pas si grand que la rivière des Amazones, mais il l'est beaucoup plus vers l'île de la SainteTrinité, où il se décharge dans la mer par soixante-six embouchures. Au milieu de toutes ces embouchures il y a une infinité d'îles habitées par des Indiens infidèles. On rapporte des Amazones qu'elles font un divorce presque perpétuel avec leurs maris; qu'elles ne les vont voir qu'une fois pendant l'année, et que les maris viennent les revoir à leur tour l'année suivante; que, dans le temps de ces visites mutuelles, ils font de grands festins, ils célèbrent leurs mariages, ils coupent les mamelles aux jeunes filles afin que, dans un âge plus avancé, elles puissent tirer plus habilement de l'arc et combattre plus aisément leurs ennemis. On ajoute que quand elles vont visiter leurs maris, ceux-ci sont obligés de les nourrir, de leur préparer à manger et de les servir, tandis qu'elles se tiennent tranquilles dans leurs hamacs. sont de quatre, cinq, dix et vingt lieues; elles sont assez près les unes des autres : les inondations, qui y arrivent tous les ans, servent beaucoup à les fertiliser. Les peuples qui les habitent se font du pain des racines d'yuca : quand ce pain est sec, ils le détrempent dans l'eau, laquelle, après avoir bouilli à petit feu, se fermente et forme un breuvage qui enivre de même que le vin. Cette liqueur est fort en usage dans leurs festins. Près de la ville de Borgia il se trouve un détroit qui se nomme Pongo; il a trois lieues de longueur et il se partage en vingt-cinq bras dans sa largeur. La rivière dans cet endroit est si rapide que les bateaux passent le détroit en un quart d'heure. A trois cent soixante lieues de la mer se trouve un autre détroit vers l'embouchure de la rivière Tupinamba, où le fleuve des Amazones est tellement rétréci par les terres qu'il n'a guère qu'un quart de lieue de largeur. En certains endroits il est large d'une lieue. Le fleuve Maragnon a sa source dans le lac Loricocha', assez près de la ville de Guanuco, dans le royaume du Pérou. Il va en serpentant; son cours est de dix-huit cents lieues; il se décharge dans la mer du Nord par quatrevingt-quatre embouchures. Là il a quatre-vingt-bien que les cèdres et d'autres arbres propres quatre lieues de largeur et il porte la douceur de ses eaux à plus de trente lieues en pleine mer. Un grand nombre de rivières viennent s'y décharger du côté du nord et du midi. La plupart de ces rivières ont leur source à plus de cent lieues de leur embouchure. On y trouve toute sorte de poissons et beaucoup de gibier dans les campagnes voisines. Ce grand fleuve est couvert d'une infinité d'îles de différente grandeur : les moindres Le premier Européen qui découvrit cette rivière en 1539 fut le capitaine Francisco del Orellana. Il lui donna son nom. Mais ensuite il changea ce nom en celui de l'Amazone, quand il eut appris que sur ses bords il existait des peuplades où les hommes, disait-on, étaient sans barbe et où les femmes étaient armées. L'Orénoque fut découvert en 1498 par Christophe Colomb. Il communique à l'Amazone par le Rio-Negro et par un canal naturel de jonction que M. de Humboldt a vu dans son voyage aux régions équinoxiales. L'un et l'autre rivage, depuis la ville de Jaen, où la rivière commence à porter bateau, jusqu'à la mer, sont couverts d'arbres fruitiers de toute espèce; les cacaotiers y abondent aussi du pays. On y voit des vignes sauvages et une écorce aromatique qui sert à la teinture; il s'y trouve quantité de bocages qui produisent toute sorte de simples. Parmi une infinité de poissons qui se trouvent dans cette rivière, il n'y en a point de plus remarquable ni de plus délicat que la vache marine. Les Espagnols l'appellent pece buey à cause de la ressemblance qu'elle a avec le bœuf. Cet animal va paître sur le rivage et se nourrit des