couleurs. Les arbres y sont beaux, et entre | grands et ils ont beaucoup plus de laine. Elle se autres celui que les Chinos, qui sont les naturels du pays, appellent palo santo. Il porte beaucoup de fruits et l'on en tire d'excellent encens. Si ce pays est abondant en fruits, il ne l'est pas moins en grains. Il y en a de quatorze sortes, dont ces peuples se nourrissent. Ils se servent aussi des racines des arbres et des plantes, et entre autres de celle d'yucca, pour faire une espèce de pain. Il y vient des chervis1 excellens, une espèce de faséoles rouges, dont on mange beaucoup, et des citrouilles et des melons d'eau d'une grosseur extraordinaire. Le pays est si bon qu'il n'est pas rare que beaucoup de plantes portent du fruit trois fois l'année. Ainsi, avec le travail qu'on apporteroit à cultiver la terre et un peu d'habilelé à savoir ménager les eaux, on rendroit tout le pays extrêmement fertile, et il n'y a ni fruits ni grains qu'on n'y cucillit en très-grande abondance. Nous l'avons déjà éprouvé nousmêmes, car, ayant apporté de la Nouvelle Espagne du froment, du blé de Turquie, des pois, des lentilles, nous les avons semés, et nous en avons fait une abondante récolte, quoique nous n'eussions point d'instrumens propres à bien remuer la terre, et que nous ne pussions nous servir que d'une vieille mule et d'une méchante charrue que nous avions pour la labourer. Outre plusieurs sortes d'animaux qui nous sont connus, qu'on trouve ici en quantité et qui sont bons à manger, comme des cerfs, des lièvres, des lapins et autres, il y a de deux sortes de bêtes fauves que nous ne connaissions point. Nous les avons appelées des moutons parce qu'elles ont quelque chose de la figure des nôtres. La première espèce est de la grandeur d'un veau d'un ou deux ans ; leur tête a beaucoup de rapport à celle d'un cerf, et leurs cornes, qui sont extraordinairement grosses à celles des béliers. Ils ont la queue et le poil, qui est marqueté, plus courts encore que les cerfs, mais la corne du pied est grande, ronde et fendue comme celle des bœufs. J'ai mangé de ces animaux, leur chair m'a paru fort bonne et fort délicate. L'autre espèce de moutons, dont les uns sont blancs et les autres noirs, diffère moins des nôtres. Ils sont plus Le chervis est une plante potagère; sa racine est un composé de navets ridés d'un goût très doux, sucré, agréable et très-sain. file aisément et est propre à mettre en œuvre. Outre ces animaux, dont on peut se nourrir, il y a des lions, des chats fauves et plusieurs autres semblables à ceux qu'on trouve en la Nouvelle-Espagne. Nous avions porté dans la Californie quelques vaches et quantité de menu bétail, comme des brebis et des chèvres, qui auroient beaucoup multiplié si l'extrême nécessité où nous nous trouvâmes pendant un temps ne nous eût obligés d'en tuer plusieurs. Nous y avons porté des chevaux et de jeunes cavales pour en peupler le pays. On avoit commencé à y élever des cochons; mais comme ces animaux font beaucoup de dégât dans les villages, et comme les femmes du pays en ont peur, on a résolu de les exterminer. Pour les oiseaux, tous ceux du Mexique et presque tous ceux d'Espagne se trouvent dans la Californie; il y a des pigeons, des tourterelles, des alouettes, des perdrix d'un goût excellent et en grand nombre, des oies, des canards et de plusieurs autres sortes d'oiseaux de rivière et de mer. La mer est fort poissonneuse, et le poisson en est d'un bon goût. On y pêche des sardines, des anchois et du thon qui se laisse prendre à la main au bord de la mer. On y voit aussi assez souvent des baleines et de toutes sortes de tortues. Les rivages sont remplis de monceaux de coquillages, beaucoup plus gros que les nacres de perles. Ce n'est pas de la mer qu'on y tire le sel; il y a des salines dont le sel est blanc et luisant comme le cristal, mais en même temps si dur qu'on est souvent obligé de le rompre à grands