bon accueil que vous avez fait aux missionnaires de la compagnie de Jésus et la résolution que vous avez prise d'embrasser notre sainte religion. Ainsi, après avoir solennellement rendu grâce à Dieu, souverain du ciel et de la terre, d'une si heureuse nouvelle, je dois vous assurer que vous ne pouvez jamais rien faire qui soit plus agréable au grand monarque des Espagnes et des Indes, Philippe V, mon seigneur et mon maître, que Dieu comble de gloire, de prospérité et d'années. C'est pourquoi, comme je représente sa personne dans l'emploi dont il m'a honoré, je vous offre et vous promets de sa part, pour toujours, son amitié et sa protection pour vous et pour ceux qui imiteront votre exemple, en vous avertissant en même temps que vous devez avoir soin que tous vos vassaux, après avoir embrassé la foi catholique, prêtent serment de fidélité et d'obéissance au roi mon maître, qui sera toujours votre appui, votre protecteur et votre défenseur contre tous vos ennemis; c'est pourquoi dès aujourd'hui, moi et mes successeurs, nous voulons entretenir avec vous une constante amitié et une solide correspondance pour vous secourir dans tous vos besoins; et comme j'espère que vous serez très-fidèle à exécuter ce que je vous prescris au nom du roi mon maître, j'ai voulu rendre ma promesse plus authentique en apposant ici le sceau de mes armes. A Baldivia, le 8 d'avril 1704. DOM MANUEL DE AUTEFFIA. A mon retour de Baldivia à Nahuelhuapi, je trouvai une petite église déjà bâtie, les néophytes pleins de ferveur et plusieurs catéchumènes disposés à recevoir le baptême par le zèle du père Jean-Joseph Guillelmo, mon compagnon. La lettre du gouverneur fut reçue avec satisfaction de tout le peuple; ainsi nous commençâmes à travailler sérieusement à l'œuvre de Dieu. Nous avons déjà bâti une petite maison et jeté les fondemens d'une plus grande église, parce que les nations circonvoisines commencent à venir nous trouver. Cependant comme le pays où je me suis établi est habité par deux peuples, dont les uns s'appellent Pulches et les autres Poyas, il semble qu'il y ait entre eux de la jalousie et de l'émulation, A l'est de Nahuelhuapi. Les Pulches sont les seuls Indiens qui communiquent pacifiquement avec les Chiliens. car les Pulches ont voulu me détourner de travailler à la conversion de leurs voisins en me disant que c'est une nation fière, cruelle et barbare avec laquelle on ne pouvoit traiter. Pour moi, qui connoissois la douceur et la docilité des Poyas, qui m'avoient sollicité instamment de les instruire, je vis bien que les Pulches n'agissoient que par leur passion. C'est pourquoi quelques jours après, ayant assemblé les principaux de cette nation, je leur parlai avec beaucoup de force et je leur représentai les raisons qui m'empêchoient de suivre leur sentiment, Je leur dis que Dieu vouloit sauver également tous les hommes sans accep tion de personnes ; que les ministres de JésusChrist ne pouvoient exclure aucune nation sans une injuste prévarication; qu'ils étoient envoyés pour instruire et baptiser tous les peuples; qu'eux-mêmes, s'ils vouloient être véritablement chrétiens, devoient être les premiers à procurer avec zèle le salut et la conversion des Poyas, qui étoient les frères de JésusChrist, les héritiers de son royaume et rachetés également par son sang précieux, qui avoit été versé pour tout le monde; que l'obstacle qu'ils vouloient mettre à la conversion de leurs voisins étoit un article du démon, le commun ennemi des hommes, pour priver ce peuple du bienfait inestimable de la foi et pour leur en ôter à eux-mêmes le mérite en leur faisant violer le précepte de la charité. Ces raisons firent impression sur leur esprit, et ils me prol'instruction et à la conversion des Poyas. Enmirent sur-le-champ de ne se point opposer à fin, après avoir