Après avoir pourvu aux besoins de ses chers néophytes, il ne lui restoit plus que d'élever un temple à Jésus-Christ, car il souffroit avec peine que les saints mystères se célébrassent dans une pauvre cabane, qui n'avoit d'église que le nom qu'il lui en avoit donné. Mais pour exécuter ce projet il falloit qu'il mit la main à l'œuvre el qu'il apprit lui-même à ces Indiens la manière de construire un édifice tel qu'il l'avoit imaginé. Il en appela plusieurs, il ordonna aux uns de couper du bois, il apprit aux autres à cuire la terre et à faire de la brique; il fit faire du ciment à d'autres ; enfin, après quelques mois de travail, il eut la consolation de voir son ouvrage achevé. Quelques années après, l'église n'étant pas assez vaste pour contenir la multitude des fidèles, il en bâtit une autre beaucoup plus grande et plus belle. Ce qu'il y eut d'étonnant, c'est que cette nouvelle église fut élevée comme la première, sans aucun des instrumens nécessaires pour la construction de semblables édifices, et sans que d'autre architecte que luimême présidât à un si grand ouvrage. Les gentils accouroient de toutes parts pour voir cette merveille ils en étoient frappés jusqu'à l'admiration, et par la majesté du temple qu'ils admiroient, ils jugeoient de la grandeur du Dieu qu'on y adoroit. Le père Cyprien en fit la dédicace avec beaucoup de solennité : il y eut un grand concours de chrétiens et d'idolâtres qui furent aussi touchés d'une cérémonie si auguste qu'édifiés dans la piété d'un grand nombre de catéchumènes que le missionnaire baptisa en leur présence. Ces deux grandes peuplades étant formées, toutes les pensées du père Cyprien se tournèrent vers d'autres nations. Il savoit, par le rapport qui lui en avoit été fait, qu'en avançant vers l'orient, on trouvoit un peuple assez nombreux; il partit pour en faire la découverte, et après avoir marché pendant six jours sans trouver aucune trace d'homme, enfin le septième il découvrit une nation qu'on nomme la'nation des Coseremoniens. Il employa pour leur conversion les mêmes moyens dont il s'étoit déjà servi avec succès pour former des peuplades parmi les Moxes, et il sut si bien les gagner en peu de temps que les missionnaires qui vinrent dans la suite les engagèrent sans peine à quitter le lieu de leur demeure pour se transporter à trente lieues de là et y fonder une grande peuplade, qui s'appelle la peuplade de Saint-Xavier. Le saint homme, qui avançoit toujours dans les terres, ne fut pas long-temps sans découvrir encore un peuple nouveau. Après quelques journées de marche, il se trouva au milieu de la nation des Cirioniens. Du plus loin que ces barbares l'aperçurent, ils prirent en main leurs flèches; ils se préparoient déjà à tirer sur lui et sur les néophytes qui l'accompagnoient; mais la douceur avec laquelle le père Cyprien les aborda leur fit tomber les armes des mains. Le missionnaire demeura quelque temps parmi eux, et ce fut en parcourant leurs diverses habitations qu'il eut connoissance d'une nation qu'on appelle la nation des Guarayens. Ce sont des peuples qui se sont rendus redoutables à toutes les autres nations par leur férocité naturelle et par la coutume barbare qu'ils ont de se nourrir de chair humaine. Ils poursuivent les hommes à peu près de la même manière qu'on va à la chasse des bêtes; ils les prennent vivans, s'ils peuvent, ils les entraînent avec eux et ils les égorgent l'un après l'autre, à mesure qu'ils se sentent pressés de la faim. Ils n'ont point de demeure fixe, parce que, disent-ils, ils sont sans cesse effrayés par les cris lamentables des âmes dont ils ont mangé le corps. Ainsi errans et vagabonds dans toutes ces contrées, ils répandent partout la consternation et l'effroi. Une poignée de ces barbares se trouva sur le chemin du père Cyprien. Les néophytes, s'apercevant à leur langage qu'ils étoient d'une nation ennemie de toutes les autres, se préparoient à leur ôter la vie, et ils l'eussent fait si le missionnaire ne les eût arrêtés en leur représentant qu'encore que ces hommes méritassent d'expier par leur mort tant de cruautés qu'ils exerçoient sans cesse, la 'vengeance néanmoins ne convenoit ni à la douceur du christianisme ni au dessein qu'on se proposoit de pacifier et de réunir toutes les nations des gentils; que ces excès d'inhumanité se corrigeroient à mesure qu'ils ouvriroient les yeux à la lumière de l'Évangile, et qu'il valoit mieux les gagner par des bienfaits que de les aigrir par