coups de marteau. Il seroit d'un bon débit dans la Nouvelle Espagne, où le sel est rare. Il y a près de deux siècles qu'on connoît la Californie; ses côtes sont fameuses par la pêche des perles : c'est ce qui l'a rendue l'objet des vœux les plus empressés des Européens, qui ont souvent formé des entreprises pour s'y établir. Il est certain que si le roi y faisait pêcher à ses frais, il en tireroit de grandes richesses. Je ne doute pas non plus qu'on ne trouvât des mines en plusieurs endroits, si l'on en cherchoit, puisque ce pays est sous le même climat que les provinces de Cinaloa et Sonora, où il y en a de fort riches. 1 Sinaloa. 1 Quoique le ciel ait été si libéral à l'égard des | Californiens, et que la terre produise d'ellemême ce qui ne vient ailleurs qu'avec beaucoup de peine et de travail, cependant ils ne font aucun cas de l'abondance ni des richesses de leur pays. Contens de trouver ce qui est nécessaire à la vie, ils se mettent peu en peine de tout le reste. Le pays est fort peuplé dans les terres, et surtout du côté du nord, et quoiqu'il n'y ait guère de bourgades qui ne soient composées de vingt, trente, quarante et cinquante familles, ils n'ont point de maisons. L'ombre des arbres les défend des ardeurs du soleil pendant le jour, et ils se font des branches et des feuillages une espèce de toit contre les mauvais temps de la nuit. L'hiver, ils s'enferment dans des caves qu'ils creusent en terre, et y demeurent plusieurs ensemble, à peu près comme les bêtes. Les hommes sont tout nus, au moins ceux que nous avons vus. Ils se ceignent la tête d'une bande de toile très-déliée ou d'une espèce de réseau; ils portent au cou et quelquefois aux mains pour, ornement diverses figures de nacre de perles assez bien travaillées et entrelacées avec beaucoup de propreté de petits fruits ronds, à peu près comme nos grains de chapelet. Ils n'ont pour arme que l'arc, la flèche ou le javelot; mais ils les portent toujours à la main, soit pour chasser, soit pour se défendre de leurs ennemis, car les bourgades se font assez souvent la guerre les unes aux autres. grossier, des sacs pour différens usages et des rets pour pêcher. Les hommes, outre cela, avec diverses herbes dont les fibres sont extrêmement serrées et filasseuses et qu'ils savent trèsbien manier, s'emploient à faire une espèce de vaisselle et de batterie de cuisine assez nouvelle et de toute sorte de grandeurs. Les pièces les plus petites servent de tasses; les médiocres, d'assiettes, de plats et quelquefois de parasols dont les femmes se couvrent la tête, et les plus grandes, de corbeilles à ramasser les fruits, et quelquefois de poules et de bassins à les faire cuire; mais il faut avoir la précaution de remuer sans cesse ces vaisseaux pendant qu'ils sont sur le feu, de peur que la flamme ne s'y attache, ce qui les brûleroit en très-peu de temps. Les Californiens ont beaucoup de vivacité et sont naturellement railleurs, ce que nous éprouvâmes en commençant à les instruire: car si tôt que nous faisions quelque faute dans leur langue, c'étoit à plaisanter et å se moquer de nous. Depuis qu'ils ont eu plus de communication avec nous, il se contentent de nous avertir honnêtement des fautes qui nous échappent, et, quant au fond de la doctrine, lorsqu'il arrive que nous leur expliquons quelque mystère ou quelques points de morale peu conformes à leurs préjugés ou à leurs anciennes erreurs, ils attendent le prédicateur après le sermon et disputent contre lui avec force et avec esprit. Si on leur apporte de bonnes raiLes femmes sont vêtues un peu plus modes- sons, ils écoutent avec docilité, et si on les peut tement, portant, depuis la ceinture jusqu'aux convaincre, ils se rendent et font ce qu'on leur genoux, une manière de tablier tissu de ro- prescrit. Nous n'avons trouvé parmi eux auseaux, comme les nattes les plus fines ; elles se cune forme de gouvernement ni presque de recouvrent