ne doit pas être pour l'esprit humain un temps de torpeur. Dans la nature, chaque moment est nouveau; le passé est toujours englouti et oublié ; l'avenir seul est sacré. Rien n'est sûr que la vie de transition, les énergies de l'esprit passant indéfiniment d'un point à un autre. Aucun serment, aucun contrat ne peuvent assez fortement enchaîner notre âme de manière à nous préserver d'un nouvel amour. Il n'y a aucune vérité, aussi sublime qu'elle soit, que la lumière de nouvelles pensées ne puisse demain faire paraître triviale. Les hommes souhaitent de trouver leur point d'appui; cependant il n'y a pour eux d'espérance qu'autant qu'ils ne l'ont pas trouvé. La vie est une série de surprises. Tandis qu'aujourd'hui nous sommes pour ainsi dire occupés à construire notre être, nous ne devinons pas l'humeur, le plaisir, la puissance de demain. Nous pouvons balbutier quelques mots sur les conditions plus basses de notre âme, sur des actes de routine et de sensation; mais les chefsd'œuvre de Dieu, la complète unité, les universels mouvements de l'âme sont cachés et incalculables. Je puis bien savoir que la vérité est divine et secourable, mais comment elle me secourra, je ne puis le deviner. L'homme qui avance et progresse conserve dans sa nouvelle position toutes les puissances de l'ancienne. Seulement elles se présentent avec un aspect nouveau. Il porte dans son cœur toutes les énergies du passé et pourtant elles sont en lui fraîches comme le souffle du matin. A l'entrée de cette nouvelle période qui s'ouvre pour moi, je rejette comme vaine et creuse toute ma science pesante d'autrefois. Maintenant pour la première fois, il me semble comprendre droitement toute chose. Nous ne savons pas ce que signifient les mots les plus simples, excepté lorsque nous aimons et que nous sommes pleins d'aspirations. La différence entre les talents et le caractère est la même qui existe entre l'adresse à réparer la vieille route battue et la puissance et le courage de creuser une nouvelle route en vue de fins nouvelles et meilleures. Le caractère donne au présent une suprême puissance, embellit, remplit de joie et précise l'heure actuelle, fortifie toute la société en lui faisant voir qu'il y a beaucoup de choses possibles et excellentes auxquelles elle n'avait pas pensé. Le caractère amoindrit l'impression des événements particuliers. Lorsque nous voyons le conquérant, nous ne pensons pas beaucoup à la bataille et au succès. Nous comprenons que nous avons exagéré les difficultés; ses actions lui furent aisées. Le grand homme n'est pas convulsif, ni facile à émouvoir. Il est si éminent, que les événements passent sur lui sans lui faire beaucoup d'impression. Les hommes disent quelquefois : « Voyez comme j'ai vaincu; voyez combien je suis joyeux; voyez combien j'ai triomphé complétement de tous les noirs événements. » Mais si leurs personnes me font souvenir d'un événement néfaste quelconque, ils n'ont encore rien conquis. Est-ce une conquête que d'être un sépulcre gai ou orné, ou une femme à demi-folle riant d'une façon hystérique? La vraie conquête consiste à forcer les événements néfastes à se fondre et à disparaître comme un nuage du matin, comme un fait d'un résultat insignifiant dans l'histoire si large et si infinie déjà et qui avance toujours. La seule chose que nous cherchons avec un insatiable désir, c'est de nous oublier nous-mêmes, d'être étonnés de notre propriété, de perdre notre embarrassante mémoire, de faire quelque chose sans savoir comment ou pourquoi, en un mot de tracer un nouveau cercle. Rien de grand ne fut achevé sans enthousiasme. Les voies de la vie sont merveilleuses; la vie procède par abandon. Les grands moments de l'histoire sont ceux où s'accomplissent facilement, gràce à la force irrésistible des idées, les actions comme les œuvres d'art et la religion. Un homme, disait Olivier Cromwell, ne s'élève jamais si haut que lorsqu'il ne sait pas où il va. Les rêves et l'ivresse, l'usage de l'opium et de l'alcool sont les ressemblances et les contrefaçons de ce génie prophétique; de là leur dangereuse attraction pour les hommes. C'est, par la même raison, que les hommes demandent le secours de sauvages passions, telles que le jeu ou la guerre, pour imiter de quelque manière les flammes et les générosités du cœur. XI INTELLIGENCE. Chaque substance est électrique négativement pour la substance placée au-dessus d'elle dans les tables chimiques, positivement pour celle qui est au-dessous. L'eau dissout le bois, la pierre et le sel; l'air dissout l'eau ; le feu électrique dissout l'air, mais l'intelligence dissout le feu, la pesanteur, les lois, la méthode et les relations les plus subtiles et les plus inconnues de la nature, dans son foyer sans repos. L'intelligence se cache derrière le génie qui est l'intelligence constructive. L'intelligence est le simple pouvoir antérieur à toute action ou à toute construction. Joyeusement voudraisje exposer, et dans une calme mesure, une histoire naturelle de l'intelligence; mais quel homme a jamais été capable de marquer les traces et les limites de cette transparente essence? Les premières questions sont toujours posées et le plus sage docteur est embarrassé par la curiosité d'un enfant. Comment parlerons-nous de l'action de l'esprit, sous quelqu'une de ses divisions que ce soit, de sa science, de sa morale, de ses œuvres, puisque cette action fond la volonté dans la perception, la connaissance dans l'acte? Chacune de ses qualités se transforme en une autre; seul il est par lui-même dans son unité. Sa vision n'est point semblable à la vision de l'œil, mais est l'union avec les choses vues. Intelligence et intellection signifient ordinairement considération de la vérité abstraite. La considération du temps et du lieu, de vous et de moi, du profit et de la perte, tyrannise les esprits de tous les hommes. L'intelligence sépare le fait considéré, de vous, de tout rapport local et personnel, et le distingue comme s'il existait par lui-même. Héraclite considérait les affections comme des brouillards denses et colorés. Il est difficile à l'homme de suivre une droite ligne dans ce brouillard des affections bonnes et mauvaises. L'intelligence est vide d'affections et voit un objet froidement et sans amour, tel qu'il apparaît sous la lumière de la science. L'intelligence va au-delà de l'individuel, flotte au-dessus de sa propre personnalité et regarde l'individuel comme un fait qui n'est pas moi, qui n'est pas mien. Celui qui est plongé dans les considérations de lieux et de personnes ne peut voir le problème de l'existence. C'est ce problème que pèse sans cesse l'intelligence. La nature nous montre toutes les choses formées et unies. L'intelligence perce la forme, saute par-dessus l'obstacle, découvre les ressemblances intrinsèques entre les objets éloignés et réduit toutes les choses en quelques principes. L'intelligence s'éveille quand nous faisons d'un fait le sujet de la pensée. Toute cette multitude de phénomènes spirituels et moraux qui ne font pas l'objet de la pensée volontaire tombe sous la puissance du hasard ; ces phénomènes constituent les circonstances de la vie. journalière; ils sont sujets au changement, à la crainte, à l'espérance. Chaque homme contemple sa condition humaine avec un certain degré de mélancolie. Comme un vaisseau échoué battu des vagues, l'homme est soumis à la merci des événements. Mais une vérité séparée par l'intelligence n'est pas plus longtemps soumise à la destinée. Nous la voyons pareille à un dieu élevé au-dessus du souci et de la crainte. Et ainsi chaque fait dans notre vie, chaque souvenir de nos imaginations ou de nos réflexions, débarrassé de l'écheveau embrouillé de |