herbes qu'il y trouve; la femelle allaite ses petits. On y trouve aussi beaucoup de tortues, des serpens, des crocodiles, une espèce de couleuvre qui dévore les hommes. Dans les montagnes il y a des tigres, des sangliers, des daims. On trouve dans les plaines des animaux de toute espèce, dont plusieurs sont inconnus en Europe, mais dont le goût est excellent, et dans les lacs, quantité 1 Selon M. de La Condamine, il n'y a que deux lieues de Sant-Iago a Borgia, et le détroit, dans sa moindre largeur, a beaucoup plus de mille toises. Ses observations, comme il le remarque, sont plus exacles, parce qu'il avait de meilleurs instrumens. Sa carte cependant est assez conforme à celle du père Samuel Fritz. d'oies et d'oiseaux de rivière. Outre cela ils ont diverses sortes de fruits, comme sont les bananes, les ananas, les goyaves, les amandes de montagnes, qui ressemblent assez à nos châtaignes, des dattes, des espèces de truffes, etc. Le pays est peuplé d'une infinité de nations barbares, surtout le long des rivières. Les Portugais y ont quelques colonies vers l'embouchure du et en le remontant six cents lieues plus avant, fleuve, ils ont élevé un petit fort à l'embouchure du Rio-Negro. Le Maragnon a dans ce vaste espace vingt à trente brasses de profondeur. Les missions que les jésuites ont établies aux environs du fleuve Maragnon sont très-pénibles ils y entrèrent en l'année 1658. Leur principal établissement est dans la ville de Borgia, qui est comme la capitale de la province de los Maynas, laquelle est à trois cents lieues de Quito. Cette province s'étend le long des rivières de Pastaça, de Gualagua et d'Ucayale. Plusieurs des missionnaires ont eu le bonheur de sceller de leur sang les vérités de l'Évangile, qu'ils sont venus prêcher dans ces terres infidèles. Ces barbares massacrèrent, entre autres, le père François de Figueroa près de Guallaga, en l'année 1666; le père Pierre Suarez dans le pays d'Abijiras, en l'année 1667; le père Augustin de Hurtado dans le pays des Andoas, en 1677; le père Henri Richler dans le pays des Piros, en 1695, et, en cette année 1707, on a confirmé la nouvelle de la mort du père Nicolas Durango, qui a été tué par les infidèles dans le pays de Gayes. Le lieu où ces hommes apostoliques ont répandu leur sang est désigné sur la carte par une croix. Le père Richler, l'un des derniers missionnaires dont Dieu a couronné les travaux par une mort si glorieuse, naquit à Coslau, en l'année 1653. Il se consacra au service de Dieu dans la compagnie de Jésus à l'âge de seize ans. Tout le temps qu'il enseigna les belleslettres et qu'il fit ses études de théologie dans la province de Bohême, où il avoit été reçu, il soupira après les missions des Indes, auxquelles il prit le dessein de se dévouer, dans l'espérance d'obtenir du Seigneur la grâce d'y verser son sang pour la foi. Ce fut en l'année 1684 qu'il arriva dans cette laborieuse. mission. Il exerça d'abord son zèle parmi les peuples de los Maynas'; il fut envoyé en 'Les missionnaires qui soumirent aux Espagnols le suite chez les nations infidèles qui habitent le long du grand fleuve Ucayale. Il y travailla pendant douze ans avec tant de fruit qu'on comptoit neuf peuplades très-nombreuses de fidèles qu'il avoit formées au christianisme et qui vivoient dans une grande pureté de mœurs. Il seroit difficile de faire comprendre ce qu'il eut de fatigues à essuyer, soit pour apprendre les langues barbares de ces peuples, soit pour faire entrer dans leur esprit et dans leurs cœurs les maximes de l'Évangile. Il fit pendant ces douze années plus de quarante excursions le long du fleuve, dont la moindre étoit de deux cents lieues, et, dans ces courses, il lui falloit pénétrer des forêts épaisses et traverser des rivières extrêmement rapides. On a peine à concevoir qu'un seul