les épaules de peaux de bêtes et por-ligion et de culte réglé. Ils adorent la lune, ils tent à la tête, comme les hommes, des réseaux fort déliés; ces réseaux sont si propres que nos soldats s'en servent à attacher leurs cheveux; elles ont, comme les hommes, des colliers de nacre mêlés de noyaux de fruits et de coquillages qui leur pendent jusqu'à la ceinture, et des bracelets de même matière que les colliers. s; L'occupation la plus ordinaire des hommes et des femmes est de filer. Le fil se fait de longues herbes qui leur tiennent lieu de lin et de chanvre, ou bien de matières colonneuses qui se trouvent dans l'écorce de certains fruits. Du fil le plus fin on fait les divers ornemens dont nous venons de parler, et du plus se coupent les cheveux, je ne sais si c'est dans le décours, à l'honneur de leur divinité; ils les donnent à leurs prêtres, qui s'en servent à diverses sortes de superstitions. Chaque famille se fait des lois à son gré, et c'est apparemment ce qui les porte si souvent à en venir aux mains les uns contre les autres. Enfin, pour satisfaire à la dernière question que vous m'avez encore fait l'honneur de me proposer, et qui me semble la plus importante de toutes, touchant la manière d'étendre et d'affermir de plus en plus dans la Californie la véritable religion, et d'entretenir avec ces peuples un commerce durable et utile à la gloire et à l'avantage de la nation, je prendrai la li berté de vous dire les choses comme je les pense et comme la connoissance que j'ai pu avoir du pays et du génie des peuples me les fait penser. Premièrement, il paroît absolument nécessaire de faire deux embarquemens chaque année le plus considérable pour la NouvelleEspagne, avec qui on peut faire un commerce très-utile aux deux nations ; l'autre pour les provinces de Cinaloa et de Sonora, d'où l'on peut amener de nouveaux missionnaires et apporter ce qui est nécessaire chaque année à l'entretien de ceux qui sont déjà ici. Les vaisseaux qui auroient servi aux embarquemens pourroient aisément, d'un voyage à l'autre, être envoyés à de nouvelles découvertes du côté du nord, et la dépense n'iroit pas loin si l'on vouloit employer les mêmes officiers et les mêmes matelots dont on s'est servi jusqu'ici, parce que, vivant à la manière de ce pays, ils auroient des provisions presque pour rien, et, connoissant les mers et les côtes de la Califorils navigueroient avec plus de vitesse et plus de sûreté. nie, Un autre point essentiel, c'est de pourvoir à la subsistance et à la sûreté tant des Espagnols naturels qui y sont déjà que des missionnaires qui y viendront avec nous et après nous. Pour les missionnaires, depuis mon arrivée, j'ai appris, avec beaucoup de reconnoissance et de consolation, que notre roi Philippe V, que Dieu veuille conserver bien des années, y a déjà pourvu de sa libéralité vraiment pieuse et royale, assignant par année à cette mission une pension de six mille écus, sur ce qu'il avoit appris des progrès de la religion dans cette nouvelle colonie. C'est de quoi entretenir un grand nombre d'ouvriers qui ne manqueront pas de venir à notre secours. Pour la sûreté des Espagnols qui sont ici, le fort que nous avons déjà bâti pourra servir en cas de besoin; il est placé au quartier de SaintDenis, dans le lieu appelé Concho par les Indiens; nous lui avons donné le nom de NotreDame-de-Lorette, et nous y avons établi notre première mission. Il a quatre petits bastions et est environné d'un bon fossé; on y a fait une place d'armes et on y a bâti des casernes pour le logement des soldats. La chapelle de la sainte Vierge et la maison des missionnaires sont près du fort. Les murailles de ces bâtimens sont de brique, et les couvertures de bois. J'ai laissé dans le fort dix-huit soldats avec leurs officiers, dont il y en a deux qui sont mariés et qui ont famille, ce qui les arrêtera plus aisément dans le pays. Il y a avec cela huit Chinos et