du monde seulement pour leur apprendre à connaître et à servir le vrai Dieu. Il leur fit ensuite quelques instructions particulières, dont nous étions convenus, et qui étoient à leur portée, sur l'immortalité des âmes, sur la durée de l'autre vie, sur les récompenses que Dieu leur promettoit après leur mort s'ils gardoient ses commandemens, sur les châtimens redoutables dont il les menaçoit avec raison, s'ils se rendoient rebelles à la lumière qui les venoit éclairer de si loin. Il n'en fallut pas davantage. Depuis ce premier jour un grand nombre de ces pauvres gens nous suivent comme un troupeau fait le pasteur, et nous promettent d'attirer après eux plusieurs milliers de leurs compagnons. Nous n'avons pas sujet de craindre qu'ils nous trompent. Déjà six nations fort peuplées, ou plutôt un peuple de six grandes forêts, ont envoyé des députés nous offrir leur amitié, nous demander la nôtre et nous promettre de se faire avec nous des demeures stables où nous jugerons à propos. Nous avons reçu ces députés avec toutes les démonstrations de l'amitié la plus tendre, et nous les avons renvoyés chez eux chargés de présens. Ces présens ne sont que quelques petits grains de verre dont ils font apparemment des bracelets et des colliers. L'or et l'argent ne sont point ici à beaucoup près si estimés, et si j'avois pour quarante ou cinquante écus seulement de ces grains de verre de toutes les grosseurs et de toutes les couleurs, hormis le noir, dont il ne faut pas, ce seroit de quoi nous amener une grande multitude de ces bonnes gens, que nous retiendrions ensuite par quelque chose de meilleur et de plus solide. Nous avons choisi, pour faire notre nouvelle habitation, un canton bien situé et fort agréable, vers la hauteur d'environ quatorze degrés de latitude australe. Elle a au midi et à l'orient une plaine de plusieurs lieues d'étendue, plantée par intervalles de beaux palmiers ; au septentrion un fleuve grand et poissonneux, nommé Cucurulu en langue canisienne; à l'occident, ce sont de vastes forêts d'arbres odoriférans et très propres à bâtir, dans lesquelles on trouve des cerfs, des daims, des sangliers, des singes et toutes sortes de bêtes fauves et d'oiseaux. La nouvelle bourgade est partagée en rues et en places publiques, et nous y avons une maison comme les autres, avec une chapelle assez grande. Nous avons été les archi tectes de tous ces bâtimens, qui sont aussi grossiers que vous pouvez vous l'imaginer. 11 faut avouer que les chaleurs sont ici très grandes par la nature du climat. C'est un été violent qui dure toute l'année, sans nulle variété sensible des saisons, et si ce n'étoient les vents, qui soufflent par intervalles et qui rafraîchissent un peu l'air, le lieu seroit absolument inhabitable. Peut-être aussi qu'étant élevés dans les pays septentrionnaux, nous sommes un peu plus sensibles à la chaleur que les autres. L'air enflammé forme des orages et des tonnerres aussi affreux qu'il sont fréquens. Des nuages épais de moucherons vénimeux nous tourmentent jour et nuit par leurs morsures. On ne voit de pain et de vin que ce qu'il en faut pour dire la messe. C'est de la rivière et de la forêt qu'on tire tout ce qui sert à la nourriture, et on ne connoît d'autre assaisonnement à ces mets différens qu'un peu de sel quand on en a, car souvent même on en manque. On boit ou de l'eau ou des breuvages dont nous avons parlé. Mais Dieu, par ses consolations pleines de douceur, supplée à tout ce qu'on pourroit désirer d'ailleurs pour la commodité ou pour la délicatesse, la délicatesse, et dans une si grande disette de toutes choses, on ne laisse pas de vivre très content. En mon particulier, mon révérend père, j'ose vous assurer que, depuis que je suis dans cette pénible mission, je n'ai pas eu un mauvais jour, et certainement ce que je m'en figurois, lorsque je demandois à y venir, me donnoit