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même le crucifix, il le faisoit tenir par sa femme. Ce fut là le spectacle édifiant qui se présenta à mes yeux lorsque j'entrai dans sa cabane sa femme étoit à genoux à côté de son hamac, tenant le crucifix à la main et le présentant à son mari; les yeux du mourant étoient immobiles et fortement attachés sur l'image de Jésus crucifié : ils ne m'aperçurent ni l'un ni l'autre, et je fus si attendri de ce que je Yoyois que je sortis sur l'heure pour donner un libre cours à mes larmes. Je trouvai le père Fauque, à qui je racontai le désolant spectacle dont je venois d'être témoin, et je m'appliquai en même temps ces paroles du roi prophète : « Euntes ibant et flebant mittentes semina sua, venientes autem venient cum exultatione portantes manipulos suos. » Pouvois-je le croire, lui dis-je, qu'ayant semé avec tant de douleur je moissonnerois un jour avec tant de consolation ? J'avois parcouru ces lieux sauvages en pleurant, et, semblable à un laboureur qui n'ensemence qu'à regret une terre ingrate, je semois sans presque aucune espérance de récolte pouvois-je m'attendre à la joie que je ressens maintenant, de me voir chargé des fruits de mes peines et de ma patience ? »

Je vous l'ai dit, mon révérend père, et il est vrai que le cœur de nos sauvages ressemble à ces terres qui ne produisent de fruits que par la patience de ceux qui les cultivent. Un missionnaire, sans avoir ces grands talens que Dieu donne à qui il lui platt, mais qui sera plein de zèle et qui, loin de voltiger chez toutes ces différentes nations, s'attachera à une nation particulière de sauvages, pour les instruire à loisir et leur rebattre sans cesse les mêmes vérités, sans se rebuter, sans se décourager, verra, avec le temps, sa patience couronnée par les fruits de bénédiction que produira la semence évangélique qu'il aura jetée dans leurs cœurs. Fructum afferunt in patientiâ. Je me recommande à vos saints sacrifices et suis avec un profond respect, etc.

LETTRE DU P. FAUQUE,

MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS,

AU P. DE LA NEUVILLE,

DE LA MÊME COMPAGNIE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE.

Description de la Guyane et particulièrement des rives de l'Oyapoc.

A Cayenne, ce 1er mars 1730.

MON REVEREND PÈRE,

La paix de N. S.

Le zèle dont vous êtes animé pour l'établissement des missions que nous projetons parmi tant de nations sauvages qui habitent la Guyane, et la générosité avec laquelle vous êtes toujours prêt à nous seconder dans une si sainte entreprise, sont bien capables de nous soutenir et de nous fortifier dans les travaux qui en seront inséparables. Nous découvrons tous les jours quelques unes de ces nations, que nous espérons de réunir en diverses peuplades semblables à celle que le père Lombard vient de former à Kourou. Ce n'est qu'en fixant ainsi les sauvages qu'on peut se promettre de rendre leur conversion à la foi solide et durable.

Dans le dernier voyage que je fis à Oyapoc, je profitai d'un peu de loisir que j'y eus pour monter la rivière et faire une petite excursion chez les sauvages. M. du Villard s'offrit à être du voyage: nous partimes du fort le lundi 22 décembre de l'année dernière, dans deux petits canots, avec sept Indiens qui nous accompagnèrent, savoir: trois Caranes, deux Acoquas, un Piriou et un Palanque. Nous arrivâmes de bonne heure au premier saut nommé Yeneri: il est long d'un demi-quart de lieue, c'est le plus dangereux qu'on trouve dans toute la rivière d'Oyapoc. Quelque favorable que soit la saison, il faut nécessairement y débarquer tout le bagage pour traîner plus aisément les canots sur les roches.

