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toutes parts; et là du moins l'homme rencontre dans un accroissement indéfini de son bien-être l'infail lible récompense de son activité.

C'est donc aux mathématiques qu'il faut s'attacher, lorsqu'on se pique de quelque rigueur; c'est vers les sciences physiques et naturelles que doivent tourner leurs efforts ceux qui nourrissent la louable ambition d'être utiles à eux-mêmes et à leurs semblables. Qu'on laisse la psychologie aux purs méditatifs. Elle n'est, à tout prendre, qu'un brillant mais fragile amas de conceptions arbitraires. Si nous pouvons savoir quoi que ce soit de l'âme, ce sont les religions qui nous l'enseignent par leurs dogmes, ou le sens commun qui nous l'impose par la pratique.

Singulière condition, encore une fois, que celle de l'homme, qui serait capable de science sur tout le reste excepté sur lui-même!

Heureusement il n'en est pas ainsi, et la psychologie a beaucoup moins contre elle des raisons qui la condamnent, que des préjugés qui la nient.

Elle ne va pas contre les religions, mais elle les prépare; et ce que les religions annoncent, dans une certaine mesure, elle l'explique.

Elle ne va pas contre le sens commun; mais elle va plus loin que le sens commun. Son point de départ

est une connaissance obscure de l'àme; son point d'arrivée une connaissance éclaircie.

Qu'on n'objecte pas que les problèmes qu'elle examine sont toujours les mêmes. La géométrie n'en revient-elle pas toujours aux mêmes théorèmes, et la physique aux mêmes observations? Comme la géométrie et la physique, la psychologie a d'ailleurs ses progrès.

Qu'on n'oppose point les bornes infranchissables devant lesquelles s'arrête toute psychologie. La géométrie n'a-t-elle pas les siennes? Et la physique elle-même échappe-t-elle à cette loi qui rend toute science humaine nécessairement limitée? Que la physiologie nous explique, si elle le peut, les mystères de l'assimilation et de la reproduction. Que la géométrie assigne enfin exactement les rapports de la diagonale et des côtés du carré, du périmètre du polygone inscrit et de la circonférence.

C'est précisément dans les questions de rapports, comme aussi d'origine et de fin, que la psychologie rencontre promptement des limites; car de semblables questions ne sont point de son domaine c'est au raisonnement à les résoudre avec la puissance qui lui appartient. L'objet unique de la psychologie est la connaissance de la nature de

l'âme, de l'âme telle qu'elle est. Or, cet objet, elle le possède avec une certitude irréfragable. Si les notions qu'elle en fournit ne sont pas adéquates comme celles de la géométrie, c'est qu'elles s'appliquent à une réalité vivante et non point à des abstractions. Parce qu'elles portent également sur le concret, les sciences physiques et naturelles ne présentent pas non plus des notions adéquates. Nous ne savons le tout de rien, et un grain de sable nous surpasse. Et cependant, qui oserait révoquer en doute les résultats de la physique?

Les résultats de la psychologie ne sont pas moins indubitables.

Vainement s'aviserait-on d'argumenter du conflit incessant et de la variation des doctrines. Cet argument suranné n'est qu'à l'usage des esprits superficiels, mal informés ou distraits. A interroger sincèrement l'histoire, on se convainc que toutes les grandes philosophies se ramènent, en définitive, au milieu de leurs contradictions, à une philosophie unique; que toutes elles s'accordent sur les points fondamentaux de la psychologie, et que les changements apparents qu'elles ont subis ont été, après tout, beaucoup moins des oppositions que des progrès. Oui, les philosophes sont parvenus à connaître l'âme ; et cette connaissance

s'épurant, s'agrandissant chaque jour davantage, à mesure que les efforts s'accumulaient en se succédant, le respect et le soin de la dignité humaine se sont accrus, les institutions sociales améliorées, et la civilisation a de plus en plus, en tout sens, reculé les frontières de la barbarie.

S'ensuit-il, toutefois, que les progrès de la psychologie aient été aussi complets qu'ils auraient pu l'être? Méconnaître les causes qui les ont contrariés dans le passé, ce serait fermer volontairement les yeux sur les causes qui pourraient les retarder dans l'avenir. Ces causes, aussi bien, ont été cent fois signalées. Elles se ramènent toutes à autant d'erreurs dans la méthode.

Premièrement, la méthode suivie par l'antiquité dans l'étude de la nature a trop longtemps régné en philosophie. Au lieu de commencer par l'analyse des faits de conscience et de n'y avancer que lentement, les philosophes, impatients de résoudre les questions, se sont précipités aux hypothèses. Ils auraient dû faire des phénomènes de l'âme l'objet d'une science régulière, et ils ne les ont guère étudiés que pour y chercher des inspirations systématiques et la justification de leurs conceptions

ventureuses.

En second lieu, ils n'ont pas reconnu les bornes

posées par la nature à l'intelligence humaine dans la science de l'esprit comme dans celle de la matière.

Troisièmement, ils sont tombés dans une confusion manifeste, en mettant en question et en considérant comme devant être établies par la voie du raisonnement les vérités premières que la philosophie présuppose, et sans lesquelles elle ne saurait faire un pas. Le jour où la philosophie, prenant son point de départ dans la réalité vivante et non pas dans l'abstraction, s'est occupée avant tout des problèmes dont une observation immédiate lui offrait les éléments de solution; ce jour-là a été constituée la psychologie et se sont trouvés acquis des résultats incontestables.

Ce sont ces résultats de la science psychologique dont il s'agit maintenant de tracer le rapide mais fidèle tableau. Car c'est à leur importanee que devra se mesurer l'importance même du rôle de la psychologie en philosophie.

Quoi qu'on en ait dit, la psychologie n'affirme pas à l'avance ce qu'elle cherche, l'existence de l'âme. Cette existence est un fait qui nous est donné avant tout autre fait; elle se montre et ne se démontre pas, et la première dictée de la conscience prononce que nous ne sommes pas tout corps.

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