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entrelacées les unes dans les autres, et là ils dansent tout le jour en désordre et boivent longs traits la liqueur enivrante dont je viens de parler. La fin de ces sortes de fêtes est presque toujours tragique : elles ne se terminent guère que par la mort de plusieurs de ces insensés et par d'autres actions indignes de l'homme raisonnable.

Quoiqu'ils soient sujets à des infirmités presque continuelles, ils n'y apportent toutefois aucun remède. Ils ignorent même la vertu de certaines herbes médicinales, que le seul instinct apprend aux bêtes pour la conservation de leur espèce. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'ils sont fort habiles dans la connoissance des herbes venimeuses, dont ils se servent à toute occasion pour tirer vengeance de leurs ennemis. Ils sont dans l'usage d'empoisonner leurs flèches lorsqu'ils se font la guerre, et ce poison est si subtil que les moindres blessures deviennent mortelles.

L'unique soulagement qu'ils se procurent dans leurs maladies consiste à appeler certains enchanteurs, qu'ils s'imaginent avoir reçu un pouvoir particulier de les guérir. Ces charlatans vont trouver les malades, récitent sur eux quelque prière superstitieuse, leur promettent de jeûner pour leur guérison et de prendre un certain nombre de fois par jour du tabac en fumée, ou bien, ce qui est une insigne faveur, ils sucent la partie mal affectée; après quoi ils se retirent, à condition toutefois qu'on leur paiera libéralement ces sortes de services.

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Ce n'est pas que le pays manque de remèdes propres à guérir tous leurs maux il y en a abondamment et de très-efficaces. Les missionnaires, qui se sont appliqués à connoître les simples qui y croissent, ont composé, de l'écorce de certains arbres et de quelques autres herbes, un antidote admirable contre la morsure des serpens. On trouve presque à chaque pas sur les montagnes de l'ébène et du gayac ; on y trouve aussi de la cannelle sauvage et une autre écorce d'un nom inconnu, qui est très-salutaire à l'estomac et qui apaise sur-le-champ toutes sortes de douleurs.

Il y croît encore plusieurs autres arbres qui distillent des gommes et des aromates propres à résoudre les humeurs, à échauffer et à ramollir, sans parler de plusieurs simples connus en Europe et dont ces peuples ne font nul cas, tels que sont le fameux arbre de quinquina et

une écorce appelée cascarille, qui a la vertu de guérir toutes sortes de fièvres. Les Moxes ont chez eux toute cette botanique sans en faire aucun usage.

Rien ne me fait mieux voir leur stupidité que les ridicules ornemens dont ils croient se parer et qui ne servent qu'à les rendre beaucoup plus difformes qu'ils ne le sont naturellement. Les uns se noircissent une partie du visage et se barbouillent l'autre d'une couleur qui tire sur le rouge. D'autres se percent les lèvres et les narines, et y attachent diverses babioles qui font un spectacle risible. On en voit quelques-uns qui se contentent d'appliquer sur leur poitrine une plaque de métal. On en voit d'autres qui se ceignent de plusieurs fils remplis de grains de verre, mêlés avec les dents et des morceaux de cuir des animaux qu'ils ont tués à la chasse. Il y en a même qui attachent autour d'eux les dents des hommes qu'ils ont égorgés, et plus ils portent de ces marques de leur cruauté, plus ils se rendent respectables à leurs compatriotes. Les moins difformes sont ceux qui se couvrent la tête, les bras et les genoux de diverses plumes d'oiseaux, qu'ils arrangent avec un certain ordre qui a son agrément.

L'unique occupation des Moxes est d'aller à la chasse et à la pêche, ou d'ajuster leur arc et leurs flèches; celle des femmes est de préparer la liqueur que boivent leurs maris et de prendre soin des enfans. Ils ont la coutume barbare d'enterrer les petits enfans quand la mère vient à mourir, et s'il arrive qu'elle enfante deux jumeaux, elle enterre l'un d'eux, alléguant pour raison que deux enfans ne peuvent pas bien se nourrir à la fois.