C'est aux environs de ce saut que demeurent les Caranes, nation à la vérité peu nombreuse, mais qui, par sa bravoure, a tenu tête autrefois aux François et à dix autres nations. indiennes : ils me reçurent fort bien et me parurent très-disposés à se faire instruire des vérités de la foi.

au milieu de l'eau. Il a quatre pattes armées de trois griffes assez longues et un peu crochues. Sa peau est couverte d'un poil presque aussi long et aussi fin que la laine; sa queue est très-courte, et son museau ressemble parfaitement au visage d'un homme qui auroit la

Le lendemain nous ne fimes qu'errer de roche en roche, pour donner le loisir à nos Indiens de haler nos canots. Nous arrivâmes avant midi au second saut, nommé Cachiri, qui est long de près d'un quart de lieue et éloigné du premier saut d'environ une lieue. On voit là une petite rivière sur la gauche, qu'on nomme Keri-tête enveloppée d'un capuche bien étroit. Celui kourou, et qu'on monte plus de vingt lieues dans les terres, quoiqu'elle soit remplie de sauts. C'est à Cachiri que trois de nos François furent tués autrefois par les Caranes.

Après avoir passé ce saut, nous découvrîmes sur la droite une crique assez grande qu'on nomme Armontabo. Un Palanque, appelé Kamiou, y avoit fait son abatis l'année dernière (c'est ainsi qu'en Amérique on appelle un terrain défriché), mais il n'y demeura pas longtemps: les Caranes l'obligèrent d'aller s'établir plus loin. Nous campâmes ce jour-là sur une roche au bord de la rivière. Les Indiens nous dressèrent un petit ajupa pour y passer la nuit (c'est une espèce d'appentis ouvert de tous côtés); mais comme il étoit mal couvert, par la difficulté de trouver dans ces cantons les feuilles propres à couvrir les toits, nous fùmes bien mouillés par quelques grains de pluie qui tombèrent.

Le 14 nous ne fûmes pas obligés de mettre pied à terre à la vérité on trouvoit de temps en temps des roches; mais comme elles sont éparses çà et là dans la rivière, elles n'empêchent pas de tenir la route. Le lit de cette rivière nous parut assez beau; nous découvrions quelquefois près d'un quart de lieue au loin, et en certains endroits la nature a si bien alligné le canal qu'on diroit qu'il a été tiré au cordeau.

Nos Indiens eurent souvent le plaisir de tirer leurs flèches sur des bakous: c'est un poisson fort délicat, que je comparerois volontiers à la dorade de Provence ; on le trouve dans le plus fort des courans ; il est d'ordinaire tellement attaché à succer une espèce de mousse qui naît contre les roches, qu'on peut s'approcher fort près de lui sans qu'il s'en aperçoive.

Vers les quatre heures du soir nous trouvâmes un paresseux je ne sais si lorsque vous étiez à Cayenne vous avez vu cette espèce d'animal. Le nom qu'on lui a donné convient bien à son indolence et à son inaction: je ne crois pas qu'il pût faire cent pas en un jour dans le plus beau chemin.

Il étoit perché sur la pointe d'un rocher élevé

que nous vimes n'étoit guère plus gros qu'un chat. Si nos Indiens ne l'eussent pas trouvé si maigre, ils s'en seroient régalés '.

Il nous fallut coucher ce soir là dans le bois: la pluie que nous avions essuyée la nuit précédente rendit les Indiens plus attentifs à nous mieux loger. Leur précaution nous fut inutile, car il plut jusqu'à huit heures du matin.

Le 15 nous continuâmes notre marche, qui fut assez unie: il se trouva néanmoins assez fréquemment sur notre route des flots, des bancs de roche, des courans et des bouquets de bois, mais ils ne nous furent d'aucun obstacle. Nous rencontrâmes dans la matinée une assez grande rivière, qui monte jusqu'à trente lieues dans les terres où il y a une nation d'Indiens qui sont inconnus. Je crois qu'on les nomme Aranajoux. Vers les deux heures après-midi, nous découvrimes de loin deux abatis faits tout récemment; nous n'eûmes pas le temps de les aller reconnoître de plus près.