missionnaire, chargé du soin de tant d'âmes, ait pu trouver le temps de parcourir des contrées si éloignées les unes des autres, par des chemins si peu praticables que souvent c'est beaucoup avancer que de faire une demi-lieue par jour. Dans tous ses voyages il comptoit uniquement sur la Providence pour les besoins de la vie, et il ne voulut jamais porter avec lui aucune provision. Il marchoit pieds nus dans des sentiers semés de ronces et d'épines, exposé aux morsures d'une infinité de petits insectes venimeux, dont les piqûres causent des ulcères qui mettent quelquefois la vie en danger : c'est ce qu'ont éprouvé plusieurs voyageurs, bien qu'ils prissent toute sorte de précautions pour se mettre à couvert de la persécution de ces petits animaux. Souvent il se trouva si dénué des choses les plus nécessaires que, faute d'un morceau d'étoffe pour se couvrir, il étoit obligé d'aller à demi nu, ou bien il se voyoit réduit à se faire lui-même une robe d'écorce et de branches de palmier : c'étoit plutôt un rude cilice qu'un vêtement. Cependant, non content de ces rigueurs attachées à la vie apostolique qu'il menoit, il affligeoit son corps par de nouvelles macéra vaste pays de Maynas, limitrophe de la Pempa del Sacramento et situé aujourd'hui dans la Colombie, trou vèrent plus d'obstacles à mesure qu'ils s'avançaient vers l'Uyacale et surtout au delà de cette rivière. A la fin du dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, il y eut de belles missions sur les bords de la rivière Manoa ; mais elles ont été détruites et ce n'est que longtemps après que des missionnaires d'Ocapa ont rétabli des communications avec plusieurs peuplades sauvages, notamment avec les Panos. tions. Son jeune étoit continuel et très-austère; dans ses plus longs voyages il ne vivoit que d'herbes champêtres et de racines sauvages; c'étoit un grand régal pour lui quand il trouvoit quelque petit poisson. Une vie si pénible et si mortifiée devoit finir par la plus sainte mort ce fut aussi la récompense que le Seigneur avoit attachée à ses travaux. On avoit tenté plusieurs fois la conversion des Xibares, et toujours inutilement c'est un peuple naturellement féroce et inhumain, qui habite des montagnes inaccessibles. Les Espagnols, dans la vue de le soumettre à la foi, avoient bâti autrefois dans leur pays une ville nommée Sogrona; mais ils ne purent tenir contre les cruautés qu'exerçoient ces infidèles, et ils furent contraints de la ruiner. Don Matthieu, comte de Léon, président du conseil royal de Quito, homme né pour les grandes entreprises et plein de zèle pour la conversion des idolâtres, forma le dessein d'envoyer encore une fois des missionnaires à ces barbares; il en conféra avec l'évêque de Quito et le viceroi du Pérou, qui promirent d'appuyer de leur autorité une œuvre si sainte. Ils demandèrent aux supérieurs des hommes capables d'exécuter une entreprise aussi pénible et aussi périlleuse qu'étoit celle-là, et, pour ne pas les exposer témérairement, ils voulurent qu'un certain nombre d'Indiens convertis à la foi les accompagnassent et leur servissent comme d'escorte. Le père Richler et le père Gaspard Vidal furent choisis pour cette expédition: ils partirent avec joie, et bien que l'expérience du passé leur fit juger qu'il y avoit peu de chose à espérer pour l'avenir, ils crurent qu'ils seroient assez récompensés de leurs peines pourvu qu'ils eussent le mérite de l'obéis sance. Ce qu'ils avoient prévu arriva : cinq années des plus grands travaux ne produisirent presque aucun fruit. Les Indiens fidèles qui accompagnoient les missionnaires se rebutèrent de tant de marches et de tant de navigations pénibles; ils en vinrent aux plaintes et aux murmures; ils députèrent secrètement quelques-uns d'entre eux à Quito pour supplier qu'on les rappelât, ou