des châtimens. Se tournant du côté de ces barbares, il les combla de caresses, et eux, par reconnoissance, le conduisirent dans leurs peuplades, où il fut reçu avec de grandes marques d'affection. C'est là qu'on lui fit connottre de plusieurs autres nations du voisinage, entre autres celles des Tapacures et des Baures. Le missionnaire profita du bon accueil que lui firent des peuples si féroces pour leur inspirer de l'horreur de leurs crimes: ils parurent touchés de ses discours et promirent tout ce qu'il voulut ; mais à peine l'eurent-ils perdu de vue qu'ils oublièrent leurs promesses et reprirent leurs premières inclinations. Dans un autre voyage que le père fit dans leur pays, il vit entre leurs mains sept jeunes Indiens qu'ils étoient prêts d'égorger pour se repaître de leur chair. Le saint homme les conjura avec larmes de s'abstenir d'une action si barbare, et eux, de leur côté, engagèrent leur parole de manière à ne laisser aucun doute qu'ils ne la gardassent. Mais il fut bien surpris à son retour de voir la terre jonchée des ossemens de quatre de ces malheureux qu'ils avoient déjà dévorés. ques néophytes pour cette pénible expédition, portant sur lui quelques provisions de bouche pour subsister dans ces vasles déserts, et les outils nécessaires pour s'ouvrir un passage à travers les montagnes. Il courut beaucoup de dangers et eut bien à souffrir pendant trois années qu'il s'efforça inutilement de découvrir cette route qu'il cherchoit. Tantôt il s'égaroit dans les lieux qui n'étoient pratiqués que par des bêtes farouches, et que d'épaisses forêts et des rochers escarpés rendoient inaccessibles. Tantôt il se trouvoit au haut des montagnes, transi de froid, tout percé des pluies, qui tomboient en abondance, ne pouvant presque se soutenir sur un terrain fangeux et glissant, et voyant à ses pieds de profonds abîmes couverts de bois, sous lesquels on entendoit couler des torrens avec un bruit impétueux. Souvent épuisé de fatigue, et ayant consommé ses provisions, il se vit sur le point de périr de faim et de misère. L'expérience de tant de périls ne l'empêcha pas de faire une dernière tentative l'année suivante, et ce fut alors que Dieu couronna sa constance par l'accomplissement de ses désirs. Après bien de nouvelles fatigues soutenues avec un courage égal, lorsqu'il se croyoit tout Saisi de douleur à ce spectacle, il prit les trois qui restoient et les emmena avec lui à son église de la Trinité, où, après avoir été instruits des vérités de la foi, ils reçurent le baptême. Quelque temps après, ces nouveaux fidèles allèrent visiter des peuples si cruels, et mellant en œuvre tout ce qu'un zèle ardent leur inspiroit pour les convertir, il les engagé-à-fait égaré, il traversa comme au hasard un rent peu à peu à venir fixer leur demeure parmi les Moxes. Comme le christianisme s'étendoit de plus en plus par la découverte de tant de peuples différens qui se soumettoient au joug de la foi, on songcoit à faire venir un plus grand nombre d'ouvriers évangéliques. L'éloignement de Lima et des autres villes espagnoles étoit un grand obstacle à ce dessein. Les missionnaires avoient souvent conféré ensemble sur les moyens de faciliter la communication si nécessaire entre ces terres idolâtres et les villes du Pérou. Ils désespéroient d'y réussir, lorsque le père Cyprien s'offrit de tenter une entreprise qui paroissoit impossible. Il avoit ouï dire qu'en traversant celle longue file de montagnes qui est vers la droite du Pérou il se trouvoit un petit sentier qui abrégeoit extraordinairement le chemin, et qu'une troupe d'Espagnols commandée par Don Quiroga avoit commencé de s'y frayer un passage les années précédentes. Il ne lui en fallut pas davantage pour prendre sur lui le soin de découvrir cette route inconnue. Il part avec quel bois épais et arriva sur la cime d'une montagne, dont il aperçut enfin la terre du Pérou. Il se prosterna aussitôt le visage contre terre, pour en remercier la bonté divine, et il n'eut pas plus tôt achevé sa prière qu'il envoya annoncer une si agréable nouvelle au collège le plus proche. On peut juger avec quels applaudissemens elle fut reçue, puisque, pour entrer chez les Moxes, il ne falloit plus que quinze jours de chemin par la nouvelle route que le père Cyprien venoit de tracer. On ne doit pas oublier ici l'exemple singulier de détachement et de mortification que donna le missionnaire. Il se voyoit près d'une des maisons de sa compagnie, il étoit naturel