rellement en être instruits, soit par les sauvages, qui sortent fréquemment pour la pêche ou pour la chasse, soit par un corps-de-garde que notre commandant a sagement placé sur une montagne, à l'embouchure de la rivière, d'où l'on découvre à trois ou quatre lieues au large; mais d'un côté les sauvages Arouas qui venoient de Mayacoré à Ouanari, ayant été arrêtés par les Anglois, leur donnèrent connoissance de la petite colonie d'Oyapoc, qu'ils ignoroient et sur laquelle ils n'avoient nulle vue en partant de leur pays, et d'autre part, les gens qui étoient en faction et qui devoient nous garder leur ont servi eux-mêmes de conducteurs pour nous surprendre. Ainsi tout a concouru à nous faire tomber entre les mains de ces corsaires. Leur chef était le sieur Siméon Potter, créole de la Nouvelle-Angleterre, armé en guerre avec commission du sieur Williems Guéene, gouverneur de Rodelan et commandant du bâtiment le Prince Charles de Lorraine, de dix pièces de canon, douze pierriers et soixante et un hommes d'équipage. Ils mouillèrent le 6 novembre et firent de l'eau à la montagne d'Argent (c'est ainsi qu'on nomme dans ce pays la pointe intérieure de la baie de la rivière d'Oyapoc). Le 7, leur chaloupe revenant à bord aperçut un canot de sauvages qui venoient du cap d'Orange (c'est le cap qui forme l'autre pointe de la baie). Les Anglois vont à eux, intimident les Indiens par un coup de pierrier, les arrêtent et les conduisent au vaisseau. Le lendemain ayant vu du feu pendant la nuit sur une autre montagne qu'on nomme la montagne à Lucas, ils y allèrent et prirent deux jeunes garçons qui y étaient en sentinelle et qui auroient eu le temps de venir nous avertir, mais dont l'un, traître à sa patrie, ne le voulut pas. Après avoir appris, par leur moyen, la situation, la force et généralement tout ce qui regardait le poste d'Oyapoc, ils se déterminèrent à le surprendre. Ils tentèrent même l'entreprise du 9 au 10; mais craignant que le jour ne survint avant leur arrivée, ils rebroussèrent chemin et se tinrent cachés toute la journée du 10. La nuit suivante, ils prirent mieux leurs mesures; ils arrivèrent peu après le coucher de la lune, et, guidés par les deux jeunes François, ils mirent à terre environ à cinquante toises du poste d'Oyapoc. La sentinelle crut d'abord que c'étoient des Indiens ou des nègres domestiques, qui vont et viennent assez souvent pendant la nuit. Il cria; on ne répondit point, et il jugea dès-lors que c'étoient des ennemis. Chacun s'éveilla en sursaut; mais ils furent dans la place avant qu'on eût eu le temps de se reconnoître. Pour moi, qui logeois hors du fort et qui m'étois levé au premier cri du factionnaire, ayant entr'ouvert ma porte, je les vis défiler en grande hâte devant moi sans en être aperçu, et aussitôt je courus éveiller nos pères. Une surprise si inopinée au milieu d'une nuit obscure, la foiblesse du poste, le peu de soldats qu'il y avoit pour le garder (car ils n'étoient pas pour lors plus de dix ou douze hommes), les cris effroyables d'une multitude, qu'on croit et qu'on doit naturellement croire plus nombreuse qu'elle n'est, le feu vif et terrible qu'ils firent de leurs fusils et de leurs pistolets à l'entrée de la place: tout cela obligea chacun, par un premier mouvement dont on n'est pas maître, à prendre la fuite et à se cacher dans les bois dont nous sommes environnés. Notre capitaine tira pourtant et blessa au bras gauche le capitaine anglois, jeune homme d'environ trente ans. Ce qu'il y a de singulier, c'est que ce capitaine fut le seul de sa troupe et de la nôtre qui fut blessé. Cependant les deux missionnaires, qui n'avoient point charge d'âmes dans ce poste et dont l'un, par zèle et par amitié, vouloit rester à ma place, pressés par mes sollicitations, s'enfoncérent dans le bois avec quelques Indiens de leur suite et tous nos domestiques. Pour moi, je restai dans ma maison, qui étoit éloignée