bien plus d'inquiétude et de dégoût que ne m'a causé de peine l'expérience de ce que j'ai trouvé à souffrir. Je repose plus doucement à l'air sur la terre dure que je ne fis jamais étant encore au siècle dans les meilleurs lits : tant il est vrai que l'imagination des maux tourmente souvent beaucoup plus que les maux même ne sauroient faire. La vue seule de ce grand nombre de catéchumènes qui se préparent avec une ferveur inexplicable à embrasser la foi et qui se rendent dignes du baptême par un changement total de mœurs et de conduite, feroit oublier d'autres maux bien plus sensibles. C'est un charme de voir venir ce peuple en foule, et d'un air content, le matin à l'explication du catéchisme, et le soir aux prières que nous faisons faire en commun; de voir les enfans disputer entre eux à qui aura plus tôt appris par cœur ce qu'on leur enseigne de nos mystères; nous reprendre nous-mêmes quand il nous échappe quelque | saints! C'est une chose qui paroît incroyable, mauvais mot dans leur langue, et nous suggé rer tout bas comment il auroit fallu dire; les adultes plus avancés demander avec empressement le premier sacrement de notre religion, venir nous avertir à toutes les heures du jour et de la nuit, et quand quelqu'un d'eux est extraordinairement malade, pour aller promptement le baptiser; nous presser de trouver bon qu'ils bâtissent au Grand-Maître une grande maison, c'est ainsi qu'ils nomment Dieu et l'église, pendant que plusieurs d'entre eux n'ont pas encore où se retirer ni où se loger. On sait quel obstacle c'est à la conversion des barbares que la pluralité des femmes, et la peine qu'on a d'ordinaire à leur persuader ce que le christianisme commande à cet égard. Dès les premiers discours que nous fîmes à ceux-ci, avec toute la sagesse et toute la réserve que demandoit un point si délicat, ils comprirent très-bien ce que nous voulions dire et nous fumes obéis partout, hormis en trois familles, sur lesquelles nous n'avons pu encore rien gagner. Il n'en a pas plus coûté pour les guérir de l'ivrognerie, ce qui doit paroître admirable et fait voir la grande miséricorde de Dieu sur ces peuples, qui paroissoient jusqu'ici abandonnés. Quelques femmes ont déjà appris à filer et à faire de la toile pour se couvrir. Il y en a bien une vingtaine qui ne paraissent plus qu'habillées de leur ouvrage, et nous avons semé une assez grande quantité de colon pour avoir dans quelques années de quoi vêtir tout le monde. Cependant on se sert comme on peut de feuilles d'arbres pour se couvrir, en attendant quelque chose de mieux. En un mot, les hommes et les femmes indifféremment nous écoutent et se soumettent à nos conseils avec tant de docilité qu'il paroît bien que c'est la grâce et la raison qui les gouvernent. Il ne faut qu'un signe de notre volonté pour porter ces chers fidèles à faire tout le bien que nous leur inspirons. Voilà, mon révérend père, ceux à qui a passé le royaume de Dieu, que sa justice, par un jugement redoutable, à ôté à ces grandes provinces de l'Europe, qui se sont livrées à l'esprit de schisme et d'hérésie. Oh! si sa miséricorde vouloit faire ici une partie des merveilles auxquelles les aveugles volontaires de notre Allemagne s'obstinent à fermer les yeux, qu'apparemment il y auroit bientôt ici des qu'en un an de temps des hommes tout sauvages et qui n'avoient presque rien de l'homme que le nom et la figure, aient pu prendre si promptement des sentimens d'humanité et de piété. On voit déjà parmi eux des commencemens de civilité et de politesse. Ils s'entre-saluent quand ils se rencontrent et nous font, à nous autres, qu'ils regardent comme leurs maîtres, des inclinations profondes, frappant la terre du genou et baisant la main avant que de nous aborder. Ils invitent les Indiens des autres pays qui passent par leurs terres à prendre logis chez eux, et, dans leur pauvreté, ils