qu'il allât réparer, sous un ciel plus doux, des forces que tant de travaux avoient consumées : son inclination même le portait à aller revoir ses anciens amis après une absence de vingtquatre ans, surtout n'ayant point d'ordre contraire de ses supérieurs ; mais il crut qu'il seroit plus agréable à Dieu de lui en faire un sacrifice, et sur-le-champ il retourna à sa mission par le nouveau chemin qu'il avoit frayé avec tant de peines, se dérobant par là aux applaudissemens que méritoit le succès de son entreprise. Quand il se vit au milieu de ses chers néophytes, loin de prendre les petits soulagemens qu'ils vouloient lui procurer et dont après tant de fatigues il avoit si grand besoin, il ne songea qu'à aller découvrir la nation des Tapacures', qui lui avoit été indiquée par les Guarayens. Ces peuples étoient autrefois mêlés parmi les Moxes, avec qui ils ne faisoient qu'une même nation. Mais les dissensions qui s'élevèrent entre eux furent une semence de guerres continuelles, qui obligèrent enfin les Tapacures à s'en séparer pour aller habiter une autre contrée à quarante lieues environ de distance, vers une suite de montagnes qui vont de l'orient au nord. Leurs mœurs sont à peu près les mêmes que celles des Moxes gentils, dont ils tirent leur origine, à la réserve qu'ils ont moins de courage et qu'ayant le corps bien plus souple et plus leste, ils ne se défendent guère de ceux qui les attaquent que par la vilesse avec laquelle ils disparoissent à leurs yeux. Le père Cyprien alla donc visiter ces infidèles: il les trouva si dociles qu'après quelques entretiens, ils lui promirent de recevoir les missionnaires qui leur seroient envoyés et d'aller habiter les terres qu'on leur destineroit. Il eut même la consolation d'en baptiser plusieurs qui étoient sur le point d'expirer. Enfin, ce fut par leur moyen qu'il eut quelque connoissance du pays des Amazones. Tous lui dirent que vers l'orient il y avoit une nation de femmes belliqueuses; qu'à certain temps de l'année elles reçoivent des hommes chez elles; qu'elles tuoient les enfans mâles qui en naissoient; qu'elles avoient grand soin d'élever les filles, et que de bonne heure elles les endurcissoient aux travaux de la guerre. Mais la découverte la plus importante et qui fit le plus de plaisir au père Cyprien fut celle des Baures. Cette nation est plus civilisée que celle des Moxes; leurs bourgades sont fort nombreuses; on y voit des rues et des places d'armes où leurs soldats font l'exercice : cha que bourgade est environnée d'une bonne palissade, qui la met à couvert des armes qui sont en usage dans le pays; ils dressent des espèces de trappes dans les grands chemins, qui arrêtent tout court leurs ennemis. Dans les combats ils se servent d'une sorte de boucliers faits de cannes entrelacées les unes dans les autres et revêtues de coton et de plumes de diverses couleurs, qui sont à l'épreuve des flèches. Ils font choix de ceux qui ont le plus de valeur et d'expérience pour en faire des capitaines à qui ils obéissent. Leurs femmes portent toutes des habits décens. Ils reçoivent bien leurs hôtes une de leurs cérémonies est d'étendre à terre une grande pièce de coton, sur laquelle ils font asseoir celui à qui ils veulent faire honneur. Le terroir paroît aussi y être plus fertile que partout ailleurs on y voit quantité de collines, ce qui fait croire que le blé, le vin et les autres plantes d'Europe y croîtroient facilement, pour peu que la terre y fùt cultivée. Le père Cyprien pénétra assez avant dans ce pays et parcourut un grand nombre de bourgades; partout il trouva des peuples dociles en apparence et qui paroissoient goûter la loi nouvelle qu'il leur annonçoit. Ce succès le remplissoit de consolation; mais sa joie fut bientôt troublée. Deux néophytes qui l'accompagnoient entendirent, durant la nuit, un grand bruit de tambours dans une peuplade qu'ils n'avoient pas encore visitée. Saisis de frayeur, ils pressèrent le missionnaire de fuir au plus vite, tandis qu'il en étoit encore temps, parce que, selon la connoissance qu'ils avoient des coutumes du pays et du génie léger et inconstant de la nation, ce bruit des tambours et ce mouvement des Indiens armés présageoient quelque chose de funeste pour eux. Le père Cyprien s'aperçut alors qu'il s'étoit livré entre les mains d'un peuple ennemi de la loi sainte qu'il prêchoit, et ne doutant point qu'on n'en voulût à sa vie, il en fit le sacrifice au Seigneur pour le salut de ces barbares. A