mais la mission de Maduré a très-peu d'ouvriers, et quand il s'en présenteroit un grand nombre pour cultiver ce vaste champ, j'ai l'avantage par-dessus ceux qui s'y consacreroient de savoir déjà la langue du pays, de connoître les mœurs et les lois de ces peuples, et d'être accoutumé à leur manière de vie, qui est fort extraordinaire. >> : qué d'une maladie que les médecins du pays jugeoient mortelle. Réduit à la dernière extré mité, sans espérance de recevoir aucun soulagement de ses faux dieux, il résolut d'employer le secours du Dieu des chrétiens à ce dessein, il fit plusieurs fois prier le père de le venir voir, ou du moins de lui envoyer un catéchiste pour lui enseigner la doctrine de l'Évangile, en la vertu duquel il avoit, disoit-il, toule sa confiance. Le père ne différa pas à lui accorder ce qu'il demandoit. Un catéchiste alla trouver le malade, récita sur lui le saint Evangile et au même instant le malade se trouva parfaitement guéri. Un miracle si évident augmenta le désir que Teriadeven avoit depuis longtemps de voir le prédicateur d'une loi si sainte et si merveilleuse il eut bientôt cette satisfaction, car le père, ne doutant plus de la sincérité des intentions de ce prince, contre lequel il avoit été en garde jusqu'alors, se transporta dans les terres de son gouvernement; et comme ce lieu n'étoit point encore suspect aux prêtres des idoles, il y demeura quelques jours pour y célébrer la fête des Rois. Cette solennité se passa avec une dévotion extraordinaire de la part des chrétiens et avec un si grand succès que le père Brito baptisa ce jour-là de sa propre main deux cents catéchumènes. Les paroles vives et animées du serviteur de Dieu, son Le père de Brito ayant ainsi évité le danger où il étoit de demeurer à la cour de Portugal et ayant terminé les affaires dont il étoit chargé, ne pensa plus qu'à partir de Lisbonne et qu'à retourner aux Indes. Dès qu'il fut arrivé à Goa', il prit des mesures pour revenir dans cette mission, dont on l'avoit nommé visiteur. Comme il brûloit du zèle de la maison de Dieu, il ne se donna pas le temps de se délasser des fatigues d'un si long voyage ni de se remettre d'une dangereuse maladie qu'il avoit eue sur les vaisseaux. Tout son soin fut de remplir les devoirs de la nouvelle charge qu'on venoit de lui confier. Il commença par visiter toutes les maisons que nous avons dans le Maduré; ensuite il se rendit auprès des Maravas, ses chers enfans en Jésus-Christ, qui faisoient toutes ses délices. Il y a, comme vous savez, plusieurs Églises répandues dans les forêts de ce pays; il les parcourut toutes avec un zèle infatigable et avec de grandes incommodités. Les prêtres des Gentils se déchaînèrent contre lui, et leur haine alla si loin qu'il étoit chaque jour en dan-zèle, la joie que faisoient paroître les nouveaux ger de perdre la vie et qu'il ne pouvoit demeurer deux jours de suite dans le même lieu sans courir de grands risques. Mais Dieu le soutenoit dans ces dangers et dans ces fatigues par les grandes bénédictions qu'il daignoit répandre sur ses travaux apostoliques. Dans l'espace de quinze mois qu'il a demeuré dans le Maravas depuis son retour d'Europe jusqu'à sa mort, il a eu la consolation de baptiser huit mille catéchumènes et de convertir un des principaux seigneurs du pays; c'est le prince Teriadeven, à qui devroit appartenir la principauté de Maravas; mais ses ancêtres en ont été dépouillés par la famille de Ranganadadeven, qui y règne à présent. Comme la naissance et le mérite de Teriadeven le font considérer et aimer de tous ceux de sa nation, sa conversion fit beaucoup de bruit et fut l'occasion de la mort du père de Brito. Ce prince étoit atta Chef-lieu des possessions portugaises dans l'Inde. chrétiens, la majesté des cérémonies de l'Eglise et surtout la grâce de Jésus-Christ, qui voulut se servir de cette favorable conjoncture pour la conversion de Teriadeven, pénétrérent si vivement