitesse de notre politique ne félicite-t-il pas intérieurement Washington, ne le trouve-t-il pas heureux d'être depuis longtemps enveloppé dans son linceul, d'avoir été couché dans la tombe avant que l'espérance de l'humanité ait succombé en lui? Qui n'a pas envié quelquefois les bons et les braves qui ne souffrent plus des tumultes du monde naturel, et qui, dans les régions d'en haut, attendent avec une curieuse complaisance la fin de la conversation et des relations de ce monde avec

la nature finie? et cependant l'amour qui disparaîtra avant que la haine disparaisse a déjà rendu la mort impossible, et affirme hautement qu'il n'est pas mortel, mais qu'il est sorti des profondeurs de l'Etre absolu et inépuisable.

VII

COMPENSATION.

Depuis l'âge où j'étais enfant, j'ai toujours souhaité d'écrire un discours sur la compensation, car il me semblait, lorsque j'étais jeune, que la vie, sur ce sujet, était un meilleur maitre que la théologie, et que le peuple en savait plus là-dessus que n'en enseignaient les prédicateurs. Les documents aussi, d'où on pouvait tirer cette doctrine, charmaient mon imagination par leur infinie variété, et étaient toujours placés sous mes yeux, même dans mon sommeil : car ces documents, ce sont les outils qui sont entre nos mains, le pain placé dans notre corbeille, les faits de la rue, la ferme, la maison domestique, les rencontres, les relations, les dettes et le crédit, l'influence du caractère, la nature et les dons de tous les hommes. Il me semblait que cette doctrine pourrait montrer aux hommes un rayon de la Divinité, l'action toujours présente de l'âme du monde pure de tous les vestiges de la tradition, et qu'elle pourrait baigner dans une inondation d'éternel amour le cœur de l'homme et le faire converser avec l'Être qu'il sait avoir toujours été, devoir être toujours, parce qu'il est en réalité maintenant. Il me semblait encore que si cette doctrine était exprimée en termes qui eussent quelque ressemblance avec ces brillantes intuitions par lesquelles cette vérité se révèle souvent à nous, elle serait une étoile qui, dans bien des heures ténébreuses et des passages difficiles de notre voyage, nous empêcherait de perdre notre route.

Dernièrement, comme j'écoutais un sermon à l'église, je sentis mon désir s'accroître encore. Le prédicateur, homme estimé pour son orthodoxie, exposait de la manière habituelle la doctrine du jugement dernier. Il expliqua comment la justice n'a pas tout son cours en ce monde, établit que les méchants sont heureux, les bons misérables, et tira de la raison et de l'Écriture les preuves qui forçaient à croire à une compensation dans la vie future. Cette doctrine ne parut exciter parmi les assistants aucune récrimination, et l'assemblée se dispersa, sans que j'eusse remarqué que personne fit une observation sur ce sermon.

Cependant quel était le sens de ce discours, que voulait dire le prédicateur en établissant que les bons sont misérables dans la vie présente. Voulait-il dire par là que les maisons, les terres, les places, le vin, les chevaux, les somptueux vêtements, le luxe sont entre les mains des hommes sans principes, tandis que les saints sont pauvres et méprisés, et qu'une compensation, qui leur donnerait plus tard les mêmes biens, les billets de banque et les doublons, le gibier et le vin de Champagne', leur est bien due. Cette compensation doit être celle dont il entendait parler, car si ce n'est pas celle-là, quelle est-elle? Consiste-t-elle en ce qu'il leur sera permis de prier et de bénir, d'aimer et de servir les hommes? mais c'est ce qu'ils font déjà maintenant. La légitime induction qu'un disciple eût pu tirer de cette doctrine était celle-ci : « Nous aurons le même bon temps dont jouissent maintenant les pécheurs; - ou bien, pour pousser jusqu'aux dernières conséquences, « vous péchez maintenant, nous pécherons plus tard; nous pécherions maintenant si nous pouvions; mais n'étant pas assez heureux pour pouvoir pécher aujourd'hui, nous prendrons notre revanche demain. »>

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L'erreur de cette doctrine consiste dans cette immense

concession que les méchants sont toujours heureux, que la justice n'a pas son cours immédiatement. L'aveuglement du prédicateur consistait à estimer le succès viril au vil prix des marchés, au lieu de confronter le monde avec la vérité, et de le réfuter par là, en établissant la présence éternelle de l'àme, l'omnipotence de la volonté, au lieu de distinguer ainsi les étendards du bien et du mal, du succès et du mensonge, et de sommer les morts à comparaître devant son tribunal.

Je trouve le même ton misérable dans les livres populaires sur la religion, écrits de nos jours, et les mêmes doctrines acceptées par les hommes littéraires lorsqu'ils traitent de sujets analogues. Je pense que notre théologie populaire a gagné en décorum, mais non pas en principe, sur les superstitions qu'elle a renversées. Mais les hommes sont meilleurs que cette théologie. Leur vie journalière lui donne un démenti. Chaque àme ingénieuse et pleine d'aspirations laisse cette doctrine derrière elle ensevelie dans les limbes de son expérience passée; et tous les hommes sentent quelquefois la fausseté qu'ils ne pourraient démontrer, car les hommes sont meilleurs qu'ils ne le pensent. Ce qu'ils écoutent sans arrièrepensée, et ce qu'ils acceptent sans réflexion dans les écoles et au pied des chaires, s'ils l'entendent exprimer dans la conversation, ils l'interrogeront probablement dans le silence de leur pensée. Un homme qui dogmatise dans une compagnie mélangée, sur la Providence et les lois divines, obtient pour toute réponse un silence qui enseigne à un observateur le mécontentement de l'auditeur et en même temps son incapacité à établir par lui-même son opinion.

Dans cet essai et dans l'essai suivant, je rappellerai quelques faits qui peuvent servir à indiquer la manière dont s'exerce la loi de la compensation; heureux au delà mon attente, si je pouvais seulement dessiner avec

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