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de laisser la grande âme creuser sa route en nous; en d'autres termes, de nous engager à obéir.

Tout homme est à certains moments sensible à cette pure nature. Le langage ne peut la dépeindre au moyen de ses couleurs, elle est trop subtile. Elle est incommensurable, indéfinissable, mais nous savons qu'elle nous envahit et nous contient. Nous savons que tout l'être spirituel est dans l'homme. Un sage et vieux proverbe dit : « Dieu vient nous visiter sans cloches. » C'està-dire qu'il n'y a aucune séparation, aucun voile entre nos têtes et les cieux infinis; de même, il n'y a pas dans l'âme de muraille où l'homme effet cesse et où Dieu cause commence. Les murs sont enlevés. De tous côtés nous sommes ouverts aux profondeurs de la nature spirituelle, aux attributs de Dieu. Nous voyons et nous connaissons la justice, l'amour, la liberté, la puissance. Aucun homme n'a jamais conquis ces forces ici-bas, mais elles se suspendent au-dessus de nous, et surtout dans les moments où nos intérêts nous poussent à leur résister.

La souveraineté de cette nature dont nous parlons est facile à reconnaître par son indépendance à l'égard de toutes ces limites qui nous circonscrivent de tous côtés. L'âme circonscrit toutes choses. Ainsi que je l'ai dit, elle contredit toute expérience. De la même manière, elle abolit le temps et l'espace. L'influence des sens a, chez la plupart des hommes, dominé l'esprit à ce degré que les murs du temps et de l'espace sont arrivés à paraître solides, réels et insurmontables, et que parler avec légèreté de ces limites passe dans le monde pour un signe de folie. Cependant le temps et l'espace ne sont que les mesures inverses de la force de l'âme. L'homme est capable de les abolir. L'esprit joue avec le temps, « peut peupler l'éternité dans une heure ou donner à une heure la durée de l'éternité. »

Nous arrivons souvent à sentir qu'il y a une autre

jeunesse et une autre vieillesse que celles qui sont mesurées par nos années naturelles. Certaines pensées nous trouvent toujours jeunes et nous maintiennent toujours dans cet état. Ces pensées sont l'amour de la beauté universelle et éternelle. Chaque homme sort de cette contemplation avec le sentiment qu'elle appartient aux siècles plutôt qu'à la vie mortelle. La moindre activité de la puissance intellectuelle nous rachète jusqu'à un certain degré des influences du temps. Dans la maladie, dans la langueur, donnez-nous un flot de poésie ou une sentence profonde et nous nous sentons rafraîchis; ou bien encore offrez-nous un volume de Platon et de Shakspeare, ou citez-nous seulement leurs noms, et aussitôt un sentiment de longévité se fait sentir à notre cœur. Voyez comme la profonde et divine pensée démolit les siècles et les périodes de mille années, et sait se rendre présente à travers tous les âges. L'enseignement du Christ est-il moins effectif aujourd'hui que le jour où, pour la première fois, il ouvrit la bouche? L'enthousiasme que les faits et les personnes impriment à mon âme n’a rien à faire avec le temps. Toujours donc l'échelle de l'âme est différente de l'échelle des sens et de l'entendement. Le temps, l'espace et la nature reculent devant les révélations de l'âme. Dans nos discours ordinaires nous rapportons au temps toutes les choses, de même que nous rattachons les étoiles immensément séparées les unes des autres à une même sphère concave. C'est pourquoi nous disons que le jour du jugement est proche ou éloigné; que le millenium arrive, que le jour de certaines réformes politiques, morales, sociales est tout près et ainsi de suite; tandis que nous comprenons parfaitement que, dans la nature des choses, un de ces faits que nous contemplons est extérieur et fugitif, et que l'autre est permanent et uni à l'âme. Les choses qu'aujourd'hui nous estimons unies se détacheront une à une comme un fruit

mûr sous les coups de notre expérience et tomberont. Le vent les emportera on ne sait pas où. Le paysage, les figures, Boston, Londres sont des faits aussi fugitifs qu'aucune institution passée, que le brouillard et la fumée, et tels sont aussi la société et le monde. L'âme regarde droit devant elle, va toujours créant un monde devant elle et laissant les mondes derrière. Elle ne connaît ni les dates, ni les rites, ni les personnes, ni les spécialités, ni les hommes. L'âme ne connaît que l'âme. Toutes les autres choses ne sont pour elle que des plantes stériles.

