quartiers pour conférer le baptême à un certain nombre d'adultes qu'ils avoient disposés à le recevoir. Pour ce qui est des enfans, des vieillards et des malades qui étoient en danger d'une mort prochaine, ils les baptisoient euxmêmes, et on ne peut dire de combien d'âmes ils ont peuplé le ciel après les avoir ainsi purifiées dans les eaux du baptême. Je vous laisse à juger, mon révérend père, quelle étoit la joie du missionnaire lorsqu'il recevoit ces consolantes nouvelles. Il visitoit plusieurs fois l'année ces différentes nations, et il retournoit toujours à son petit séminaire chargé de nombreuses dépouilles qu'il avoit remportées sur la gentilité par le ministère de ses chers enfans. Le père Lombard passa environ quinze ans dans ces travaux, toujours occupé ou à former d'habiles catéchistes, ou à aller recueillir les fruits qu'ils faisoient, ou à visiter les chrétientés naissantes. Cependant, comme ces chrétientés devenoient de jour en jour plus nombreuses par les soins des jeunes Indiens qu'il avoit formés, il ne lui étoit pas possible de les cultiver et d'entretenir en même temps son séminaire : il falloit renoncer à l'un ou à l'autre de ces soins. Dans l'embarras où il se trouva, il prit le dessein de réunir tous les chrétiens dans une même bourgade. C'étoit une entreprise d'une exécution très-difficile. Une demeure fixe est entièrement contraire au génie de ces peuples; l'inclination qui les porte à mener une vie errante et vagabonde est née avec eux et est entretenue par l'habitude que forme l'éducation. Cependant leur penchant naturel céda à la douce éloquence du missionnaire. Toutes les familles véritablement converties abandonnérent leur nation et vinrent s'établir avec lui dans cette agréable plaine qu'il avoit choisie sur les bords de la mer du nord, à l'embouchure de la rivière de Korou. Cette nouvelle colonie est actuellement occupée à bâtir une église, à former un grand village et à défricher le terrain qui a été assigné à chaque nation. La difficulté étoit de dresser le plan de cette église, de diriger les ouvriers qui y devoient travailler. Le père Lombard fit venir de Cayenne un habile charpentier, qui pouvoit servir d'architecte dans le besoin. On convint avec lui de la somme de 1,500 livres. Toute modique que paroît cette somme, elle étoit excessive pour un missionnaire destitué de tout secours et ne trouvant que de la bonne volonté dans une troupe de néophytes qui sont sans argent et sans négoce. Son zèle, toujours ingénieux, lui fournit une nouvelle ressource. Les Indiens qui devoient former la peuplade étoient formés en cinq compagnies qui avoient chacune leur chef et leurs officiers subalternes. Le père les assembla et leur proposa le moyen que Dieu lui avoit inspiré pour procurer la prompte exécution de leur entreprise. Ce moyen étoit que chaque compagnie s'engageât à faire une pirogue (c'est un grand bateau qui peut contenir environ cinq cents hommes ). L'entrepreneur consentoit de prendre ces pirogues sur le pied de 200 livres chacune. Quoique ces Indiens soient naturellement indolens et ennemis de tout exercice pénible, ils se portèrent à ce travail avec une extrême activité, et en peu de temps les pirogues furent achevées. Il restoit encore 500 livres à payer à l'entrepreneur. Le père trouva de quoi suppléer à cette somme parmi les femmes indiennes. Elles voulurent contribuer aussi de leur part à une œuvre si sainte, et elles s'engagèrent de filer autant de coton qu'il en falloit pour faire huit hamacs ( ce sont des espèces de lits portatifs qu'on suspend à des arbres). L'architecte les prit en paiement du reste de la somme qui lui étoit due. Tandis que les femmes filoient le coton, leurs maris étoient occupés à abattre le bois nécessaire à la construction de l'église. C'est ce qui s'exécuta avec une promptitude étonnante. Ils avoient déjà équarri et rassemblé les pièces de bois, selon la proportion que leur avoit marquée l'architecte, lorsqu'il survint un nouvel embarras. Il s'agissoit de couvrir l'édifice, et pour cela il falloit des planches et des bardeaux ; mais nos sauvages n'avoient nul usage de la scie. La ferveur des néophytes leva bientôt cette difficulté. Au nombre de vingt ils allèrent trouver un François, habitant de Cayenne, qui avoit deux nègres très-habiles à manier la scie; ils lui demandèrent ces deux esclaves, et ils s'offrirent de le servir pendant tout le temps qu'ils seroient occupés à faire le toit de l'église. Cette