le cœur de ce prince qu'il demanda sur-le-champ le saint baptême. « Vous ne savez pas encore, lui dit le père, quelle est la pureté de vie qu'il faut garder dans la profession du christianisme. Je me rendrois coupable devant Dieu si je vous accordois la grâce du baptême avant que de vous avoir instruit et disposé à recevoir ce sacrement. » Le père lui expliqua ensuite ce que l'Évangile prescrit touchant le mariage. Ce point étoit surtout nécessaire, parce que Teriadeven avoit actuellement cinq femmes et un grand nombre de concubines. Le discours du missionnaire, bien loin de rebuter le nouveau catéchumène, ne servit qu'à l'animer et qu'à faire paroître sa ferveur et son empressement pour le baptême. « Cet obs tacle sera bientôt levé, dit-il au père, et vous aurez sujet d'être content de moi. » Au même instant, il retourne à son palais, appelle toutes ses femmes, et après leur avoir parlé de la guérison miraculeuse qu'il avoit reçue du vrai Dieu par la vertu du saint Évangile, il leur déclara qu'il étoit résolu d'employer le reste de sa vie au service d'un si puissant et d'un si bon maître; que ce souverain Seigneur défendoit d'avoir plus d'une femme; qu'il vouloit lui obéir et n'en avoir dorénavant qu'une seule. Il ajouta, pour consoler celles auxquelles il renonçoit, qu'il auroit soin d'elles, que rien ne leur manqueroit et qu'il les considéreroit toujours comme ses propres sœurs. Un discours si peu attendu jela ces femmes dans une terrible consternation. La plus jeune fut la plus vivement touchée. Elle n'épargna d'abord ni prières ni larmes pour gagner son mari et pour lui faire changer de résolution; mais voyant que ses efforts étoient inutiles, elle ne garda plus de mesures et résolut de venger sur le père de Brito et sur les chrétiens l'injustice qu'elle se persuada qu'on lui faisoit. Elle étoit nièce de Ranganadadeven, prince souverain de Maravas, dont j'ai déjà parlé. Elle le va trouver pour se plaindre de la légèreté de son époux. Elle pleure, elle gémit, elle représente le triste état où elle étoit réduite et implore l'autorité de la justice de son oncle. Elle lui dit que la résolution de Teriadeven ne venoit que de ce qu'il s'étoit abandonné à la conduite du plus détestable magicien qui fût dans l'Orient; que cet homme avoit ensorcelé son mari, et qu'il lui avoit persuadé de la répudier honteusement et toutes ses autres femmes, à la réserve d'une seule. Mais afin de venir plus heureusement à bout de son dessein, elle parla d'une manière encore plus vive et plus pressante aux prêtres des idoles, qui cherchoient depuis longtemps une occasion favorable pour éclater contre les ministres de l'Évangile. Il y avoit parmi eux un brame nommé Pompavanan, fameux par ses impostures et par la haine irréconciliable qu'il portoit aux missionnaires et surtout au père de Brito. Ce méchant homme, ravi de trouver une si belle occasion de se venger de celui qui détruisoit l'honneur de ses idoles, qui lui enlevoit ses disciples et qui par là le réduisoit avec toute sa famille à une extrême pauvreté, assemble | les autres brames et délibère avec eux sur les moyens de perdre le saint missionnaire et de ruiner sa nouvelle Église. Ils furent tous d'avis d'aller ensemble parler au prince. Le brame Pompavanan se mit à leur tête et porta la parole. Il commença par se plaindre qu'on n'avoit plus de respect pour les dieux; que plusieurs idoles étoient renversées et la plupart des temples abandonnés ; qu'on ne faisoit plus. de sacrifices ni de fêtes, et que tout le peuple suivoit l'infâme secte des Européens; que ne pouvant souffrir plus longtemps les outrages qu'on faisoit à leurs dieux, ils alloient tous se retirer dans les royaumes voisins, parce qu'ils ne vouloient pas être spectateurs de la vengeance que ces mêmes dieux irrités étoient prêts de prendre et de leurs déserteurs et de ceux qui, devant punir ces crimes énormes, les toléroient avec tant de scandale. Il