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taires nous tirions de leur souvenir une nouvelle force, cependant, quand nous les examinons de près, comme le font les hommes routiniers et sans pensées, ils nous fatiguent et nous tourmentent. L'âme solitaire, originale et pure ne se donne qu'aux esprits solitaires, originaux et purs qui, à ces conditions, habitent joyeusement en elle, se conduisent par elle, parlent par elle. Alors ils sont jeunes, joyeux et agiles. Ils ne sont pas seulement sages, mais ils voient à travers toutes choses. Ils ne sont pas seulement religieux, ils sont innocents. Ils appellent la lumière leur propriété, et sentent que le gazon croît et que la pierre tombe par une loi qui leur est inférieure et qui est dépendante de leur nature. Contemple! disent-ils, je suis né au sein du grand et universel esprit. Moi l'imparfait, j'adore ce qui en moi est parfait. Je suis le sanctuaire de la grande âme, et c'est pourquoi, regardant d'en haut et dédaignant le soleil et les étoiles, je sens qu'ils ne sont que de beaux accidents et des effets qui changent et passent. De plus en plus les vagues de l'infinie nature entrent en moi, et je deviens dans mes actions et dans mes pensées public en quelque sorte et humain. Ainsi j'arrive à vivre dans mes pensées, à agir avec des énergies qui sont immortelles. Ainsi, en respectant l'âme, et en apprenant, comme disent les anciens, que sa beauté est infinie, l'homme arrivera à voir que le monde est le miracle éternel que l'âme accomplit, et s'étonnera moins des merveilles particulières; il apprendra qu'il n'y a pas d'histoire profane et que toute histoire est sacrée ; que l'univers est représenté par un atome, par un moment du temps. Il ne se composera pas plus longtemps avec des lambeaux et des haillons une vie. misérable, mais il vivra avec une unité divine. Il s'écartera de tout ce qui est bas et frivole dans sa vie, et se contentera des emplois qu'il peut remplir et des ser

vices qu'il peut rendre. Il affrontera le lendemain avec calme et avec l'insouciance de cette confiance qui entraine Dieu avec elle, et il portera déjà l'avenir entier dans le fond de son cœur.

XIII

UTILITÉ DES GRANDS HOMMES '.

Il est naturel de croire aux grands hommes. Si les compagnons de notre enfance devenaient des héros et s'ils s'élevaient à une condition royale, cela ne nous surprendrait pas. Toute mythologie s'ouvre avec les demi-dieux et cette circonstance est élevée et poétique, car leur génie devient alors souverain. Dans les légendes de la Gautama, les premiers hommes mangeaient la terre et la trouvaient délicieuse.

La nature semble exister pour l'excellent. Le monde est exhaussé par la véracité des grands hommes; ce sont eux qui rendent la terre salubre. Ceux qui vivent avec eux trouvent la vie une chose joyeuse et nutritive. La vie n'est douce et tolérable que par notre croyance à une telle société, et en réalité ou en pensée, nous nous arrangeons pour vivre avec nos supérieurs. Nous donnons leurs noms à nos enfants et à nos terres. Leurs noms passent dans la langue, leurs œuvres et leurs effigies passent dans nos maisons et chaque circonstance du jour nous rappelle une anecdote qui les concerne.

La recherche du grand est le rêve de la jeunesse et la plus sérieuse occupation de la virilité. Nous voyageons

Ce dernier essai est le premier d'un livre qu'Emerson vient de publier sous le titre de Representative men. Nous le traduisons, parce qu'il résume en partie toutes les idées d'Emerson sur les grands hommes et qu'il est le seul chapitre didactique du livre; les autres essais sont des applications de ces idées et des essais critiques sur Platon, Swédenborg, Montaigne, Shakspeare, Bonaparte et Goethe.

dans les contrées étrangères pour trouver ses œuvres, et s'il est possible pour surprendre quelqu'un de ses rayons. Mais à sa place nous ne trouvons que la richesse, et elle nous le fait oublier. Vous dites que les Anglais sont pratiques, que les Allemands sont hospitaliers, qu'à Valence le climat est délicieux, que dans les collines du Sacramento il y a de l'or pour celui qui veut en ramasser. Oui, sans doute, mais je ne voyage pas pour trouver des hommes riches, confortables, hospitaliers, un ciel clair ou des lingots qui coûtent trop cher. Mais s'il existait un aimant qui pût m'indiquer les contrées et les demeures où vivent les hommes qui sont intrinsèquement riches et puissants, je vendrais tout pour acheter cet aimant et je me mettrais en route dès aujourd'hui.

Les hommes nous attirent par le crédit qu'ils possèdent. La connaissance que, dans une telle ville, il existe un homme qui inventa les chemins de fer, élève le crédit de tous les citoyens. Mais d'énormes populations, si elles sont des populations de mendiants, nous dégoûtent comme les populations de vers qui fourmillent dans un fromage gâté, comme les entassements de fourmis et de puces; plus elles sont nombreuses, pire est le phénomène que nous venons d'indiquer.

Notre religion n'est que l'amour et l'affection que nous portons à ces grands patrons. Les dieux de la Fable indiquent les époques brillantes des grands hommes, Nous coulons tous nos vases dans un même moule. Nos colossales théologies du judaïsme, du christianisme, du bouddhisme, du mahométisme résultent de l'action nécessaire et de la structure de l'esprit humain. Celui qui étudie l'histoire est comme un homme qui va dans un` magasin acheter des tentures et des tapis. Il s'imagine qu'il achète un nouvel article. Mais s'il va à la fabrique même, il verra que sa nouvelle étoffe ne fait que répéter les volutes et les rosettes que l'on trouve sur les murs

intérieurs de Thèbes. Notre théisme est la purification de F'esprit humain. L'homme ne peut peindre que l'homme, penser rien que l'homme. Il croit que les grands éléments matériels ont leur origine dans sa pensée, et notre philosophie nous montre une unique essence, rassemblée, répartie partout.

Si maintenant nous nous informons des genres de services que nous pouvons tirer des autres hommes, soyons avertis du danger des études modernes et prenons un ton moins haut que celui qui nous est habituel. Nous ne devons pas lutter contre l'amour et nier l'existence substantielle des autres hommes. Je ne sais pas ce qui peut m'arriver. Nous avons des forces sociales. Notre affection envers les autres nous crée une sorte de bénéfice et d'acquêt que rien ne peut remplacer. Je puis faire au moyen d'un autre ce que je ne puis faire seul. Je puis vous dire ce que je ne puis me dire à moi-même. Les autres hommes sont des lentilles au travers desquelles nous lisons nos propres esprits. Chaque homme cherche ceux qui ont des qualités différentes des siennes et qui sont excellents eux aussi dans leur ordre particulier; chaque homme cherche d'autres hommes, cherche l'homme le plus différent de lui, celui qui est le plus un autre homme. Plus forte est la nature, plus elle est réactive. La principale différence entre les hommes consiste en ceci font-ils oui ou non la chose qui leur est propre? L'homme est cette noble plante qui, semblable au palmier, grandit de l'intérieur à l'extérieur. La chose qui lui est propre, bien qu'elle soit impossible aux autres hommes, il peut l'accomplir avec célérité et comme en se jouant. Il est aisé au sucre d'être doux et au nitre d'être salé. Nous prenons beaucoup de peine pour guetter et atteindre ce qui tombera de soi-même dans nos mains. Je considère celui-là comme un grand homme qui habite dans de hautes sphères

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