exercent une espèce d'hospitalité libérale, les conjurant de les aimer comme leurs frères et de leur en vouloir donner des marques dans l'occasion. De sorte qu'il y a lieu d'espérer qu'avec la grâce de Dieu, qui nous a tant aidés jusqu'ici, nous ferons de ces nations non-seulement une église de vrais fidèles, mais encore avec un peu de temps une ville, peut-être un peuple d'hommes qui vivront ensemble selon toutes les lois de la parfaite société. Pour ce qui regarde les autres missions fondées en ce pays-ci depuis dix ans, je dirai à votre paternité ce que j'ai appris, que le christianisme y fait de très-grands progrès, plus de quarante mille barbares ayant déjà reçu le baptême. C'est un concours et une modestie rare dans les églises, un respect profond à l'approche des sacremens ; les maisons des particuliers retentissent souvent des louanges de Dieu qu'on y chante et des instructions que les plus fervens font aux autres. M'étant trouvé dans une de ces missions pendant la semaine sainte, j'eus la consolation de voir dans l'église plus de cinq cents Indiens qui châtioient rigoureusement leur corps le jour du vendredisaint, à l'honneur de Jésus-Christ flagellé. Mais ce qui me tira des larmes de tendresse et de dévotion, ce fut une troupe de petits Indiens et de petites Indiennnes, qui, les yeux humblement baissés, la tête couronnée d'épines, et les bras appliqués à des poteaux en forme de croix, imitèrent plus d'une heure entière en cette posture l'état pénible du Sauveur crucifié, qu'ils avoient là devant les yeux. Mais afin que nos espérances ne nous trompent point et que le nombre de nos nouveaux fidèles s'augmente chaque jour avec leur ferveur, du fond de ces grands déserts où nous sommes à l'autre extrémité du monde, je conjure votre | de les retirer des profondes ténèbres de l'idola paternité de se souvenir de nous dans ses saints sacrifices, et de nous procurer le même secours auprès de nos pères et frères répandus par toute la terre, avec qui nous conservons une étroite union en Jésus-Christ, et dans les prières desquels nous avons une parfaite confiance. Je suis, etc. Au Pérou, de la mission que les Espagnols appelent Moxos, et que les naturels du pays nomment Canisie, le 1er septembre 1698. MÉMOIRE Touchant l'état des missions nouvellement établies dans la Californie, par les pères de la compagnie de Jésus, présenté au conscil royal de Guadalaxara au Mexique, le 10 février 1702. PAR LE PÈRE FRANÇOIS-MARIE PICOLO, DE LA MÊME COMPAGNIE, ET L'un des premiERS FONDATEURS DE CETTE MISSION. TRADUIT DE L'ESPAGNOL. MESSEIGNEURS, C'est pour obéir aux ordres que vous m'avez fait l'honneur de me donner depuis quelques jours, que je vais vous rendre un compte exact et fidèle des découvertes et des établissemens que nous avons faits, le père Jean-Marie de Salvatierra et moi, dans la Californie, depuis environ cinq ans que nous sommes entrés dans ce vaste pays, Nous nous embarquâmes au mois d'octobre de l'année 1697, et nous passâmes la mer, qui sépare la Californie du Nouveau-Mexique, sous les auspices et sous la protection de Notre-Dame de Lorette, dont nous portions avec nous l'image. Cette étoile de la mer nous conduisit heureusement au port avec tous les gens qui nous accompagnoient. Aussitôt que nous eûmes mis pied à terre, nous plaçâmes l'image de la sainte Vierge au lieu le plus décent que nous trouvâmes, et, après l'avoir ornée autant que notre pauvreté nous le put permettre, nous priames cette puissante avocate de nous être aussi favorable sur terre qu'elle nous l'avoit été sur mer. Le démon, que nous allions inquiéter dans la paisible possession où il était depuis tant de siècles, fit tout ses efforts pour traverser notre entreprise et pour nous empêcher de réussir. Les peuples chez qui nous abordâmes, ne pouvant être informés du dessein que nous avions trie où ils sont ensevelis, et