Peu après nous rencontrâmes deux canots de pêcheurs qui nous conduisirent à leur case: c'étoient des Pirious établis depuis un an dans cette contrée. La pluie qui tomba en abondance aussitôt que nous y fûmes arrivés, nous obligea de passer la nuit chez eux. Nous étions si fort à l'étroit, et parmi des gens si sales, que j'aurois beaucoup mieux aimé loger dans les bois, comme nous avions fait les jours précédens. Un de nos Indiens nous avertit qu'il y avoit lá un pyaie, lequel avoit trois femmes et laissoit mourir d'inanition ceux qui venoient chercher

Ce genre de quadrupède ne se trouve que dans l'Amérique méridionale. Le paresseux est de l'ordre des tardigraves. Il y en a de trois espèces : l'aï, l'unau, le kouri.

L'aï est deux jours à monter sur l'arbre où il vent s'établir. Il le ronge jusqu'aux branches. Sa fourrure est d'un gris varié de brun, il a quelquefois une tache noire sur le dos.

L'unau est gros comme un mouton. Il n'a point de queue.

Le kouri est un petit hunau. Il a le poil varié de brun, de jaune, de gris. Il habite particulièrement la Guyane.

2 Enchanteur.

la santé chez lui, afin d'épouser ensuite les veuves. La polygamie et la confiance aveugle que ces sauvages ont dans ces sortes d'enchanteurs seront le plus grand obstacle que nous trouverons à établir le christianisme dans ces terres infidèles.

Le 16, nous commençâmes à trouver les abatis en plus grande abondance à l'un et à l'autre bord de la rivière. Nous nous arrêtâmes sur une roche vers les onze heures, afin de donner le temps à nos Indiens de se refaire un peu de leurs fatigues. Comme il y avoit là quelques cases et qu'il ne paroissoit aucun sauvage, j'eus la curiosité d'y entrer; mais à peine eus-je fait quelques pas que je sentis la terre s'enfoncer sous mes pieds je retournai aussitôt vers nos Indiens, qui me dirent que depuis peu on avoit enterré en cet endroit une famille presque entière d'Acoquas, et que la peur dont les autres avoient été saisis les avoit fait décamper au plus vite.

Rien de plus digne de compassion, mon révérend père, que de voir la quantité de ces malheureux Indiens qui périssent faute de secours; je suis persuadé que, quand nous serons une fois établis parmi eux, nous prolongerons la vie à un grand nombre. Dans les diverses excursions que j'ai faites, je n'en ai guère trouvé qui fussent d'un âge avancé. La confiance qu'ils paroissent avoir aux remèdes que leur donnent les François nous facilitera le moyen de nous insinuer dans leurs esprits. M. du Villard ouvrit la veine à plusieurs, qui lui témoignèrent beaucoup de reconnoissance. J'ai amené quatre de ces sauvages avec moi, afin qu'ils apprennent à saigner, et en même temps ils aideront le père Lombard à achever le vocabulaire qu'il commencé. Ce secours que nous procurons aux Indiens les rendra bien plus dociles à nos instructions, car le caractère du sauvage est de ne se conduire d'abord que par des vues d'intérêt.

Après un peu de repos, nous réprîmes notre route; nous rencontrâmes une bande nombreuse d'Acoquas qui enivraient la rivière (c'est le terme des sauvages pour exprimer le secret qu'ils ont de prendre le poisson en les enivrant avec du bois de nekou qu'ils jettent dans l'eau et dont le poisson est friand). D'aussi loin que ces sauvages nous aperçurent, ils ramassèrent à la hâte leurs poissons et s'embarquèrent dans leurs canots pour éviter notre ap

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proche. Nous ne fûmes pas néanmoins longtemps sans les joindre le plus ancien, qui faisoit la fonction de capitaine, vint me saluer. Un saut dangereux nous obligea de mettre pied å terre et d'aller à leurs cases. L'accueil froid et indifférent qu'ils nous firent ne nous engagea pas à demeurer avec eux je leur donnai cependant le loisir de me bien examiner, car j'étois pour eux un objet nouveau et tout-à-fait extraordinaire.