du fort d'une cinquantaine de toises, résolu d'aller premièrement à l'église pour consumer les hosties consacrées et ensuite de donner les secours spirituels aux François, supposé qu'il y en eût de blessés, comme je le craignois, présumant avec raison, après avoir entendu tirer tant de coups, que nos gens avoient fait quelque résistance. Je sortois déjà pour exécuter le premier de ces projets, lorsqu'un nègre domestique, qui, par bon cœur et par fidélité (qualités rares parmi les esclaves ), étoit resté avec moi, me représenta qu'on me découvriroit infailliblement et qu'on ne manqueroit pas de tirer sur moi dans cette première chaleur du combat. J'entrai dans ses raisons, et comme je n'étois resté que pour rendre à mes ouailles tous les services qui dépendoient de mon ministère, je | me fis scrupule de m'exposer inutilement et je me déterminai à attendre la pointe du jour pour paroître. Vous pouvez aisément conjecturer, mon révérend père, quelle fut la variété des mouvemens qui m'agitèrent pendant le reste de la nuit. L'air retentissoit continuellement de cris, de huées, de hurlemens, de coups de fusil ou de pistolet. Tantôt j'entendois enfoncer les portes, les fenêtres, renverser avec fracas les meubles des maisons, et comme j'étois assez près pour distinguer parfaitement le bruit qu'on faisoit dans l'église, je fus saisi tout-à-coup d'une horreur secrète dans la crainte que le saint sacrement ne fût profané. J'aurois voulu donner mille vies pour empêcher ce sacrilége, mais il n'étoit plus temps. Pour y obvier néanmoins par la seule voie qui me restoit, je m'adressai intérieurement à Jésus-Christ et je le suppliai instamment de garantir son sacrement adorable des profanations que j'appréhendois, ce qu'il fit d'une manière si surprenante qu'elle peut être regardée avec raison comme une merveille. : Pendant tout ce tumulte, mon nègre, qui sentoit parfaitement le danger que nous courions et qui n'avoit pas les mêmes raisons que moi de s'y exposer, me proposa plusieurs fois de prendre la fuite; mais je n'avois garde de le faire je connoissois trop les obligations de mon emploi et je n'attendois que le moment où je pourrois aller au fort pour voir en quel état étoit le détachement françois, dont je croyois une bonne partie morts ou blessés. Je dis donc à l'esclave que dans cette occasion il étoit son maître; que je ne pouvois pas le forcer de rester avec moi; qu'il me feroit néanmoins plaisir de ne pas m'abandonner. J'ajoutai que s'il avoit quelque péché grief sur la-conscience, il feroit fort bien de se confesser pour être prêt à tout événement; que d'ailleurs il n'étoit pas sûr qu'on nous ôtât la vie. Ce discours fit impression sur lui, il reprit cœur et tint ferme. Dès que le jour parut, je courus à l'église en me glissant dans les taillis, et, quoiqu'il y eût des sentinelles et des maraudeurs de tous côtés, j'eus le bonheur de n'être pas aperçu. A l'entrée de la sacristie, que je trouvai ouverte, les larmes me vinrent aux yeux quand je vis l'armoire des ornemens et du linge, celle où je tenois le calice et autres vases sacrés, enfoncées, brisées, et plusieurs ornemens épars çå et là. J'entre dans le chœur de l'église je vois l'autel à moitié découvert, les nappes ramassées en tas; je regarde le tabernacle, et n'apercevant pas un peu de coton que j'avois coutume de mettre à l'entrée de la serrure pour empêcher les ravers d'y pénétrer, je crus que la porte étoit aussi enfoncée; mais y ayant porté la main, je trouvai qu'on n'y avoit pas touché. Saisi d'admiration, de joie et de reconnoissance, je prends la clé que les hérétiques avoient eue sous leurs mains, j'ouvre respectueusement et je communie en viatique, trèsincertain si j'aurois jamais plus ce bonheur, car que ne doit pas craindre un homme de notre état des corsaires et des corsaires anglois! Après que j'eus communié, je me mis à genoux pour faire mon action de grâce et