de travailler à leur salut éternel, parce qu'ils ne savoient pas notre langue et qu'il n'y avoit, parmi nous, personne qui eût aucune connoissance de la leur, s'imaginèrent que nous ne venions dans leur pays que pour leur enlever la pêche des perles, comme d'autres avoient paru vouloir le faire plus d'une fois au temps passé. Dans celle pensée, ils prirent les armes et vinrent par troupes à notre habitation, où il n'y avait alors qu'un très petit nombre d'Espagnols. La violence avec laquelle ils nous attaquèrent et la multitude de flèches et de pierres qu'ils nous jetèrent fut si grande que c'étoit fait de nous infailliblement si la sainte Vierge, qui nous tenoit lieu d'une armée rangée en bataille, ne nous eût protégés. Les gens qui se trouvèrent avec nous, aidés du secours d'en haut, soutinrent vigoureusement l'attaque et repoussèrent les ennemis avec tant de succès qu'on les vit bientôt prendre la fuite. Les barbares, devenus plus traitables par leur défaite, et voyant d'ailleurs qu'ils ne gagneroient rien sur nous par la force, nous députèrent quelques-uns d'entre eux; nous les reçûmes avec amitié; nous apprîmes bientôt assez de leur langue pour leur faire concevoir ce qui nous avoit portés à venir en leur pays. Ces députés détrompèrent leurs compatriotes de l'erreur où ils étoient, de sorte que, persuadés de nos bonnes intentions, ils revinrent nous trouver en plus grand nombre et nous marquèrent tous de la joie de voir que nous souhaitions les instruire de notre sainte religion et leur apprendre le chemin du ciel. De si heureuses dispositions nous animèrent à apprendre à fond la langue monqui, qu'on parle en ce pays-là. Deux ans entiers se passèrent, partie à étudier et partie à catéchiser ces peuples. Le père de Salvatierra se chargea d'instruire les adultes, et moi les enfans. L'assiduité de cette jeunesse à venir nous entendre parler de Dieu, et son application à apprendre la doctrine chrétienne fut si grande qu'elle se trouva en peu de temps parfaitement instruite. Plusieurs me demandérent le saint baptême, mais avec tant de larmes et de si grandes instances que je ne crus pas devoir le leur refuser. Quelques malades et quelques vieillards qui nous parurent suffisamment instruits le reçurent aussi, dans la crainte où nous étions qu'ils ne mourussent sans baptême. Et nous avons lieu de croire que la Providence n'avoit prolongé les jours à plusieurs d'entre eux, que pour leur ménager ce moment de salut. Il y eut encore environ cinquante enfans à la mamelle qui, des bras de leurs mères, s'envolèrent au ciel, après avoir été régénérés en Jésus-Christ. Après avoir travaillé à l'instruction de ces peuples, nous songeâmes à en découvrir d'autres à qui nous pussions également nous rendre utiles. Pour le faire avec plus de fruit, nous voulûmes bien, le père de Salvatierra et moi, nous séparer et nous priver de la satisfaction que nous avions de vivre et de travailler ensemble. Il prit la route du nord, et je pris celle du midi et de l'occident. Nous eûmes beaucoup de consolation dans ces courses apostoliques car, comme nous savions bien la langue et que les Indiens avoient pris en nous une véritable confiance, ils nous invitoient eux-mêmes à entrer dans leurs villages et se faisoient un plaisir de nous y recevoir et de nous y amener leurs enfans. Les premiers étant instruits, nous allions en chercher d'autres, à qui successivement nous enseignions les mystères de notre religion. C'est ainsi que le père de Salvatierra découvrit peu à peu toutes les habitations qui composent aujourd'hui la mission de Lorette-Concho et celle de saint Jean-deLondo, et moi tous les pays qu'on appelle à présent la mission de Saint-François-Xavier-deBiaundo, qui s'étend jusqu'à la mer du Sud. En avançant ainsi chacun de notre côté, nous remarquâmes que plusieurs nations de langues différentes se trouvoient mêlées