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que, s'ils avaient autant réfléchi sur les idées qu'ils ont des goûts et des odeurs que sur celles de la vue et de l'attouchement, ou qu'ils eussent examiné les idées que leur causent la faim, la soif et plusieurs autres incommodités, ils auraient compris que toutes ces idées n'enferment en elles-mêmes aucune idée de l'étendue, qui n'est qu'une affection du corps, comme tout le reste de ce qui peut être découvert par nos sens, dont la pénétration ne peut guère aller jusqu'à voir la pure essence des choses.

après, commençant à me défier de mon jugement sur cette affaire, j'en écrivis à M. Bayle, qui me répondit que j'étais bien fondé à trouver l'ignoratio elenchi dans le passage en question. On peut voir sa réponse dans la 247 lettre, pag. 932, tome III, de la nouvelle édition des Lettres de M. Bayle, publiée en 1729, par M. Desmaizeaux, qui l'a augmentée de nouvelles lettres, et enrichie de remarques très-curieuses et très-instructives. Et voici la note par laquelle ce judicieux éditeur a trouvé bon de confirmer la censure que M. Bayle avait faite du passage qui fait le sujet de cet article : « Les cartésiens (dit-il, après avoir cité les propres << paroles de M. Locke jusqu'à ces mots: «Ils auraient com<< pris que toutes ces idées n'enferment en elles-mêmes << aucune idée d'étendue »); les cartésiens, à qui M. Locke « en veut ici, ont fort bien compris que toutes ces idées << n'enferment en elles-mêmes aucune idée d'étendue. Ils « l'ont dit, redit, et prouvé plus nettement qu'on ne l'avait <<< encore fait: de sorte que l'avis que M. Locke leur donne << n'est pas fort à propos, et pourrait même faire croire << qu'il n'entendait pas trop bien leurs principes, comme << M. Coste s'en était aperçu, et comme l'insinue ici « M., Bayle. »

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§ 26.

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Que si les idées qui sont constamment jointes à toutes les autres, doivent passer dès-là pour l'essence des choses auxquelles ces idées se trouvent jointes, et dont elles sont inséparables, l'unité doit donc être, sans contredit, l'essence de chaque chose. Car, il n'y a aucun objet de sensation ou de réflexion, qui n'emporte l'idée de l'unité. Mais c'est une sorte de raisonnement dont nous avons déjà montré suffisamment la faiblesse.

$ 27.

Les idées de l'Espace et de la Solidité different l'une de l'autre.

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Enfin, quelles que soient les pensées des hommes sur l'existence du vide, il me paraît évident que nous avons une idée aussi claire de l'espace, distinct de la solidité, que nous en

avons de la solidité distincte du mouvement, ou du mouvement distinct de l'espace. Il n'y a pás deux idées plus distinctes que celles-là, et

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nous pouvons concevoir aussi aisément l'espace sans solidité, que le corps ou l'espace sans mouvement; quoiqu'il soit très-certain que le corps ou le mouvement ne sauraient exister sans l'espace. Mais, soit qu'on ne regarde l'espace que comme une relation, qui résulte de l'existence dé quelques êtres éloignés les uns des autres, ou qu'on croie devoir entendre littéralement ces paroles du sage roi Salomon, Les cieux et les cieux des cieux ne te peuvent contenir; ou celles-ci de saint Paul, ce philosophe inspiré de Dieu, lesquelles sont encore plus emphatiques (a), C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'étre; je laisse examiner ce qui en est, à quiconque voudra en prendre la peine: et je me contente de dire que l'idée que nous avons de l'espace, est, à mon avis, telle que je viens de la représenter, et entièrement distincte de celle du corps. Car, soit que nous considérions dans la matière même la distance de ses parties solides, jointes ensemble, et que nous lui donnions le nom d'étendue, par rapport à ces parties solides; ou que, considérant cette distance comme étant entre les extrémités d'un corps, selon ses différentes dimensions,

(a) Act. XVII, vers. 28.

nous l'appelions longueur, largeur et profondeur; on sait que la considérant comme étant entre deux corps, ou deux ètres positifs, sans penser s'il y a entre-deux de la matière ou non, nous la nommons distance: quelque nom qu'on lui donne, ou de quelque manière qu'on la considère, c'est toujours la même idée simple et uniforme de l'espace, qui nous est venue par le moyen des objets dont nos sens ont été occupés; de sorte qu'en ayant une fois les idées dans notre esprit, nous pouvons les réveiller, les répéter et les ajouter l'une à l'autre aussi souvent que nous voulons, et ainsi considérer l'espace ou la distance, soit comme remplie de parties solides (en sorte qu'un autre corps n'y puisse point venir sans déplacer et chasser le corps qui y était auparavant) soit comme vide de toute chose solide, en sorte qu'un corps d'une dimension égale à ce pur espace puisse y être placé, sans en éloigner ou chasser aucune chose qui y fût déja. Mais, pour éviter la confusion en traitant cette matière, il serait peut-être à souhaiter qu'on n'appliquât le nom d'étendue qu'à la matière ou à la distance qui est entre les extrémités des corps particuliers, et qu'on donnât le nom d'expansion, à l'espace en général, soit qu'il fût plein ou vide de matière solide; de

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sorte qu'on dît l'espace a de l'expansion et le corps est étendu. Mais en ce point, chacun est maître d'en user comme il lui plaira. Je ne propose ceci que comme un moyen de s'exprimer plus clairement et plus distinctement.

§ 28.

Les hommes different peu entre eux sur les idées simples qu'ils conçoivent clairement.

Pour moi, je m'imagine que dans cette occasion, aussi-bien que dans plusieurs autres, toute la dispute serait bientôt terminée, si nous avions une connaissance précise et distincte de la signification des termes dont nous nous servons. Car je suis porté à croire que ceux qui viennent à réfléchir sur leurs propres pensées, trouvent qu'en général leurs idées simples conviennent entre elles, quoique, dans les discours qu'ils ont ensemble, ils les confondent par différents noms. Je crois que ceux qui sont accoutumés à faire des abstractions, et qui examinent bien les idées qu'ils ont dans l'esprit, ne sauraient penser fort différemment, quoique peut-être ils s'embarrassent par des mots, en s'attachant aux façons de parler des académies, ou des sectes dans les

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