offre étoit trop avantageuse pour n'être pas acceptée; les sauvages servirent le François en l'absence des nègres, et les négres finirent ce qui restoit à faire pour l'entière construction de l'église. Telle est, mon révérend père, la situation de cette chrétienté naissante: elle donne, comme vous voyez, de grandes espérances; mais ce qu'il y a de triste et d'affligeant, c'est qu'une si grande étendue de pays demanderoit au moins dix missionnaires et que le père Lombard se trouve seul; que bien qu'il soit d'un âge peu avancé, il a une santé usée de fatigues qui nous fait craindre à tout moment de le perdre, et que s'il venoit à nous manquer sans avoir eu le temps de former d'autres missionnaires et de leur apprendre les langues du pays, que lui seul possède, cet ouvrage, qui lui a coûté tant de sueurs et de travaux et qui intéresse si fort la gloire de Dieu, courroit risque d'être entièrement ruiné. Vous êtes en état, mon révérend père, de prévenir ce malheur, vous en connaissez l'importance et nous sommes assurés de votre zèle. Ainsi nous espérons que vous nous procurerez au plus tôt un nombre d'ouvriers apostoliques, capables par leurs talens, par leur patience et par leur vertu de recueillir une moisson si fertile. Je suis avec respect, etc. Je croirois manquer à la reconnoissance que je vous dois de tant de marques d'amitié que vous me donnâtes avant mon départ de Paris, si je différois de vous faire en peu de mots le récit de mon voyage et de la première entrevue que j'ai eue avec nos sauvages dès les premiers jours de mon arrivée à Cayenne. Nous partimes de La Rochelle, comme vous le savez, le 3 juillet: le calme et les vents contraires ne nous permirent de mouiller devant Cayenne que le 21 de septembre. Il y avoit près de deux cents personnes sur notre bord, et quoique dans cette traversée, qui a été assez longue, nous avons eu à souffrir et des ardeurs du soleil et de la disette d'eau où nous nous sommes trouvés durant plus d'un mois, il n'y a eu, grâce au Seigneur, que très-peu de malades et la mort ne nous a enlevé personne. Le père de Montville n'a pas été aussi heureux que moi : le mal de mer l'a tourmenté toute la route. Pour moi, j'ai profité de la santé que Dieu m'a accordée pour dire tous les jours la messe à ceux de l'équipage qui pouvoient l'entendre et pour faire des exhortations toutes les fêtes. J'ai eu la consolation d'en voir une grande partie s'approcher des sacremens, et plusieurs matelots ont fait leur première communion dans le vaisseau. Je vous avoue que j'ai quitté avec regret ces bonnes gens, en qui j'ai trouvé toute la simplicité de la foi. Peu de jours après mon arrivée à Cayenne, je fus appelé à une habitation qui est de sa dépendance, quoiqu'elle en soit éloignée de quinze lieues dans les terres; c'étoit pour administrer les sacremens à un malade. Dans ce petit voyage, que je fis partie sur l'eau et partie dans les bois, je trouvai sur ma route deux familles de sauvages. Ce fut pour moi un touchant spectacle de voir pour la première fois ces pauvres infidèles et la misérable vie qu'ils mènent; je m'arrêtai dans leur carbet environ une heure; il n'y eut que les enfans que ma présence effaroucha; les autres vinrent à moi avec moins de peine et je les apprivoisai encore davantage en leur distribuant le peu d'eau-de-vie que j'avois portée avec moi et en leur faisant quelques petits présens. : J'aurois été très-embarrassé avec eux si le nègre qui me conduisoit n'avoit pas su leur langue il me servit de truchement, et avec son secours je fis connoître à ces pauvres sauvages que, vivant comme ils faisoient dans l'ignorance du vrai Dieu, ils étoient dans un état de perdition; qu'ils avoient une âme immortelle et que s'ils négligoient de se faire instruire, des feux éternels seroient leur partage aussitôt après leur mort; qu'ils pouvoient éviter ce terrible malheur; que pour cela ils n'avoient qu'à aller trouver le père Lombard, qui sait parfaitement leur langue; que s'ils faisoient cette démarche, ce père les recevroit à bras ouverts et prendroit d'eux le même soin que le père le plus tendre prend de ses enfans. Je vis à leur air qu'ils étoient touchés de ce discours. Ils me répondirent qu'ils ne vouloient point être malheureux dans cette vie et dans l'autre; qu'avec plaisir ils iroient trouver le père Lombard, mais qu'ils n'étoient pas maîtres d'eux-mêmes, qu'il vivoient dans la dépendance de leurs chefs, auxquels ils obéiroient s'ils entroient