du moins qu'on leur envoyât à la place du père Richler un autre missionnaire fort âgé, ne pouvant, disoient-ils, résister plus longtemps à tant de travaux, que le zèle infatigable du père Richler leur fai soit souffrir; enfin, voyant qu'on ne se pressoit pas de les satisfaire, ils prirent le dessein. de se délivrer eux-mêmes du missionnaire, et, pour colorer leur révolte particulière, ils inspirèrent la haine secrète qu'ils lui portoient à quelques-uns des peuples circonvoisins, dont ils prétendoient se servir pour se défaire de l'homme apostolique. Dieu permit, pour augmenter la couronne de son serviteur, que le chef de ceux qui conjurèrent sa perte fut celui-là même sur la fidélité duquel il devoit le plus compter. Henri (c'est son nom) étoit un jeune Indien que le missionnaire avoit élevé dès sa plus tendre en fance: il l'avoit baptisé et lui avoit donné son nom de Henri; il le regardoit comme un enfant chéri qu'il avoit engendré en Jésus-Christ et qu'il avoit formé aux vertus chrétiennes ; il le tenoit toujours en sa compagnie et le faisoit manger avec lui; il l'employoit même dans les fonctions apostoliques. Ce perfide, oubliant tant de bienfaits, se mit à la tête d'une troupe d'Indiens qu'il avoit séduits par ses artifices, pour ôter la vie à son père en Jésus-Christ et à son maître. Il prit le temps que le père alloit travailler à la conversion des Piros, et l'ayant joint dans le chemin, il lui donna le premier coup c'étoit le signal qui avertissoit les Indiens de sa suite de se jeter sur le missionnaire et de lui arracher la vie. Ces barbares massacrèrent en même temps deux Espagnols qui accompagnoient le père, l'un qui étoit de Quito, et l'autre qui étoit venu de Lima. Ils entrèrent ensuite chez les Chipés, où ils exercèrent le dernier acte de leur cruauté sur le vénérable Don Joseph Vasquez, prêtre licencié, que son zèle et sa vertu avoient porté depuis plusieurs années à se joindre aux missionnaires jésuites et à travailler avec eux à la conversion des gentils. Telle fut la fin glorieuse du père Richler, qui, ayant passé des climats glacés du septentrion dans les terres brûlantes de l'Inde occidentale, a ouvert la porte du ciel à plus de douze mille infidèles qu'il a convertis à la foi. Le père Samuel Fritz, de qui nous avons la carte et les particularités du fleuve des Amazones, étoit venu aux Indes avec le père Richler; il suivit le cours de la rivière Maragnon jusque vers son embouchure; on fut quelques années sans recevoir de ses nouvelles, ce qui fit croire ou qu'il avoit péri dans les eaux ou de Tarija et plus de cent au nord. Les lettres que reçut le révérend père provincial sembloient insinuer que le temps de la conversion de ces peuples étoit enfin venu et qu'ils paroissoient disposés à écouter les ministres de l'Évangile. Il nomma le père Julien Lizardi, le père Joseph Pons et moi pour une entreprise si glorieuse, dont le succès devoit faciliter la conversion de plusieurs autres nations infidèles, et il voulut nous accompagner, afin de régler par lui-même tout ce qui concerneroit cette nouvelle mission. que les barbares l'avoient massacré : on avoit | tagnes, qui occupent cinquante lieues à l'est même enjoint pour lui dans la compagnie les prières ordinaires qui s'y font pour les défunts. Il reparut enfin lorsqu'on ne s'attendoit plus à le revoir, et l'opinion qu'on avoit eue de sa mort le fit regarder comme un homme ressuscité. On sut de lui que le gouverneur d'une place portugaise l'avoit pris pour un espion, et que, l'ayant renfermé pendant deux ans dans une étroite prison, il avoit eu bien de la peine après un temps si considérable à lui rendre la liberté. Ce père établi sa mission sur cette grande rivière, laquelle en plusieurs endroits ressemble à une vaste mer. Il a soin de trente nations indiennes qui habitent autant d'îles, de celles dont le Maragnon est couvert, depuis l'endroit où sont les Pelados jusqu'à son embouchure. LETTRE DU P. IGNACE CHOMÉ AU P. VANTHIENNEN. Voyage à travers le Tucuman pour arriver au pays des De Tarija, le 3 d'octobre 1735. MON RÉVÉRend Père. La paix de N.