nègres pour le service, et douze autres matelots sur les deux petits bâtimens appelés le Saint-Xavier et le Rosaire, sans compter douze autres matelots que j'ai pris avec moi sur le Saint-Joseph. On a été obligé de renvoyer quelques soldats, parce qu'on n'avoit pas au commencement de quoi les nourrir et les entretenir; cependant vous voyez bien que cette garnison n'est pas assez-forte pour défendre long-temps la nation si les barbares s'avisoient de remuer. Il faut donc en établir une semblable à celle de la Nouvelle-Biscaye, et la placer dans un lieu d'où elle puisse agir partout où il seroit nécessaire. Cela seul, sans violence, pourroit tenir le pays tranquille, comme il l'a été jusqu'ici, grâces à Dieu, quelque foibles que nous fussions. Dautres choses paroîtroient moins importanles; mais elles ne le sont pas, quand on voit les choses de plus près. Premièrement, il est à propos de donner quelque récompense aux soldats qui sont venus ici les premiers. On est redevable en partie à leur courage des bons succès qu'on a eus jusqu'ici; et l'espérance d'une pareille distinction en fera yenir d'autres et les engagera à imiter la valeur et la sagesse des premiers. Secondement, il faut faire en sorte que quelques familles de gentilshommes et d'officiers viennent s'établir ici pour pouvoir par euxmêmes et par leurs enfans remplir les emplois à mesure qu'ils viendront à vaquer. Troisièmement, il est de la dernière conséquence que les missionnaires et ceux qui commanderont dans la Californie vivent toujours dans une étroite union. Cela a été jusqu'à présent par la sage conduite et par le choix judicieux qu'en a fait, d'intelligence avec nous, M. le comte de Montezuma, vice-roi de la NouvelleEspagne. Mais comme les missionnaires sont assez occupés de leur ministère, il faut qu'on les décharge du soin des troupes, et que la caisse royale de Guadalaxara fournisse ce qui leur sera nécessaire. Il seroit à souhaiter que le roi nommât lui-même quelque personne d'autorité et de confiance, avec le titre d'intendant ou de commissaire général, qui voulût, par zèle et dans la seule vue de contribuer à la . conversion de ce royaume, se charger de payer à chacun ce qui lui seroit assigné par la cour, et de pourvoir au bien des colonies, afin que tous pussent s'appliquer sans distraction à leur devoir, et que l'ambition et l'intérêt ne ruinassent pas en un moment, comme il est souvent arrivé, un ouvrage qu'on n'a établi qu'avec beaucoup de temps, de peines et de dangers. Voilà, ce me semble, messeigneurs, tout ce que vous avez souhaité que je vous donnasse par écrit. Il sera de votre sagesse et de votre prudence ordinaire de juger ce qu'il est à propos d'en faire savoir au roi notre maître. Il aura sans doute beaucoup de consolation d'apprendre qu'à son avénement à la couronne, Dieu ait ouvert une belle carrière à son zèle. Je venois ici chercher des secours sans lesquels il étoit impossible ou de conserver ce que nous venons de faire, ou de pousser plus loin l'œuvre de Dieu. La libéralité du prince a prévenu et surpassé de beaucoup nos demandes. Que le Seigneur étende son royaume autant qu'il étend le royaume de Dieu, et qu'il vous donne, messeigneurs, autant de bénédictions que vous avez de zèle pour faciliter l'établissement de la religion dans ces vastes pays, qui ont été jusqu'à présent abandonnés! Je suis, etc. A Guadalaxara, le 10 de février de l'année 1702 1. 