n'en falloit pas tant pour animer Ranganadadeven, qui étoit déjà prévenu contre le père de Brito et vivement pressé par les plaintes et par les larmes de sa nièce, et qui d'ailleurs n'avoit pas, à ce qu'il croyoit, sujet d'aimer le prince Teriadeven. Il ordonna surle-champ qu'on allât piller toutes les maisons des chrétiens qui se trouvoient sur ses terres ; qu'on fit payer une grosse amende à ceux qui demeureroient fermes dans leur créance, et surtout qu'on brùlât toutes les églises. Cet ordre rigoureux s'exécuta avec tant d'exactitude qu'un très-grand nombre de familles chrétiennes furent entièrement ruinées, parce qu'elles aimèrent mieux perdre tous leurs biens que de renoncer à la foi. La manière dont on en usa avec le père de Brito fut encore plus violente. Ranganadadeven, qui le regardoit comme l'auteur de tous ces désordres prétendus, commanda expressément qu'on s'en saisit et qu'on le lui amenât. Ce barbare prétendoit, par la rigueur avec laquelle il le traiteroit, intimider les chrétiens et les faire changer de résolution. Ce jour-là, qui étoit le huitième de janvier de cette année 1693, le saint missionnaire avoit administré les sacremens à un grand nombre de fidèles, et soit qu'il se doutât de ce qu'on tramoit contre lui, soit qu'il en eût une connoissance certaine par quelque voie que nous ne savons pas, il conseilla plusieurs fois aux chrétiens assemblés de se retirer pour éviter la sanglante persécution dont ils étoient menacés. Quelques heures après, on lui vint dire qu'une troupe de soldats s'avançoit pour s'assurer de sa personne : il alla au-devant d'eux avec un visage riant et sans faire paroître le moindre trouble; mais ces impies ne l'eurent pas plutôt aperçu qu'ils se jetèrent sur lui impitoyablement et le renversèrent par lerre à force de coups. Ils ne traitèrent pas mieux un brame chrétien, nommé Jean, qui l'accompagnoit; ils lièrent étroitement ces deux confesseurs de Jésus-Christ, qui étoient bien plus touchés des blasphèmes qu'ils entendoient prononcer contre Dieu que de ce qu'on leur faisoit souffrir. Deux jeunes enfans chrétiens, qui avoient suivi le père de Brito, et dont le plus âgé n'avoit pas encore quatorze ans, bien loin d'être ébranlés par les cruautés qu'on exerçoit sur lui et par les opprobres dont on le chargeoit, en furent si animés et si affermis dans leur foi qu'ils coururent avec une ferveur incroyable embrasser le saint homme dans les chaînes et ne voulu rent plus le quitter. Les soldals, voyant que les menaces et les coups ne servoient à rien pour❘ les éloigner, garottèrent aussi ces deux innocentes victimes et les joignirent ainsi à leur père et à leur pasteur. On les fit marcher tous quatre en cet état; mais le père de Brito, qui étoit d'une complexion délicate, et dont les forces étaient épuisées par de longs et pénibles travaux et par la vie pénitente qu'il avoit menée dans le Maduré depuis plus de vingt ans, se sentit alors extrêmement affoibli. Tout son courage ne put le soutenir que peu de temps. Bientôt il fut si las et si accablé qu'il tomboit presque à chaque pas. Les gardes, qui vouloient faire diligence, le pressoient à force de coups de se relever et le faisoient marcher, quoiqu'ils vissent ses pieds tout sanglans et horriblement enflés. En cet état, qui lui rappeloit celui où sc trouva son divin maître allant au Calvaire, on arriva à un gros village nommé Anoumandancouri, où les confesseurs de Jésus-Christ reçurent de nouveaux outrages: car pour faire plaisir au peuple accouru en foule de toutes parts à ce nouveau spectacle, on les plaça dans un char élevé sur lequel les brames ont coutume de porter par les rues leurs idoles comme en triomphe, et on les y laissa un jour et demi exposes a la risée du public. Ils eurent la beaucoup à souffrir, soit de la faim et de la soif, soit de la pesanteur des grosses chaînes de fer dont on les avait chargés. | | Après avoir ainsi contenté la curiosité