-S. Il y avoit peu de temps que j'étois dans la mission des Indiens Guaranis lorsque la Providence me destina à une autre mission sans comparaison plus pénible et où l'on me promettoit les plus grands travaux et des tribulations de toutes les sortes. Voici ce qui donna lieu à ma nouvelle destination. Le révérend père Jérôme Herran, provincial, faisant la visite des diverses peuplades qui composent la mission des Guaranis, reçut des lettres très-fortes du vice-roi du Pérou, et du président de l'audience de Chiquisaca, par lesquelles ils lui demandoient avec instance quelques missionnaires qui travaillassent de nouveau à la conversion des Indiens Chiriguanes. Ce sont des peuples intraitables, du naturel le plus féroce et d'une obstination dans leur infidélité que les plus fervens missionnaires n'ont jamais pu vaincre. On compte plus de vingt mille ames de cette nation répandues dans d'affreuses mon Nous étions éloignés de plus de huit cents lieues de la ville de Tarija, laquelle confine avec le Pérou et avec la province de Tucuman. Nous nous embarquâmes au commencement de mai sur le grand fleuve Uruguai, et il nous fallut plus d'un mois pour nous rendre à Buenos-Ayres. Delà il nous restoit encore près de cinq cents lieues à faire. Nos voyages se font ici en charrelte, comme je vous l'ai déjà mandé, mais il n'en fut plus question quand nous arrivâmes à Saint-Michelde-Tucuman. Les montagnes qu'il faut traverser ensuite y sont si prodigieusement hautes qu'on ne peut plus se servir que de mules et encore avec beaucoup de peine. Pour vous donner quelque idée de leur hauteur, il suffit de vous dire que nous trouvant déjà bien avant sous la zone torride, et au commencement de novembre, que les chaleurs sont excessives dans le Tucuman, nous avions néanmoins à essuyer une neige abondante qui tomboit sur nous. Une nuit surtout la gelée fut si forte qu'elle nous mit presque hors d'état de continuer notre voyage. Enfin, après bien des dangers et des fatigues, nous arrivâmes à Tarija vers la fin du mois de novembre. Nous fùmes bien surpris de trouver les choses tout autrement disposées que nous ne nous l'étions figuré sur les lettres qui nous avoient été écrites. La paix n'étoit pas encore faite entre les Espagnols et ces infidèles : s'il y avoit suspension d'armes, c'est que, de part et d'autre, ils étoient également lassés de la guerre et qu'ils se craignoient réciproquement. Le lendemain de notre arrivée, le commandant de la milice, que les Espagnols appellent mestre de camp, vint nous rendre visite. Après les premiers complimens: Je compte, nous dit-il, qu'aussitôt que la saison des pluies sera passée, vous m'accompagnerez chez ces infi- | de ces bois épais qu'en nous ouvrant le passage déles pour y traiter de la paix et pour les forcer à vous recevoir dans leurs bourgades. Nous ne nous attendions point à une pareille proposition. Nous lui répondîmes que notre mission ne dépendoit pas du succès de ses armes, et que si nous avions à combattre avec les infidèles, ce seroit le crucifix à la main et avec les armes de l'Évangile, et que, loin de l'attendre, nous étions résolus de partir dans peu de jours pour entrer sur leurs terres et parcourir leurs bourgades. Cet officier, qui voyoit le danger auquel nous nous exposions, s'y opposa de toutes ses forces; mais le réverend père provincial, qui approuvoit notre résolution, détruisit toutes ses raisons par ces paroles, auxquelles il ne put répliquer : S'il arrivoit, lui dit-il, que ces pères vinssent à expirer par le