vaincu cet obstacle, qui pouvait posé les cœurs et les esprits de ceux qui m'aretarder le progrès de l'Évangile, et avoir disvoient témoigné plus d'empressement pour recevoir le saint baptême, je choisis un jour solennel pour faire la cérémonie avec plus la sainte consolation de voir le changement d'éclat, et je les baptisai tous. J'ai maintenant merveilleux que la grâce de Jésus-Christ a fait dans leurs mœurs et dans leur conduite, lant ils sont fervens et attachés à leurs devoirs. Voilà, mon cher père, les prémices de mes travaux apostoliques. Priez le Seigneur qu'il nous envoie des ouvriers zélés et laborieux, qu'il dispose l'esprit et le cœur de ce nombre infini de peuples qui nous environnent à recevoir la foi, et que le Seigneur daigne répandre sa bénédiction sur mon ministère. Je ne vous ferai point de description du pays, et je ne vous parlerai point des mœurs et des coutumes de ce peuple, parce qu'il y a trop peu de temps que je suis ici pour les bien connoître. J'en serai plus instruit l'été prochain, car j'espère parcourir tout le pays pour en prendre une parfaite connaissance, afin de pouvoir établir des missions dans les lieux que je trouverai plus propres pour cela. Ce pays s'étend jusqu'au détroit de Magellan ; il a plus de cent lieues d'étendue de ce côté-là; du côté de la mer du nord, il en a bien davantage. Je n'ose me flatter que Dieu veuille se servir d'un instrument aussi foible que je suis pour gagner à Jésus-Christ cette grande étendue de pays; mais j'espère que sa providence, qui veille à la conversion des infidèles, suscitera des hommes animés de son esprit pour venir prendre part à nos travaux et pour achever ce que nous avons si heureusement commencé. PHILIPPE DE LAGUNA. m'a été possible de le faire, et je me persuade que vous lirez avec quelque plaisir le journal que je vous envoie de mon voyage depuis le Port-Louis jusqu'à la ville de la Conception, où nous mouillâmes le 26 de décembre de l'année 1711. Ce fut le 13 septembre 1710 que nous mêmes à la voile. Après avoir essuyé jusqu'à deux fois des vents contraires qui nous rejetèrent dans le port, quoique nous eussions fait trente lieues au large, nous aperçumes le 29 l'île des Sauvages, peu éloignée de Madère. Nous passâmes le lendemain entre Porto-Santo et Madère sans les pouvoir reconnoître. Le 30 nous mouillâmes dans la rade de Ténérife pour y faire de l'eau. Une escadre angloise, qui avait paru la veille, y avoit jelé l'alarme. Le capitaine-général, que j'allai saluer avec notre capitaine, avoit peine à croire que nous ne l'eussions pas aperçue. Le soir, comme je retournois à bord, il y eut une seconde alarme; on alluma des feux sur les hauteurs de l'tle pour assembler au plus tôt les milices, mais ce ne fut qu'une terreur panique. Cette fle est habitée par les Espagnols. On y voit une montagne, qu'on appelle le Pic, qui s'éleve jusqu'au-dessus des nues: nous l'apercevions encore à quarante lieues au-delà. Nous demeurâmes huit jours dans la rade de cette fle. Deux jours avant que d'en partir, sur le soir, nous fùmes spectateurs d'un petit combat naval qui se donna à une lieue de nous entre un brigantin anglois de six canons et une tartane françoise qui n'avoit qu'un canon et quatre pierriers; ils se battirent près de deux heures avec un feu continuel de part et d'autre ; après quoi la tartane s'approcha de nous et nous de Voilà, mon révérend père, un abrégé fidèle de la relation qui m'est tombée entre les mains. Quoique vous n'y voyiez pas ces conversions éclatantes et nombreuses que vous souhaiteriez d'apprendre par un effet de votre zèle, je ne doute point cependant que vous ne la lisiez avec plaisir et ne remerciiez Dieu de vouloir bien se servir du ministère de nos frères pour étendre partout la gloire de son nom. Je vous prie, mon révérend père, en