je dis au nègre d'aller en attendant dans ma chambre, qui n'étoit pas fort éloignée. Il y alla, mais en revenant il fut aperçu et arrêté par un matelot. L'esclave demanda grâce et l'Anglois ne lui fit aucun mal. Je parus à la porte de la sacristie et aussitôt je me vis coucher en joue. Il fallut bien se rendre; je m'approchai et nous prîmes ensemble le chemin du fort. Quand nous entrâmes dans la place, je vis une grande joie répandue sur tous les visages, chacun s'applaudissant d'avoir fait capture d'un religieux. Le premier qui m'aborda fut le capitaine lui-même. C'étoit un homme de petite taille, ne différant en rien des autres pour l'habillement. Il avoit le bras gauche en écharpe, un sabre à la main droite et deux pistolets à sa ceinture. Comme il sait quelques mots françois, il me dit que j'étois le bienvenu, que je ne devois rien craindre et qu'on n'attenteroit pas à ma vie. Sur ces entrefaites, M. de Lage de La Landerie, écrivain du roi et notre garde-magasin, ayant paru, je lui demandai en quel état étoient nos gens et s'il y en avoit beaucoup de tués ou de blessés. Il me répondit que non, qu'il n'avoit vu de notre troupe que le sergent et une sentinelle, et qu'il n'y avoit de blessé de part et d'autre que le seul capitaine anglois qui nous tenoit en sa disposition. Je fus charmé d'apprendre que notre commandant, l'officier et leurs soldats eussent eu assez de loisir pour échapper, et comme par là les raisons qui 'Insecte fort commun dans les îles : il ne se promène que la nuit et ressemble au taon. m'avoient engagé à demeurer ne subsistoient plus et que mon ministère n'étoit nécessaire à personne, j'aurois bien voulu être en liberté et avoir pris plus tôt le parti de la retraite; mais il ne falloit plus y songer, et dans ce moment-là même deux de nos soldats, qui s'étoient tenus cachés, furent saisis et augmentèrent le nombre des prisonniers. Cependant le temps du dîner arriva. J'y fus invité; mais je n'avois assurément point envie de manger. Je savois que mon troupeau et les deux pères missionnaires étoient au milieu des bois, sans hardes, sans vivres, sans secours : je n'avois ni ne pouvois avoir de leurs nouvelles. Cette réflexion m'accabloit; il fallut pourtant se rendre à des invitations réitérées et qui me paroissoient sincères. nues de Paris nous avoient appris qu'on devoit l'abandonner au plus tôt. Eh bien, dit-il alors avec dépit, puisque vous ne voulez pas entendre à ma proposition, on va continuer à faire le dégât et user de représailles pour tout ce que les François ont déjà fait contre nous. On continua donc en effet à transporter de nos maisons meubles, hardes, provisions, le tout avec un désordre et une confusion surprenante. Ce qui me pénétra de douleur, ce fut de voir les vases sacrés entre des mains profanes et sacriléges. Je me recueillis un moment et ranimant tout mon zèle, je leur dis ce que la raison, la foi et la religion m'inspirèrent de plus fort. Aux paroles de persuasion je mêlai les motifs de crainte pour une si criminelle profanation. L'exemple de Balthazar ne fut pas oublié, et je puis vous dire avec vérité, mon révérend père, que j'en vis plusieurs ébranlés et disposés à me les rendre; mais la cupidité et l'avarice prévalurent: toute cette argenterie fut enfermée et portée à bord le jour A peine le repas étoit-il commencé que je vis arriver les prémices du pillage qui se faisoit chez moi il étoit naturel que j'en fusse ému. Je le parus en effet, et le capitaine me dit en s'excusant que c'étoit le roi de France qui avoit déclaré le premier la guerre au roi d'Angle-même. terre et qu'en conséquence les François avoient déjà pris, pillé et brûlé un poste anglois, nommé Campo, auprès du cap Breton. Il ajouta même, en forme de plainte, qu'il y avoit eu quelques personnes et surtout des enfans étouffés dans l'incendie. Je lui répondis que, sans vouloir entrer dans le détail des affaires de