et la fureur de ce peuple assemblé, on leur fit continuer leur route vers Ramanadabouram, où le prince de Maravas tient sa cour. Avant que d'y arriver, ils furent joints par un autre confesseur de Jésus-Christ : c'étoit le catéchiste Moutapen, qui avoit été pris à Candaramanicom, où le père l'avoit envoyé pour prendre soin d'une Église qu'il y avoit fondée. Les soldats, après s'en être saisis, brûlèrent l'église, abattirent les maisons des chrétiens, selon l'ordre qu'ils en avoient reçu, et conduisirent ce catéchiste étroitement lié à la ville de Ramanadabouram. Celte rencontre donna de la joie à tous les serviteurs de Dieu, et le père de Brito se servit de cette occasion pour les animer à persévérer avec ferveur dans la confession de la foi de Jésus-Christ. Ranganadadeven, qui étoit à quelques lieues de sa ville capitale lorsque ces glorieux confesseurs y arrivèrent, ordonna qu'on les mit en prison et qu'on les gardât à vue jusqu'à son retour. Cependant le prince Teriadeven, ce zélé catéchumène qui étoit l'occasion innocente de toute la persécution, s'étoit rendu à la cour pour y procurer la grâce de celui à qui il croyoit être redevable de la vie du corps et de l'âme. Ayant appris la cruauté avec laquelle on avoit traité le serviteur de Dieu pendant tout le chemin, il pria les gardes d'avoir plus de ménagement pour un prisonnier qu'il considéroit. On eut d'abord quelque égard à la recommandation de ce prince; on ne traita plus le père avec la même rigueur, mais il ne laissa pas de souffrir beaucoup et de passer même quelques jours sans prendre d'autre nourriture qu'un peu de lait qu'on lui donnoit une fois par jour. Pendant ce temps-là, les prêtres des idoles firent de nouveaux efforts pour obliger le prince de Maravas à faire mourir les confesseurs de Jésus-Christ. Ils se présentèrent en foule au palais, vomissant des blasphèmes exécrables contre la religion chrétienne et chargeant le père de plusieurs crimes énormes. Ils demandèrent au prince, avec de grands empressemens, qu'il le fit pendre dans la place publique afin que personne n'eût la hardiesse de suivre la loi qu'il enseignoit. Le généreux Teriadeven, qui étoit auprès du prince de Maravas lorsqu'on lui présenta cette injuste requête, en fut outré et s'emporta vivement contre les prêtres des idoles qui en sollicitoient l'exécu- | roit mieux mourir que de commettre une si tion. Il s'adressa ensuite à Ranganadadeven et le pria de faire venir en sa présence les brames les plus habiles pour les faire disputer avec le nouveau docteur de la loi du vrai Dieu, ajoutant que ce seroit un moyen sûr et facile de découvrir la vérité. Le prince se choqua de la liberté de Teriadeven. Il lui reprocha en colère qu'il soutenoit le parti infâme d'un docteur d'une loi étrangère et lui commanda d'adorer sur-le-champ quelques idoles qui étoient dans la salle. « A Dieu ne plaise, répliqua le genéreux catéchumène, que je commette une telle impiété! Il n'y a pas longtemps que j'ai été miraculeusement guéri d'une maladie mortelle par la vertu du saint Évangile : comment, après cela, oserois-je y renoncer pour adorer les idoles et perdre en même temps la vie de l'âme et du corps ? » Ces paroles ne firent qu'augmenter la fureur du prince; mais, par des raisons d'état, il ne jugea pas à propos de la faire éclater. Il s'adressa à un jeune seigneur qu'il aimoit, nommé Pouvaroudeven, et lui fit le même commandement. Celui-ci, qui avoit aussi été guéri par le baptême, quelque temps auparavant, d'une trèsfâcheuse incommodité dont il avait été affligé durant neufans, balança d'abord ; mais la crainte de déplaire au roi, qu'il voyoit furieusement irrité, le porta à lui obéir aveuglément. Il n'eut pas plutôt offert son sacrifice qu'il se sentit attaqué de son premier mal, mais avec tant de violence qu'il se vit en peu de temps réduit à la dernière extrémité. Un châtiment si prompt et si terrible le fit rentrer en lui-même; il