DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE LIVRE QUATRIÈME CHAPITRE PREMIER Guerre contre l'antiquité classique et l'antiquité chrétienne. § 1. Les trois campagnes contre les anciens. Desmarets de Saint-Sorlin. § II. Charles Perrault. — § III. Houdart de Lamotte. cieux. - Le type du spé-S IV. Rôle de Fontenelle dans la guerre contre les anciens. Le bon et le mauvais Fontenelle. - § V. Guerre contre l'antiquité chrétienne. Lamotte-Levayer. Pascal. - · Huet. — Bayle. — § VI. Effets du mépris des deux antiquités sur la littérature du XVIII° siècle. S'il est vrai que la perfection de l'esprit français, au XVIIe siècle, ait consisté dans son intime union avec les deux antiquités païenne et chrétienne, le jour où cette union sera rompue, ce jour-là verra l'esprit français déchoir, et le temps sera passé des œuvres parfaites. Quoi! déjà la décadence? Otons le mot, si l'on veut. Mais sachons voir la chose. Il vaut mieux y croire pour en avoir peur, que de la nier et d'en être envahi. Appelons d'un autre nom le changement qui s'accomplit dans les T. IV. 1 lettres au XVIIIe siècle, soit! pourvu que ce ne soit pas le nom de progrès et que les gains ne nous ferment pas les yeux sur les pertes. SI LES TROIS CAMPAGNES CONTRE LES ANCIENS. - DESMARETS DE SAINT-SORLIN. La guerre aux deux antiquités commença dès le dernier tiers du xvre siècle. Plusieurs années avant Perrault, Homère avait été traité comme Aristote. Le scepticisme existait avant Bayle. Chose étrange, ou plutôt chose humaine, c'est dans le plus grand éclat de ces deux lumières, à la veille d'Athalie et du Discours sur l'histoire universelle, que se préparait contre les deux antiquités une double insurrection. L'esprit de réhabilitation, qui est une des justices et peut-être une des faiblesses de ce temps-ci, a essayé de relever les adversaires d'Homère du ridicule qui s'attache à leurs noms. On a vu dans cette querelle la cause du progrès, respectable, dit-on, jusque dans les plus méchants écrivains. Je veux bien le reconnaître dans la révolte de la science renaissante s'attaquant, sous l'inspiration de Descartes, à l'autorité superstitieuse d'Aristote mal traduit et mal compris. Au moment où elle renversait la fausse idole, ses découvertes prouvaient au monde que l'idolâtrie de l'immobilité avait fait place au culte intelligent et fécond de l'observation et de l'analyse. Mais voir des champions du progrès dans les adversaires de l'antiquité classique, c'est d'une indulgence ingénieuse; ce n'est pas la vérité. Je voudrais le dire sans me jeter dans l'extrémité opposée et sans affecter contre des hommes et des livres oubliés une sévérité qui ressemblerait à de la colère contre des morts (1). Il y a eu, contre l'antiquité classique, trois campagnes où figurent, en tête des combattants, trois hommes qui sont bien loin d'être méprisables, les deux derniers surtout: Desmarets de Saint-Sorlin, Charles Perrault et Lamotte-Houdart. Desmarets, un des familiers de Richelieu, négligé ou disgracié par Mazarin, employé par Colbert, membre de l'Académie française dès la fondation, s'était fait connaître d'abord par des comédies, des romans et des poëmes. Une conversion religieuse subite le jeta dans la controverse théologique. Dans l'un comme dans l'autre genre, le tour d'esprit du temps plutôt que le génie l'avait décidé. Il avait compris l'amour comme le comprenaient les précieuses, et la théologie telle que la défiguraient les disputes. On l'avait vu tour à tour se mêler de poésie sans être poëte, de religion sans être théologien, et prendre ces grandes choses tour à tour par le côté extérieur et de mode, tout pouvant être de mode en France, même la théologie. (1) Les incidents de la querelle des anciens et des modernes ont eu dans ces derniers temps un agréable et piquant historien. Il faut les aller lire dans le livre de M. Rigault. Il m'a laissé à donner la morale de son histoire. En 1670 l'oubli vint, ou plutôt fondit tout à coup sur Desmarets. Le siècle avait autre chose à faire qu'à lire ses poésies et sa controverse. Tous les illustres amants de l'antiquité occupaient la scène. Déjà Molière avait fait applaudir le Tartuffe, Racine Andromaque et Britannicus; on savourait les premières fables de la Fontaine; Boileau, déjà célèbre par ses Satires, faisait dans les cercles des lectures de l'Art poétique. Desmarets sentit le coup. Il éclata par un livre. « Sans considérer si je serai « suivi et soutenu, dit-il, j'entreprends le combat « contre les amants passionnés des Grecs et des << Latins qui voudraient nous faire quitter la plume << en nous mettant, s'ils le pouvaient, dans le dé sespoir de les pouvoir jamais atteindre (1). » Ce cri de guerre était d'un homme accoutumé à emboucher la trompette épique. Son défi n'eut pas de réponse. Il se piqua au jeu, et l'année suivante il revint à la charge, assisté d'un champion déjà plus que blessé, son Clovis réimprimé. Un discours au roi, en tête du poëme, prenait Louis XIV à témoin « qu'il n'y avait pas de présomption à un «< chrétien de croire que, par une supériorité dont «< il rendait honneur à Dieu, il faisait de la poésie <«< mieux conçue, mieux conduite et plus sensée << que celle des païens. » Boileau ne crut pas offenser Dieu ni déplaire au roi en ne ratifiant pas la bonne opinion que Desmarets avait de ses vers. (1) Traité pour juger des poëtes grecs et latins. Des allusions fort peu voilées firent justice du Clovis ressuscité pour mourir encore, et des théories du discours au roi. Desmarets en vint aux injures. Boileau eut le bon goût de se taire. Son adversaire avait quatre-vingts ans et mourait deux ans après avoir lancé contre son jeune vainqueur le trait de Priam, telum imbelle sine ictu. Desmárets ne nous intéresse que comme un type. Il appartient à cette classe d'écrivains qui se servent de la plume de tout le monde pour ne dire que ce que tout le monde dit. Arrivé vieux à une époque où les nouveautés durables, l'invention, le grand style, allaient prévaloir, il ne put se mettre au pas des nouveaux venus, et il se fâcha. Toute la cause de sa guerre contre les anciens est sa vanité blessée. Clovis n'est pas lu; voilà le vrai tort d'Ho mère. Les critiques de Desmarets contre les anciens, très-peu dignes de mention si l'on y cherche des raisons, méritent un regard de l'histoire à titre de préjugés littéraires propres à une époque et de travers d'esprit intermittents. Ce qui manque aux anciens, selon Desmarets, et notamment à Homère et à Virgile, c'est, faut-il l'écrire? le jugement. Il est très-vrai qu'ils n'ont pas jugé les choses et les hommes comme Desmarets. Ils n'avaient pas sous les yeux, pour peindre l'homme, l'idéal du Clovis, le guerrier sans faiblesse, toujours égal à lui-même, |