l'Europe, nos rois respectifs étant aujourd'hui en guerre, je ne trouvois pas mauvais, mais seulement j'étois surpris qu'il fût venu attaquer Oyapoc, qui n'en valoit pas la peine. Il me répliqua qu'il se repentoit fort d'y être venu, parce que ce retarde ment lui faisoit manquer deux vaisseaux marchands richement chargés, qui étoient sur le point de faire voile de la rade de Cayenne. Je lui dis alors que puisqu'il voyoit par luimême combien ce poste étoit peu considérable et qu'il n'y avoit presque rien à gagner pour lui, je le priois d'accepter une rançon convenable pour mon église, pour moi, pour mon négre et pour tout ce qui m'appartenoit. Cette proposition étoit raisonnable, elle fut cependant rejetée. Il vouloit que je traitasse avec lui pour le fort et toutes ses dépendances. Mais je lui fis remarquer que ce n'étoit pas là une proposition à faire à un simple religieux; que d'ailleurs la cour de France se soucioit très-peu de ce poste, et que des nouvelles récentes ve Le capitaine, plus susceptible de sentimens. que tous les autres, à ce qu'il m'a toujours paru, me dit qu'il me cédoit volontiers ce qui pouvoit lui en revenir, mais qu'il n'étoit pas le maître de la volonté des autres ; que tout l'équipage ayant sa part dans le butin, il ne pouvoit, lui capitaine, disposer que de la sienne; qu'il feroit pourtant tout ce qui dépendroit de lui pour les porter tous à condescendre à ce que je proposois. C'étoit de leur faire compter à Cayenne ou à Surinam (colonie hollandoise qui n'est pas éloignée et où ils me disoient qu'ils vouloient aller), ou même en Europe par lettres de change, autant d'argent que pesoient les vases sacrés; mais il ne put rien obtenir. y Quelque temps après, le premier lieutenant me fit demander par interprète ce qui avoit pu m'engager à me rendre moi-même à eux. Je lui répondis que la persuasion où j'étois qu'il avoit de nos soldats de blessés m'avoit déterminé à rester pour les secourir. Et n'appréhendiez-vous pas d'être tué? ajouta-t-il.-Oui sans doute, lui dis-je; mais la crainte de la mort n'est pas capable d'arrêter un ministre de Jésus-Christ quand il s'agit de son devoir. Tout véritable chrétien est obligé de sacrifier sa vie plutôt que de commettre un péché or, j'aurois cru en faire un très-grand si, ayant charge d'âmes dans ma paroisse, je l'avois to talement abandonnée dans le besoin. Vous savez bien, continuai-je, vous autres protestans, qui vous piquez beaucoup de lire l'Écriture, qu'il n'y a que le pasteur mercenaire qui fuie devant le loup quand il attaque ses brebis. A ce discours, ils se regardoient les uns les autres et me paroissoient fort étonnés. Cette morale est sans doute un peu différente de celle de leur prétendue réforme. faisoit plaisir, comme une perruque, un chapeau bordé, un habit, ils s'en revêtoient aussitôt, faisoient trois ou quatre tours de chambre avec complaisance, après quoi ils reprenoient leurs haillons goudronnés. C'étoit comme une bande de singes, comme des sauvages qui ne seroient jamais sortis du centre des forêts. Un parasol, un miroir, le moindre meuble un peu propre, excitoit leur admiration : ce qui ne m'a pas surpris quand j'ai su qu'ils n'avoient et que Rodelan étoit une espèce de petite république qui ne paie aucun tribut au roi d'Angleterre, qui fait elle-même son gouverneur chaque année, et où il n'y a pas même d'argent monnoyé, mais seulement des billets pour le commerce de la vie : car c'est là l'idée que j'en ai conçue sur tout ce qu'ils m'ont dit. Pour moi, j'étois toujours incertain de mon sort et je voyois bien que j'avois tout à appré-presque aucune communication avec l'Europe, hender de pareilles gens. Je m'adressai donc aux saints anges gardiens et je commençai une neuvaine en leur honneur, ne doutant pas qu'ils ne fissent tourner toute chose à mon avantage. Je les priai de m'assister dans la conjoncture difficile où je me trouvois, et je dois dire