Après avoir avalé un coui d'une très-mauvaise liqueur qu'on me présenta, je profitai du reste de la journée pour me rendre chez le capitaine des Pirious, qui a une grande autorité dans sa nation et sur toutes les autres nations du voisinage. Il s'appelle Apariou c'est un bon vieillard d'environ soixante et dix ans, qui a l'œil vif, l'air résolu et qui paroît homme de main. Un capitaine françois, à ce que m'assura M. du Villard, n'est pas mieux obéi de ses soldats qu'il l'est de tous ceux qui composent sa nation.

Quelques-uns de ses gens vinrent au-devant de moi avec leurs flèches, leurs plumets et les ornemens dont ils se parent. Apariou étoit resté chez lui dans une case haute. Aussitôt que j'eus pris place dans le taboui ( c'est une case basse au rez-de-chaussée), je le vis paroître au haut de son échelle: il tenoit à la main une espèce d'esponton, et il avoit la tête couverte d'un vieux chapeau bordé dont M. de La Garde, envoyé à la découverte d'une mine d'or au haut de la rivière, lui avoit fait présent de la part du roi, comme à un banaré des François.

Avant de m'aborder, il s'adressa à son neveu, qui avoit fait quelques mois de séjour à Kourou, et lui demanda si j'étois véritablement celui chez qui il avoit demeuré. Après avoir été satisfait sur cet article, il s'approcha de moi avec un air épanoui et me dit en son langage que j'étois le bienvenu et qu'il étoit ravi de me voir. Je lui fis présent de quelques curiosités qui lui étoient nouvelles parce qu'il n'est jamais sorti de son pays, et il me parut très-content de mes libéralités. Je crus ne devoir rien négliger pour nous affectionner ce chef des sauvages, car c'est de lui que dépend le succès de l'établissement que nous projetons de faire en ce lieu-là. Sur le soir, je demandai au neveu quelles étoient les intentions du chef

1 Jatte de bois vernissé.

son oncle. Il me répondit que, pour en être bien assuré, il falloit attendre le retour de son fils aîné, et qu'alors nous pourrions conférer ensemble et voir sur quoi je pouvois compter.

Comme nous n'étions pas éloignés de l'embouchure du Camopi', j'allai pendant ce tempslà voir cette rivière; nous y trouvâmes différentes cases de Pirious, qui nous reçurent avec affabilité. L'arrivée du fils aîné d'Apariou, qui s'appelle Aripa et qui doit lui succéder dans sa charge, m'obligea de retourner à sa case, où, ayant fait assembler les principaux de la nation, je leur déclarai que l'unique sujet de mon voyage étoit de m'assurer de leurs dispositions 'à l'égard du christianisme. Je m'étendis assez au long sur la vérité de la religion, sur la nécessité de l'embrasser et sur les grands avantages qu'ils en retireroient en cette vie et dans l'autre ; puis je priai Aripa d'expliquer à son père et à tous ceux de l'assemblée ce que je venois de dire; il le fit, et je fus surpris d'entendre les exclamations du bon vieillard. Quoique sa langue me fût inconnue, je jugeai, par son ton de voix, par ses gestes et par la joie répandue sur son visage, qu'il entroit dans toutes mes vues. Ils furent quelque temps à délibérer ensemble; après quoi Aripa me répondit, au nom de l'assemblée, que notre établissement parmi eux leur faisoit plaisir, et qu'ils étoient prêts à nous écouter et à nous croire. On convint dès-lors d'un emplacement propre à construire l'église et les cases tant des missionnaires que des premiers chrétiens; l'endroit qu'on a choisi est au commencement d'un saut dont le coup d'œil est magnifique : on ne peut imaginer une nappe d'eau plus belle et plus claire; les poissons y sont en abondance, ce qui ne sera pas un amusement infructueux pour les jeunes Indiens.