ensemble, les unes parlant la langue monqui, que nous savions, et les autres la langue laymone, que nous ne savions pas encore. Cela nous obligea d'apprendre le laymon, qui est beaucoup plus étendu que le monqui et qui nous paroît avoir un cours général dans tout ce pays. Nous nous appliquâmes si fortement à l'étude de cette seconde langue, que nous la sûmes en peu de temps et que nous commençâmes à prêcher indifféremment, tantôt en laymon et tantôt en monqui. Dieu a béni nos travaux, car nous avons déjà baptisé plus de mille enfans, tous très-bien disposés, et si empressés à recevoir cette grâce que nous n'avons pu résister à leurs instantes prières. Plus de trois mille adultes, également instruits, désirent et demandent la même faveur; mais nous avons jugé à propos de la leur différer pour les éprouver à loisir et pour les affermir davantage dans une si sainte résolution. Car comme ces peuples ont vécu long-temps dans l'idolâtrie et dans une grande dépendance de leurs faux prêtres, et que d'ailleurs ils sont d'un naturel léger et volage, nous avons eu peur, si l'on se pressoit, qu'ils ne se laissassent ensuite pervertir, ou qu'étant chrétiens sans en remplir les devoirs, ils n'exposassent notre sainte religion au mépris des idolâtres. Ainsi on s'est contenté de les mettre au nombre des catéchumènes. Le samedi et le dimanche de chaque semaine, ils viennent à l'église et assistent avec les enfans déjà baptisés aux instructions qui s'y font, et nous avons la consolation d'en voir un grand nombre qui persévèrent avec fidélité dans le dessein qu'ils ont pris de se faire de vrais disciples de Jésus-Christ. Depuis nos secondes découvertes, nous avons partagé toute cette contrée en quatre missions. La première est celle de Concho, ou de NotreDame-de-Lorette; la seconde est celle de Biaundo, ou de Saint-François-Xavier; la troisième, celle de Yodivineggé, ou de NotreDame-des-Douleurs, et la quatrième, qui n'est encore ni fondée ni tout-à-fait si bien établie que les trois autres, est celle de Saint-Jean de Londo. Chaque mission comprend plusieurs bourgades. Celle de Lorette-Concho en a neuf dans sa dépendance, savoir: Liggigé, à deux lieues de Concho: Jetti, à trois lieues; Tuiddu, à quatre lieues. Ces trois premières bourgades sont vers le nord, et les six suivantes vers le midi. Vonu, à deux lieues; Numpolo, à quatre lieues; Chuyenqui, à neuflieues; Liggui, à douze lieues; Tripué, à quatorze lieues; Loppu, à quinze lieues. On compte onze bourgades dans la mission de Saint-François-Xavier-de-Biaundo, qui sont Quimiouma, ou l'Ange-Gardien, à deux lieues; Lichu, ou la Montagne-du-Cavalier, à trois lieues; Yenuyomu, à cinq lieues, Undua, à six lieues; Enulaylo, à dix lieues; Picolopri, à douze lieues; Ontla, à quinze lieues; Onemaito, à vingt lieues. Ces huit bourgades sont du côté du midi. Les deux suivantes sont au nord: Nuntei, à trois lieues, et Obbé, à huit lieues. Cuivuco, ou Sainte-Rosalie, à quatre lieues, est du côté de l'ouest. On avoit bâti une chapelle pour cette seconde mission; mais se trouvant déjà trop petite, on a commencé à élever une grande église, dont les murailles seront de brique et la couverture de bois. Le jardin qui tient à la maison du missionnaire fournit déjà toutes sortes d'herbes et de légumes, et les arbres du Mexique, qu'on y a plantés, y viennent fort bien et seront dans peu chargés d'excellens fruits. Le bachelier Dom Juan Cavallero Ocio, commissaire de l'inquisition et de la croisade, dont on ne saurait assez louer le zèle et la piété, a fondé ces deux premières missions et a été comme le chef et le principal promoteur de toute cette grande entreprise. Pour ce qui regarde la mission de NotreDame-des-Douleurs, elle ne comprend qu'Unubbé, qui est du côté du nord, Niumqui, ou Saint-Joseph, et Yodivineggé, ou Notre-Damedes-Douleurs, qui donne le nom à toute la