1 Les missions dans la Californie avaient eu un succès complet. Sous la conduite des jésuites, les sauvages avaient quitté la vie nomade, cultivé de petits terrains, bati des maisons, élevé des temples, lorsqu'un décret impolitique vint détruire sur tous les points de l'Amérique Espagnole l'utile et puissante société. Le gouverneur don Portola, envoyé en Californie pour exécuter le décret, crut y trouver de vastes trésors et 10,000 Indiens armés de fusils pour défendre les jésuites. Il vit au contraire des prêtres à cheveux blancs venir humblement à sa rencontre; il versa de généreuses larmes sur l'erreur du roi et adoucit tant qu'il put l'exé cution des ordres dont il était porteur. Les jésuites partirent; ils furent accompagnés jusqu'au lieu de leur embarquement par toute la population. Les franciscains leur succédèrent et à leur suite vinrent les dominicains. Ceux-ci même s'établirent seuls dans la Vieille-Californie, et les franciscains s'étendirent dans la Nouvelle. Mais ces derniers seuls ont prospéré. Les autres ont laissé périr les fondations faites avant eux. Depuis le départ des jésuites la population de la Californie est fort réduite. Il n'existe pas 9,000 mille habitans dans un pays qui est plus grand que l'Angleterre. | ABRÉGÉ D'UNE RELATION ESPAGNOLE. De la vie et de la mort du P. Cyprien Baraze, de la compagnie de Jésus et fondateur de la mission des Moxes dans le Pérou, imprimée à Lima par ordre de monseigneur Urbain de Matha, évêque de la ville de la Paix. On entend par la mission des Moxes un assemblage de plusieurs différentes nations d'infidèles de l'Amérique, à qui on a donné ce nom parce que en effet la nation des Moxes est la première de celles-là qui ait reçu la lumière de l'Evangile. Ces peuples habitent un pays immense, qui se découvre à mesure qu'en quittant Sainte-Croix-de-la-Sierra on côtoie une longue chaîne de montagnes escarpées, qui vont du sud au nord. Il est situé dans la zone torride et s'étend depuis dix jusqu'à quinze degrés de latitude méridionale. On en ignore entièrement les limites, et tout ce qu'on en a pu dire jusqu'ici n'a pour fondement que quelques conjectures, sur lesquelles on ne peut guère compter. Cette vaste étendue de terre paroît une plaine assez unie; mais elle est presque toujours inondée, faute d'issue pour faire écouler les eaux. Ces eaux s'y amassent en abondance par les pluies fréquentes, par les torrens qui descendent des montagnes et par le débordement des rivières. Pendant plus de quatre mois de l'année, ces peuples ne peuvent avoir de communication entre eux, car la nécessité où ils sont de chercher des hauteurs pour se mettre à couvert de l'inondation fait que leurs cabanes sont fort éloignées les unes des autres. Outre cette incommodité, ils ont encore celle du climat, dont l'ardeur est excessive: ce n'est pas qu'il ne soit tempéré de temps en temps, en partie par l'abondance des pluies et l'inondation des rivières, en partie par le vent du nord, qui y souffle presque toute l'année. Mais d'autres fois le vent du sud, qui vient du côté des montagnes couvertes de neige, se déchaîne avec tant d'impétuosité et remplit l'air d'un froid si piquant que ces peuples, presque nus et d'ailleurs mal nourris, n'ont pas la force de soutenir ce dérangement subit des saisons, surtout lorsqu'il est accompagné des inondations 'Le chef-lieu, l'Orato, est une bourgade avec presidio; le nombre des habitans, tant Espagnols que métis et Indiens, ne s'élève pas à plus de 1,000. dont je viens de parler, qui sont presque tou- | compagné d'un tigre qu'il semble avoir invité jours suivies de la famine et de la peste, ce qui cause une grande mortalité dans le pays. Les ardeurs d'un climat brûlant, jointes à l'humidité presque continuelle de la terre, produisent une grande quantité de serpens, de vipères, de fourmis, de mosquites, de punaises volantes et une infinité d'autres insectes, qui ne donnent pas un moment de repos. Cette même humidité rend le terroir si stérile qu'il ne peut porter ni blé, ni vignes, ni aucun des arbres fruitiers qu'on cultive en Europe. C'est ce qui fait aussi que les bêtes à laine ne peuvent y subsister. Il n'en est pas de même des taureaux et des vaches on a éprouvé dans la suite des temps, lorsqu'on en a peuplé le pays, qu'ils y vivoient et qu'ils y multiplioient comme dans le Pérou. Les Moxes ne vivent guère que de la pêche et de quelques racines que