fer de ces barbares, je regarderois leur mort comme un vrai bonheur pour eux et comme un grand sujet de gloire pour notre compagnie. Le révérend père provincial partit pour se rendre à Cordoue, et, pour ce qui est de nous autres, nous nous mêmes pour huit jours en retraite, afin d'implorer le secours du ciel et le prier de bénir notre entreprise. la hache à la main. Nos mules ne pouvoient nous servir qu'à porter nos provisions et à passer les torrens qui coulent avec impétuosité entre ces montagnes. Nous nous mettions en marche dès la pointe du jour, et au coucher du soleil nous n'avions guère fait que trois lieues. Enfin, nous arrivâmes à la vallée des Salines. Le père Lizardi s'y arrêta avec un capitaine des Chiriguanes qui étoit chrétien et que nous ne voulions point exposer à la fureur de ses compatriotes, qui l'avoient menacé plusieurs fois de le massacrer. Nous poursuivimes notre route, le père Pons et moi, jusqu'à la vallée de Chiquiaca, où nous vîmes les tristes ruines de la mission que ces infidèles avoient détruite, et les terres arrosées du sang de leurs missionnaires, qu'ils avoient égorgés. Nous employames trois jours à faire les huit lieues qu'il y a d'une vallée à l'autre. Après avoir donné un jour de repos à nos mules, qui étoient fort harassées, nous nous engageâmes de nouveau, engageâmes de nouveau, le père Pons et moi, dans ces épaisses forêts, bordées de tous côtés de précipices. Le quatrième jour, après avoir grimpé une de ces montagnes, et lorsque nous commencions à la descendre, nous entendimes aboyer des chiens, compagnons inséparables des Indiens, dont ils se servent pour la chasse et pour se défendre des tigres. Jugeant donc qu'il n'y avoit pas loin de là un peloton de ces barbares, nous envoyâmes trois Indiens pour les reconnoître. Quoique nos fatigues et les continuels dangers que nous avons courus aient été inutiles, je ne laisserai pas, mon révérend père, de vous en faire le détail. Vous jugerez par cet échantillon ce qu'il en a coûté à nos anciens missionnaires pour rassembler tant de barbares et les fixer dans ce grand nombre de peuplades qu'ils ont établies depuis plus d'un siècle, où l'on voit une chrétienté si florissante par l'in-moi le père Pons, qui auroit eu de la peine à nocence des mœurs et par la pratique exemplaire de tous les devoirs de la religion. Dans l'impatience où j'étois d'en savoir des nouvelles, je pris les devants, laissant derrière me suivre. Je descendois le mieux qu'il m'étoit possible la montagne, lorsque parurent deux Après avoir achevé les exercices de la rede ces Indiens que j'avois envoyés à la découtraite et préparé tout ce qui étoit nécessaire verte. Ils me dirent qu'au bas de la montagne pour notre voyage, nous partîmes tous trois étoit une troupe de barbares qui, ayant reconde Tarija pour nous rendre à Itau: c'est la pre- nu l'endroit où nous avions passé la nuit prémière bourgade des infidèles, qui en est éloi- cédente, nous attendoient au passage; qu'ils gnée de soixante lieues. Six néophytes indiens paroissoient être fort courroucés ; qu'ils avoient nous accompagnaient. Le chemin que nous retenu le troisième Indien, et que peut-être avions fait jusqu'alors dans le Tucuman, quel- l'avoient-ils déjà massacré; qu'enfin, ils me que affreux qu'il nous parut, étoit charmant en conjuroient de ne pas avancer plus loin, parce comparaison de celui que nous trouvâmes sur que tout étoit à craindre de leur fureur. les terres de ces barbares. Il nous falloit grim-Quelques efforts qu'ils fissent pour m'arrêter, per des montagnes bien autrement escarpées je les quittai brusquement, et, roulant plutôt et toutes couvertes de forêts presque impéné- de cette montagne que je n'en descendois, je trables; nous ne pouvions avancer au milieu me trouvai tout à coup au milieu d'eux sans |