Toutes ces diverses nations sont presque toujours en guerre les unes contre les autres. Leur manière de combattre est toute tumultuaire; ils n'ont point de chef et ne gardent nulle discipline: du reste, une heure ou deux de combat finit toute la campagne. On reconnoît les vaincus à la fuite; ils font esclaves ceux qu'ils prennent dans le combat, et ils les vendent pour peu de chose aux peuples avec qui ils sont en commerce.

Les enterremens des Moxes se font presque sans aucune cérémonie. Les parens du défunt creusent une fosse; ils accompagnent ensuite le corps en silence ou en poussant des sanglots. Quand il est mis en terre, ils partagent entre

eux sa dépouille, qui consiste toujours en des choses de nulle valeur, et dès lors ils perdent pour jamais la mémoire du défunt.

Ils n'apportent pas plus de cérémonie à leurs mariages. Tout consiste dans le consentement mutuel des parens de ceux qui s'épousent et dans quelques présens que fait le mari au père ou au plus proche parent de celle qu'il veut épouser. On ne comple pour rien le consentement de ceux qui contractent, et c'est une autre coutume établie parmi eux, que le mari suit sa femme partout où elle veut habiter.

Quoiqu'ils admettent la polygamie, il est rare qu'ils aient plus d'une femme, leur indigence neleur permettant pas d'en entretenir plusieurs. Cependant ils regardent l'incontinence de leurs femmes comme un crime énorme, et si quelqu'une s'oublioit de son devoir, elle passe dans leur esprit pour une infâme et une prostituée; souvent même il lui en coûte la vie.

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Tous ces peuples vivent dans une ignorance profonde du vrai Dieu. Il y en a parmi eux qui adorent le soleil, la lune et les étoiles ; d'autres adorent les fleuves; quelques-uns, un prétendu tigre invisible; quelques autres portent toujours sur eux un grand nombre de petites idoles d'une figure ridicule; mais ils n'ont aucun dogme qui soit l'objet de leur créance: ils vivent sans espérance d'aucun bien futur, et s'ils font quelque acte de religion, ce n'est nullement par un principe d'amour la crainte seule en est le principe. Ils s'imaginent qu'il y a dans chaque chose un esprit qui s'irrite quelquefois contre eux et qui leur envoie les maux dont ils sont affligés : c'est pour cela que leur soin principal est d'apaiser ou de ne pas offenser cette vertu secrète, à laquelle, disent ils, il est impossible de résister. Du reste, ils ne font paroitre au dehors aucun culte extérieur et solennel, et parmi tant de nations diverses, on n'en a pu découvrir qu'une ou deux qui usassent d'une espèce de sacrifice.

On trouve pourtant parmi les Moxes deux sortes de ministres pour traiter les choses de la religion. Il y en a qui sont de vrais enchanteurs, dont l'unique fonction est de rendre la santé aux malades; d'autres sont, comme les prêtres, destinés à apaiser les dieux. Les premiers ne sont élevés à ce rang d'honneur qu'après un jeûne rigoureux d'un an pendant lequel ils s'abstiennent de viande et de poisson. Il faut, outre cela, qu'ils aient été blessés par

un tigre et qu'ils se soient échappés de ses griffes : c'est alors qu'on les révère comme des hommes d'une vertu rare, parce qu'on juge de là qu'ils ont été respectés et favorisés du tigre invisible, qui les a protégés contre les efforts du tigre visible avec lequel ils ont combattu.

Quand ils ont exercé long-temps cette fonction, on les fait monter au suprême sacerdoce; mais, pour s'en rendre dignes, il faut encore qu'ils jeûnent une année entière avec la même rigueur et que leur abstinence se produise au dehors par un visage hâve et exténué alors on presse certaines herbes fort piquantes pour en tirer le suc qu'on leur répand dans les yeux, ce qui leur fait souffrir des douleurs très-aiguës, et c'est ainsi qu'on leur imprime le caractère du sacerdoce. Ils prétendent que par ce moyen leur vue s'éclaircit, ce qui fait qu'ils donnent à ces prêtres le nom de tiharaugui, qui signifie en leur langue celui qui a les yeux clairs.