eut recours à Dieu, qu'il venoit d'abandonner avec tant de lâcheté. Il pria qu'on lui apportât un crucifix; il se jeta à ses pieds, il demanda trèshumblement pardon du crime qu'il venoit de commettre et conjura le Seigneur d'avoir pitié de son âme en même temps qu'il auroit compassion de son corps. A peine cut-il achevé sa prière qu'il se sentit exaucé; son mal cessa tout de nouveau, et il ne douta point que celui qui lui accordoit avec tant de bonté la santé du corps ne lui fit aussi miséricorde et ne lui pardonnât sa chute. Tandis que Pouvaroudeven sacrifioit aux idoles, le prince de Maravas s'adressa une seconde fois à Teriadeven et lui ordonna avec menaces de suivre l'exemple de ce seigneur; mais Teriadeven lui repartit généreusement qu'il aime grande impiété, et pour lui ôter toute espérance de le gagner, il s'étendit sur la vertu du saint Évangile et sur les louanges de la religion chrétienne. Le prince, outré d'une réponse si ferme, l'interrompit et lui dit d'un ton moqueur : « Eh bien! tu vas voir quelle est la puissance du Dieu que tu adores et quelle est la vertu de la loi que ton infâme docteur t'a enseignée. Je prétends que dans trois jours ce scélérat expire par la force seule de nos dieux sans même qu'on touche à sa personne. »> A peine eut-il dit ces paroles qu'il commanda que l'on fit, à l'honneur des pagodes, le sacrifice qu'ils appellent patiragalipouci : c'est une espèce de sortilège auquel ces infidèles attribuent une si grande force qu'ils assurent qu'on n'y peut résister et qu'il faut absolument que celui contre lequel on fait ce sacrifice périsse. De là vient qu'ils le nomment aussi quelquefois santouroresangaram, c'est-à-dire destruction totale de l'ennemi. Ce prince idolâtre employa trois jours entiers dans ces exercices diaboliques, faisant plusieurs sortes de sacrifices pour ne pas manquer son coup. Quelques Gentils qui étoient présens, et qui avoient quelquefois entendu les exhortations du confesseur de Jésus-Christ, avoient beau lui représenter que toutes ses peines seroient inutiles, que tous les maléfices n'auroient aucune vertu contre un homme qui se moquoit de leurs dieux; ces discours irritèrent furieusement ce prince; et comme le premier sortilège n'avoit eu aucun effet, il crut avoir manqué à quelque circonstance, ainsi il recommença par trois fois le même sacrifice sans pouvoir réussir. Quelques-uns des principaux ministres des faux dieux, voulant le tirer de l'embarras et de l'extrême confusion où il étoit, lui demandérent permission de faire une autre sorte de sacrifice contre lequel, selon cux, il n'y avoit point de ressource: ce sortilège est le salpechiam, qui a, disent-ils, une vertu si infaillible qu'il n'y a nulle puissance, soit divine, soit humaine, qui en puisse éluder la force; ainsi ils assuroient que le prédicateur mourroit immanquablement le cinquième jour. Des assurances si positives calmèrent un peu Ranganadadeven, dans le désespoir où il étoit de se voir confondu, aussi bien que tous ses dieux, par un seul homme qu'il tenoit dans les fers et qu'il méprisoit. Mais ce fut pour lui et pour les prêtres des idoles une nouvelle confusion lorsque, les cinq jours du salpechiam étant expirés, le saint homme qui devoit être entièrement détruit n'avoit pas même perdu un seul de ses cheveux. Les brames dirent au tyran que ce docteur de la nouvelle loi étoit un des plus grands magiciens qui fût au monde et qu'il n'avoit résisté à la vertu de tous leurs sacrifices que par la force de ses enchantemens. Ranganadadeven prit aisément ces impressions; il fit venir devant lui le père de Brito et lui demanda en lui montrant son bréviaire, qu'on lui avoit ôté lorsqu'on le fit prisonnier, si ce n'étoit point de ce livre qu'il tiroit cette vertu qui avoit rendu jusqu'alors tous leurs enchantemens inutiles. Comme le saint homme lui cut répondu qu'il n'en falloit pas douter: «< Hé bien ! dit le tyran, je veux voir