finissant cette lettre, de vouloir bien protéger notre mission de la Chine, qui vous a toujours été si chère, de nous procurer des hommes apostoliques pleins de zèle et de l'esprit de Dieu, et m'obtenir par vos prières les secours spirituels dont j'ai besoin pour me rendre capable du saint ministère auquel il a plu à Notre-Seigneur de m'ap-manda du secours. On fit passer trente hommes peler. Je suis, avec un profond respect, etc. LETTRE DU PÈRE LABBE, MISSIONNAIRE Dde la compagnie de Jésus, DE LA MÊME COMPAGNIE, Relation du voyage de Port-Louis jusqu'au Chili. A la Conception de Chili, ce 8 janvier 1712. dans la tartane et on en mit quinze dans la chaloupe; ils eurent bientôt joint le bâtiment anglois, qui se rendit après avoir essuyé le feu de la mousqueterie. Cependant les Espagnols ne voulurent pas permettre qu'on l'emmenât, quoiqu'ils convinssent qu'il étoit de bonne prise; on le laissa à la prière du consul français. Nous partimes de cette île le 7 de décembre, et le 10 à midi nous nous trouvâmes directement sous le tropique du cancer, ayant de hauteur 23 degrés 30 minutes. Le 11 on commença de voir des poissons volans qui sont d'un trèsbon goût; ils ont quatre ailes, deux au-dessus J'ai l'honneur de vous écrire aussitôt qu'il de la tête et deux proche la queue; ils ne sortent MON RÉVÉREND PÈRE. La paix de N.-S. de l'eau et ne se mettent à voler que quand | ils sont poursuivis par les dorades et les bonites. Plusieurs donnèrent dans les voiles, d'autres se cassèrent la tête contre le corps du navire; on en voyoit qui étoient suspendus aux cordages, et il y en eut qui nous tombèrent dans les mains. Le 15 on découvrit une des îles du Cap-Vert appelée Bona Vista. La nuit du 15 au 16, vers les onze heures du soir, j'aperçus le volcan de l'île de Feu et je le fis remarquer à quelques officiers. On mit aussitôt en panne pour ne pas s'exposer à échouer sur les roches qui sont aux environs de cette île. Dès que le jour parut, on découvrit l'île fort distinctement: nous n'en étions éloignés que de six à sept licues; nous passâmes assez proche d'elle, et étant par son travers, nous fùmes pris du calme, qui dura le reste du jour. Nous eûmes le loisir de considérer ce volcan: il sort d'une montagne qui est à l'est de l'île, d'où l'on voit des tourbillons de flammes s'élancer dans les airs et des étincelles en forme de gerbes qui se perdent dans les nues. Ces îles sont habitées par les Portugais, qui y sont en petit nombre; elles paraissent fort stériles; la terre y est entièrement brûlée par la chaleur extrême du climat. Le 20 décembre, nous nous trouvâmes par les cinq degrés de latitude, et les calmes nous prirent. Nous y reslâmes quarante jours de suite, et nous eûmes beaucoup à souffrir de l'excessive chaleur et de la disette d'eau. Du reste, le poisson fourmilloit autour du navire et nous en vécûmes pendant tout ce temps-là. Ce qu'il y eut d'agréable et de consolant pour nous, c'est que de cent quarante personnes que nous étions dans le vaisseau, il n'y en eut aucune qui tombât malade. Le 10 de février 1711, nous passâmes la ligne, et le 18 du même mois on reconnut la côte du Brésil, que l'on commença à ranger. Le 21, nous mouillâmes proche les îles SainteAnne: elles sont au nombre de trois ; quelques brisans semblent en former une quatrième. Elles sont toute couvertes de bois; la terre ferme n'en est éloignée que de trois ou quatre lieues. On trouve sur ces îles quantité de gros oiseaux qu'on nomme foux, parce qu'ils se laissent prendre sans peine en peu de temps nous en prîmes deux douzaines. Ils ressemblent assez à nos canards, à la réserve du bec, qu'ils ont plus gros et arrondi; leur plumage est gris; on les écorche comme on fait les lapins. Le 22, nous doublâmes le cap Friou. En le doublant, nous aperçumes un navire portugais. On lui