Aripa me promit de fixer dans cet endroit l'établissement de tous ceux qui descendront du haut des deux rivières, en attendant que nous puissions nous y établir nous-mêmes. J'envie le sort de ceux qui auront l'avantage de recueillir cette moisson; ils seront bien dédommagés de leurs travaux par le caractère de douceur, de droiture et de docilité de ces peuples. J'avois avec moi un jeune enfant de Kourou, à qui je montrois à lire : rien ne leur parut plus extraordinaire que de voir un livre.

Elle se jette dans l'Ouyapoc à Sainte-Foi.

Ils me demandèrent plusieurs fois si leurs enfans pourroient avoir le même avantage. << Pourquoi non, leur répondis-je : si vous voulez bien nous les confier, nous en aurons le même soin, et ils deviendront aussi habiles que le François. »

Si les fêtes de Noël ne m'eussent pas rappelé à Ouyapoc, où ma présence étoit absolument nécessaire, j'aurois bien plus avancé dans les terres et j'aurois découvert plusieurs autres nations de sauvages. C'est ce que je ferai dans un autre voyage.

Je ne sais si vous avez été informé que feu M. Dorvilliers, avant que de partir pour la France, avoit envoyé un détachement de François vers le plus haut du Camopi: le dessein étoit de découvrir le lac Parime . Ils ont été environ six mois à faire ce voyage. Ce qu'ils nous ont rapporté de plus intéressant, c'est qu'ils ont trouvé des bois remplis de cacao; ils se préparent à y aller faire cette année une abondante récolte. Ils nous ont raconté beaucoup d'autres choses curieuses de différentes nations sauvages qu'ils ont trouvées sur leur route; mais je ne crois pas devoir vous en faire part que nous ne nous soyons informés de la vérité de ces faits par nous-mêmes. Ne m'oubliez pas dans vos saints sacrifices, en l'union desquels je suis avec respect, etc.

LETTRE DU P. LOMBARD,

DE LA COMPAGNie de Jésus, supérieur des miSSIONS INDIENNES DANS LA GUYANE,

AU PÈRE DE LA NEUVILLE,

DE LA MÊME COMPAGNIE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE.

Kourou.-L'Ouyapoc.-Les Galibis.

A Kourou, dans la Guyane, cc 11 avril 1733. MON RÉVÉREND PÈRE,

La paix de N. S.

Les missions naissantes qui se forment dans cette vaste étendue de terres connues sous le nom de Guyane sont trop redevables à vos soins et aux secours que vous leur fournissez si libéralement, pour ne pas vous en rendre un

Vaste lac, ou mer Blanche, dans le pays des Caracas. (Mathurin.)

compte fidèle. Je vous ai déjà entretenu de la première peuplade établie à Kourou, où nous avons rassemblé un grand nombre de sauvages, et de l'église que nous y avons construite. Cette peuplade est située dans une fort belle anse, arrosée de la rivière Kourou, qui se jette en cet endroit dans la mer. Nos sauvages l'ont assez bien fortifiée; elle est fraisée, palissadée et défendue par des espèces de petits bastions. Toutes les rues sont tirées au cordeau et aboutissent à une grande place au milieu de laquelle est bâtie l'église, où les sauvages se rendent matin et soir, avant et après le travail, pour faire la prière et écouter une courte instruction. Connoissant, comme vous faites, la légèreté de nos Indiens, vous aurez sans doute été surpris, mon révérend père, qu'on ait pu fixer ainsi leur inconstance naturelle : c'est la religion qui a opéré cette espèce de prodige; elle prend chaque jour de fortes racines dans leurs cœurs. L'horreur qu'ils ont pour leurs anciennes superstitions, leur exactitude à approcher souvent des sacremens, leur assiduité à assister aux offices divins, les grands sentimens dont ils sont remplis au moment de la mort, sont des preuves non suspectes d'une conversion sincère et durable.