ici, pour autoriser de plus en plus cette dévotion si connue et si fort en usage dans l'église, que j'ai reçu en mon particulier et que je reçois chaque jour des bienfaits très-signalés de Dieu, par l'intercession de ces esprits célestes. Cependant dès que la nuit approcha, c'est-à-❘ dire vers les six heures (car c'est le temps où le soleil se couche ici durant toute l'année), le tambour anglois commença à rappeler. On se rassembla sur la place et on posa de tous côtés des sentinelles: cela fait, le reste de l'équi-page, tant que la nuit dura, ne discontinua pas de manger et de boire. Pour moi, j'étois sans cesse visité dans mon hamac : ils craignoient sans doute que je ne tâchasse de m'évader. Ils se trompoient deux choses me retenoient: la première, c'est que je leur avois donné ma parole qu'encore que je me fusse constitué moimême leur prisonnier, je ne sortirois de leurs mains que par les voies ordinaires d'échange ou de rançon; la seconde, c'est qu'en restant avec eux, j'avois toujours quelque lueur d'espérance de recouvrer les vases sacrés ou du moins les ornemens et autres meubles de mon église. D'abord qu'il fut jour, le pillage recommença avec la même confusion et le même désordre que la veille. Chacun apportoit au fort ce qui lui étoit tombé sous les mains et le jetoit en tas. L'un arrivoit revêtu d'une mauvaise soutane, l'autre avec un panier de femme, un troisième avoit un bonnet carré sur la tête. Il en étoit de même de ceux qui gardoient le butin ils fouilloient dans ce monceau de hardes, et quand ils trouvoient quelque chose qui leur Sur le soir, le lieutenant s'informa de tout ce qui regarde les habitations françoises le long de la rivière, combien il y en avoit, à quelles distances elles étoient, combien chacune avoit d'habitans, etc. Ensuite il prit avec lui une dixaine d'hommes et un des jeunes François qui leur avoient déjà servi de guide pour nous surprendre, et après avoir fait tous les préparatifs nécessaires, ils partirent et ils montèrent dans la rivière. Mais ils ne trouvèrent rien ou fort peu de chose, parce que les colons, ayant été avertis par nos fuyards, avoient mis à couvert tous leurs effets, et surtout leurs nègres, qui étoient ce qui piquoit le plus l'avidité angloise. Se voyant donc frustrés dans leurs espérances, ils déchargèrent leur colère sur les maisons, qu'ils brûlérent, sans nuire pourtant aux plantations, ce qui nous a fait soupçonner qu'ils avoient quelque intention de revenir. : Pour nous, qui étions dans le fort, nous passâmes cette nuit à peu près comme la précé→ dente mêmes agitations, mêmes excès de la part de nos ennemis et même inquiétude de la mienne. Le second lieutenant, qui étoit resté pour commander, ne me perdit point de vue, appréhendant sans doute que je ne voulusse profiter de l'absence du capitaine et du premier lieutenant pour m'échapper, car j'avois beau faire pour les rassurer à cet égard, je ne pouvois en venir à bout. Ces sortes de gens, accoutumés à juger des autres par eux-mêmes, ne pouvoient pas s'imaginer qu'un honnête homme, qu'un prêtre, pût et dût tenir sa parole en pareil cas. bord du vaisseau, parce que le capitaine Potter vouloit me voir et me parler. J'eus beau prier, solliciter, représenter le plus vivement que je pus toutes les raisons que j'avois de ne pas m'embarquer si tôt : je ne pus rien gagner et il fallut obéir malgré moi. Le chef de la troupe, qui, dans l'absence des autres, étoit le second lieutenant, ainsi que je viens de le dire, prenant sa langue d'une main, et de l'autre faisant semblant de la percer ou de la couper, me donna à entendre que si je parlois davantage, je devois m'attendre à de mauvais traitemens. J'ai lieu de croire qu'il étoit piqué des discours forts et pathétiques que je faisois sur la profanation des ornemens de l'église et des vases sacrés. Nous nous mimes donc vers les trois heures après midi dans un canot, et quoique le vaisseau ne fût guère qu'à trois lieues de là (le capitaine l'ayant déjà fait entrer en rivière), nous n'y arrivâmes pourtant qu'environ sur les Le jour venu, il parut un peu moins inquiet sur mon compte. Vers les huit heures ils semirent tous à table, et après un assez mauvais repas, l'un d'eux voulut entrer en controverse avec moi et me fit plusieurs questions sur la confession, sur le culte que nous rendons aux croix, aux images, etc. Confessez-vous vos paroissiens? me dit-il d'abord.