le pays produit en abondance. Il y a de certains temps où le froid est si âpre qu'il fait mourir une partie du poisson dans les rivières : les bords en sont quelquefois tout infectés. C'est alors que les Indiens courent avec précipitation sur le rivage pour en faire leur provision, et quelque chose qu'on leur dise pour les détourner de manger ces poissons à demi pourris, ils répondent froidement que le feu raccommodera tout. Ils sont pourtant obligés de se retirer sur les montagnes une bonne partie de l'année et d'y vivre de la chasse. On trouve sur ces montagnes une infinité d'ours, de léopards, de tigres, de chèvres, de porcs sauvages et quantité d'autres animaux tout-à-fait inconnus en Europe. On y voit aussi différentes espèces de singes. La chair de cet animal, quand elle est boucanée, est pour les Indiens un mets délicieux. Ce qu'ils racontent d'un animal appelé ocorome est assez singulier. Il est de la grandeur d'un gros chien; son poil est roux, son museau pointu, ses dents fort affilées. S'il trouve un Indien désarmé, il l'attaque et le jette par terre sans pourtant lui faire de mal, pourvu que l'Indien ait la précaution de contrefaire le mort. Alors l'ocorome remue l'Indien, tâte avec soin toutes les parties de son corps, et se persuadant qu'il est mort effectivement, comme il le paroft, il le couvre de paille et de feuillages, et s'enfonce dans le bois le plus épais de la montagne. L'Indien, échappé de ce danger, se relève aussitôt et grimpe sur quelque arbre, d'où il voit revenir peu après l'ocorome ac : au partage de sa proie; mais ne la trouvant plus, il pousse d'affreux hurlemens en regardant son camarade, comme s'il vouloit lui témoigner la douleur qu'il a de l'avoir trompé '. Il n'y a parmi les Moxes ni lois, ni gouvernement, ni police; on n'y voit personne qui commande ni qui obéisse s'il survient quelque différend parmi eux, chaque particulier se fait justice par ses mains. Comme la stérilité du pays les oblige à se disperser dans diverses contrées afin d'y trouver de quoi subsister, leur conversion devient par là très-difficile, et c'est un des plus grands obstacles que les missionnaires aient à surmonter. Ils bâtissent des cabanes fort basses dans les lieux qu'ils ont choisis pour leur retraite, et chaque cabane est habitée par ceux de la même famille. Ils se couchent à terre sur des natles, ou bien sur un hamac qu'ils attachent à des pieux ou qu'ils suspendent entre deux arbres, et là ils dorment exposés aux injures de l'air, aux insultes des bêtes et aux morsures des mosquites. Néanmoins ils ont coutume de parer à ces inconvéniens en allumant du feu autour de leur hamac; la flamme les échauffe, la fumée éloigne les mosquites, et la lumière écarte au loin les bêtes féroces; mais leur sommeil est bien troublé par le soin qu'ils doivent avoir de rallumer le feu quand il vient à s'éteindre. Ils n'ont point de temps réglé pour leurs repas toute heure leur est bonne dès qu'ils trouvent de quoi manger. Comme leurs alimens sont grossiers et insipides, il est rare qu'ils y excèdent; mais ils savent bien se dédommager dans leur boisson. Ils ont trouvé le secret de faire une liqueur très-forte avec quelques racines pourries qu'ils font infuser dans de l'eau. Cette liqueur les enivre en peu de temps et les porte aux derniers excès de fureur. Ils en usent principalement dans les fêtes qu'ils célèbrent en l'honneur de leurs dieux. Au bruit de certains instrumens, dont le son est fort fort désagréable, ils se rassemblent sous des espèces de berceaux qu'ils forment de branches d'arbre Le couguar, qu'on nomme aussi tigre roux, tigre poltron, n'a pourtant rien de l'instinct cruel des tigres; il est peu dangereux et n'attaque que les brebis, qu'il tue pour en lécher le sang, mais il fuit l'approche du berger et du chien et il est facile à apprivoiser. On ne le trouve guère que dans les contrées centrales de l'Amérique du Sud. |