C'est d'après ses propres lois et non d'après l'arithmétique que ses progrès doivent être calculés. Les progrès de l'âme ne s'accomplissent pas par une gradation qu'on pourrait figurer par le mouvement d'une ligne droite, mais bien plutôt par une série ascensionnelle d'états qu'on pourrait figurer par la métamorphose de l'œuf et du ver, du ver et de la mouche, par exemple. Les progrès du génie ont un certain caractère intégral qui ne place pas d'abord ses élus au-dessus de Jean, et puis d'Adam, et puis de Richard, et ne donne pas à chacun d'eux la douleur de reconnaître son infériorité; mais, au contraire, par chacun de ces progrès l'homme se répand là ou il travaille et dépasse à chaque impulsion toutes les classes et toutes les populations d'hommes. A chaque nouvelle impulsion l'esprit déchire les minces écorces du visible et du fini, entre dans l'éternité, aspire et respire son air. Il converse avec les vérités qui ont toujours été exprimées dans le monde, et acquiert la certitude qu'il y a une sympathie plus étroite entre lui et Zénon, et Arrien, qu'entre lui et les personnes de sa maison.

Telle est la loi du gain moral et mental. Les simples s'élèvent comme par légèreté spécifique, non vers une vertu particulière déterminée, mais vers la région de

toutes les vertus. Ils habitent avec l'esprit qui les contient tous. L'âme est supérieure à tous les mérites particuliers. L'âme requiert la pureté, mais la pureté n'est pas elle; elle requiert la justice et la bienfaisance, mais elle est supérieure à la justice et à la bienfaisance; si bien que nous sentons en nous comme une sorte d'abaissement et de transaction honteuse lorsque nous cessons de parler de la nature morale elle-même pour observer quelqu'une des vertus qu'elle nous enjoint de pratiquer. Car toutes les vertus sont naturelles à l'âme dans sa pure action, et non pas péniblement acquises. Parlez à son cœur, et l'homme devient soudainement vertueux.

du pro

Dans le même sentiment se trouve le germe grès intellectuel qui obéit aux mêmes lois. Les hommes qui sont capables d'humilité, de justice, d'amour et d'aspiration, sont déjà placés sur une plate-forme qui domine les sciences et les arts, l'éloquence et la poésie, l'action et la grâce. Car quiconque habite dans cette béatitude morale anticipe sur les pouvoirs spéciaux que les hommes estiment à un si haut prix, absolument de la même manière dont l'amour s'y prend pour rendre justice aux dons del'objet aimé. L'amant n'a pas de talent, pas d'habileté qui n'ait une grande importance aux yeux de son amoureuse fiancée, aussi peu qu'elle possède ces mêmes dons. Le cœur qui s'abandonne naïvement et de lui-même à l'esprit suprême se trouve en relation avec toutes les œuvres de cet esprit et parcourra une route divine, bien que parti de connaissances et de facultés particulières. Car en nous élevant à ce sentiment primaire et originel, nous sommes transportés instantanément, de la station éloignée où nous étions placés sur la circonférence, au centre même du monde, et là, comme dans le cabinet de Dieu, nous voyons les causes et nous sommes placés au-dessus de l'univers qui n'est qu'un faible et lent effet.

Un des modes de l'enseignement divin est l'incarnation de l'esprit dans la forme, dans des formes semblables à la mienne. Je vis en société, avec des personnes qui répondent aux pensées qui sont dans mon esprit ou qui m'expriment extérieurement une certaine obéissance envers les grands instincts par lesquels je vis. Je découvre en eux la présence de cette obéissance. Je suis assuré qu'ils ont la même origine que moi, et ainsi ces autres âmes, ces moi extérieurs m'attirent, comme ne le pourrait faire aucune autre chose. Ils réveillent en moi de nouvelles émotions que nous appelons passions; les émotions de l'amour, de la haine, de la crainte, de l'admiration, de la pitié; de ces émotions naissent la conversation, la concurrence, la persuasion, les cités et la guerre. Les personnes sont les exégèses supplémentaires de ce primordial enseignement de l'âme. Dans la jeunesse nous sommes de folles personnes. L'enfance et la jeunesse voient le monde entier en elles. Mais l'expérience plus large de l'homme découvre l'identité de la nature qui apparaît à travers tous les individus. Les personnes ellesmêmes apprennent à connaître l'impersonnel. Dans toute conversation entre deux personnes, il semble qu'un rapport tacite s'établit avec un tiers invisible qui est la commune nature. Cette tierce personne, cette commune nature n'est pas sociale, elle est impersonnelle, c'est Dieu : dans les groupes où les débats sont ardents, et spécialement lorsqu'ils roulent sur les grandes questions de la pensée, la compagnie tout entière s'étonne de l'unité qui la relie, s'étonne de voir que la pensée s'élève à une égale hauteur dans tous les cœurs, et que tous les individus qui la composent aient sur le sujet débattu les mêmes droits de propriété spirituelle que le discoureur. Ils deviennent tous plus sages qu'ils n'étaient. Elle les entoure comme d'un temple, cette unité de la pensée, grâce à laquelle chaque cœur bat mù

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