tant avec deux autres Indiens, et, ayant trouvé que le malade n'étoit pas dans un danger aussi pressant qu'on l'avoit publié, il le prit sur ses épaules et, avec le secours de ses compagnons, il me l'apporta à la mission, où je suis à portée de le baptiser quand je le jugerai nécessaire.

Cette peuplade, qui est comme le chef-lieu de toutes celles que nous projetons d'établir, s'est accrue considérablement par le nombre des familles indiennes qui viennent y fixer leur demeure et par la multitude des jeunes gens que j'ai élevés la plupart dès leur enfance et qui sont maintenant pères de famille. Les premiers y sont attirés par les avantages qu'ils trouvent avec nous. Au lieu qu'errant dans leurs forêts, ils cherchoient avec bien de la peine de quoi vivre et étoient sujets à de fréquentes maladies, qui, faute de soins, les enlevoient souvent dans la fleur de l'âge. Ici ils se procurent sans tant de fatigues et abondamment tout ce qui est nécessaire à la vie; ils sont plus rarement malades, et l'on n'épargne aucun soin pour rétablir leur santé quand elle est altérée deux grands logemens que j'ai fait bâtir servent d'infirmeries l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes. Deux Indiens ont soin de la première et deux Indiennes de la seconde. Je leur ai fait apprendre à saigner et assez de chirurgie et de pharmacie pour préparer les médicamens dont les malades ont besoin et les donner à propos. Vous ne nous laissez manquer d'aucun des meilleurs remèdes de France, et ils ont ici plus de force et de vertu qu'en France même. Enfin le bonheur que goûtent nos néophytes, réunis ensemble dans un même lieu, n'ayant pu être ignoré d'un grand nombre de nations sauvages qui habitent la Guyane, ces bons Indiens me sollicitent continuellement et me pressent d'envoyer chez eux des missionnaires pour y faire des établissemens semblables à celui de Kourou. Quelle ample moisson si nous avions assez d'ouvriers pour la recueillir!

Nos François, qui viennent de temps en temps á Kourou, admirent la piété et la modestie avec laquelle ces sauvages assistent au service, et la justesse dont ils chantent l'office divin à deux chœurs. Vous seriez certainement attendri si vous entendiez les motets que nos jeunes Indiens chantent à la messe lorsqu'on élève la sainte hostie. Un Indien, nommé Augustin, qui sait fort bien le plain-chant, préside au chœur, anime nos chantres et les soulient du geste et de la voix. Il joint à beaucoup plus d'esprit que n'en ont communément les sauvages un grand fond de piété et remplit souvent les fonctions d'un habile et zélé catéchiste, soit en apprenant la doctrine chrétienne aux infidèles dispersés dans les terres, soit en leur conférant le baptême à l'article de la mort après les avoir instruits. Il y a peu de jours Le grand nombre des familles qui composent qu'on m'avertit que dans un lieu qui n'est pas la peuplade et dont les chefs sont encore jeufort éloigné de la mission, un sauvage infidèle nes contribuent beaucoup au bon ordre et à la étoit à l'extrémité. Outre que ma présence étoit ferveur qu'on y voit régner. Depuis vingt-trois alors absolument nécessaire à Kourou, une ans que je suis attaché à la nation des Galibis, inondation subite avoit rendu le chemin im- ils ont tous été sous ma conduite dès leur bas praticable à tout autre qu'aux Indiens. J'en-âge leur piété est solide, et c'est sur leurs voyai Augustin à son secours. Il partit à l'ins- exemples que se forment les nouveaux venus,

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