donna la chasse tout le jour et la nuit; le lendemain on s'en rendit maître. Il avoit quatorze pièces de canon; sa cargaison étoit de vin et d'eau-de-vie. Après qu'on eut emmariné ce bâtiment, nous le menâmes à l'Ile-Grande, où nous avions dessein de faire de l'eau. Nous n'y demeurâmes que fort peu de temps, sur les nouvelles qui nous vinrent que les Portugais cherchoient à nous surprendre, ce qui nous fut confirmé par le bruit de cinquante ou soixante coups de fusil que nous entendimes dans le bois auprès duquel nous avions mouillé. Le 5 mars, nous doublâmes le cap du Tropique, qu'on appelle ainsi parce qu'il est directement sous le tropique du Capricorne. Le 14, nous découvrîmes l'île de Gal et peu après l'île de Sainte-Catherine, où nous mouillâmes le soir pour y faire de l'eau. Le 2 avril, jour du jeudi saint, nous eûmes un gros temps qui nous prit à minuit et qui dura jusqu'au samedi vers le midi. Nous vimes alors pour la première fois des damiers, que l'on nomme ainsi parce qu'ils ont le dos partagé en petits carreaux noirs et blancs. Cet oiseau se prend d'ordinaire avec l'hameçon. Quand nous eûmes passé la ligne, nous vimes dans un temps de calme un grand nombre de requins. C'est un animal terrible: il vient autour des navires et dévore tout ce qu'on laisse tomber; il est dangereux de se baigner pour lors. Le requin, d'un seul coup de dent, coupe un homme en deux. Nous en prîmes plusieurs et de fort gros qui pesaient plus de six cents livres. On les prend avec un hameçon pesant six ou sept livres, auquel on attache un morceau de chair. Cet animal, qui est très-vorace, avale tout à coup l'un et l'autre. Il faut plus de cinquante hommes pour l'élever et le mettre à bord; encore faut-il être sur ses gardes, d'un coup de son gouvernail (c'est ainsi qu'on appelle sa queue), il rompra et jambes et cuisses de celui qu'il pourra joindre. Son cœur est fort petit à proportion de sa grosseur, mais il est d'une vivacité étonnante. Je l'ai fait arracher à plusieurs, et quoiqu'il fût séparé du corps et percé de coups de couteau, il palpitoit encore durant trois et quatre heures, avec tant de violence qu'il repoussoit la main qui le pressoit fortement contre du bois. car et Le 10 du même mois, on reconnut à la couleur de l'eau que nous étions dans la rivière de la Plata, où nous avions dessein d'entrer pour vendre notre prise à Buenos-Ayres. On sonda ce jour-là et on trouva quarante brasses de fond. Le lendemain on se trouva à quatre brasses, ce qui fit juger que nous étions sur le banc des Anglois et en danger de nous perdre. Ce banc s'appelle ainsi parce que plusieurs vaisseaux anglois y ont échoué et péri. Il fallut donc revenir vers l'entrée de la rivière pour se retirer de ce mauvais pas. Le soir on reconnut l'ile des Loups: c'est une terre stérile, toute couverte de pierres et de sables, où les loups marins se retirent. Cet animal a la tête semblable aux chiens; il a par-devant deux ailerons qui lui servent de pattes; dans tout le reste, il ressemble à un poisson. Le 15 on découvrit les montagnes de Maldonal et l'île de Flore, et le 16 on mouilla dans la baie de Montevidiol', qui est un cap de la terre ferme. On ne jugea pas à propos d'aller plus avant sans avoir des pilotes du pays, parce que cette rivière est remplie de bancs où plusieurs vaisseaux se sont perdus. les maisons y sont assez mal bâties, elles ne sont la plupart que de terre; on y voit une forteresse qui n'est pas considérable; nous y avons un collège où l'on enseigne les humanités. Vous vous attendez sans doute, mon révérend père, que je vous entretienne ici de la florissante mission du Paraguay, où l'on voit se retracer l'innocence et la piété des premiers fidèles. Cette mission consiste en quarante grosses bourgades habitées uniquement par des Indiens qui sont sous la