dans mes vues; qu'actuellement ils étoient à la pêche, et que si je voulois repasser chez eux, je les trouverois de retour sur le midi. Je sortis assez content de ma visite, et leur ayant donné parole de revenir, j'allai au secours du moribond pour lequel on m'avoit appelé, et dont l'habitation n'étoit qu'à une petite lieue de la demeure de ces sauvages. Après avoir dit la messe et confessé le malade, je lui donnai le saint viatique. Il trouva dans la participation des sacremens la santé du corps aussi bien que celle de l'âme, car dès le jour même, non-seulement il fut hors de danger, mais il se vit entièrement délivré de la fièvre, quoiqu'il eût passé la nuit précédente dans un délire continuel et que depuis trois jours on désespérât de sa vie. Comme je le vis en train de guérison, je ne songeai plus qu'à aller revoir mes sauvages. Avant que de sortir de la maison, je m'informai quel était le caractère et la manière de vie de ces barbares. On me répondit qu'ils vivoient comme des bêtes, sans aucun culte et presque sans nulle connoissance de la loi naturelle; que leur principal chef avoit mis sa propre fille au nombre de ses femmes; qu'en vain tenterois-je de les engager dans un autre train de vie que celui qu'ils mènent; qu'ils ne daigneroient seulement pas m'écouter; qu'on avoit déjà fait divers efforts pour leur persuader de faire un voyage à Kourou, et qu'on n'avoit jamais pu y réussir. Cette idée qu'on me donnoit de ces Indiens ralentissoit fort le zèle que je me sentois de continuer la bonne œuvre que je n'avois qu'ébauchée cependant, ranimant toute ma confiance en Dieu, je ne crus pas devoir céder à cet obstacle, et comme le Seigneur emploie quelquefois ce qu'il y a de plus vil pour rapprocher de lui ceux qui en paroissent le plus éloignés, je me persuadai que j'aurois un reproche éternel à me faire si je négligeois d'entretenir les chefs, ainsi que je l'avois promis à leur famille. Lorsque j'entrai dans leurs carbets, je les trouvai de retour de la pêche : ils étoient tranquillement couchés dans leur hamac et ils ne daignèrent pas en sortir pour me recevoir. Dès que le premier capitaine m'aperçut, il se mit à rire de toutes ses forces, ce qui me sembla de mauvais augure; cependant il me fit signe d'approcher ma main de la sienne, et cette légère marque d'amitié me donna du courage. Je m'assis sur un tronc d'arbre qui étoit auprès de son hamac, et comme lui et le second capitaine me parurent assez disposés à m'entendre, je leur répétai ce que j'avois dit le matin à leur famille; puis je leur ajoutai que je n'avois d'autre vue que de leur procurer une vie heureuse; qu'il étoit enfin temps d'ouvrir les yeux à la lumière et de sortir de leurs ténèbres; qu'ils n'avoient que trop résisté à la voix de Dieu, qui les pressoit, et par lui-même et par ses ministres, de renoncer à leurs folles superstitions et d'embrasser la religion chrétienne; que s'ils vouloient me suivre à Kourou, je les mettrois entre les mains d'un vrai père, qui les recevroit avec bonté et qui leur faciliteroit les moyens de s'y établir avec leur famille. C'est alors que je reconnus quelle est la force de la grâce sur les cœurs les plus endurcis : ils me répondirent qu'ils étoient sensibles à mon amitié et qu'ils étoient prêts à faire ce que je souhaitois. Il fut conclu que nous partirions ensemble le lendemain matin, et c'est ce qui s'exécuta. Je les conduisis à Kourou, qui est éloigné de leurs bois d'environ dix-huit lieues. L'aimable accueil que leur fit le père Lombard les engagea encore davantage; il convint avec eux qu'après qu'ils auroient fait leur récolte de manioc, qui est une racine dont ils font leur pain, il leur prêteroit sa pirogue afin d'y mettre leur bagage et d'amener leur famille, composée de vingt personnes. Si je fus touché de compassion en voyant l'état déplorable où se trouvoient les sauvages que je conduisois à Kourou, je fus bien consolé de voir le progrès rapide que la religion a fait dans le cœur des Indiens qui composent cette église naissante. Je ne pus retenir mes larmes en voyant le recueillement, la modestie et la dévotion avec laquelle ces différentes nations de sauvages rassemblés assistoient aux divins mystères. Ils chantèrent la grand'messe avec une piété qui en auroit inspiré aux plus tièdes et aux plus dissipés. Après l'Évangile, le père Lombard monta en chaire : les larmes des Indiens firent l'éloge du prédicateur. Comme il prêchoit dans leur langue, je ne compris