peine eut-il avancé quelques pas pour condescendre à la foiblesse de ses néophytes qu'il rencontra une compagnie de Baures armés de haches, d'arcs et de flèches; ils le menacérent de loin et le chargèrent d'injures, en décochant sur lui quantité de flèches qui furent d'abord sans effet à cause de la trop grande distance; mais ils hâtèrent le pas, et le père se sentit blessé au bras et à la cuisse. Les néophytes épouvantés s'enfuirent hors de la portée des flèches, et les Baures ayant atteint le saint hommes se jetèrent sur lui avec fureur et le percèrent de plusieurs coups, tandis qu'il invoquoit les saints noms de Jésus et de Marie et qu'il offroit son sang pour la conversion de ceux qui le répandoient d'une manière si cruelle. Enfin, un de ces barbares lui arrachant la croix qu'il tenoit en main, lui déchargea sur la tête un grand coup de hache dont il expira sur l'heure. Ainsi mourut le père Cyprien Baraze, le 16 de septembre de l'année 1702, qui étoit la soixante-unième de son âge, après avoir employé vingt-sept ans et deux mois et demi à la conversion des Moxes. Sa mort arriva le même jour qu'on célèbre celle des saints Corneille et Cyprien; Dieu permit que portant le nom d'un de ces saints martyrs, et s'étant consacré aux mêmes fonctions pendant sa vie, il fût récompensé de ses travaux par une mort semblable. Il s'étoit disposé à une fin si glorieuse par l'exercice des plus héroïques vertus. L'amour dont il brûloit pour Dieu, et son zèle ardent pour le salut des âmes ne lui faisoient trouver rien d'impossible; sa mortification alloit jusqu'à l'excès. Outre les disciplines sanglantes et un rude cilice dont il étoit presque toujours couvert, sa vie étoit un jeune perpétuel; il ne vivoit dans tous ses voyages que de racines qui croissent dans le pays; c'étoit beaucoup lorsqu'il y ajoutoit quelque morceau de singe enfumé que les Indiens lui donnoient quelquefois par aumône. Son sommeil ne dura jamais plus de quatre heures; quand une fois il eut bâti son église, il le prenoit toujours assis au pied de l'autel. Dans ses courses presque continuelles, il dormoit à l'air, sans se précautionner contre les pluies fréquentes ni contre le froid, qui est quelquefois très-piquant. Les missionnaires ont coutume, quand ils naviguent sur les rivières, de se servir d'un parasol pour se mettre à couvert des rayons de feu que le soleil darde à plomb dans un pays si voisin de la zone torride. Pour lui il ne voulut jamais prendre un soulagement si néces saire. On sait combien la persécution des mosquites est insupportable; il y en a quelquefois dans ces terres une quantité si prodigieuse que l'air en est obscurci comme d'une nue épaisse; le père Cyprien refusa constamment de se mettre en garde contre leurs morsures. Les bas sentimens qu'il avoit de lui-même l'avoient rendu comme insensible aux injures et aux outrages qu'il eut souvent à souffrir des Indiens. Il y en eut parmi eux qui en vinrent jusquà le traiter de fou et d'insensé. Le serviteur de Dieu ne répondoit que par les bons offices qu'il leur rendoit. Cet excès de bonté ne fut pas même du goût de quelques-uns des missionnaires; ils se crurent obligés de l'avertir que des chrétiens qui respectoient si peu son caractère étoient punissables; que le génie des Indiens les portoit naturellement à abuser d'une telle condescendance et que sa patience ne serviroit qu'à les rendre plus insolens. Le saint homme avait bien d'autres pensées. Il leur répondoit avec sa douceur ordinaire que Dieu saurait bien trouver d'autres moyens de le maintenir dans l'autorité qui lui étoit nécessaire pour traiter avec ces peuples, et que l'amour des croix et des humiliations étant l'esprit de l'Évangile qu'il leur annonçoit, il ne pouvoit trop leur enseigner par son exemple cette philosophie toute divine. C'étoit dans l'oraison qu'il puisoit une force si extraordinaire; malgré la multitude de ses occupations, il passoit plusieurs heures du jour et de la nuit en prières ; la piété avec laquelle il célébroit le saint sacrifice de la messe en donnoit à tous les assistans; les tendres sentimens de sa dévotion envers la mère de Dieu en inspiroient de semblables à ses néophytes; il avoit composé plusieurs cantiques en son honneur, que ces peuples chantoient continuellement; on n'entendoit guère autre chose dans les chemins et dans les places publiques. Leur piété envers cette mère des miséricordes est si bien établie qu'ils ne manquent jamais d'approcher des