si ce livre le rendra aussi impénétrable à nos mousquets. » En même temps il ordonna qu'on lui attachât le bréviaire au col et qu'on le fit passer par les armes. Déjà les soldats étoient prêts de faire leurs décharges lorsque Teriadeven, avec un courage héroïque, se récria publiquement contre un ordre si tyrannique, et se jetant parmi les soldats, il protesta qu'il vouloit lui-même mourir si l'on ôtoit la vie à son cher maître. Ranganadadeven, qui s'aperçut de quelque émotion parmi les troupes, eut peur d'une révolte, parce qu'il ne doutoit pas que Teriadeven ne trouvât encore plusieurs partisans qui ne souffriroient pas qu'on insultat impunément ce prince. Ces considérations arrêtèrent l'emportement de Ranganadadeven, il fit même semblant de révoquer l'ordre qu'il avoit donné et commanda qu'on remit en prison le confesseur de Jésus-Christ. Cependant dès ce jour-là même il prononça la sentence de mort contre lui, et afin qu'elle fût exécutée sans obstacle, il fit partir le père secrètement sous une bonne garde, avec ordre de le mener à Ouriardeven, son frère, chef d'une peuplade située à deux journées de la cour, pour le faire mourir sans délai. Quand on signifia cet arrêt au serviteur de Dieu, la joie de se trouver si près de ce qu'il souhaitoit avec tant d'ardeur fut un peu modérée par la peine qu'il eut de quitter ses chers enfans en JésusChrist qui étoient en prison avec lui. Cette séparation fut si sensible qu'il ne put retenir ses larmes en leur disant adieu. Il les embrassa tendrement tous quatre l'un après l'autre et les anima chacun en particulier à la constance par des motifs pressans et conformes à la portée de leur esprit et à l'état où ils étoient. Ensuite, leur parlant à tous ensemble, il leur fit un discours touchant et pathétique pour les exhorter à demeurer fermes dans la confession de leur foi et à donner généreusement leur vie pour le véritable Dieu, de qui ils l'avoient reque. Les Gentils qui étoient présens en furent attendris jusqu'aux larmes et ne pouvoient assez s'étonner de la tendresse que le serviteur de Dieu faisoit paroître pour ses disciples pendant qu'il paroissoit comme insensible aux approches de la mort qu'il alloit souffrir; ils n'étoient pas moins surpris de la sainte résolution des quatre autres confesseurs de Jésus-Christ, qui montroient tant d'impatience de répandre leur sang pour l'amour de leur Sauveur. Ainsi le père sortit de la prison de Ramanadabouram suivi des vœux de ses disciples, qui demandoient avec instance de le suivre et de mourir avec lui. Il partit sur le soir avec les gardes qu'on lui donna; mais son épuisement étant plus grand encore qu'au voyage précédent, ce ne fut qu'avec des peines incroyables qu'il arriva au lieu de son martyre. On ne sait si ce fut la crainte de le voir expirer avant son supplice qui fit qu'on le mit d'abord à cheval; mais on l'en descendit bientôt après. Il marchoit nu-pieds, et ses chutes fréquentes lui déchirèrent tellement les jambes, qu'il avoit fort enflées, qu'on eût pu suivre ses pas à la trace de son sang. Il faisoit effort cependant pour avancer jusqu'à ce que ses gardes, voyant qu'il ne pouvoit plus du tout se soutenir, se mirent à le traîner impitoyablement le long du chemin. Outre ces fatigues horribles et ce traitement plein de cruauté, on ne lui donna pour toute nourriture pendant le voyage, qui fut de trois jours, qu'une petite mesure de lait; de sorte que les payens même s'étonnèrent qu'il eût pu se soutenir jusqu'au terme du voyage, et que les chrétiens attribuèrent la chose à une faveur par ticulière de Dieu. Ce fut en ce pitoyable état que cet homme vraiment apostolique arriva le 31 de janvier à Orejour, où devoit s'accomplir son martyre. Orejour est une grande bourgade située sur le bord de la rivière de Pambarou, aux confins de la principauté de Maravas et du royaume de Tanjaour'. Dès que Ouriardeven, frère du cruel 'Tandjor, présidence de Madras. |