A certains temps de l'année et surtout vers la nouvelle lune, ces ministres de Satan rassemblent les peuples sur quelque colline un peu éloignée de la bourgade. Dès le point du jour, tout le peuple marche vers cet endroit en silence; mais quand il est arrivé au terme, il rompt tout-à-coup ce silence par des cris affreux : c'est, disent-ils, afin d'attendrir le cœur de leurs divinités. Toute la journée se passe dans le jeûne et dans ces cris confus, et ce n'est qu'à l'entrée de la nuit qu'ils les finissent par les cérémonies suivantes :

Leurs prêtres commencent par se couper les cheveux (ce qui est parmi ces peuples le signe d'une grande allégresse) et par se couvrir le corps de différentes plumes jaunes et rouges. Ils font apporter ensuite de grands vases, où l'on verse la liqueur enivrante qui a été préparée pour la solennité : ils la reçoivent comme des prémices offertes à leurs dieux, et après en avoir bu sans mesure, ils l'abandonnent à tout le peuple, qui, à leur exemple, en boit aussi avec excès. Toute la nuit est employée à boire et à danser un d'eux entonne la chanson, et tous formant un grand cercle se mettent à trafner les pieds en cadence et à pencher nonchalamment la tête de côté et d'autre avec des mouvemens de corps indécens, car c'est en quoi consiste toute leur danse. On est censé plus dévot et plus religieux à proportion qu'on

fait plus de ces folies et de ces extravagances. Enfin, ces sortes de réjouissances finissent d'ordinaire, comme je l'ai déjà dit, par des blessures ou par la mort de plusieurs d'entre eux.

Ils ont quelque connoissance de l'immortalité de nos âmes; mais cette lumière est si fort obscurcie par les épaisses ténèbres dans les quelles ils vivent qu'ils ne soupçonnent pas même qu'il y ait des châtimens à craindre ou des récompenses à espérer dans l'autre vie: aussi ne se mettent-ils guère en peine de ce qui doit leur arriver après leur mort.

Toutes ces nations sont distinguées les unes des autres par les diverses langues qu'elles parlent on en compte jusqu'à trente-neuf différentes, qui n'ont pas le moindre rapport entre elles. Il est à présumer qu'une si grande variété de langage est l'ouvrage du démon, qui a voulu mettre cet obstacle à la promulgation de l'Evangile et rendre par ce moyen la conversion de ces peuples plus difficile.

C'étoit en vue de les conquérir au royaume de Jésus-Christ que les premiers missionnaires jésuites établirent une église à Sainte-Croix-dela-Sierra, afin qu'étant à la porte de ces terres infidèles, ils pussent mettre à profit la première occasion qui s'offriroit d'y entrer. Leur attention et leurs efforts furent inutiles pendant près de cent ans cette gloire étoit réservée au père Cyprien Baraze, et voici comment la chose arriva.

Le frère del Castillo, qui demeuroit à SainteCroix-de-la-Sierra, s'étant joint à quelques Espagnols qui commerçoient avec les Indiens, avança assez avant dans les terres. Sa douceur et ses manières prévenantes gagnèrent les principaux de la nation, qui lui promirent de le recevoir chez eux. Transporté de joie, il partit aussitôt pour Lima afin d'y faire connnoître l'espérance qu'il y avoit de gagner ces barbares à Jésus-Christ.

Il y avoit long-temps que le père Baraze pressoit ses supérieurs de le destiner aux missions les plus pénibles. Ses désirs s'enflammèrent encore quand il apprit la mort glorieuse des pères Nicolas Mascardi et Jacques-Louis de Sanvitores, qui, après s'être consumés de travaux, l'un dans le Chili et l'autre dans les îles Mariannes, avoient eu tous deux le bonheur de sceller de leur sang les vérités de la foi qu'ils avoient prêchées à un grand nombre d'infidèles. Le père Baraze renouvela donc

ses instances, et la nouvelle mission des Moxes lui échut en partage'.