rien | figurer ce qu'il en a coûté de sucurs et de fa à ce qu'il disoit; je ne jugeai de la force de sa prédication que par l'impression sensible qu'elle faisoit sur ses auditeurs. Il y eut grand nombre de communions à la fin de la messe, et ils employèrent une heure et demie à leur action de grâces. A la vue de ce spectacle, et comparant ce que je voyois de ces nouveaux chrétiens avec l'idée que je m'étois formée des sauvages, je ne pus m'empêcher de m'écrier: O mon Dieu! quelle piété! quel respect! quelle dévotion! Aurois-je pu le croire si je n'en avois été témoin! L'après-midi, le père Lombard fit le caté chisine aux enfans, après quoi on chanta les vêpres. La prière du soir, qui se fit en commun dans l'église, termina la journée du dimanche. Le lundi matin je vis encore les Indiens rassemblés dans l'église pour y faire la prière, ensuite ils entendirent la messe du père Lombard, pendant laquelle ils récitèrent le chapelet à deux chœurs, et de là ils allèrent chacun à leur travail. La mission de Kourou sera le modèle de toutes celles qu'on songe à établir parmi toutes ces nations de sauvages qui sont répandues de tous côtés dans cette vaste étendue de terres que présente la Guyane. Il y a de quoi occuper plusieurs ouvriers évangéliques, que nous attendons avec une extrême impatience. Je suis avec respect, etc. LETTRE DU P. FAUQUE, MISSIONNAIRE, AU PÈRE DE LA NEUVILLE, PROCUREUR DES MISSIONS DE L'AMÉRIQUE'. A Kourou, dans la Guyane, à quatorze lieues de l'île de Cayenne, ce 15 janvier 1729. MON REVEREND Père, La paix de N. S. Il faudroit être au fait du caractère et du génie de nos Indiens de la Guyane pour se On donnait généralement le nom de Guyane à tout le pays qui se trouvait au nord de l'Amérique méridionale entre la terre ferme et le Brésil. Cinq peuples d'Europe s'en disputaient et s'en par tigues afin de parvenir à les rassembler en grand nombre dans une même peuplade, et à les engager de contribuer, du travail de leurs mains, à la construction de l'église qui vient d'être heureusement achevée. Vous le comprendrez aisément, mon révérend père, vous qui savez quelle est la légèreté et l'inconstance de ces nations sauvages et combien elles sont ennemies de tout exercice tant soit peu pénible. Cependant le père Lombard a su fixer cette inconstance en les réunissant dans un même lieu, et il a pour ainsi dire forcé leur naturel, en leur inspirant pour le travail une activité et une ardeur dont la nature et l'éducation les rendoient tout-à-fait incapables. C'est au travail et au zèle de ces néophytes que ce missionnaire est redevable de la première église qui ait été élevée dans ces terres infidèles : il en avoit dressé le plan en l'année 1726, comme vous en fûtes informé par notre révérend père supérieur général. Le corps de ce saint édifice a quatre-vingtquatre pieds de longueur sur quarante de large; on a pris sur la longueur dix-huit pieds pour faire la sacristie et une chambre propre à loger le missionnaire; l'une et l'autre sont placées derrière le maître-autel; le chœur, la nef et les deux ailes qui l'accompagnent sont bien éclairés, et si l'on avoit pu ajouter à l'autel la décoration d'un retable, j'ose dire que la nouvelle église de Kourou, seroit regardée, même en Europe, comme un ouvrage de bon goût. tageaient la domination: les Espagnols, les Français, les Portugais et les Anglais. Les Espagnols d'Amérique se sont séparés de la métropole et ils ont joint la portion de la Guyane qu'ils possédaient à d'autres provinces dont se compose aujourd'hui la république de Vénézuela. Les Portugais se sont également séparés de la cour de Lisbonne, et la partie de la Guyane qui leur appartient est devenue l'Empire du Brésil. Les Anglais, les Hollandais et les Français, après de longues et sanglantes guerres, se sont partagé la Guyane proprement dite, et ils y entretiennent avec plus ou moins de succès les colonies qu'ils y ont fondées. La Guyane française est quelquefois aussi appelée la France Equinoxiale. De grands efforts ont été faits pour y naturaliser les plantes utiles de l'Inde. Sous beaucoup de rapports on a réussi et l'on tire à présent de ce pays des épices d'une excellente qualité. On a essayé de faire à Cayenne des plantations de thé, mais le commerce n'a retiré jusqu'ici aucun profit de cette tentative. On en fit la bénédiction solennelle le troisième dimanche de l'Avent, c'est-à-dire le douze décembre de l'année dernière. La cérémonie commença sur les huit