sacremens toutes les fois qu'on célèbre quelqu'une de ses fêtes. Tant de vertus de l'homme apostolique furent récompensées, non-seulement par une mort précieuse, mais encore par la consolation que Dieu lui donna de voir une chrétienté nombreuse et florissante, toute formée de ses mains. Il avoit baptisé lui seul plus de quarante mille idolâtres; il avoit trouvé des hommes dépourvus de tout sentiment d'humanité et plus féroces que les bêtes mêmes, et il laissoit un grand peuple civilisé et rempli des plus hauts senti mens de piété et de religion. Il n'étoit entré | mois entier, nous continuâmes notre route, et, après trois mois de navigation, nous nous trouvâmes environ à soixante lieues du détroit de Magellan, que nous voulions passer pour entrer dans la mer du Sud. dans ces vastes contrées qu'avec un compagnon, et il laissoit après lui plus de trente missionnaires héritiers de ses vertus et de son zèle. Plaise au Seigneur de donner à son église un grand nombre d'ouvriers évangéliques qui retracent la vie et les vertus du père Cyprien Baraze et qui, à son exemple, agrandissent le royaume de Jésus-Christ parmi tant de nations infidèles! La protection dont vous honorez tous les missionnaires de notre compagnie et le zèle avec lequel vous procurez les progrès de la foi dans les pays les plus éloignés nous obligent de vous en marquer notre reconnoissance. C'est pour m'acquitter de ce devoir et pour vous rendre compte de notre voyage de la Chine, dont nous n'avons encore fait que la moitié, que je prends la liberté de vous écrire. Comme dans ce temps de guerre les Anglois et les Hollandois nous fermoient le passage des détroits de la Sonde et de Mataque, qu'il faut passer l'un ou l'autre en faisant la route des Indes par l'orient, on a jugé plus à propos, pour éviter ce danger, de nous faire prendre le chemin du détroit de Magellan et de la mer du Sud. Ce fut sur la fin de l'année 1703 que nous partimes de Saint-Malo, les pères de Brasses, de Rives, Hébrard et moi, sur deux vaisseaux 1 destinés pour aller à la Chine, et commandés par MM. du Coudray Pérée et Fouquet, hommes habiles et fort expérimentés dans la navigation. Nous mêmes à la voile le 26 de décembre avec un vent favorable, qui nous conduisit en quinze jours aux Canaries, que nous ne fimes que reconnoître. Après avoir souffert des calmes fâcheux sous la ligne pendant un Le Saint-Charles et le Murinet. Il me paroît assez inutile de vous faire une description de ce fameux détroit, dont Ferdinand Magellan, si célèbre par ses voyages autour du monde, fit la première découverte il y a près de deux cents ans. J'ai mieux aimé vous envoyer un plan correct et fidèle, fait sur les dernières observations, qui sont beaucoup plus exactes que les précédentes. Nous étions déjà entrés dans le premier canal de la baie Grégoire, lorsqu'il survint tout-à-coup un vent si impétueux qu'il nous rompit successivement quatre câbles et nous fit perdre deux ancres. Nous nous trouvâmes en danger de faire naufrage; mais Dieu, sensible à nos prières et å nos veux,youlut bien nous en délivrer pour nous réserver, comme nous l'espérons, a de plus rudes épreuves et à souffrir une mort plus glorieuse pour la gloire de son nom et pour la défense de notre sainte religion. Pendant quinze jours que nous restâmes dans ce premier canal pour chercher les ancres que nous avions perdues, et pour faire de l'eau dans une rivière que M. Baudran de Bellestre, un de nos officiers, découvrit et à laquelle il donna son nom, j'eus le plaisir de descendre quelquefois à terre pour y glorifier le Seigneur dans cette partie du monde où l'Évangile n'a point encore pénétré. Cette terre est rase et unie, entrecoupée de petites collines. Le terroir me parut assez bon et assez propre pour être cultivé. Il y a bien de l'apparence que c'est en ce lieu, le moins large du détroit, que les Espagnols, sous le règne de Philippe II, bâtirent la forteresse de Nombre de Dios, quand ils formèrent la téméraire et inutile entreprise de fermer aux autres nations le pas sage de Magellan en y bâtissant deux villes. Ils envoyèrent à ce dessein une nombreuse flotte sous la conduite de Sarmiento; mais la tempête l'ayant battue et dissipée, ce capitaine arriva au détroit en très-mauvais état. Il batit deux forteresses, l'une à l'entrée du détroit, que je crois être Nombre de Dios, et l'autre un peu plus avant, qu'il appela la Ciudad del rey Phelipe, apparemment dans le lieu qu'on Ce fut en 1520. |