Ce fervent missionnaire se mit aussitôt en chemin pour Sainte-Croix-de-la-Sierra avec le frère del Castillo. A peine y furent-ils arrivés qu'ils s'embarquèrent sur la rivière de Guapay, dans un petit canot fabriqué par les gentils du pays, qui leur servirent de guides. Ce ne fut qu'après douze jours d'une navigation trèsrude et pendant laquelle ils furent plusieurs fois en danger de périr qu'ils abordèrent au pays des Moxes. La douceur et la modestie de l'homme apostolique et quelques petits présens qu'il fit aux Indiens, d'hameçons, d'aiguilles, de grains de verre et d'autres choses de celle nature, les accoutumèrent peu à peu à sa pré

sence.

Pendant les quatre premières années qu'il demeura au milieu de cette nation, il cut beaucoup à souffrir soit de l'intempérie de l'air qu'il respiroit sous un nouveau climat, ou des inondations fréquentes accompagnées de pluies presque continuelles et de froids piquans, soit de la difficulté qu'il eut à apprendre la langue, car, outre qu'il n'avoit ni maître ni interprète, il avoit affaire à des peuples si grossiers qu'ils ne pouvoient même lui nommer ce qu'il s'efforçoit de leur faire entendre par signe, soit enfin de l'éloignement des peuplades qu'il lui falloit parcourir à pied, tantôt dans des pays marécageux et inondés, tantôt dans des terres brûlantes, toujours en danger d'être sacrifié à la fureur des barbares, qui le recevoient l'arc et les flèches en main, et qui n'étoient retenus que par cet air de douceur qui éclatoit sur son visage: tout cela joint à une fièvre quarte qui le tourmenta toujours depuis son entrée dans le pays avojt tellement ruiné ses forces qu'il n'avoit plus d'espérance de les recouvrer que par le changement d'air. C'est ce qui lui fit prendre la résolution de retourner à Sainte-Croix

La province de Moxos faisait partie de la viceroyauté de la Plata; elle est maintenant comprise dans la république Bolivia.

Elle a 120 lieues du nord au sud, sur autant de l'est

à l'ouest.

On y a introduit la culture de toutes sortes de plantes utiles et qui demandent de la chaleur : maïs, cannes à sucre, arbre à pain, riz, cacao, poivre vert, colon, gayac, cannelle, quinquina.

Mais il y a encore d'immenses forêts qui sont peuplées de sangliers, d'ours et de tigres.

Éloigné de corps de ses chers Indiens, il les avoit sans cesse présens à l'esprit : il pensoit continuellement aux moyens de les civiliser, car il falloit en faire des hommes avant que d'en faire des chrétiens. C'est dans cette vue que, dès les premiers jours de sa convalescence, il se fit apporter des outils de tisserand et apprit à faire de la toile afin de l'enseigner ensuite à quelques Indiens et de les faire travailler à des vêtemens de coton pour couvrir ceux qui recevoient le baptême, car ces infidèles ont coutume d'aller presque nus.

de-la-Sierra, où en effet il ne fut pas long- | Vierge, celle circonstance lui fit naître la pentemps à rétablir sa santé. sée de mettre sa nouvelle mission sous la protection de la mère de Dieu et on l'a appelée depuis ce temps-là la mission de Notre-Dame-de-Lorette. Le père Cyprien employa cinq ans à cultiver et à augmenter cette chrétienté naissante : elle étoit composée de plus de deux mille néophytes, lorsqu'il lui arriva un nouveau secours de missionnaires. Ce surcroft d'ouvriers évangéliques vint à propos pour aider le saint homme à exécuter le dessein qu'il avoit formé de porter la lumière de l'Evangile dans toute l'étendue de ces terres idolâtres. Il leur abandonna aussitôt le soin de son église pour aller à la découverte d'autres nations auxquelles il pût annoncer Jésus-Christ. Il fixa d'abord sa demeure dans une contrée assez éloignée, dont les habitans ne sont guère capables de sentimens d'humanité et de religion. Ils sont répandus dans toute l'étendue du pays et divisés en une infinité de cabanes fort éloignées les unes des autres. Le peu de rapport qu'ont ensemble ces familles ainsi dispersées a produit entre elles une haine implacable, ce qui étoit un obstacle presque invincible à leur réunion.