direction des pères jésuites espagnols; les plus considérables bourgades sont de 15 à 20 mille âmes. Ils choisissent tous les ans le chef qui doit présider à la bourgade et le juge qui doit y maintenir le bon ordre; l'intérêt et la cupidité, cette source de tant de vices, est entièrement bannie de cette terre de bénédiction; les fruits de la terre qu'on recueille chaque année sont mis en dépôt dans des magasins publics, dont la distribution se fait à chaque famille à proportion des personnes qui la composent. La simplicité et la candeur de ces bons Indiens est admirable. Des missionnaires qui ont gouverné longtemps leur conscience m'ont assuré que, dans presque toutes leurs confessions, à peine trouve-t-on matière pour l'absolution. Après la grâce de Dieu, ce qui les a conservés et ce qui les conserve encore dans une si grande innocence de mœurs, c'est l'attention particulière des rois d'Espagne à ne pas permettre qu'ils aient la moindre communication avec les Européens. Si la nécessité du voyage oblige les Espagnols à passer par quelqu'une des bourgades indiennes, il leur est défendu expressément d'y demeurer plus de trois jours: ils trouvent une maison destinée pour leur lo Le lendemain on fit partir le canot pour Buenos-Ayres, d'où nous étions encore éloignés de quarante lieues, afin de donner avis au gouverneur de notre arrivée et de prendre des pilotes qui pussent nous conduire au port. Cette contrée est délicieuse; la terre y est couverte d'une multitude innombrable de bestiaux; on y voit presque de tous côtés des plaines à perte de vue, coupées et arrosées par de petites rivières et des ruisseaux qui y entretiennent une verdure perpétuelle, où de grands troupeaux de bœufs et de vaches s'engraissent. Les cerfs et les autruches y sont sans nombre ; les per-gement où on leur fournit gratuitement tout drix et les faisans s'y prennent à la course et on les tue à coups de bâton; les canards, les poules d'eau et les cygnes y sont très-communs. Ce seroit l'endroit du monde le plus commode pour se rafraîchir s'il n'y avoit rien à craindre pour les vaisseaux; mais cette rivière est fort dangereuse: le 26, nous pensâmes périr d'un coup de vent qui nous jela sur une roche cachée sous l'eau dont nous nous tirâmes heureusement. Le 1er de mai, nous mouillâmes à trois lieues de Buenos-Ayres. Cette ville n'est pas achevée, 'Monte-Vidéo. ce qui leur est nécessaire; les trois jours expirés, on les conduit hors de la bourgade, à moins que quelque incommodité ne les y arrête. Ces Indiens n'ont nul génie pour l'invention, mais ils en ont beaucoup pour imiter toutes sortes d'ouvrages qui leur tombent entre les mains, et leur adresse est merveilleuse. J'ai vu de leur façon de très-beaux tableaux, des livres imprimés correctement, d'autres écrits à la main avec beaucoup de délicatesse; les orgues et toutes sortes d'instrumens de musique y sont communs ; ils font des montres, ils tirent des plans, ils gravent des cartes de géographie; enfin ils excellent dans tous les ouvrages de l'art, pourvu qu'on leur en four | mouiller à Montevidiol. Lorsque nous y pas nisse des modèles. Leurs églises sont belles et ornées de tout ce que leurs mains industrieuses peuvent travailler de plus parfait. Il seroit difficile de vous faire connoître, d'un côté, combien il en a coûté de peines et de travaux aux missionnaires pour gagner ces peuples à Jésus-Christ et pour les instruire parfaitement des vérités chrétiennes, et, d'un autre côté, jusqu'où va l'attachement et la tendresse de ces néophytes pour ceux qui les ont engendrés en Jésus-Christ. Un des missionnaires m'a raconté que, naviguant dans un bateau avec trente Indiens, il tomba dans l'eau et fut incontinent emporté par le courant. Aussitôt les Indiens se jetèrent dans la rivière; les uns nageant entre deux eaux