-Oui, lui répondisje, lorsqu'ils viennent à moi, ce qu'ils ne font pas aussi souvent qu'ils le devroient et que je le souhaiterois par le zèle que j'ai pour le salut de leurs âmes. Et croyez-vous bien véritablement, ajouta-l-il, que leurs péchés leur soient remis d'abord qu'ils vous les ont déclarés?-Non assurément, lui dis-je; une accusation simple ne suffit pas pour cela, il faut qu'elle soit accompagnée d'une véritable douleur du passé et d'une sincère résolution pour l'avenir, sans quoi la confession auriculaire ne serviroit de rien pour effacer les péchés.—Et quant aux images et aux croix, reprit-il, pensez-vous que la prière ne soit pas aussi bonne sans cela qu'a-huit heures, par la lâcheté des nageurs, qui ne vec cet extérieur de religion? La prière est bonne, sans doute, lui répondis-je. Mais permettez-moi de vous demander à vous-même pourquoi dans les familles on conserve les portraits d'un père, d'une mère, de ses aïeux ? N'est-ce pas principalement pour exciter sa propre reconnaissance en songeant aux services qu'on en a reçus, et pour s'animer à suivre leurs bons exemples? Car ce n'est pas précisé ment ce tableau que l'on honore, mais on rapporte tout à ceux qu'il représente de même il ne faut pas vous imaginer que, nous autres catholiques romains, nous adorions le bois ni le cuivre, mais nous nous en servons pour nourrir, pour ainsi dire, notre dévotion. Car comment un homme raisonnable pourrait-il ne pas être attendri en voyant la figure d'un Dieu mort sur une croix, pour son amour! Quel effet ne produit pas sur l'esprit et sur le cœur l'image d'un martyr qui a donné sa vie pour Jésus-Christ! Oh! je ne l'entendois pas ainsi, me dit l'Anglois. Et je connus bien à son air que leurs ministres les trompent, en leur faisant entendre que les papistes, comme ils nous appellent, honorent superstitieusement et adorent les croix et les images prises en ellesmêmes. J'attendois avec empressement le retour de ceux qui avoient été visiter les habitations, lorsque l'on vint me dire qu'il falloit aller à discontinuoient pas de boire. Du plus loin qu'à la lueur de la lune je découvris le corps du bâtiment, il me parut tout en l'air. Il étoit en effet échoué sur le côté et n'avoit pas trois pieds d'eau sous lui. Ce fut un grand sujet d'alarmes pour moi, car je m'imaginois qu'il y avoit en cela de la faute de mon nègre, qu'on avoit choisi pour un des pilotes, et je croyois que le capitaine m'avoit envoyé chercher pour me faire porter la peine que méritoit l'esclave, ou tout au moins afin que je périsse avec les autres si le navire venoit à s'ouvrir. Ce qui me confirma pendant quelque temps dans cette triste idée, fut le peu d'accueil qu'on me fit: mais j'ai appris depuis qu'il n'y avoit eu en cela aucune affectation et que la mauvaise réception qui m'alarma venoit de ce que tout le monde étoit occupé à manœuvrer pour se tirer au plus vite de ce mauvais pas. D'abord que notre canot eut abordé, je vis descendre et venir à moi un jeune homme qui estropioit un peu le françois et qui me prenant la main, la baisa en me disant qu'il étoit Írlandois de nation et catholique romain; il fit même le signe de la croix, tant bien que mal, et m'ajouta qu'en qualité de second canonnier il avoit une cabane, qu'il vouloit me la donner et que si quelqu'un s'avisoit de me faire la moindre insulte, il sauroit bien la venger. Ce début, quoique partant d'un homme qui |