mission. Niumqui et Yodivineggé sont deux bourgades fort peuplées et fort proches l'une de l'autre. Messieurs de la congrégation du collége de saint Pierre et de saint Paul de notre compagnie, érigée en la ville de Mexique, sous le titre des Douleurs de la sainte Vierge, et composé de la principale noblesse de cette grande ville, ont fondé cette mission, et marquent, dans toutes les occasions, une grande ardeur pour la propagation de la foi et pour la conversion de ces pauvres infidèles. Enfin la mission de Saint-Jean-de-Londo contient cinq ou six bourgades. Les principales sont Teupnon ou Saint-Bruno, à trois lieues du côté de l'est, Anchu à une égale distance du côté du nord. Tamouqui, qui est à quatre lieues, et Diutro à six, regardent l'ouest. Le père de Salvatierra, qui brûle d'un zèle ardent d'étendre le royaume de Dieu, cultive ces deux dernières missions avec des soins infatigables. J'ai laissé avec lui le père Jean d'Ugarte, qui, après avoir rendu au Mexique des services essentiels à ces missions, a voulu enfin s'y consacrer lui-même en personne depuis un an. Il a fait de grands progrès en peu de temps, car outre qu'il prêche déjà parfaitement dans ces deux langues dont j'ai parlé, il a découvert, du côté du sud, deux bourgades, Trippué ct Loppu, où il a baptisé vingt-trois enfans, et s'applique sans relâche à l'instruction des autres et des adultes. Après vous avoir rendu compte, messeigneurs, de l'état de la religion dans cette nouvelle colonie, je vais répondre maintenant, autant que j'en suis capable, aux autres ar ticles sur lesquels vous m'avez fait l'honneur de m'interroger. Je vous dirai d'abord ce que nous avons pu remarquer des mœurs et des inclinations de ces peuples, de la manière dont ils vivent, et ce qui croît en leur pays. La Californie se trouve assez bien placée dans nos cartes ordinaires. Pendant l'été les chaleurs y sont grandes le long des côtes et il y pleut rarement; mais dans les terres l'air est plus tempéré et le chaud n'y est jamais excessif. Il en est de même de l'hiver, à proportion. Dans la saison des pluies, c'est un déluge d'eau ; quand elle est passée, au lieu de pluies, la rosée se trouve si abondante tous les matins qu'on croiroit qu'il eût plu, ce qui rend la terre trèsfertile. Dans le mois d'avril, de mai et de juin, il tombe avec la rosée une espèce de manne, qui se congèle et qui s'endurcit sur les feuilles des roseaux, sur lesquelles on la ramasse. J'en ai goûté. Elle est un peu moins blanche que le sucre, mais elle en a toute la douceur. Le climat doit être fain, si nous en jugeons par nous-mêmes et par ceux qui ont passé avec nous. Car en cinq ans qu'il y a que nous sommes entrés dans ce royaume, nous nous sommes tous bien portés, malgré les grandes fatigues que nous avons souffertes, et, parmi les autres Espagnols, il n'est mort que deux personnes, dont l'une s'étoit attiré son malheur. C'étoit une femme qui eut l'imprudence de se baigner étant prête d'accoucher. Il y a dans la Californie, comme dans les plus beaux pays du monde, de grandes plaines, d'agréables vallées, d'excellens pâturages en tout temps pour le gros et le menu bétail, de belles sources d'eau vive, des ruisseaux et des rivières dont les bords sont couverts de saules, de roseaux et de vignes sauvages. Les rivières sont fort poissonneuses, et on y trouve surtout beaucoup d'écrevisses, qu'on transporte en des espèces de réservoirs, dont on les tire dans le besoin. J'ai vu trois de ces réservoirs très-beaux et très-grands. Il y a aussi beaucoup de xicames, qui sont de meilleur goût que celles que l'on mange dans tout le Mexique. Ainsi on peut dire que la Californie est un pays très-fertile. On trouve sur les montagnes des mescales pendant toute l'année et presque en toutes les saisons, de grosses pistaches de diverses espèces, et des figues de différentes 1 Espèce de fruit. |