le portaient sur leur dos, les autres le soutenaient par les bras, tous le menèrent ainsi jusqu'au bord du fleuve, sans craindre pour eux-mêmes le péril dont ils le délivrèrent. Après cette petite digression, je reviens à la suite de mon voyage. La saison étant trop avancée pour passer le cap Horn, nous fùmes contraints d'hiverner dans la rivière, car nous avions alors l'hiver dans ces contrées, pendant que vous aviez l'été en Europe. Nous nous postâmes proche des fles de Saint-Gabriel, à une lieue de terre. Aussitôt que nous eûmes mouillé, plusieurs Indiens vinrent nous apporter de la viande et d'autres rafraîchissemens. Ces Indiens vont à la chasse des bœufs, qu'ils prennent fort aisément : ils ne font que leur jeter au col un nœud coulant, et ensuite ils les mènent partout où ils veulent. Avant notre départ, des Indiens d'une autre caste vinrent nous trouver : ils sont la plupart idolâtres, belliqueux et redoutés dans toute l'Amérique méridionale. Il règne parmi ces peuples un usage qui nous surprit étrangement: leur coutume est de tuer les femmes dès qu'elles passent trente ans. Ils en avoient amené une avec eux qui n'avoit que vingt-quatre ans : un de ces Indiens me dit qu'elle étoit déjà bien vieille et qu'elle n'avoit plus guère à vivre, parce que dans peu d'années on devoit l'assommer. Nos pères ont converti à la foi un assez grand nombre d'Indiens de cette caste. Il est à souhaiter pour les femmes qu'on les puisse tous convertir. Le 25 de septembre, on mit à la voile pour sortir de la rivière, et le lendemain on vint sâmes au mois d'avril, en montant la rivière, nous pensâmes y périr nous y courûmes un danger bien plus grand cette seconde fois. Nous y fûmes pris d'un ouragan si affreux que pendant six heures nous nous crûmes perdus sans ressource. Cinq ancres que nous avions mouillées ne purent tenir, et nous tombions sur la côte tout escarpée de pointes de rochers où il n'étoit pas possible de nous sauver. Je vis alors couler bien des larmes et former beaucoup de saintes résolutions. On fut sur le point de couper tous les mâts pour soulager le navire; mais avant d'en venir à cette exécution, j'exhortai l'équipage à implorer le secours de Dieu : nous fîmes un vœu à sainte Rose, patrone du Pérou, et nous promimes qu'aussitôt que nous serions arrivés au premier port du Pérou, nous irions en procession à l'église, nu-pieds et en habits de pénitens, que nous y entendrions une messe chantée solennellement et que nous participerions aux saints mystères avec toute la dévotion dont nous étions capables. A peine eûmes-nous fait ce vœu que nous nous aperçûmes que Dieu nous exauçoit: nos ancres, qui jusqu'alors n'avoient fait que glisser sur le fond sans pouvoir mordre, s'arrêtèrent tout-à-coup et peu à peu le vent s'apaisa. so Le 30, nous partimes de Montevidiol, et sortant d'un danger, nous tombâmes dans un autre où notre navire devoit mille fois périr si nous eussions eu du vent. Nous rangeâmes l'île de Flore à la portée du canon, et, étant par son travers, nous échouâmes sur une pointe de roche où immanquablement le navire s fût ouvert si nous n'eussions pas été en calme Nous nous en tirâmes sans aucun dommage le vent contraire qui survint ensuite nou obligea de rester quelques jours proche de l'île Nous eûmes la curiosité d'y aller : on n'y voi que des loups et des lions marins. Le lion ma rin ne diffère du loup marin que par de longues soies qui lui pendent du col. Nous en vi mes d'aussi gros que des taureaux ; on en lu quelques-uns. Le corps de ces animaux n'es qu'une masse de graisse dont on tire de l'huile Rien n'est plus aisé que de les tuer: il suffi de les frapper sur le bout du nez, et incontinent ils perdent tout leur sang par cette blessure; mais pour cela il les faut surprendre en dormis sur les rochers ou un peu avancés |