Le repos qu'il goûta à Sainte-Croix-de-laSierra ne fut pas de longue durée. Le gouverneur de la ville s'étant persuadé que le temps éloit venu d'entreprendre la conversion des Chiriguanes, engagea les supérieurs à y envoyer le père Cyprien. Ces Indiens vivent épars çà et là dans le pays et se partagent en diverses petites peuplades, comme les Moxes; leurs coutumes sont aussi les mêmes, à la réserve qu'on trouve parmi eux quelque forme de gouverment ce qui faisoit juger au missionnaire qu'étant plus policés que les Moxes, ils seroient aussi plus traitables. Cette espérance lui adoucit les dégoûts qu'il eut à vaincre dans leur langue; en peu de mois il en sut assez pour se faire entendre et pour commencer ses instructions; mais la manière indigne dont ils reçurent les paroles de salut qu'il leur annonçoit, le força d'abandonner une nation si corrompue. Il obtint de ses supérieurs la permission qu'il leur demanda de retourner chez les Moxes, qui, en comparaison des Chiriguanes, lui paroissoient bien moins éloignés du royaume de Dieu.

En effet, il les trouva plus dociles qu'auparavant, et peu à peu il gagna entièrement leur confiance. Revenus de leurs préjugés, ils connurent enfin l'excès d'aveuglement dans lequel ils avoient vécu. Ils s'assemblèrent au nombre de six cents pour vivre sous la conduite du missionnaire, qui eut la consolation, après huit ans et six mois de travaux, de voir une chrétienté fervente formée par ses soins. Comme il leur conféra le baptême le jour qu'on célèbre la fête de l'Annonciation de la sainte

'Chiriguanes, au sud des Chiquitos, peuples du Paraguay, contrée de Chaco, république Argentine.

La charité ingénieuse du père Cyprien lui fit surmonter toutes ces difficultés. S'étant logé chez un de ces Indiens, de là il parcourut toutes les cabanes d'alentour: il s'insinua peu à peu dans l'esprit de ces peuples par ses manières douces et honnêtes et il leur fit goûter insensiblement les maximes de la religion, bien moins par la force du raisonnement, dont ils étoient incapables, que par un certain air de bonté dont il accompagnoit ses discours. Il s'asseyoit à terre avec eux pour les entretenir ; il imitoit jusqu'aux moindres mouvemens et aux gestes les plus ridicules, dont ils se servent pour exprimer les affections de leur cœur; il dormoit au milieu d'eux, exposé aux injures de l'air, et sans se précautionner contre la morsure des mosquites. Quelque dégoûtans que fussent leurs mels, il ne prenoit ses repas qu'avec eux. Enfin, il se fit barbare avec ces barbares pour les faire entrer plus aisément dans les voies du salut.

Le soin qu'eut le missionnaire d'apprendre un peu de médecine et de chirurgie fut un autre moyen qu'il mit en usage pour s'attirer l'estime et l'affection de ces peuples. Quand ils étoient malades, c'étoit lui qui préparoit leurs médecines, qui lavoit et pansoit leurs plaies,

qui nettoyoit leurs cabanes, et il faisoit tout cela avec un empressement et une affection qui les charmoit. L'estime et la reconnoissance les portèrent bientôt à entrer dans toutes ses vues; ils n'eurent plus de peine à abandonner leurs premières habitations pour le suivre. En moins d'un an, s'étant rassemblés jusqu'au nombre de plus de deux mille, ils formèrent une grande bourgade, à laquelle on donna le nom de la Sainte-Trinitė.

Le père Cyprien n'en demeura pas là. Comme les arts pouvoient contribuer au dessein qu'il avoit de les civiliser, il trouva le secret de leur faire apprendre ceux qui sont le plus nécessaires. On vit bientôt parmi eux des laboureurs, des charpentiers, des tisserands et d'autres ouvriers de cette nature, dont il est inutile de faire le détail.