heures. Nous nous rendimes processionnellement à l'église en chantant Veni Creator. Le célébrant, en aube, étole et pluvial, étoit précédé d'une bannière de la croix, et d'une dixaine de jeunes sauvages revêtus d'aubes et de dalmatiques. Quand nous eûmes récité à la porte de l'église les prières prescrites dans le Rituel, on commença à en bénir les dehors. Le premier coup d'aspersoir fut accompagné d'un coup de canon, qui réveilla l'attention des Indiens c'est M. Dorvilliers, gouverneur de Cayenne, qui leur a fait présent de cette pièce d'artillerie, dont il se fit plusieurs salves pendant la cérémonie. On ne pouvoit s'empêcher d'être attendri en voyant la sainte allégresse qui étoit peinte sur le visage de nos néophytes. où Lorsque la bénédiction de l'église fut achevée, nous allâmes encore processionnellement chercher le saint sacrement dans une case, dès le matin on avoit dit une messe basse pour y consacrer une hostie. Le dais fut porté par quelques-uns des François de l'île de Cayenne, que leur dévotion avoit attirés à cette sainte cérémonie. Ce fut un spectacle bien édifiant de voir une multitude prodigieuse d'Indiens, fidèles et infidèles, répandus dans une grande place, qui se prosternoient devant Jésus-Christ pour l'adorer, tandis qu'on le portoit en triomphe dans le nouveau temple qui venoit de lui être consacré. La procession fut suivie de la grande messe, pendant laquelle le père Lombard fit un sermon très touchant à ses néophytes: douze sauvages, rangés en deux chœurs, y chantèrent avec une justesse qui fut admirée de nos François, lesquels y assistèrent. L'après-midi, on se rassembla pour chanter vêpres, et la fète se termina par le Te Deum et la bénédiction du très-saint sacrement. Un instant avant que le prêtre se tournât du côté du peuple pour donner la bénédiction, le père Lombard avança en surplis vers le milieu de l'autel, et par un petit discours très-pathétique, il fit à JésusChrist, au nom de tous les néophytes, l'offrande publique de la nouvelle église. Le silence et l'attention de ces bons Indiens faisoient assez connoître que leurs cœurs étoient péné trés des sentimens de respect, d'amour et de reconnoissance, que le missionnaire s'efforçoit de leur inspirer. Depuis que nos sauvages ont une église élevée dans leur peuplade, on s'aperçoit qu'ils s'affectionnent beaucoup plus qu'ils ne faisoient auparavant à tous les exercices de la piété chrétienne ils s'y rendent en foule tous les jours, soit pour y faire leur prière et entendre l'instruction qui se fait soir et matin en leur langue, soit pour assister au saint sacrifice de la messe. On ne les voit guère manquer au salut qui se fait le jeudi et le samedi, de même qu'il se pratique dans l'ile de Cayenne. C'est par ces fréquentes instructions, et de si saintes pratiques qu'on verra croître de plus en plus la ferveur et la dévotion de ces nouveaux fidèles. Tels sont, mon révérend père, les prémices d'une chrétienté qui ne fait que de naître dans le centre même de l'ignorance et de la barbarie. Je ne doute point que l'exemple de ces premiers chrétiens ne soit bientôt suivi par d'autres nations de sauvages, qui sont répandues de tous côtés dans ce vaste continent. C'est à quoi je pensois souvent pendant le séjour que j'ai fait au fort d'Oyapoc', où j'ai demeuré un mois pour donner les secours spirituels à la garnison. Le pays est beau et excellent pour toute sorte de plantage; mais ce qui me frappe d'autant plus, c'est qu'il est trèspropre à y établir de nombreuses missions. Un assez grand nombre d'Indiens qui sont dans le voisinage sont venus me rendre visite et ont paru souhaiter que je demeurasse avec eux; je les aurois contentés avec plaisir si j'en avois été le mattre et si mes occupations me l'eussent permis. Mais je les consolai en les assurant que la France devoit nous envoyer un secours d'ouvriers évangéliques, et qu'aussitôt qu'ils seroient arrivés, nous n'aurions rien tant à cœur que de travailler à les instruire et å leur ouvrir la porte du ciel. Il est à croire que leur conversion à la foi ne sera pas si difficile que celle des Galibis 2. Quand je leur demandois s'ils avoient un véritable désir d'être chrétiens, ils me disoient en riant qu'il ne savoient pas encore de quoi il s'agissoit et qu'ainsi ils ne pouvoient pas me donner de réponse posi rou. Oyapoc est à 50 lieues de la peuplade de Kou 2 C'est sur cette côte qu'est Sinamari, où les déportés du 18 fructidor eurent tant à souffrir. |