Mais à quoi le saint homme pensa davantage, ce fut à procurer des alimens à ce grand peuple qui s'augmentoit chaque jour. Il craignoit avec raison que la stérilité du pays obligeant ses néophytes à s'absenter de temps en temps de la peuplade pour aller chercher de quoi vivre sur les montagnes éloignées, ils ne perdissent peu à peu les sentimens de religion qu'il avoit eu tant de peine à leur inspirer. De plus, il fit réflexion que les missionnaires qui viendroient dans la suite cultiver un champ si vaste n'auroient pas tous des forces égales à leur zèle, et que plusieurs d'entre eux succomberoient sous le poids du travail s'ils n'avoient pour tout aliment que d'insipides racines. Dans cette vue, il songea à peupler le pays de taureaux et de vaches, qui sont les seuls animaux qui puissent y vivre et s'y multiplier. Il falloit les aller chercher bien loin et par des chemins difficiles. Les difficultés ne l'arrêtèrent point. Plein de confiance dans le Seigneur, il part pour Sainte

Le père Cyprien s'employa tout entier à les instruire des vérités de la foi. Comme il avoit le talent de se rendre clair et intelligible aux esprits les plus grossiers, la netteté avec laquelle il leur développa les mystères et les points les plus difficiles de la religion les mit bientôt en état d'être régénérés par les eaux du baptême. En embrassant le christianisme, ils devinrent comme d'autres hommes, ils prirent d'autres mœurs et d'autres coutumes et s'assujettirent volontiers aux lois les plus austères de la religion leur dévotion éclatoit surtout dans ce saint temps auquel on célèbre le mystère des souffrances du Sauveur; on ne pouvoit guère retenir ses larmes quand on voyoit celles que répandoient ces nouveaux fidèles et les pénitences extraordinaires qu'ils faisoient ils ne manquoient aucun jour d'assister au sacrifice redoutable de nos autels; et ce qu'il y eut d'admirable, vu leur grossièreté, c'est que le mis-Croix-de-la-Sierra, il rassemble jusqu'à deux sionnaire vint à bout, par sa patience, d'apprendre à plusieurs d'entre eux à chanter en plein chant le cantique Gloria in excelsis, le Symbole des Apôtres et tout ce qui se chante aux messes hautes.

Ces peuples étant ainsi réduits sous l'obéissance de Jésus-Christ, le missionnaire crut devoir établir parmi eux une forme de gouvernement, sans quoi il y avoit à craindre que l'indépendance dans laquelle ils étoient nés ne les replongeât dans les mêmes désordres auxquels ils étoient sujets avant leur conversion. Pour cela il choisit parmi eux ceux qui étoient le plus en réputation de sagesse et de valeur, et il en fit des capitaines, des chefs de famille, des consuls et d'autres ministres de la justice pour gouverner le reste du peuple. On vit alors ces hommes, qui auparavant ne souffroient aucune domination, obéir volontiers à de nouvelles puissances et se soumettre sans peine aux plus sévères châtimens, dont leur fautes étoient punies.

cents de ces animaux, il prie quelques Indiens de l'aider à les conduire, il grimpe les montagnes, il traverse les rivières, poursuivant toujours devant lui ce nombreux troupeau qui s'obstinoit à retourner vers le lieu d'où il venoit : il se vit bientôt abandonné de la plupart des Indiens de sa suite, à qui les forces et le courage manquèrent; mais sans se rebuter il continua toujours de faire avancer cette troupe d'animaux, étant quelquefois dans la boue jusqu'aux genoux, et exposé sans cesse ou à perdre la vie par les mains des barbares, ou à être dévoré par les bêtes féroces. Enfin, après cinquantequatre jours d'une marche pénible, il arriva à sa chère mission avec une partie du troupeau qu'il avoit fait partir de Sainte-Croix-de-la-Sierra. Dieu bénit le dessein charitable du missionnaire. Ce petit troupeau s'est tellement accru en peu d'années qu'il y a maintenant dans le pays plusieurs de ces animaux et beaucoup plus qu'il n'en faut pour nourrir les habitans des peuplades chrétiennes.

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